SIMONE WEIL

1909 - 1943

 

Un texte inédit de Bernard Lanza

 

On est toujours quelque peu embarrassé quand il s’agit d’évoquer le destin, o combien singulier, de Simone Weil. Comment peut-on dire quelle femme hors du commun elle a été, sans craindre de la trahir ?

A ce jour, de nombreux ouvrages, biographiques ou généraux, ont été consacrés à celle qui, citant une phrase d’Eschyle, disait : « Il est bon d’aimer au point de paraître fou »; les deux plus importants sont peut-être bien celui de Simone Pétrement, en deux volumes, et celui, tout récent, de Huguette Bouchardeau, mais il serait injuste d’oublier, ou de sous - estimer d’autres ouvrages sur des sujets spécifiques, comme celui de Jean-Marie Muller sur « Simone Weil et l’exigence de la non-violence » (1992), ou encore celui de Maurice Schumann : « La mort née de leur propre vie : Gandhi, Péguy, Simone Weil » (1974).

 

Atteindre la vérité

 

Dans l’introduction de son « Simone Weil » (1995), Huguette Bouchardeau écrivait : « Simone Weil était dévorée par le désir de vérité et le désir du partage. Ce serait sans doute la trahir que de vouloir, par quelque goût malsain pour l’obscur, par quelque insuffisance dans la mise au clair, réduire le nombre de ceux à qui s’adresse son message. Plus nombreux seront ses compagnons de route, plus notre temps gagnera en humanité et en grandeur. Et Simone Weil, même quand la santé et l’espoir de vivre la quittèrent, se battait pour cela; sauver de la violence et de la sauvagerie les hommes concrets et la civilisation qu’elle aimait. »

 

Simone avait été élevée en dehors de toute pratique religieuse; son père était athée et sa mère ne pratiquait pas la religion juive; dès son adolescence, elle devait être très attachée au concept de pureté. Elle avait découvert toute la force de cette notion dans « la contemplation d’un paysage de montagne », alors qu’elle avait seulement seize ans. Cette pureté qu’elle revendiquait, c’était aussi le désir de vérité, face à un monde dont les mensonges lui faisaient horreur.

Dès cette période, Simone Weil considérait avec respect tout ce qui touchait à la religion, tout ce qui faisait du bien à l’âme. Elle observait, à la fois curieuse et fascinée, mais tout en demeurant à l’écart de l’Eglise catholique, pour elle « terre étrange ». L’année de ses seize ans avait été celle de son entrée en philosophie. Son professeur au lycée Victor Duruy, où elle préparait le bac, était René Le Senne (1882,1954), un spiritualiste, auteur d’un « Traité de caractérologie »; il  estimait que Simone était l’une des élèves les plus brillantes qu’il eût rencontré au cours de sa carrière. Pourtant, le courant ne passait pas très bien entre eux, parce que Simone n’acceptait pas que Le Senne se permit de coller une « étiquette » sur ses élèves, par le biais de la caractérologie.

L’admiration qu’elle éprouvait pour son frère aîné, André, par contre, était sans borne. Les dons indéniables de celui-ci lui firent même croire qu’elle n’était qu’une « médiocre » lorsqu’elle atteignit ses quatorze ans; mais bientôt, elle eut une véritable révélation: « Après des mois de ténèbres intérieures, j’ai eu soudain et pour toujours la certitude que n’importe quel être humain, même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre dans ce royaume de la vérité réservé au génie, si seulement il désire la vérité et fait perpétuellement un effort d’attention pour l’atteindre ».

 

Si l’on souhaite mieux comprendre la vocation de Simone Weil à assumer tout le malheur du monde, ne doit-on pas soi-même aimer profondément la vérité et s’efforcer, tout en restant modeste, de la connaître avec obstination ? Certes, mais une pareille vocation ne peut guère se partager. D’ailleurs, Simone se sentait « seule, étrangère, et en exil par rapport à n’importe quel milieu humain sans exception » (Attente de Dieu, pages 60 et 61).

Terrible est la solitude de celle qui a l’impression de marcher sans rencontrer un seul compagnon sur la route qui mène à son idéal ! Les dix-huit premières années de son existence, Simone les passa au sein d’une famille heureuse et aisée; ses parents étaient tendres et attentionnés et firent tout pour faciliter sa formation intellectuelle et morale. Elle passa son baccalauréat en 1924 et 1925, avant d’entrer au lycée Henri IV pour y préparer l’entrée à l’Ecole normale supérieure pendant trois ans.

Reçue au concours de Normale Sup. en juillet 1928, elle y étudia pendant trois autres années, obtenant l’agrégation de philosophie en juillet 1931. Simone n’était pas une étudiante docile; si elle admirait son maître Alain, elle affichait un certain mépris envers d’autres professeurs, se montrant parfois désinvolte, et surtout elle adorait remettre en cause l’autorité et la hiérarchie.

 

Le syndicalisme comme  outil  de liberté

 

Passionnée pour les idées pacifistes, elle militait pour le « service civil »; elle participa aussi, au sein d’un Groupe d’éducation sociale, animé par des élèves d’Alain et un syndicaliste des chemins de fer, Lucien Cancouët, à des cours à l’usage des travailleurs.  Pour elle, l’objectif de cette instruction était simple : l’éducation ouvrière doit permettre au pouvoir de changer de camp.

Simone Weil désirait ardemment instruire les travailleurs les plus défavorisés afin de pouvoir ainsi combattre plus efficacement l’injustice sociale. A se yeux, la seule lutte qui importât vraiment était bien celle qui opposait le capital et le travail.

Dès ses dix-huit ans, elle commença à se tourner avec sympathie vers le syndicalisme, plutôt que vers les partis politiques. Pour elle, le syndicat, c’était en quelque sorte l’ »outil » qui permettrait aux travailleurs de « fabriquer leur propre liberté », alors que les partis politiques, comme les Eglises, par ailleurs, lui paraissaient « n’avoir d’autre but que d’exister et d’exister le plus possible ».

Elle donna son adhésion à la Ligue des Droits de l’homme qui avait été fondée en 1898, lors de la fameuse affaire Dreyfus, mais elle y milita à sa manière, très personnelle, insistant surtout pour que la Ligue « règle son action sur cette supposition que ce qui est juste est possible », et pour qu’elle « combatte systématiquement les pouvoirs quels qu’ils soient ». Simone pense que c’est le peuple et lui seul qui doit « décider des lois », le rôle du gouvernement devant se limiter à les « exécuter »; quant aux élus politiques, elle souhaite qu’ils se contentent d’être de simples « contrôleurs », des « surveillants », placés « entre le peuple qui dit ce qui doit être et le chef qui exécute ».

Ces débuts de l’engagement social et politique de Simone Weil, issue de la bourgeoisie et toute entière vouée au peuple, peuvent surprendre à première vue, mais il faut tenir compte du fait qu’elle n’avait pas encore été affrontée réellement aux dures réalités, ce qui explique en partie sa tendance à s’enflammer démesurément pour toutes les causes qu’elle défendait avec passion.

Certes, il y avait une bonne dose d’utopie dans cet amour effréné du « peuple », paré de toutes les vertus, mais cette dévotion quasi  mystique envers les « petites gens » frappait tous ceux qui la rencontraient et qui l’entendaient affirmer, sans l’ombre d’un doute, que « la Révolution donnerait à manger à tout le monde ». Dans son activité intellectuelle, Simone se montrait tout aussi intransigeante. Elle réalisa, avec son diplôme d’études supérieures, un travail consacré aux notions de « science et perception chez Descartes ». Elle réfléchit très sérieusement aussi sur l’idée du « travail », et Simone Pétrement résuma ainsi les premiers articles que S. Weil fit paraître dans les « Libres Propos », en 1929 : « Par cette théorie du travail, Simone pouvait à la fois glorifier l’ouvrier et fonder la connaissance sur la morale. Cela justifiait à la fois sa politique et sa philosophie ».

La conclusion de son premier article était : « La géométrie, comme toute pensée peut-être, est fille du travail ouvrier ».  Celle du second : « Eveillons-nous de nouveau au monde, c’est-à-dire au travail et à la perception, sans manquer de courage pour observer cette règle...; rabaisser notre propre corps au rang d’outil, nos émotions au rang de signes ».

Simone Weil avait déjà une vision tout à fait « démocratique » du savoir, c’est en tout cas ce que nous apprend Huguette Bouchardeau, précisant : « une vision qui la portera quand elle sera professeur, qui l’animera lorsqu’elle élaborera des cours d’université populaire, qui lui fera toujours rechercher la discussion exigeante avec tous, tant elle est persuadée que chacun peut accéder à la connaissance ».

 

Au mois de juillet 1931, après avoir été reçue à l’agrégation de philosophie, elle fut nommée au Puy, alors qu’elle eût préféré une ville industrielle ou un grand port. Elle songeait déjà à faire l’expérience de la vie ouvrière à cette époque, et elle avait participé activement aux travaux des champs pendant des vacances à la campagne, arrachant les pommes de terre jusqu’à dix heures par jour, et s’efforçant de nouer des relations d’amitié avec ses compagnons de travail. Ses parents l’incitaient à se montrer prudente et plus économe de ses forces, mais Simone ne les écoutait guère, et pratiquait également plusieurs sports éprouvants, comme le rugby ou l’athlétisme, en dépit de sa santé fragile et de sa maladresse.

Arrivée au Puy en Velay, pour son premier poste d’enseignante, elle se fit remarquer bien vite par son non-conformisme vestimentaire, s’habillant toujours très simplement, sans le moindre souci de coquetterie. Elle travaillait énormément, rédigeant la préparation de ses cours en y exprimant ses propres idées, et donnant même des cours supplémentaires gratuits et facultatifs sur l’histoire des sciences.

 

En décembre de cette année 1931, Simone tint à accompagner à la mairie du Puy une délégation de chômeurs qui venaient protester contre le travail humiliant auquel les contraignait la municipalité de la ville en échange d’une allocation de misère, et qui consistait à casser des cailloux sur une place située juste en face du lycée de jeunes filles.

Voir cette jeune femme, professeur, manifester au côté de chômeurs sans ressources, cela scandalisa, bien sûr, les « bien-pensants », et la presse locale et régionale ne ménagea pas Simone, allant jusqu’à parler d’  « une personnalité féminine jouissant d’une situation qui la met à l’abri de la crise économique ».

Simone était indignée par ces allusions perfides; en outre, elle fut convoquée à l’inspection académique, qui la menaça de déplacement. Mais les élèves de Simone Weil se mobilisèrent, et firent signer une pétition de soutien à leur professeur par leurs parents ,un seul s’était abstenu. Le 4 février 1932, après une manifestation de la CGTU, Simone est à nouveau la cible de la presse locale, qui la traite d’agent de Moscou et insiste plutôt lourdement sur ses origines juives. Quant à l’hebdomadaire « Le Charivari », journal satirique illustré parisien, il allait poser une fois encore cette question qui agaçait Simone : « Pourquoi ne commence-t-elle pas par partager avec les quarante chômeurs du Puy son traitement qu’on dit confortable  »?  Simone, qui a la passion de partager, y compris l’argent qu’elle gagne, avec les déshérités, qui ne rêve que de participer en militante, mettant sa peau au bout de ses idées, aux combats de la classe ouvrière, ne pouvait qu’être exaspérée par de tels sous-entendus venimeux, et ne pouvait que vomir pareille polémique, réactionnaire et antisémite.

 

Elle avait assisté, en septembre 1931, au congrès de la CGT, alors dirigée par Léon Jouhaux, (la CGTU étant, elle, proche du parti communiste). Elle y était allée en compagnie de Cancoûet, cet ami cheminot avec qui elle avait donné des cours.

Dans un texte paru dans les « Libres propos », elle ne se montra pas tendre envers la CGT socialisante: « Elle ne tend qu’à se conserver. Son but n’est plus d’agir ou de servir, mais simplement d’exister ». Elle estimait qu’il était urgent de lutter contre toute division syndicale et de constituer une grande force ouvrière. C’est à ce moment qu’elle lia connaissance avec des syndicalistes révolutionnaires chevronnés, Maurice Chambelland, Pierre Monatte ou encore Daniel Guérin, lesquels attribuaient au syndicat « un rôle essentiel dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat » et donnaient au parti  « un rôle auxiliaire et non directeur », contrairement aux communistes.

 

Les groupements réels

 

Ces syndicalistes mirent Simone Weil en contact avec le couple Thévenon, de Saint-Etienne, Urbain et Albertine, des instituteurs syndicalistes. Chaque semaine, Simone allait faire au moins une fois le voyage du Puy à Saint-Etienne et deux ans après, celui de Roanne à Saint-Etienne, pour participer à un cercle d’études organisé à la Bourse du Travail, ou bien participer à des réunions ou à des manifestations.

Simone avait acquis la conviction que les seuls combats qui étaient susceptibles de conduire à une authentique transformation sociale étaient ceux menés par ce qu’elle appelait les « groupements réels » : d’une part, les associations patronales ou les trusts; d’autre part, les regroupements de travailleurs sur la base de leur fonction dans la production. L’unité réelle de la communauté ouvrière lui apparaissait donc comme une condition indispensable pour que le pouvoir lui revienne.

 

Simone écrivait de nombreux articles dans les journaux qui voulaient bien lui ouvrir leurs colonnes. Il est probable que la grande majorité de ces écrits seraient considérés aujourd’hui comme « gauchistes », car Simone Weil ne ménageait ni les socialistes ni les communistes, tout en ayant « le coeur à gauche », c’est évident.

Pour elle, la condition nécessaire, pour que la révolution politique et la révolution économique deviennent réelles, était que celles-ci « soient prolongées par une révolution technique qui établira, à l’intérieur même de la mine et de l’usine, la domination que le travailleur a pour fonction d’exercer sur les conditions de travail ».

Pendant cette année passée au Puy, Simone adorait provoquer les milieux « bien-pensants »; elle aimait déplier et lire « L’Humanité » en public, n’hésitait pas à se montrer narquoise et parfois insolente avec ses supérieurs de l’Education Nationale, suscitant par ses propos et comportements des rapports qui étaient adressés au ministère. On lui reprochait avant tout ses relations trop amicales avec des ouvriers, mais elle répliquait aussitôt en dénonçant une administration qui en était encore au régime des castes. Son maître, le philosophe Alain, était plutôt satisfait de l’attitude frondeuse de Simone, tout en tenant à rappeler que, selon lui, « l’affranchissement des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes ».

 

A l’occasion du défilé du Premier mai, à Saint-Etienne, elle voulut porter au moins quelques minutes le drapeau rouge. Elle signifiait ainsi sa joie de militer, de se rendre utile aux prolétaires, de pouvoir nouer des amitiés dans le milieu syndical. Ses parents, sans la désapprouver, s’inquiétaient toutefois de la voir négliger au plus haut point sa santé et son confort matériel, cela afin de rester fidèle à son idéal de partage et de lutte sociale; en dépit d’une irritation parfois justifiée, ils ne cessèrent jamais de lui prouver leur immense tendresse.

 

En juin 1932, Simone avait demandé sa mutation pour Saint-Quentin mais l’administration en décida autrement et l’expédia à Auxerre. Cette ville de province la laissait assez froide, sans doute était-elle trop « bourgeoise » à son gré; elle se souvenait surtout à cette époque de son long voyage en Allemagne durant son congé estival. Elle était partie là-bas, outre-Rhin, pour tenter de mieux faire comprendre ce grand pays qui la fascinait et qui, près de quinze ans plus tôt, avait été vaincu par la France. Elle avait beaucoup observé les gens et constaté un réel goût de l’embrigadement dans les mouvements de jeunesse; elle s’était alarmée, bien-sûr, des progrès visibles de l’idéologie nazie, dont certains aspects imprégnaient même la gauche, y compris le Parti communiste. Elle avait été témoin aussi, de la misère des chômeurs, et de leur désespoir qui risquait de les entraîner vers le premier « sauveur » venu. Pourtant, elle voulait encore croire en une possibilité de sursaut révolutionnaire dans cette Allemagne malade, malgré un syndicalisme qu’elle jugeait bien trop intégré à l’appareil d’Etat, malgré une social-démocratie trop modérée à ses yeux. Elle conservait une réelle attirance pour le Parti communiste allemand qui avait en son sein des militants dévoués et courageux,, mais elle déplorait leur manque d’expérience et de culture politique, écrivant : « Un tel parti peut propager des sentiments de révolte, pas se proposer la révolution comme tâche ». L’espoir était donc bien mince de ravir le pouvoir au capitalisme et à ceux qui souhaitaient le perpétuer en proposant des solutions extrêmes et radicales, les fascistes hitlériens.

 

Pendant son voyage de retour, elle fera un détour par la Belgique, où elle rencontrera, à Charleroi, un vieux mineur, militant trotskiste. Elle sera pleine d’admiration pour cet homme, pour ce militant que « n’a pas corrompu la fréquentation d’intellectuels et de révolutionnaires professionnels ». Huguette Bouchardeau écrit fort justement : « L’Homme contre l’Organisation, le travailleur contre le bureaucrate. Ainsi se dessinent les traits qui marqueront, tout au long de sa vie, sa pensée politique ».

La chaleur de l’amitié, les discussions passionnées entre camarades, tout cela comptait énormément pour Simone, et elle avait la nostalgie, à Auxerre, de ses contacts stéphanois, chez les Thévenon, et de ses rencontres allemandes. Cependant, elle continua à donner des cours supplémentaires d’histoire des sciences, comme au Puy, et essaya d’intéresser ses élèves à sortir des sentiers battus et à rédiger des « papiers » personnels sur des sujets pris hors du programme. Jean Duperray, un instituteur qu’elle avait connu  chez ses amis Thévenon, à Saint-Etienne, racontait comment un mineur avait un jour interpellé Simone à la Bourse du Travail, après une conférence, en lui demandant : « Quand ferons-nous la Révolution ? Je dis : Quand ? » Elle fut un moment surprise de cette question que, pourtant, elle-même se posait tout le temps. Son pessimisme sur les chances du mouvement ouvrier lui valut de sévères critiques. Les militants n’aiment généralement pas que l’on doute de la victoire de leurs idées; ils craignent que cela soit démobilisateur pour les camarades de lutte. Pour Simone Weil, la Révolution était un « travail », « une tâche méthodique que des aveugles ou des gens aux yeux bandés ne peuvent pas faire ».

 

Le siècle de l’oppression  bureaucratique.

 

La Révolution est un travail, certes , mais quelle forme d’organisation faut-il pour ne pas retomber, comme toujours, dans la « bureaucratie » ? Elle n’est pas naïve au point de croire aux vertus de la non-organisation, qui ne peut qu’échouer. Elle veut militer partout où cela est possible, pour faire avancer la cause de l’unité. Georges Hourdin, auteur d’une « Simone Weil » (La Découverte, Paris, 1989), expliquant sa recherche désespérée d’une synthèse entre réformistes, communistes et anarcho-syndicalistes, écrivait: « Simone Weil découvrit qu’elle était marginale par rapport à tous ».

Elle avait compris que la Révolution russe d’Octobre 1917 avait été récupérée par la dictature stalinienne, et que l’URSS n’était même pas un « état ouvrier déformé », comme le pensait Trotsky. Elle avait noté également les nombreuses analogies entre les régimes fasciste et communiste, et elle citait une phrase de Tomsky, poussé au suicide par les staliniens : « Un parti au pouvoir et tous les autres en prison ».

La société du XXème siècle était, pour Simone, celle de « l’oppression bureaucratique ».

Son idée-force était la suivante : « Tout groupe humain qui exerce une puissance l’exerce, non pas de manière à rendre heureux ceux qui y sont soumis, mais de manière à accroître cette puissance; c’est là une question de vie et de mort pour n’importe quelle domination ».

La domination de la bureaucratie lui apparaissait donc comme étant la pire, puisqu’elle « exclut tout jugement et tout génie et anéantirait méthodiquement toute initiative, toute culture, toute pensée ».

 Mais alors, comment faire pour mettre définitivement en échec le danger bureaucratique, sinon « subordonner la société à l’individu » ?

C’était bien ainsi que Simone concevait la démocratie, et conséquemment le socialisme. Trotsky, évidemment, ne pouvait approuver ce qu’il qualifiait avec mépris de « formule de l’ancien libéralisme, rafraîchie par une exaltation anarchiste à bon marché ».

Vers la fin de 1932, Simone rencontra Boris Souvarine qui avait activement participé, en 1920, à la création du Parti communiste français. Il avait rompu avec le communisme quatre ans plus tard. Une vraie camaraderie, affectueuse, allait naître, entre deux êtres assoiffés de vérité, deux intellectuels brillants et plutôt marginaux, attachés d’abord à la liberté.

Souvarine avait lancé, en 1931, une revue : « la Critique sociale », et il confia à Simone Weil une analyse de la philosophie de Lénine, après quoi elle écrivit, semaines après semaines, son essai sur l’oppression et la liberté.

 

La condition ouvrière

 

A la rentrée scolaire de 1933, Simone rejoignit son nouveau poste à Roanne, la deuxième ville de la Loire; elle était vraiment heureuse de pouvoir reprendre les contacts avec ses amis Thévenon, ainsi qu’avec tous ceux qui l’avaient soutenue lorsqu’elle enseignait au Puy.

A la Bourse du Travail de Saint-Etienne, elle fit la rencontre de Jean Duperray, qui revenait, lui aussi, d’un voyage en Allemagne. Toute sa vie, Duperray évoquera Simone avec une émotion profonde, décrivant avec force détails ses efforts maladroits pour devenir humble et pauvre comme ses compagnons les plus déshérités; il dira son goût de partager, et il parlera aussi de ces terribles maux de tête, dont Simone souffrira de plus en plus fréquemment.

Au cours des événements graves qui se déroulèrent à Paris en février 1934, Simone sembla prendre ses distances et garda le silence. Comme certains de ses amis qui adhéraient au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, s’étonnaient de son absence, elle leur expliqua qu’elle avait pris la décision de se retirer entièrement de toute espèce de politique, sauf pour la recherche théorique, mais que cela n’excluait absolument pas une éventuelle participation à un « grand mouvement spontané des masses ». Pourtant, lorsque ses amis manifestèrent à Saint-Etienne le 12 juin pour s ’opposer à une réunion des « Croix-de-Feu », elle leur reprocha avec véhémence de ne pas l’avoir avertie. Si elle tenait tellement à conserver son indépendance, tout en se situant obstinément dans le camp des opprimés, c’était parce qu’elle n’avait qu’une confiance relative dans les idées exprimées au sein du mouvement ouvrier.

 

Dans de nombreux cas, ces idées là lui semblaient bien trop confuses pour être crédibles. Elle s’opposait vigoureusement au mythe de la guerre libératrice, estimant que la seule morale politique qui vaille était la résistance à « l’appareil administratif, policier et militaire » quel que fût le nom sous lequel celui-ci se présentait : démocratie, socialisme ou fascisme. «  La révolution, écrivait-elle, après la lecture du roman de Malraux, « La condition Humaine », n’a de sens que comme moyen; si la fin poursuivie est vaine, le moyen perd sa valeur. D’une manière générale, rien n’a de valeur dès lors que la vie humaine n’en a pas ».

En ces années 1933-34, Adolf Hitler avait pris le pouvoir en Allemagne, et la gauche, en France, préparait déjà l’avènement du Front Populaire. Simone Weil devenait de plus en plus pessimiste, y compris à propos des organisations syndicales, où « les ouvriers sont aux mains des bonzes, qui n’ont pourtant d’autres moyens que leurs fonctions bureaucratiques ».

 

« J’ai oublié que je suis un professeur agrégé

En vadrouille dans la classe ouvrière »

 

Toutefois, elle s’apprêtait à prendre une décision, pour elle d’une importance capitale : entrer en usine. Devenir ouvrière, pour mieux comprendre ce monde du travail qui la fascinait, et surtout pour penser plus justement. Mais elle n’agissait pas ainsi dans le but de participer à une sorte d’aventure révolutionnaire, comme le firent, après les événements de Mai 1968, ces étudiants qui militaient dans les groupes gauchistes, particulièrement maoïstes, en « s’établissant » dans les entreprises, sans grand succès d’ailleurs.

Durant l’année scolaire 1934-35, Simone avait obtenu un congé de l’Education nationale. Elle passa neuf semaines à Alsthom, quatre semaines aux Ets. J.J. Carnaud, à Boulogne-Billancourt, et un peu plus de deux mois chez Renault avant de réintégrer son administration en Octobre, à Bourges.

C’était bien peu de temps pour une expérience qui se voulait exemplaire, pourrait-on penser en se voulant contestataire. Peut-être, mais ces quelques mois de travail en usine lui avaient tout de même beaucoup appris sur la condition ouvrière. Elle notait tout avec précision, aussi bien sur le travail effectué ou sur les machines que sur ses compagnons de travail et sur les relations qu’elle avait avec chacun d’eux. Simone n’idéalisait pas le milieu ouvrier, bien au contraire. Sa lucidité, sa rigueur, sa franchise, la contraignaient à ne rien cacher des points négatifs, les jalousies, les mesquineries, les stupides rivalités pour quelques sous en plus ou en moins. Elle n’oubliait pas non plus de consigner ses propres insuffisances, son angoisse de mal faire, sa maladresse, son évident manque d’expérience. Son Journal d’Usine décrit exactement ses souffrances physiques et cette humiliation qu’elle ressentait devant ce travail manuel qu’elle maîtrisait si mal.

 

Albertine Thévenon n’avait pas approuvé sa décision de devenir ouvrière; dans un avant-propos à « La condition ouvrière », en décembre 1950, elle écrivait : « Je pensais et je pense encore que l’état de prolétaire est un état de fait et non de choix, surtout en ce qui concerne la mentalité, c’est-à-dire la manière d’appréhender la vie ... Je pensais et je pense encore que les réactions élémentaires d’une ouvrière ne sauraient être celles d’une agrégée de philosophie issue d’un milieu bourgeois ».

Cependant, Albertine Thévenon dut admettre que Simone Weil « mena son expérience à fond et avec la plus grande honnêteté, s’isolant de sa famille, vivant dans les mêmes conditions matérielles que ses compagnons d’atelier ». Et elle ajoutait : « Les lettres qu’elle m’écrivit alors et l’article qu’elle publia à la suite des grèves de 1936 dans « La Révolution prolétarienne » prouvent que sa possibilité d’adaptation et son pouvoir d’ « attention », pour employer une de ses expressions, lui ont permis de saisir avec acuité le caractère inhumain du sort fait aux travailleurs, surtout les non-qualifiés, « tous ces êtres maniés comme du rebut » dont elle se sentait la soeur, ce qui chez elle n’était pas littérature. « J’ai oublié que je suis un professeur agrégé en vadrouille dans la classe ouvrière », écrivait-elle. De cette expérience, elle resta marquée jusqu’à la fin de sa vie ».

Simone Weil avait pu constater, lors de ces quelques mois passés en usine, que les ouvriers, en général, ne connaissaient même pas le sens de leurs gestes, et elle en déduisait que « l’ignorance totale de ce à quoi on travaille est excessivement démoralisante », parce qu’on « n’a pas le sentiment qu’un « produit » résulte des efforts qu’on fournit. On ne se sent  nullement au nombre des producteurs. On n’a pas le sentiment non plus du rapport entre le travail et le salaire. L’activité semble arbitrairement imposée et arbitrairement rétribuée ».

Si je puis, ici, me permettre une réflexion très personnelle, est-ce que les choses ont tellement changé, plus de soixante années après ? Lequel, même le mieux intentionné, parmi nos hommes politiques de cette fin de siècle, peut-il jurer avoir une idée à peu près exacte et correcte des conditions de travail actuelles dans nos entreprises, grandes ou petites, nos commerces, géants ou de détail, nos hôpitaux et nos cliniques, nos transports en commun, ou encore nos chantiers du bâtiment, nos emplois municipaux, etc ?....

Est-il donc vraiment exagéré, dans ces conditions, d’en conclure, comme le fit Simone Weil : « La Politique m’apparaît comme une sinistre rigolade ».

De toutes ses forces, Simone, elle, avait voulu découvrir la vie réelle, côtoyer la classe de ceux qui « ne comptent pas », ce peuple ouvrier et paysan qui, elle en avait acquis la conviction, ne serait jamais, n’en déplaise aux dogmatiques marxistes dont elle s’éloignait de plus en plus, « le genre humain ».

 

Elle fut nommée à Bourges, en octobre 1935. Elle revenait de vacances en Espagne avec ses parents qu’elle avait accompagnés ensuite au Portugal. C’était dans ce pays, dans un petit village, qu’elle eut son premier vrai contact avec le catholicisme : « Là j’ai eu soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves, que des esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi les autres ».

A Bourges, comme au Puy ou à Roanne, elle continua à se mêler aux ouvriers des usines et à fréquenter des familles paysannes. Entre janvier et juin 1936, elle échangea de nombreuses lettres avec Monsieur Bernard, un ingénieur qui était directeur technique des Fonderies de Rosières, et éditait un bulletin, « Entre nous ». Simone aurait voulu y publier un article, qu’elle avait intitulé : « Appel aux ouvriers de R. », mais M. Bernard, malgré un évident désir de dialogue, s’opposa à cette publication, jugeant le texte trop revendicatif.

 

L’arrivée au gouvernement du Front Populaire et surtout les grandes grèves avec occupations d’usines, rendirent d’abord Simone très heureuse de ces belles journées de lutte, joyeuses et fraternelles, mais assez rapidement, elle émit des réserves, se demandant si toutes les revendications qu’exprimait la base syndicale étaient suffisamment réalistes, et si l’on ne risquait pas d’évoluer progressivement vers une économie étatique et un pouvoir autoritaire, à la suite d’une croissance brutale du nombre des chômeurs.

Simone suggéra alors de « limiter volontairement les revendications, mais de profiter des circonstances favorables pour constituer le premier embryon d’un contrôle ouvrier ».

Cette idée, hélas, était bien trop neuve pour être reprise par les politiques.

En 1937, elle fut nommée à Saint-Quentin, mais à partir de janvier 1938, elle sera obligée d’arrêter ses cours, et ne les reprendra plus jamais, ses atroces maux de tête ne lui laissant plus guère de répit.

Le 25 septembre 1936, elle était retournée en Espagne où elle avait visité des usines et des fermes dans les zones contrôlées par les communistes et les anarchistes de la FAI et de la CNT. Ce « communisme libertaire » la laissa quelque peu sceptique, car elle se posait bien des questions sur la déshumanisation par la guerre, et cette « attitude à l’égard du meurtre » que les conflits armés développaient. Sa lettre à Georges Bernanos, l’auteur des « Grands cimetières sous la lune », datée de 1938, évoquait en priorité sa hantise de voir le meurtre devenir ainsi « naturel »... Fallait-il intervenir pour sauver les républicains espagnols, directement menacés par l’armée nationaliste du général Franco ? Une telle intervention était-elle légitime ? Les guerres entre nations lui répugnaient, et cette guerre civile l’horrifiait, mais son pacifisme s’accommodait mal d’exposer à la défaite et sans doute à de sanglantes représailles, une jeune révolution, tellement dynamique et débordante de vie.

Simone, dans une lettre à René Belin, secrétaire général adjoint de la CGT, qui essayait de limiter l’emprise du Parti communiste sur la confédération - et qui devait devenir ministre et secrétaire d’Etat sous le régime de Vichy - déclarait qu’elle pensait que « la défaite n’est pas une pire catastrophe qu’une guerre victorieuse », et « qu’une défaite sans guerre est préférable à une guerre victorieuse ». Elle savait fort bien toutes les objections que l’on ne manquerait de faire à ce pacifisme exacerbé, et elle précisait « qu’une  telle diplomatie échouerait au cas où l’adversaire voudrait la guerre pour la guerre ». Mais, à cette époque, elle affirmait que « rien ne permet d’affirmer que Hitler veut la guerre pour la guerre ».

Sauver la paix et la civilisation demande un maximum d’intelligence. La guerre n’est pas fatale, estimait-elle.

 

De la puissance a la pureté

 

Les problèmes posés par le colonialisme préoccupaient beaucoup Simone Weil. Elle était pleine de compassion pour ces peuples coloniaux, maintenus dans une inégalité qui ressemblait à l’esclavage, et elle se disait « qu’une guerre européenne pourrait peut-être bien servir de signal à la grande revanche des peuples coloniaux pour punir notre insouciance, notre indifférence et notre cruauté ».

Simone s’intéressait toujours autant au syndicalisme, tout en restant méfiante vis-à-vis de sa dérive bureaucratique. Après juin 1936, elle prit plus nettement parti pour la CGT, cherchant à convaincre les militants chrétiens qui adhéraient à la CFTC de rejoindre la confédération réunifiée cette année là, (la CGT de Léon Jouhaux avait intégré la CGTU proche du Parti communiste). Elle écrivit même à ce sujet à Emmanuel Mounier qui dirigeait la revue « Esprit ». Son esprit critique n’en était pas émoussé pour autant. Elle était farouchement hostile à toute mainmise du Parti communiste sur le syndicat et persistait à considérer le « contrôle ouvrier » comme devant être l’objectif premier du syndicat, affirmant que le dit contrôle devrait être également un contrôle sur la production elle-même.

Simone ne tenait pas à trop se polariser sur les polémiques internes à la confédération; elle préférait, de loin, se pencher sur les revendications ouvrières concrètes. Tout en refusant, dans son purisme, toute « collaboration de classe », elle se prononçait sans équivoque pour « un peu de compréhension mutuelle ». Pour elle, une entreprise, c’étaient avant tout des hommes et des femmes dont les intérêts divergeaient obligatoirement mais qui devaient s’efforcer de dialoguer afin de mieux se comprendre.

Elle multipliait les articles, enquêtes, conférences, réflexions sur l’économie, tout en faisant mine de laisser de côté tous les problèmes purement politiques.

Le 22 juin 1937, après la chute du gouvernement de Léon Blum, elle en tira quelques leçons, du genre : « L’action méthodique, dans tous les domaines, consiste à prendre une mesure non au moment où elle doit être efficace, mais au moment où elle est possible en vue de celui où elle sera efficace ».

Léon Blum avait été l’un des gouvernants les plus intelligents et les plus cultivés que la France ait connus, avait fait remarquer Simone Weil, mais l’intelligence n’est pas toujours politique, et les sociaux-démocrates avaient bien trop souvent tendance à ne s’intéresser qu’à des idées et à être d’abord des hommes de doctrine.

Pendant les années 1936-1937, Simone se tourna vers la musique, avec cette passion qui la caractérisait. Son amie Simone Pétrement disait qu’ elle « préférait de plus en plus la pureté à la puissance ».

 

Un voyage en Italie entre avril et juin 1937 lui offrit l’occasion d’écouter des oeuvres de Verdi, de Donizetti, de Rossini et surtout de Monteverdi qu’elle aimait par dessus tout, notamment son « Couronnement de Poppée », « une de ces merveilles dont le souvenir persiste toute une vie ».

Cette découverte de l’Italie avait été pour Simone un réel enchantement : Florence, surtout, lui avait apporté « une certaine quantité de jouissances pures en peu de temps »;  pourtant, elle n’oubliait pas le peuple et ses malheurs, et non plus le fait que ce beau pays latin vivait sous une idéologie totalitaire, le fascisme de Mussolini. Elle alla jusqu’à rencontrer des partisans convaincus du régime, et elle ne leur cacha pas son aversion pour « cette obsession de la nation, cette adoration de la force sous sa forme la plus brutale, à savoir la collectivité.... cette divinisation déguisée de la mort ». A Assise, elle passa deux journées « merveilleuses » dont elle écrira plus tard que, devant la petite chapelle où François, le « poverello », avait si souvent prié, « quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux ».

 

Vers 1938,  1939, Simone eut beaucoup de temps libre, puisque la maladie qui s’aggravait l’avait contrainte à ne pas reprendre son travail d’enseignante. Elle écrivait sur la politique, sur l’économie, se gardant de tout manichéisme, tout en appelant à une révision du marxisme, dont elle dénonçait le « culte de la production », et aussi celui du « progrès ».

Pour Simone, être « révolutionnaire », c’était « appeler par ses voeux et aider par ses actes tout ce qui peut, directement ou indirectement, alléger ou soulever le poids qui écrase la masse des hommes, les chaînes qui avilissent le travail, refuser les mensonges aux moyens desquels on veut déguiser ou excuser l’humiliation systématique du plus grand nombre ».

Si elle ne fréquentait plus guère les milieux syndicaux, Simone ne se repliait tout de même pas sur elle-même pour autant.  Elle participait assez fréquemment à des réunions, où elle intervenait lors des débats, quand elle le jugeait utile. Toujours aussi opposée au colonialisme, elle protesta avec énergie contre les mesures prises à l’encontre de Messali Hadj et de son organisation, l’Etoile nord-africaine, en Algérie. Elle critiqua aussi l’oppression que subissaient les peuples d’Indochine, et se prononça en faveur d’une émancipation progressive de nos colonies.

Au début de 1938, Hitler occupa et annexa l’Autriche. Si elle avait pleinement conscience de la menace de domination européenne par le national-socialisme qui se précisait, Simone Weil continuait de penser et d’écrire que tout était préférable à la guerre, mais sans doute s’imaginait-elle que le nazisme ne durerait plus très longtemps, ce qui était évidemment une illusion.

En avril 1938, Simone passa en compagnie de sa mère dix jours à l’abbaye de Solesmes. On a prétendu souvent que ce fut au cours de ce séjour qu’elle se « convertit » au christianisme. Elle répliquera en assurant qu’elle se sentait chrétienne depuis toujours. Solesmes n’aurait donc été qu’une étape, certes forte, dans son évolution spirituelle.

Mais il faut savoir que ce fut tout de même en ce lieu que, souffrant d’épouvantables maux de tête, elle avait « aimé l’amour divin à travers le malheur ».

Elle ajoutera, afin d’être sûre de bien se faire comprendre : « La Passion du Christ est entrée en moi une fois pour toutes ».

 

Il n’est pas sans intérêt de savoir qu’il n’y eut pas une Simone Weil « politique et sociale », pour commencer, puis, par la suite, une autre Simone Weil, plus « mystique » et moins « engagée » temporellement. Une telle vision de celle que l’on appela parfois une « sainte laïque » serait assez éloignée de la vérité, car elle ne cessa jamais de participer, de près ou de loin, à tous les combats pour la paix et pour la justice sociale.

Vint l’année terrible, 1939 ! Le 15 mars, les troupes hitlériennes entrent à Prague; le 7 avril, l’Italie de Mussolini envahit la petite Albanie; le 22 mai, les Allemands et les Italiens s’allient officiellement; le 23 août, c’est la signature du pacte germano-soviétique qui écoeurera certains intellectuels communistes ou progressistes, comme l’écrivain Paul Nizan; le premier septembre, l’Angleterre puis la France déclarent la guerre à l’Allemagne nazie. Vers la fin de mars 1939, Simone avait renoncé, la mort dans l’âme, à ce pacifisme quasi intégral qu’elle préconisait jusqu’alors. Son frère André qui avait été arrêté en Finlande, soupçonné d’espionnage au profit de l’URSS, fut inculpé d’insoumission à son retour en France, puis condamné à cinq ans de prison. Sa peine sera heureusement suspendue en échange d’un engagement dans une unité combattante. Simone avait toujours eu beaucoup d’affection pour son frère, elle échangeait avec lui une riche correspondance culturelle et philosophique, sans concession, parce qu’ils étaient loin d’être toujours d’accord sur tous les sujets.

 

En cette époque troublée, Simone avait sans doute compris que les nations démocratiques se trouvaient dans une situation périlleuse et couraient le risque de se voir colonisées par les puissances de l’Axe. Dans ces conditions, le choix assez angélique de la paix à tout prix ne pouvait donc qu’être pour le moins ambigu, et probablement inutile.

Elle espérait malgré tout que les régimes totalitaires en vinssent à se détruire eux-mêmes de l’intérieur, puisqu’ils étaient maintenus uniquement par l’emploi de la force brutale, le mensonge et la terreur. Mais c’était là un espoir vain, parce que prématuré. Chez Simone était né et se développait un véritable esprit de résistance, un goût certain de se battre au risque d’y laisser sa vie; ce sentiment très fort ne devait plus la quitter désormais. Le 13 juin 1940, Simone et ses parents quittèrent Paris dans un train bondé, et, au terme de quelques mésaventures plus ou moins désagréables, ils arrivèrent à Marseille. A ce moment, déjà, elle désirait s’exiler pour participer à la résistance contre cette capitulation devant les forces du mal que représentait pour elle l’armistice signé par le maréchal Pétain. Elle partit pour l’Amérique avec sa famille dans le seul but de passer ensuite en Angleterre, afin d’y réaliser son projet un peu excentrique, qui consistait à faire parachuter des femmes, combattantes volontaires, devant les lignes ennemies. Elle demandait, bien-sûr, à faire partie de cette unité d’infirmières, « pour faire du « first aid » en pleine bataille », mais cette requête fut, généralement, mal accueillie par ses divers interlocuteurs, assez effarés, voire scandalisés, par son aventurisme, jugé le plus souvent suicidaire.

 

En juillet 1940, comme son congé de maladie arrivait à son terme, Simone réclama un nouveau poste, en indiquant une nette préférence pour l’Algérie. La réponse du ministre avait été positive, mais par un malheureux hasard, elle ne la reçut jamais.

S’imaginant être l’objet d’une mesure d’exclusion consécutive à la publication, le 3 octobre 1940, du statut des juifs, elle s’empressa d’adresser une lettre d’une mordante ironie au ministre de l’Instruction publique où elle émettait l’hypothèse improbable d’une « race » juive, dont elle réaffirmait, après l’historien juif Flavius Josèphe, qu’il devait exister bien peu de descendants authentiques, ce peuple ayant été presque totalement massacré. Elle précisait qu’elle-même n’avait « jamais vu une cérémonie religieuse juive », et refusait d’ailleurs de se voir étiquetée au nom de quelque ascendance que ce soit. Elle écrivait surtout le passage suivant qui émut et attrista beaucoup de juifs pratiquants : « Ayant appris à lire dans les écrivains français du XVIIème siècle, dans Racine, dans Pascal, en ayant eu l’esprit imprégné à un âge où je n’avais jamais entendu parler de juifs, s’il y a une tradition religieuse que je regarde comme mon patrimoine, c’est la tradition catholique. La tradition chrétienne, française, hellénique est la mienne; la tradition hébraïque m’est étrangère; aucun texte de loi ne peut faire qu’il en soit autrement ». Pour ces lignes dépourvues d’ambiguïté, quoi qu’on en pense, Simone Weil fut souvent accusée d’antisémitisme, ce qui m’apparaît comme totalement farfelu; dans sa biographie, Huguette Bouchardeau nous explique que, tout au contraire, « une lecture attentive de cette missive laisse surtout apparaître la remise en cause, sans concession, des fondements irrationnels de l’antisémitisme ».

Elle rappelle aussi que, de la même façon qu’elle ne se sentait pas d’appartenance par rapport à la « judéité », elle refusera même jusqu’à la mort ce baptême catholique qui, on l’oublie trop, pouvait être, aussi, un passeport pour la vie, dans les années du nazisme triomphant ».

 

« En attente de Dieu »

 

Très attirée par le catharisme, cette résurgence de l’esprit hellénique, Simone portait un jugement sévère sur le contenu de l’Ancien Testament qui, pour elle, était pour beaucoup dans la » corruption du christianisme »

Les milieux intellectuels qu’elle fréquenta assidûment pendant les années 1940 à 1942, à Marseille, autour de la revue « Les Cahiers du Sud », en particulier, permirent à Simone de poursuivre sa quête de la forme de spiritualité dont elle rêvait, et que Huguette Bouchardeau définit comme suit : « ...Capable de donner sens à toute l’existence et cohérence à toute une société, tout en se passant de l’irrationnalité des dogmes et de la servilité de l’obéissance ».

Aux « Cahiers du Sud », Simone donna plusieurs articles et des chroniques, signés d’un anagramme, Emile Novis. Elle eut de nombreux contacts, durant ces années-là, avec le poète Jean Tortel, persuadé, pour sa part, que Simone, « avant tout se désirait poète », mais aussi avec Jean Lambert, le gendre d’André Gide, avec Lanza del Vasto, avec René Daumal, et bien d’autres.

Dans ses « Cahiers », dont une partie sera publiée en 1947, sous le titre ; « La Pesanteur et la Grâce », et les parties suivantes, en trois volumes, en 1951, 1953 et 1956, elle notait, pêle-mêle, des citations de textes, des observations et ses pensées les plus personnelles. Mais elle n’oubliait pas pour autant la triste réalité quotidienne d’un pays déchiré par la guerre, et elle intervint, notamment, en faveur des travailleurs indochinois qui étaient internés au camp de Mazargues. Elle allait voir ces malheureux, leur distribuait des vêtements et de la nourriture, leur donnait même ses propres tickets d’alimentation. Elle éprouvait de la honte pour son pays de tolérer l’existence de ces camps où l’on enfermait les étrangers qui, pour échapper aux représailles dans des pays fascistes, avaient cherché un refuge en France, qu’ils croyaient être la terre de la liberté et des droits de l’homme.

Simone correspondait avec un anarchiste espagnol, prénommé Antonio, qui était enfermé au camp du Vernet, et fut ensuite transféré au camp de Djelfa, en Algérie. Elle lui envoyait de l’argent. Elle aidait également un paysan autrichien, du Tyrol, interné lui aussi au camp du Vernet.

Avec son ami, le docteur Bercher, elle discutait surtout de religion, mais le médecin était très préoccupé de savoir que Simone se privait de nourriture, et distribuait aux autres une grande partie de ses rations alimentaires. Hélène Honnorat, qui était la soeur d’un camarade de son frère André à l’école normale supérieure, et fervente catholique, avait mis Simone en relation avec le père Perrin, un dominicain, qu’elle rencontra pour la première fois le 7 juin 1941. Le père Perrin la mit en contact avec Gustave Thibon, philosophe chrétien et écrivain, qui s’occupait d’une propriété agricole. Il l’aida à se faire embaucher comme vendangeuse dans le Gard. Elle regarda le travail physique « comme une purification, mais une purification de l’ordre de la souffrance et de l’humiliation ».

En septembre 1941; elle fit sa première vraie prière, récitant ce Pater qu’elle avait écrit en grec, pour Gustave Thibon. Elle le récitait avec une attention absolue; « Parfois, pendant cette récitation ou à d’autres moments, le Christ est présent en personne, mais d’une présence infiniment plus réelle, plus poignante, plus claire et plus pleine d’amour que cette première fois où il m’a prise ».

 

Entre octobre 1941 et mai 1942, Simone publia des textes dans « Les cahiers du Sud », prononça des conférences et participa à des travaux de groupe autour du père Perrin qui disait d’elle qu’elle était « en attente de Dieu » à cause de ses hésitations à entrer pour de bon dans l’Eglise catholique et à recevoir le sacrement du baptême.

Peu avant son départ pour l’Amérique, elle écrivit au Père Perrin afin de bien lui expliquer qu’en aucun cas elle ne fuyait devant les dangers et les souffrances dues à la guerre. A son ami Gustave Thibon, elle remit ses « Cahiers » et elle lui fit envoyer plus tard ses poèmes, ainsi que « Venise sauvée » et « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression ». Et comment ne citerait-on pas sa très belle lettre à Antonio, qu’elle s’imaginait avoir abandonné, toujours prisonnier: « Je charge les étoiles, la lune, le soleil, le bleu du ciel, le vent, les oiseaux, la lumière, l’intensité de l’espace, je charge tout cela qui reste avec toi, je charge tout cela de mes pensées pour toi et de te donner chaque jour la joie que je te désire et que tu mérites tellement. Pardonne-moi de n’avoir rien pu pour toi et de m’en aller maintenant au loin ».

Le 7 juin 1942, avec ses parents, Simone s’embarquait de Casablanca pour New-York. Le voyage dura un mois, et le séjour aux Etats-Unis quatre mois seulement. Elle devait repartir pour l’Angleterre, seule, le 10 novembre, et ne rejoindre Londres que le 14 décembre. Dans la capitale britannique, elle travailla comme rédactrice au service de la France libre, pendant quatre mois encore, avant d’entrer à l’hôpital Middlesex, d’où elle fut transférée au sanatorium d’Ashford, dans le comté de Kent, le 17 août. Elle mourut le 24 août 1943, et fut enterrée au cimetière d’Ashford, le 30 août. Sept personnes seulement suivirent son enterrement. Simone avait 34 ans.

 

« Tu es comme moi un morceau mal coupé de Dieu ».

 

Qu’y-a-t’il à retenir de cette dernière année d’une vie trop brève et pourtant si bien remplie? Que Simone continua à écrire abondamment, que ce soit aux Etats-Unis où elle dénonçait, dans des articles, le colonialisme et le racisme, ou bien à Londres, où son travail de rédactrice l’incita à traiter des sujets qui lui tenaient à coeur. Ces textes sont regroupés dans « Oppression et Liberté » ou encore dans « L’enracinement » et Ecrits de Londres et dernières lettres ».

Maurice Schumann, son ancien condisciple, avait proposé à Simone de lui faire rencontrer André Philip qui était alors commissaire à l’Intérieur et au Travail dans le comité national de la France libre. Mais les propositions qu’elle souhaitait lui soumettre ne paraissaient guère heureuses à celui-ci.  Simone fut donc employée à « faire le tri » dans les très nombreux « papiers » que recevait l’équipe regroupée autour du Général de Gaulle. Elle s’acquitta parfaitement de cette tâche, y passant parfois des nuits entières. Son rapport sur la stratégie de la Résistance, intitulé « Réflexions sur la révolte », aurait contribué à la formation du Conseil national de la Résistance, lequel se réunit pour la première fois le 27 mai 1943.

Dans un article antérieur au présent « Cahier », j’avais fait remarquer que Simone, dans le texte sur « La personne et le sacré », critiquait assez ouvertement le personnalisme. Mais l’on peut se demander s’il ne s’agit pas en fait davantage d’une querelle de mots que d’un désaccord profond; elle écrivait : « Il y a dans chaque homme quelque chose de sacré. Mais ce n’est pas sa personne. Ce n’est pas non plus la personne humaine. C’est lui, cet homme tout simplement ». C’était le terme « personne » qui lui semblait ambigu, je pense. Elle n’était pas vraiment tendre, on le sait, pour les partis politiques dont elle définissait ainsi les trois caractères principaux : « Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée des êtres humains qui en sont membres; un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective; la première fin, et en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite ».

Simone désignait l’enracinement comme l’un des besoins essentiels de l’homme; elle s’en prenait avec violence à l’argent qui « détruit les racines partout où il pénètre », et aussi à l’instruction moderne dont elle regrettait qu’elle donnât naissance à une culture aseptisée.

Quelques jours avant de mourir, elle avait déclaré à l’un de ses visiteurs, selon Simone Pétrement : « Tu es comme moi un morceau mal coupé de Dieu. Mais moi, bientôt, je ne serai plus coupée; je serai unie et rattachée ». Quelle belle manifestation d’espérance ! Quelle preuve d’amour envers son Créateur !

 

Bernard Lanza

 

 

Citations extraites de l’œuvre de Simone Weil

 

 

« La solution pratique immédiate, c’est l’abolition des partis politiques. La lutte des partis, telle qu’elle existait dans la Troisième République, est intolérable; le parti unique, qui en est d’ailleurs inévitablement l’aboutissement, est le degré extrême du mal; il ne reste d’autre possiilité qu’une vie publique sans partis..... En fait, à présent, partout où il y avait des partis politiques, la démocratie est morte... ».

(Les besoins de l’âme, page 31).

 

 

 

« Le sens même de ces collectivités a disparu, excepté pour une seule, pour la nation. Mais il y en a eu beaucoup d’autres. Certaines  plus petites, toutes petites parfois; ville ou ensemble de villages, province, région; certaines englobant plusieurs nations; certaines englobant plusieurs morceaux de nations.

La nation seule s’est substituée à tout cela. La nation, c’est-à-dire  l’Etat; car on ne peut pas trouver d’autre définition au mot nation que l’ensemble des territoires reconnaissant l’autorité d’un même Etat. On peut dire qu’à notre époque l’argent et l’Etat avaient remplacé tous les autres attachements.

La nation seule, depuis déjà longtemps, joue le rôle qui consistitue par excellence la mission de la collectivité à l’égard de l’être humain, à savoir assurer à travers le présent une liaison entre le passé et l’avenir. En ce sens, on peut dire que c’est la seule collectivité qui existe dans l’univers  actuel. La famille n’existe pas. Ce qu’on appelle aujourd’hui de ce nom, c’est un groupe minuscule d’êtres humains autour de chacun; père et mère, mari et femme, enfants, frères et soeurs déjà un peu loin..... Mais personne aujourd’hui ne pense à ceux de ses aîeuls qui sont morts cinquante ans, ou fût-ce vingt ou dix ans, avant sa naissance, ni à ceux de ses descendants qui naîtront, cinquante ans, ou fût-ce vingt ou dix ans après sa mort. Par suite, du point de vue de la collectivité et de sa fonction propre, la famille ne compte pas.

La profession, de ce point de vue, ne compte pas non plus. La corporation était un lien entre les morts, les vivants et les hommes non encore nés, dans le cadre d’un certain travail. Il n’y a rien aujourd’hui qui soit si peu que ce soit orienté vers une telle fonction. Le syndicalisme français vers 1900 a peut-être eu quelques velléités en ce sens, vite effacées.

Enfin le village, la ville, la contrée, la province, la région, toutes les unités géographiques plus petites que la nation, ont presque cessé de compter. Celles qui englobent plusieurs nations ou plusieurs morceaux de nations aussi. Quand on disait, par exemple, il y a quelques siècles, « la chrétienté », cela avait une toute autre résonance affective qu’aujourd’hui.

En somme, le bien le plus précieux de l’homme dans l’ordre temporel, c’est-à-dire dans le temps, par delà les limites de l’existence humaine, dans les deux sens, ce bien a été entièrement remis en dépôt à l’Etat.

Et pourtant c’est précisément dans cette période où la nation subsiste seule que nous avons assisté à la décomposition instantanée, vertigineuse de la nation ».

(Le déracinement, page 91).

 

 

 

« Les villes de Flandre avaient, à la fin du XIVème siècle, des relations fraternelles et clandestines avec Paris et Rouen; mais des Flamands blessés aimaient mieux mourir que d’être soignés par les soldats de Charles VI....

Les Bretons furent désespérés quand leur souveraine Anne fut contrainte d’épouser le roi de France .....

La Franche-Comté, libre et heureuse sous la suzeraineté très lointaine des Espagnols, se battit au XVIIème siècle pour ne pas devenir française....

Les gens de Strasbourg se mirent à pleurer quand ils virent les troupes de Louis XIV entrer dans leur ville en pleine paix, sans aucune déclaration préalable, par une violation de la parole donnée digne d’Hitler ».

  (L’enracinement, page 101).

 

« Un chrétien ne devrait pouvoir qu’en tirer qu’une seule conclusion : c’est qu’au lieu qu’on doit au salut de l’âme, c’est-à-dire à Dieu, une fidélité totale, absolue, inconditionnée, la cause du salut de l’Etat est de celles auxquelles on doit une fidélité limitée et conditionnelle....

L’objet du véritable crime d’idolâtrie est toujours quelque chose d’analogue à l’Etat. C’est ce crime que le diable a proposé au Christ en lui offrant les royaumes de ce monde. Le Christ a refusé. Richelieu a accepté.... Son dévouement à l’Etat a déraciné la France.

Sa politique était de tuer systématiquement toute vie spontanée dans le pays, pour empêcher que quoi que ce soit pût s’opposer à l’Etat....

Il suffit de lire les dédicaces de Corneille pour sentir à quel degré de servilité ignoble il avait su abaisser les esprits.. ».

 (L’enracinement, page 103).

 

« Quand on loue les rois de France d’avoir assimilé les pays conquis, la vérité est surtout qu’ils les ont dans une large mesure déracinés.. ».

(L’enracinement)

 

 

 

Bibliographie

 

   L’enracinement  (Ed. Gallimard)

   La connaissance surnaturelle  (Ed. Gallimard)

   La condition ouvrière  (Ed. Gallimard)

   La source grecque  (Ed. Gallimard)

   Oppression et liberté  (Ed. Gallimard)

   Ecrits de Londres et dernières lettres  (Ed. Gallimard)

   Ecrits historiques et politiques  (Ed. Gallimard)

   Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu  (Ed. Gallimard)

   Sur la science  (Ed. Gallimard)

   Poèmes suivis de Venise sauvée  (Ed. Gallimard)

   Lettre à un religieux  (Ed. Gallimard)

   Cahiers  (Ed. Plon)

   Intuitions préchrétiennes  (Ed. La Colombe)

   Attente de Dieu  (Ed. Fayard)

 

 

 

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