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Par Benjamin
Guillemaind Il fallait oser l’écrire et le justifier. Elle l’a fait. Elle, c’est Simone Weil dans une Note posthume parue sept ans après sa mort, en février 1950, dans la revue La Table Ronde (1). Ce texte peu connu vient d’être réédité par les éditions Climats et arrive à point au moment où nos institutions chancellent. André Breton, dans sa préface, souhaitait une grande diffusion à ce réquisitoire, préférant au terme « suppression » celui de « mise au ban », qu’il emploie dans son commentaire. Il y a, dit-il, dans la structure de tout parti une anomalie rédhibitoire : son immobilisme et sa discipline intérieure, où toute idée originale, qui ne va pas dans le sens du parti est réprimé. Au fond du problème il y a le mandat impératif: le candidat ne devrait avoir de compte à rendre qu’à ses électeurs et non à son parti. Pour Alain, qui fut son maître, le mal de notre existence politique, c’est le parti. Par nature, il n’a pas de pensée ; il refuse la discussion. Ce mal est inhérent à tous les partis, mais le parti communiste l’a porté à son comble. Cela aboutit à la confusion de tous les partis, qui finalement finissent toujours par s’entendre. S.Weil s’explique. Le totalitarisme, dit-elle, est le péché originel des partis : ils sont le mal à l’état pur. Jugement radical, diront certains ! Examinons ses raisons. Quel est le critère du bien ? La Vérité, la Justice et en second lieu l’utilité publique. Nous dirions le Bien Commun. Or la démocratie, le pouvoir du plus grand nombre ne sont pas des biens. Ce sont des moyens. S.Weil, à tort ou à raison, pense que Rousseau a été mal lu. Pour lui le consensus devrait parvenir à indiquer la vérité et à dégager une idée de justice. Ces deux valeurs seraient plus fortes que le risque d’erreurs ou d’injustices que comporte le processus démocratique. On peut y parvenir par la raison, car la vérité est une, comme la justice aussi est une. Elle donne l’exemple de l’eau en repos « qui indique parfaitement le plan horizontal. » Mais pour cela il y faut deux conditions. D’abord l’absence de passion collective. Si des individus passionnés troublent cet état d’équilibre (de l’eau), si 2, 4, 10 passions collectives saisissent le pays, les passions divergentes ne se neutralisent pas et la voix de la justice et de la vérité devient imperceptible. Ensuite que le débat porte sur un problème réel et non sur le choix d’une personne. Comment y parvenir ? « Les solutions, répond-elle, ne sont pas faciles à concevoir, mais il est évident…. que toute solution impliquerait d’abord la suppression des partis politiques » Pour trois raisons : Le parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Il est construit pour exercer une pression collective. Sa finalité, c’est sa propre croissance ; le parti devient sa propre fin: il doit toujours croître pour atteindre une majorité ; il s’agit pour cela de persuader par la propagande, par une sorte de dressage du peuple, que seule la position du parti exprime la vérité. C’est pour cela que « tout parti est totalitaire en germe et en aspiration » Chaque député se détermine en tant que socialiste, en tant que conservateur, et à la fin tout y devient relatif. « S’il n’y a pas de vérité, il est légitime de penser de telle ou telle manière. » L’existence des partis rend impossible toute intervention hors des partis. Parler de doctrine d’un parti n’a aucun sens : une collectivité n’en a jamais, dit-elle. Elle va jusqu’à donner l’exemple des religions, où le terme de doctrine exprime la Vérité. Cette appréciation de S.Weil appelle évidemment quelque nuance. Sa démonstration peut paraître subtile à première lecture. La note de S.Weil mérite d’être méditée et relue plusieurs fois pour en comprendre les nuances. Mais la malfaisance des partis est évidente, nous la constatons chaque jour. Elle conclut par une pointe de malice : « si on confiait au diable l’organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux » Sa note s’arrête là. Alors, si la démocratie, fondée sur le jeu des partis, a contaminé toute la vie mentale de notre époque, comment en sortir ? Il faut aller dans L’enracinement pour trouver des amorces de solutions dans la reconnaissance des corps naturels de la société : la famille, le métier, la province. Ils sont les passages obligés de tout ré-enracinement. Elle voyait dans le ré-enracinement sous ses multiples formes le mal qui rongeait la société, déracinement des provinces, destruction de la vie locale : « Quand on loue nos rois de France d’avoir assimilé les pays conquis, la vérité est surtout qu’ils les ont dans une large mesure déracinés » Elle déplorait déjà en 39 le dépeuplement des campagnes, la disparition de la famille : « ce qu’on appelle de ce nom, c’est un groupe minuscule d’êtres humains ». « La profession ne compte pas non plus. La corporation était le lien entre les morts, les vivants, les hommes non nés dans le cadre d’un certain travail. » Elle regrettait que la nation se soit substituée à tout cela : la nation, c’est-à-dire l’Etat. » Ré-enraciner les hommes dans des structures décentralisées. Tout un programme. C’est ce que nous appelons le subsidiarisme, en quelque sorte un fédéralisme à la française.
Par Janpier Dutrieux C'est dans le contexte révolutionnaire que
sont apparus les partis politiques. On parlait, certes, bien avant 1789, de
factions, de clubs, de ligues et de groupes de pensée, mais ces courants
idéologiques étaient retenus par l'architecture fonctionnelle de la société
exprimée dans les Etats généraux et les Etats provinciaux. C'est en fait la
guerre, la montée en puissance du club des Jacobins et l'imitation du modèle
de partition anglo-saxon qui inspirèrent aux publicistes d'alors la création
des partis politiques. Les partis politiques sont antinomiques à
l'exercice de la démocratie
Posons tout d'abord la question de
l'efficacité de l'expression des suffrages dans l'espace des partis politiques. Dans sa "note sur la suppression des
partis politiques" la philosophe Simone Weil (1909-1943)1
considère d'emblée que "seul le bien est à conserver". Et qu'en
conséquence, les outils politiques et sociaux qui en favorisent la
préservation et la production sont à préserver alors que ceux qui le
confisquent ou l'asservissent sont à supprimer. En la matière, le bien est un bien commun,
public et social, qui s'inscrit dans la recherche de la vérité, de la justice
et de l'utilité publique. La démocratie n'est donc pas stricto sensu un bien,
c'est un moyen d'atteindre ce bien commun. En effet, rappelle Simone Weil,
Rousseau, dans "Le contrat social",
opposait la raison à la passion. Il constatait que la première est
mieux partagée que la seconde (chacun s'accordant sur le raisonnable mais
différant sur ses passions). La raison partagée collectivement vient alors
limiter les passions individuelles. La démocratie doit donc favoriser la
raison collective et limiter les passions individuelles. Son objectif est ainsi de produire du bien
commun autour de la vérité, de la justice et de l'utilité collective. C'est dans le contexte révolutionnaire que
sont apparus les partis politiques. On parlait, certes, bien avant 1789, de
factions, de clubs, de ligues et de groupes de pensée, mais ces courants
idéologiques étaient retenus par l'architecture fonctionnelle de la société
exprimée dans les Etats généraux et les Etats provinciaux. C'est en fait la
guerre, la montée en puissance du club des Jacobins et l'imitation du modèle
de partition anglo-saxon qui inspirèrent aux publicistes d'alors la création
des partis politiques. Les partis politiques sont antinomiques à
l'exercice de la démocratie
Posons tout d'abord la question de
l'efficacité de l'expression des suffrages dans l'espace des partis
politiques. Dans sa "note sur la suppression des
partis politiques" la philosophe Simone Weil (1909-1943)1
considère d'emblée que "seul le bien est à conserver". Et qu'en
conséquence, les outils politiques et sociaux qui en favorisent la
préservation et la production sont à préserver alors que ceux qui le
confisquent ou l'asservissent sont à supprimer. En la matière, le bien est un bien commun,
public et social, qui s'inscrit dans la recherche de la vérité, de la justice
et de l'utilité publique. La démocratie n'est donc pas stricto sensu un bien,
c'est un moyen d'atteindre ce bien commun. En effet, rappelle Simone Weil,
Rousseau, dans "Le contrat social",
opposait la raison à la passion. Il constatait que la première est mieux
partagée que la seconde (chacun s'accordant sur le raisonnable mais différant
sur ses passions). La raison partagée collectivement vient alors limiter les
passions individuelles. La démocratie doit donc favoriser la raison
collective et limiter les passions individuelles. Son objectif est ainsi de produire du bien
commun autour de la vérité, de la justice et de l'utilité collective. C'est dans le contexte révolutionnaire que
sont apparus les partis politiques. On parlait, certes, bien avant 1789, de factions,
de clubs, de ligues et de groupes de pensée, mais ces courants idéologiques
étaient retenus par l'architecture fonctionnelle de la société exprimée dans
les Etats généraux et les Etats provinciaux. C'est en fait la guerre, la
montée en puissance du club des Jacobins et l'imitation du modèle de
partition anglo-saxon qui inspirèrent aux publicistes d'alors la création des
partis politiques.
Posons tout d'abord la question de
l'efficacité de l'expression des suffrages dans l'espace des partis
politiques. Dans sa "note sur la suppression des
partis politiques" la philosophe Simone Weil (1909-1943)1
considère d'emblée que "seul le bien est à conserver". Et qu'en
conséquence, les outils politiques et sociaux qui en favorisent la
préservation et la production sont à préserver alors que ceux qui le
confisquent ou l'asservissent sont à supprimer. En la matière, le bien est un bien commun,
public et social, qui s'inscrit dans la recherche de la vérité, de la justice
et de l'utilité publique. La démocratie n'est donc pas stricto sensu un bien,
c'est un moyen d'atteindre ce bien commun. En effet, rappelle Simone Weil,
Rousseau, dans "Le contrat social",
opposait la raison à la passion. Il constatait que la première est
mieux partagée que la seconde (chacun s'accordant sur le raisonnable mais
différant sur ses passions). La raison partagée collectivement vient alors
limiter les passions individuelles. La démocratie doit donc favoriser la
raison collective et limiter les passions individuelles. Son objectif est ainsi de produire du bien
commun autour de la vérité, de la justice et de l'utilité collective. Adhérer à un parti, c'est faire
profession publique de servilité d'esprit. Or, pour servir à l'exercice de la
démocratie, c'est-à-dire à la production du bien commun, nos Constitutions nous ont légué
"les partis (qui) concourent à l'expression du suffrage". Funeste
erreur que dénonça Simone Weil car les partis politiques sont incapables de
produire de la raison.. Au contraire, les partis politiques sont pour la
philosophe "des machines à créer de la passion collective, en exerçant
une pression collective sur chacun". Ils portent par ailleurs en eux les
germes du totalitarisme, car ils n'ont qu'un objectif, croître, croître et
encore croître. La finalité d'un parti politique c'est, comme le disait
Trotsky, "un parti au pouvoir et tous les autres en prison". Il s'en suit une modification de nos
comportements politiques qui nuit à notre sens commun et à notre libre
arbitre (plus vulgairement, on appelle cela de l'endoctrinement). En effet,
on doit raisonner "en tant que
conservateur", ou "en tant que socialiste, ou "en tant
que catholique". Et cette atrophie réduit notre vision car "s'il y
a vérité, on doit penser cette vérité, non pas parce que l'on est ceci ou
cela, mais parce que sa lumière est irrésistible" En fait, pour Simone Weil, adhérer à un
parti, c'est "faire profession publique de servilité d'esprit". Il
faut donc supprimer les partis politiques qui falsifient la démocratie et lui
interdisent la production du bien commun. Elle suggère donc de les remplacer
par un système dans lequel les
candidats à des élections politiques se présenteraient à titre personnel, sans l'étiquette d'un
parti politique, et une fois élus, s'associeraient et se dissocieraient entre
eux selon leurs affinités. Tout reste ici à réinventer…… Reprenons donc la critique de Simone Weil à son début : La démocratie a
pour objectif de produire du bien commun en favorisant la raison collective
et en réduisant les passions individuelles. Pour que cette démocratie puisse
fonctionner, il faut donc qu'elle ne soit pas confisquée par des outils qui,
à l'inverse, favorisent la passion
collective - ce que font les partis politiques Il conviendrait donc qu'elle soit vivifiée
par " l'union organique de volontés individuellement libres et
souveraines, qui peuvent et doivent se concerter, mais n'abdiquer
jamais", pour reprendre une formule proudhonienne qui répond aux besoins
de pleine et entière autonomie de la personnalité (de liberté d'esprit) et de
liberté d'association et de dissociation
des candidats, deux qualités que Simone Weil entendait voir respecter.
Alors, comment remplacer les partis politiques ? Remettre la démocratie au service du bien commun suppose son
organisation en corps intermédiaires. Le théoricien Johannes Althusius (XVe siècle) définissait le
bien commun par la “ communication ”, au sens latin, de mise en commun
des biens, des services et des droits. La politique, qu'il appelait
symbiotique (la démocratie au sens moderne lui était inconnue) ne pouvait
s'exprimer que dans un système de communautés autonomes qui, selon lui,
coopéraient sur des niveaux multiples par contrat. A défaut de cette
organisation en corps intermédiaires libres, l'ordre existant ne pouvait être
que tyrannique, quelque soit le tyran, roi empereur ou grand électeur. Pour
respecter l'autonomie de ces corps intermédiaires et faciliter leur coopération,
il convenait de respecter la subsidiarité,
le contrat social et la souveraineté populaire.
Le principe fédératif qu'énonça Proudhon répondait à cet objectif.
Selon lui, la source du pouvoir ne pouvait
plus être la souveraineté nationale mais une multiplicité de contrats
scellés entre les corps intermédiaires. Il fallait, écrivait-il, que
“ le grand acte qui a pour objet de produire la représentation nationale
satisfasse à deux conditions que le suffrage universel ignore
également ”. La première réside dans la distribution de l’exercice du suffrage. Le
suffrage doit être “ limité à des circonscriptions de faibles
dimensions, au sein desquelles les électeurs se connaissent, car un vote qui prétend
faire s’exprimer sur un même sujet des masses anonymes ne peut avoir aucune
signification ”. La deuxième condition consiste à faire exprimer “ l’opinion de
toutes les communautés exerçant une fonction sociale, notamment les
communautés économiques ”. De sorte que “ cette multiplicité des
suffrages amène le citoyen à voter plusieurs fois dans des cadres différents,
conséquence du pluralisme des sociétés humaines ”. Ainsi, “ il en résultera que la représentation sera elle-même
composée de membres tenant leur pouvoir de différentes origines 2 ”.
C'est donc vers un système de contractualisation des corps
intermédiaires fédérés qu'il faut tendre pour réenchanter la démocratie
étouffée sous la république et la souveraineté nationale. .
Résumons nous : La mise en commun des droits et des obligations (bien
commun) doit s'opérer dans de petits espaces (cette formule lapidaire doit se
comprendre dans un sens large, on peut parler ici de proximité géographique
ou de similitude d'objet) par le canal d'une multiplicité de contrats
spécifiques, et s'élever progressivement vers l'universel. Une société de contrats et de droit. Le but du jeu, ici, est d'arriver à un accord des parties, deux ou
plusieurs, sur un point précis, pour l'élever au niveau supérieur,
indépendamment des autres sujets. Ainsi, de négociations en
contractualisations successives, va se définir le bien commun qui unit les
corps intermédiaires, à chaque niveau
de la pyramide sociale. Il n’y a plus, dans ce modèle, un intérêt général au dessus de tout
(une raison d'Etat) devant lequel tous les intérêts particuliers doivent
s'effacer. Il n’y a plus que des intérêts particuliers élevés par
contractualisation au rang de bien commun. Entrons dans la procédure concrète pour être plus explicite. En effet,
aucune difficulté n'est à relever quand deux ou plusieurs corps
intermédiaires s'accordent sur une résolution quelconque, et créent une norme
qui leur est propre. En revanche, le
problème se complexifie quand ces deux (ou plusieurs) corps intermédiaires ne
s'accordent pas sur une résolution (décision ou norme), ne peuvent engendrer
par eux-mêmes un corps intermédiaire supérieur, quand d'autres corps
intermédiaires contestent le bien fondé de cette résolution (son efficacité,
sa compétence, ses conséquences) quand
d'autres corps intermédiaires souffrent directement ou indirectement de cette
résolution ou de ses effets, etc. Ainsi, on peut considérer que le niveau de définition du bien commun
s'élèvera en raison de l'impuissance auto constatée des contractants à créer
cette résolution, ou de sa nocivité
démontrée par un tiers de niveau égal, inférieur ou supérieur. La charge de
cette preuve appartiendra évidemment
au plaignant qui devra l'exposer devant une juridiction supérieure. Cette juridiction (que j'appelle par ailleurs conseil suprême3) est la clé de voûte de la démocratie des corps intermédiaires (que vous pouvez aussi appeler organisation corporée ou des états subsidiaires). Alexandre Marc dans son projet de fédéralisme global lui avait laissé une place essentielle 4. Elle est en effet indispensable à la résolution des conflits dans une société - par définition imparfaite - qui n'assure donc qu'imparfaitement l'équilibre de ses structures intermédiaires. Il pourrait donc s'agir d'un Conseil assurant une triple garantie structurelle, constitutionnelle et juridictionnelle des droits, et qui aura la mission de veiller au respect des droits de la personne et des corps intermédiaires.
Soyons réalistes. Il n'y a pas de société parfaite puisque le genre humain est faillible. Il ne s'agit donc pas de proposer un cadre théoriquement irréprochable mais qui s'avère être une machine infernale à favoriser le vice. Il s'agit de proposer un cadre qui permette au genre humain de s'épanouir mais aussi de prendre conscience de sa faiblesse et d'apprendre à la surmonter En l'occurrence, dans une démocratie de corps intermédiaires, le recours à une juridiction supérieure est un aveu d'insuffisance. La raison d'être de la démocratie des corps intermédiaires est de nous apprendre, patiemment, modestement, à surmonter ces déficiences pour atteindre l'autonomie. A l'inverse, dans une coalition de partis politiques, (ou de machine à créer de la servilité d'esprit et de la passion collective) c'est toujours la faute à l'autre, aux autres partis. C'est un système qui exalte l'exclusion (on appelle cela la discipline du parti), et déconsidère l'union (on appelle cela la trahison). Trouver un bouc émissaire est bien plus confortable que l'humilité, mais ne permet pas de construire, seulement de lapider et de corrompre. Réenraciner le politique :
l'organicité sociétale implique la diversité d'origine du pouvoir, donc une souveraineté
populaire des mandats impératifs et un mutualisme social. Nous avons, dès la création de l'Alliance
sociale, précisé nos objectifs en matière d'organisation sociale. Il ne s'agit sans doute pas de supprimer
les partis politiques de façon autoritaire mais de favoriser un nouveau socle
d'expression des suffrages, respectueux de l'organicité sociétale (proximités
fonctionnelle, territoriale). Il convient donc de promouvoir un modèle institutionnel dans lequel les
corps intermédiaires naturels, spontanément créés par leurs membres, puissent
s'organiser de façon autonome et également concourir à l'expression du
suffrage.
Mais régénérer l'organicité sociétale suppose surtout de repenser le concept de souveraineté qui, de "nationale", doit devenir "populaire", c'est-à-dire admettre la diversité des sources du pouvoir. En définissant les corps intermédiaires, P.J. Proudhon soulignait que cette condition est essentielle à leur existence même. Il écrivait ainsi : "Toutes les fois que des hommes, suivis de leurs femmes et de
leurs enfants, se rassemblent en un lieu, joignent leurs habitations et leurs
cultures, développent dans leur sein des industries diverses, créent entre eux des relations de
voisinage, et bon gré mal gré s'imposent des conditions de solidarité, ils
forment ce que j'appelle un groupe naturel. (…) Des groupes semblables, à
distance les uns des autres, peuvent avoir des intérêts communs; et l'on
conçoit qu'ils s'entendent, s'associent, et, par cette mutuelle assurance,
forment un groupe supérieur; mais jamais qu'en s'unissant pour la garantie de
leurs intérêts et le développement de leur richesse, ils aillent jusqu'à
s'abdiquer par une sorte d'immolation d'eux-mêmes devant ce nouveau Moloch 5".
La reconnaissance de ces corps intermédiaires exige également qu'ils ne sacrifient pas à l'hypocrisie du mandat représentatif (de l'intérêt général) mais défendent leurs propres intérêts La puissance malfaisante des groupes de pression en sera d'autant réduite. C'est ce qu'avait très bien vu Georges Valois, dans son projet de nouvelle organisation sociale anticapitaliste. Il estimait que pour organiser la démocratie à la base, il fallait chercher l’organe social primaire, selon lui, la commune. C'est donc tout d'abord au sein de la commune qu'il envisageait de mettre en place les bases de son système de coopératives. Les coopérateurs communaux élisaient leurs représentants en fonction de leurs propres intérêts (c'est le principe du mandat impératif) afin d'être "dans la même situation que les actionnaires des sociétés capitalistes qui reconnaissent la compétence des administrateurs aux revenus qu’ils leurs assurent." (Pour se mesurer au capital financier, il faut utiliser les mêmes outils que lui !) Puis ces représentants des coopératives communales déléguaient à leur tour, selon les mêmes principes, des membres au conseil d’administration des coopératives intercommunales, et ainsi de suite 6. Réduire le pouvoir des groupes
de pression (que le mandat représentatif ne peut pas reconnaître sans se
suicider) implique aussi de donner un cadre d'expression mutualiste (sous
forme de contrats synallagmatiques) aux
corps intermédiaires. Par exemple, il
conviendrait de réviser la loi de 1884 reconnaissant les syndicats mais interdisant l’union collégiale des
employeurs et employés, et la loi de 1901 autorisant le droit d’association
mais ne reconnaissant aucun pouvoir de gestion « politique » aux
dites associations. Il conviendrait donc, comme le suggère Arnauld de
Ledinghen, que les professions, organisées par branches professionnelles
soient représentées dans une assemblée législative (ou un conseil économique
et social ayant un authentique pouvoir de légiférer). Ces associations
professionnelles devaient être dirigées par collège et associer de façon
paritaire les agents de direction, d'encadrement, de maîtrise et d'exécution.
Disposant d'une personnalité juridique et d'un patrimoine propre, les
branches professionnelles pourraient alors réglementer la profession, mettre en place des fonds d'épargne à long
terme, gérer des caisses de solidarité. Il nous appartient, ami lecteur, de développer et de décliner ces idées. Janpier Dutrieux ---------------------------- 1-
Cette "Note sur la suppression des partis politiques" vient d'être
rééditée chez Flammarion, Climats, 2006. On trouvera plusieurs pages sur
Simone Weil sur le site internet
Fragments-diffusion. 2-
Bernard Voyenne, Le fédéralisme de P.J. Proudhon, Presses d’Europe. 3- Le peuple
en ses Etats, édition L'Alliance Sociale. 4-
Alexandre Marc, L'europe en formation (collection), Fondements du fédéralisme
(L'Harmattan 1997). 5-
P.J..Proudhon, Contradictions
politiques. Théorie du mouvement constitutionnel. pages 236-238. Posthume
1870 6- Le plan de Nouvel âge, Georges Valois, 17
février 1936. (Cf.
les sites internet
Fragments-diffusion et Alliance
sociale). 7-
Arnauld de Ledinghen, les actes du
Colloque de l'Alliance sociale 2006.
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