Réchauffement climatique :

Une taxe carbone progressive pour limiter les dégâts

 

 

 

Nous donnons ici l’analyse de l’ouvrage «  Le plein, s’il vous plaît ! La solution au problème de l’énergie », de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, (192 pages, Seuil 2006-09-15).

 

Les esclaves carbone

En 150 ans, nos modes de vie furent radicalement changés et nos niveaux de vie démultipliés. C’est l’abondance énergétique qui autorisa ces mutations. Notre vie quotidienne s’est transformée grâce à l’énergie. Elle a remplacé les agriculteurs par des tracteurs, libéré des centaines de paires de bras à l’usine et à la maison, permis l’éloignement du lieu d’habitation et du lieu de travail, changé le budget des ménages. Aujourd’hui, la quantité du blé produite par heures de travail dans la Beauce est environ 200 fois celle obtenue par les paysans français en 1800. La consommation d’énergie de l’humanité a ainsi été multipliée par près de 30 depuis 1900 et 150 depuis 1850.

Grâce à cette énergie, nous disposons en permanence d’une armée de domestiques et d’esclaves, voiture, téléphone, téléviseur, lave linge, etc. Par comparaison, un manœuvre qui travaillerait 8 heures fournit une énergie de 0,05 KWh. Mais un litre d’essence (environ 1 euro) contient 10 KWh d’énergie. Avec 1 euro, on peut s’offrir 10 minutes de travail humain de 10 à 100 personnes sur une journée.

 

Le changement climatique.

Hélas, 80 % de l’énergie que nous consommons portent atteinte aux équilibres climatiques. Ce sont des énergies fossiles non renouvelables, le pétrole pour 34 %, le charbon pour 24 % et le gaz dit « naturel » pour 21 %.

Les 20 % restants se composent pour l’essentiel de l’énergie provenant du bois (si l’on fait pousser davantage d’arbres que l’on en brûle, ce qui n’est pas le cas sur la planète) et les énergies hydroélectriques et nucléaires non émettrices de gaz carbonique (CO2).

Pour l’heure, en 2005, les énergies renouvelables sont très marginales, l’éolien pour 0,05 % de l’énergie planétaire, les biocarburants pour 0,1 %, le solaire thermique pour 0,05 %, le solaire photovoltaïque pour 0,001 %.

L’une des principales conséquences de la consommation de ces énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) est d’engendrer des émissions de CO2 générant des « effets de serre », et de réchauffer le climat. Mais la durée de vie du CO2 que nous injectons dans l’atmosphère (en plus de celui qui s’y trouve déjà) est très longue, très longue.

Ainsi, si demain nous arrêtions ces émissions de CO2 d’origine fossile, il faudra quand même attendre plusieurs millions d’années pour que la qualité de CO2 dans l’air ne revienne au niveau qui était le sien avant la révolution industrielle.

Par ailleurs, il faut être conscient que déjà l’évolution climatique des 20 prochaines années est irréversible. Mais nous avons encore le pouvoir de préserver la vie pour les générations à venir en leur léguant une planète encore hospitalière si nous réduisons de façon draconienne nos émissions de CO2.

 

 

Qu’est-ce qu’un changement climatique et que peut-on en craindre ?

Lorsque la planète est passée de l’ère glaciaire au climat actuel, il s’est passé 10.000 ans. Mais le réchauffement climatique que nous préparons aujourd’hui implique une hausse de quelques degrés de la moyenne planétaire en un ou deux siècles. Le rythme ira donc 50 à 100 fois plus vite que la mutation climatique naturelle passée. Il s’agit d’un véritable choc climatique au terme duquel on peut légitimement se demander s’il permettra de conserver une humanité de quelques milliards d’hommes avec une espérance de vie de 50 à 60 ans à la naissance ?

On ne traite pas le problème du choc climatique comme n’importe quel problème environnementale et politique. Il ne s’agit pas d’un problème de protection locale mais planétaire

 

 

Les dangers et la réalité du changement climatique sont connus des scientifiques et des spécialistes mais ignorés ou occultés par les publicistes et les médias. Certes, le film présenté par Al Gore « Une vérité qui dérange » peut sensibiliser la sphère publique. Nous devons ensemble prendre conscience que la réalité physique, donc notre survie, nous  impose de diviser au moins par 2 les émissions de CO2, c’est-à-dire la consommation mondiale de charbon, gaz et pétrole.

 

La prévisible pénurie d’énergies fossiles.

Ne désespérons pas cependant. Les réserves d’énergies fossiles, non renouvelables à l’échelle humaine,  s’épuisent. Un jour prochain, sans doute avant la fin du XXIe siècle, nous devrons diminuer notre consommation d’énergie dans des proportions de plus en plus importantes.

Où en sont les réserves de pétrole, de charbon et de gaz ?

 

- Le pétrole : Rappelons tout d’abord que l’humanité a consommé autant de pétrole entre 1980 et 2000 qu’entre 1859 et 1980. Depuis 1970, on connaît les réserves car aucune découverte miraculeuse n’a été faite. En revanche, la structure du stock pétrolier a évolué comme l’expose le tableau ci-dessous.

 

Années

1970

2000

Pétrole déjà extrait et consommé

 

35

128

Réserves prouvées

72

140

Réserves additionnelles non encore prouvées (moyennes estimées)

250

89

Total du pétrole estimable sur terre

357

357

en milliards de tonnes

 

Ce tableau nous permet de comprendre que la production pétrolière va diminuer progressivement d’ici 2060, 2100 voire 2200. Il est donc faux de croire qu’il y aura assez de pétrole en 2100 pour que 6 milliards d’hommes, voire 9 milliards,  vivent comme aujourd’hui. Selon la société Shell, la production pétrolière commencera à baisser vers 2025, alors que pour Total ce sera vers 2020. C’est demain.

 

- Le charbon : Il existe encore de nombreux gisements. Les réserves de charbon sont estimées à 10 fois celles du pétrole. Cependant, trouver et exploiter du charbon à proximité prendra environ une génération (± 20 ans) pour recréer des infrastructures (usine de liquéfaction, oléoducs au départ des bassins charbonniers, etc. Mais surtout l’utilisation massive de charbon engendrera un changement climatique de grande ampleur.

 

- Le gaz : Nos réserves de gaz ne sont pas plus abondantes que celles du charbon. Elles présentent les mêmes inconvénients.

On doit donc en conclure que si notre consommation d’énergie fossile  non renouvelable continue à croître, comme aujourd’hui, de 2 % l’an à l’avenir, nous aurons brûlé tout ce qui peut-être récupéré en matière de gaz, de pétrole, et de charbon, en moins d’un siècle.

 

Résumons nous : Un beau jour, proche, dans 30 ans, 80 ans ou 100 ans, nous n’aurons plus une goutte de pétrole, un seul m3 de gaz, un seul seau de charbon. Ce même jour, la température sera plus élevée de 5 degrés et on devra s’attendre à la voir grimper de 10 à 20 degrés un siècle plus tard.  Ensuite, il faudra des siècles pour que la température s’arrête de monter après nos dernières émissions de CO2.

Continuer à consommer de l’énergie fossile serait possible avec 50 millions d’hommes sur terre mais pas avec 6 milliards qui veulent consommer dans les mêmes conditions. Il faut donc réduire notre consommation énergétique, choisir la voie de la décroissance fossile volontaire avant que l’évolution climatique la choisisse pour nous.

 

Les palliatifs écologiques.

Pour garder notre niveau et notre mode de vie, certains proposent alors de remplacer notre consommation d’énergies fossiles par des énergies renouvelables moins ou peu polluantes. D’autres imaginent d’organiser autrement la production et les transports. Examinons ces différentes sources d’énergies et possibilités d’organisation. 

- Le bois : Utiliser le bois comme énergie implique de multiplier par 4 sa consommation énergétique actuelle. Il faudrait donc accélérer la déforestation et reboiser en conséquence davantage de surfaces en diminuant corrélativement l’espace des champs et des prairies. Et donc accroître, par manque d’espace, l’agriculture intensive, très gourmande en pétrole.

- Les bio carburants : Il s’agirait par exemple du colza, de la betterave, etc. Pour remplacer une tonne de pétrole par une tonne de biocarburants, il faut environ 1 hectare de terre agricole quelque soit la filière utilisée. Remplacer le pétrole importé en France par des biocarburants supposerait donc de planter du colza et des betteraves sur 50 millions d’hectares. Or la surface de la France métropolitaine est de 55 millions d’hectares. Où allons nous trouver l’espace ? Les bios carburants restent une solution très marginale.

- L’hydroélectricité, les éoliennes, la géothermie : L’hydroélectricité couvre 5 % de notre approvisionnement énergétique. Aujourd’hui, cette énergie est fournie, pour moitié, dans l’Union européenne, par des centrales électriques à charbon et à gaz. Mais nous n’avons pas suffisamment d’emplacements pour créer de nouveaux barrages capables de remplacer ces centrales. Par ailleurs, pour augmenter de façon significative l’énergie éolienne, il faudrait en construire plusieurs centaines de milliers en France (Peut-être dans les champs de colza et de betteraves). La géothermie, qui utilise la chaleur naturelle du sous sol, représente 0,5 % de la consommation globale mondiale d’énergie, devant l’utilisation des déchets (0,2 %), les bio carburants (0,1 %) et le solaire (0,025 %). Toutes ces énergies peuvent être prometteuses mais à très long terme, mais certainement pas dans les 50 ans à venir.

- Les piles à combustible. Elles nécessitent aujourd’hui du platine (produit à 75 % en RAS) mais il faudra plus d’un siècle pour équiper de piles le milliard de voiture que compte la planète.

- Le nucléaire et l’hydrogène : L’énergie nucléaire couvre 5 %  de l’énergie primaire consommée aujourd’hui. Il faudrait que sa production augmente de75 % en 50 ans, ce qui n’est pas totalement impossible. Mais le consensus démocratique de l’ensemble des nations est loin d’être atteint à ce sujet. Une opinion mondiale favorable à l’énergie nucléaire est loin d’être réalisée

- Les progrès de la technique : Ces progrès devraient nous permettre d’économiser l’énergie. Mais si les instruments utilisés consomment moins d’énergie, les utilisateurs en usent davantage. Une économie de pouvoir d’achat ne se traduit pas systématiquement par une moindre consommation. On sait ainsi que l’utilisateur accroît sa consommation énergétique – ou l’usage de l’instrument – au prorata des économies énergétiques que celui-ci permet. Par exemple, la 2 CV avait un moteur d’une puissance de 18 chevaux alors que la Twingo en affiche 60 au minimum. Les logements d’aujourd’hui sont plus économes  que ceux d’hier, mais ils sont plus grands. De 25 m2 par habitant en 1975, la surface habitable est passée à 35 m2 en 2000. Il faut donc davantage chauffer

-Organiser différemment les transports : On pourrait ainsi faire basculer le transport routier sur le rail. Mais alors, on devra construire une gare devant chaque usine, chaque hypermarché, multiplier par 7 le nombre de trains (le flux de marchandises par camions est 6 à 7 fois supérieur celui du train), par 20 le nombre de gares. Remplacer la voiture par le RER. Et pourquoi pas construire un RER devant chaque pavillon de banlieue.

 

Les difficultés d’information.

Les problèmes qui sont devant nous ne sont pas le fruit d’un soit disant complot mais des limites de la physique. Soyons en conscients, le gaspillage énergétique, ce n’est pas l’affaire de l’autre, mais l’affaire de tous, riche ou pauvre. Inutile donc de faire passer dans cette analyse nos préjugés de classe, de culture, etc.

-  Au niveau international, il y a, dans le cadre de l’ONU,  le Groupement Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Un rapport du GIEC, c’est 800 pages techniques

- Les politiques ne sont ni plus ni moins aussi (peu) avertis que le commun d’entre nous. Mais la démocratie, ce n’est pas nécessairement la voix de la sagesse, c’est celle de la majorité.

- Les médias sont rebutés par la technique. L’explication technique n’intéresse pas. Les chercheurs scientifiques ne vulgarisent peut-être pas assez leur propos mais le peuvent-ils sans le trahir ?

- Les impératifs politiques de l’économie et les groupes de pression freinent la diffusion de cette information. Il faut produire et ne pas contrainte. On mesure mal. Notre indicateur économique principal, le Produit intérieur brut (PIB)  comptabilise des échanges quelque soit l’évolution des patrimoines national et bien sur terrestre.

Dans ce ballet, les médias sont financés par les publicitaires qui ont pour mission d’entraîner les échanges marchands alors que les politiques suivent en écoutant les médias.

 

Organiser la décroissance de notre consommation d’énergie fossile en la grevant d’une taxe progressivement croissante, programmée et durable. 

Alors, que faire ? Nous avons, pour faire court, le choix entre laisser ce détériorer le climat ou réagir. Doit-on attendre que la pénurie d’énergies fossiles, en commençant par le pétrole, en augmente le prix, sans prévenir, pour en réduire brutalement notre consommation ? Et nous adapter à cette nouvelle donne après, sans les anticiper. Et laisser, en attendant, l’évolution climatique se dégrader en laissant les générations futures en payer les conséquences ? Où doit-on commencer dès maintenant à faire décroître notre consommation d’énergies fossiles avant que l’évolution climatique ne se charge de l’humanité ? La sagesse humaine nous conseille d’anticiper des événements inéluctables et prévisibles, afin d’en amortir, voire d’en annuler les effets.

Il n’est pas sain qu’un bien non renouvelable, que la nature a mis des années à créer, qui détériore le climat soit proposé à un prix aussi bas. Sa valeur marchande diffère ici, pour notre perte, bien trop de sa valeur d’usage. Il convient donc d’appliquer sur les énergies fossiles une taxe progressivement croissante destinée à en réduire les nuisances jusqu’à leur épuisement.

Ce ne peut être qu’une taxe progressivement croissante, programmée et durable jusqu’à l’extinction de la ressource, sur les énergies fossiles, qui en élève le prix plus vite que le pouvoir d’achat. Elle amortirait ainsi les effets des variations de prix, notamment à la hausse, amplifiées par les marchés,  des énergies fossiles consécutives à leur raréfaction, et l’indispensable décroissance de notre consommation d’énergie fossile. Sur ce point, il est psychologiquement et socialement bien différent de multiplier le prix de l’essence par 2 ou 4 en un an, comme le fait un choc pétrolier, et d’en étaler cette hausse sur 15 ou 20 ans.

Cette taxe devra permettre au prix des énergies fossiles de s’élever jusqu’à un niveau au delà duquel leur consommation diminue. (Il s’agit d’en mesurer l’élasticité ou le rapport entre la variation de son prix et sa consommation). Il conviendra ainsi de faire monter en puissance une taxe sur les énergies fossiles jusqu’à épuisement. Par exemple, à 100 dollars le baril de pétrole, le litre d’essence est environ vendu à 0,55 euro HT. La TIPP (Taxe d’importation sur les produits pétroliers) est de 0,60 euro par litre. Soit un litre d’essence vendu 1 euro en 2006. Si nous admettons qu’il convient de quadrupler cette taxe en 15 ans, il faudra le faire croître de 10 % par an. « Comme le pouvoir d’achat augmente par ailleurs de 2 % en chiffres ronds, et que la TIPP ne représente pas 100 % du prix de l’essence, cela équivaut pour les ménages à une hausse annuelle du prix de l’essence de 6 % à 8 % en termes réels, ».Il en sera évidemment de même pour le kérosène, le fioul domestique, le gaz naturel, le fioul lourd et le charbon.

La progressivité de cette taxe sur les énergies fossiles sera connue de tout le monde. Ainsi, indépendamment du prix des énergies fossiles sur les marchés, la progression du prix TTC sera connue. Par exemple, le taux de cette taxe pourra être modulé afin de corriger les écarts de prix du marché (par exemple comme en 1974) et conserver une progression du prix TTC constante.

La programmation et la progressivité de cette taxe permettront à chacun de modifier son comportement social et économique en conséquence. On sait que le choix d’un logement, d’une formation, d’un emploi n’est pas le même selon que l’on  connaît ou que l’on ignore les paramètres et conditions futurs. On pourra ainsi progressivement s’adapter à la hausse lente, mais permanente, du .prix des énergies fossiles, d’un facteur  3 sur 20 ans.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas d’une taxe de plus pour enrichir l’Etat ou payer ses déficits. Il s’agit d’une taxe destinée à réduire notre consommation d’énergies fossiles, nous aider à changer et adapter nos comportements et préparer l’avenir.

En revanche, cette taxe permettra à l'Etat de financer de nouvelles infrastructures et d’exploiter de nouvelles énergies renouvelables. Elle laissera du temps à nos économies de modifier ses structures de production, de repenser la division du travail, ses activités (retour aux commerces de proximité),  l’aménagement du territoire. Il est évident que la mobilité actuelle ne résistera probablement pas à un prix de l’énergie en forte augmentation. En fait, si nous devons préparer le « retour à la terre » de quelques millions de paires de bras (il y avait 6,5 millions d’agriculteurs en France en 1945, contre 600.000 aujourd’hui), il vaut mieux s’y préparer.

 

Il serait bien sur souhaitable qu’une telle démarche devienne progressivement mondiale, harmonisant ainsi le niveau de la taxe pour éviter des différentiels de compétitivité. Mais cette harmonisation risque d’être longue. En revanche, à l’échelle d’une nation, les choses sont plus accessibles. Et une fois mise en place, nous pensons que le mimétisme, qui n’est pas à sens unique, agira  (Le protocole de Kyoto ne prévoit qu’un système de vente de droits à polluer qui ne concerne que les gros acteurs et ne touche pas les particuliers). Portée au niveau français, l’exemplarité écologique pourrait ainsi devenir européenne et entraîner au niveau mondial toutes les autres nations.

C’est donc en commençant par la France que Jean Marc Jancovici et Alain Grandjean  proposent d’augmenter mondialement la taxe sur les énergies fossiles.

 

Janpier Dutrieux,  2006.

 

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