de la onzième heure. Principes d’une réforme financière et
institutionnelle Janpier Dutrieux (Editions des écrivains associés, 1998) Ce que reste, donnez le en
aumône Luc, SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE :
L'ECONOMIQUE
DEUXIEME PARTIE : LA SYMBIOTIQUE
PARABOLE DES OUVRIERS AVERTISSEMENT La richesse produite en
France fut multipliée par quatre au XIXe siècle, et par douze au XXe siècle. Parallèlement, la durée de travail employée à cette
production qui occupait 42 % du temps d’une vie éveillée en 1900 s’est réduite à 14 % dès 1960. La productivité croît, et l’emploi décroît. Le
capital financier se concentre. De nombreuses études, récurrentes,
proposent d’accorder un revenu universel, inconditionnel et identique pour
tous en complément des revenus acquis du travail et de l’épargne. Il s’agirait d’assurer à tous l’accès à la société
marchande et de solvabiliser la demande de chacun. Fondées du point de vue de
l’efficacité économique comme de l’éthique, ces propositions pourraient
atténuer les effets présents et futurs de la productivité et de
l’internationalisation des marchés sur l’emploi, mais n’en élimeraient pas
pour autant les causes. Il convient de prendre
acte que la distribution des revenus repose marginalement sur l’emploi mais
essentiellement sur la productivité et la coopération de tous les acteurs
sociaux. Une réforme financière et institutionnelle
s’impose. La création de faux droits
générés par la système financier porte
en elle-même les éléments de la concentration capitalistique et de
l’exclusion. Elle instrumentalise le vieux rêve de la société marchande de se
soustraire à l’organisation politique et économique des peuples. Après avoir éliminée
toutes possibilités de création de ces faux droits, la réforme présentée ici
suggère d’injecter dans le circuit économique un volume de crédit, social,
sans intérêt et permanent. Ce crédit serait distribué aux agents qui en
détermineraient l’affectation par contrat mutuel au sein des corps
intermédiaires sociaux restaurés (1e partie). La maîtrise
financière devient sociétale et n’obéit plus à la loi de l’offre et de la
demande. Cependant, cette réforme financière suppose corrélativement
une refonte institutionnelle (2e partie) qui puisse garantir à
chacun des corps intermédiaires intégrés le plein exercice de leur
souveraineté avec l’apprentissage de
la démocratie retrouvée. ENVOYES A LA VIGNE « Tenez,
il en va du Royaume des cieux comme d'un propriétaire qui sortit au point du
jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec eux d'un
denier pour la journée et les envoya à sa vigne. Sorti vers la troisième
heure, il en vit d'autres qui se tenaient, désoeuvrés
sur la place, et leur dit: « Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous
donnerai un salaire équitable ». Et ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la
sixième heure, puis vers la neuvième heure, il agit de même. Vers la onzième
heure, il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là et leur dit:
« Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans travailler ? » - C'est
que, lui dirent-ils, personne ne nous a embauchés. Il leur dit: « Allez,
vous aussi, à ma vigne ». Le soir venu, le maître de la vigne dit à son
intendant: « Appelle les ouvriers et remets à chacun son salaire, en
remontant des derniers aux premiers ». Ceux de la onzième heure vinrent
donc et touchèrent un denier chacun. Les premiers, venant à leur tour,
pensèrent qu'ils allaient toucher davantage; mais c'est un denier chacun
qu'ils touchèrent, eux aussi. Tout en le recevant, ils murmuraient contre le
propriétaire: « Ces derniers venus n'ont travaillé qu'une heure, et tu
les as traité comme nous, qui avons porté le fardeau de la journée, avec sa
chaleur ». Alors il répliqua en disant à l'un d'eux : « Mon ami, je
ne te lèse en rien; n'est ce pas d'un denier que nous sommes convenus ?
Prends ce qui te revient et va-t-en. Il me plaît de donner à ce dernier venu
autant qu’à toi: n'ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me
plaît , ou bien faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon. Voilà
comment les derniers seront premiers et les premiers seront derniers ». Mathieu XX 1. « On connaît la parabole rapportée au
chapitre 20 de Saint Mathieu, dans laquelle Jésus-Christ propose pour modèle
un père de famille qui s'était levé de grand matin pour envoyer des ouvriers
à sa vigne. Il donnait un denier par jour. Comme il avait eu l'occasion de
passer sur la place plusieurs fois dans la journée, chaque fois qu'il avait
aperçu des journaliers sans ouvrage, il les avait envoyés à sa vigne. Le soit
venu, ce père de famille donna à tout son monde un denier. Il y eut des
clabauderies et des murmures: Nous avons porté le poids du jour et de la chaleur,
disaient les uns, tandis que ceux-là n'ont presque rien fait, et ils sont
traités comme nous ! - Mon ami, dit le père de famille à l'un des mécontents,
je ne te fais point de tort : n'as-tu pas convenu avec moi d'un denier,
prends donc ce qui te revient, et retire toi : il me plaît de donner à l'un
autant qu'à l'autre; ne puis-je faire ce que bon me semble, envieux ? Chez
moi les derniers sont comme les premiers, et les premiers comme les derniers. Voilà cet apologue qui a tant révolté l'équitable
raison des philosophes, et auquel moi-même je n'ai pas toujours pensé sans
scandale, j'en demande pardon à la divine sagesse de l'auteur de
l'Evangile. Quelle vérité nous
est enseignée dans cette leçon du père
de famille ?... C'est que toute
inégalité de naissance, d’âge, de force ou de capacité, s’anéantit devant le
droit de produire sa subsistance, lequel s'exprime par l’égalité de
conditions et des biens; c'est que les différences d'aptitude ou d’habilité
dans l'ouvrier, de quantité ou de qualité dans l’exécution, disparaissent
dans l'oeuvre sociale, lorsque tous les membres ont
fait leur pouvoir, parce qu'ils ont fait leur devoir ; c'est en un mot, que la disproportion de
puissance dans les individus se neutralise par l'effort général. Voila donc
encore la condamnation de toutes ces théories de répartition proportionnée au
mérite et à la capacité, et croissant ou diminuant selon le capital, le
travail ou le talent; théories dont l’immoralité est flagrante, puisqu'elles
violent la liberté du travailleur et méconnaissent le fait de la production
collective, unique sauvegarde contre l’exagération de toute supériorité
relative; théories fondées sur le plus ignoble des sentiments et la plus vile
des passions, puisqu'elles ne pivotent que sur l’égoïsme; théories enfin,
qui, à la honte de leurs superbes auteurs, ne contiennent après tout que le
rajeunissement et la réhabilitation sous des formes peut-être plus
régulières, de cette même civilisation qu'ils dénigrent tout en l'imitant; qui ne vaut rien, mais
qu'ils ressuscitent. La nature, disent ces sectaires, nous montre partout
l’inégalité: suivons ses indications. - Oui, répond Jésus-Christ, l’inégalité
est la loi des bêtes, non des hommes.
L'harmonie est l’équilibre dans la diversité. - Otez cet équilibre,
vous détruirez l'harmonie ». Pierre
Joseph Proudhon (De l'utilité de la
Célébration du dimanche, considérée sous les rapports de l'hygiène publique,
de la morale, des relations de la famille et de la cité, 1839). INTRODUCTION « J'appelle ploutocratie un état de la société où la richesse
est le nerf principal des
choses ». Ernest Renan « La nation qui, la première, adoptera le franc de la nature,
basé sur la production nationale, prendra le pas sur toutes les
autres ». Pierre Joseph Proudhon Cet ouvrage a pour objet de développer une
réflexion sur la nature et la finalité de l'ordre économique et social. Il s'appuie sur la loi naturelle selon
laquelle la société domestique a sur la société civile une priorité
logique et une priorité réelle [i][ii][1], cependant que
mutuellement ordonnées l'une à l'autre; aucune des deux ne peut se soustraire
à ses devoirs envers l'autre, ni renier ou diminuer les droits de l'autre. « La
société est le moyen dont l'homme peut et doit se servir pour atteindre sa
fin, car la société est faite pour l'homme et non l'homme pour la société. Ce
qui ne veut point dire, comme le comprend le libéralisme individualiste que
la société est subordonnée à l’utilité égoïste de l'individu, mais que, par
le moyen de l'union organique avec la société, la collaboration mutuelle rend
possible à tous de réaliser la vraie félicité sur terre » [2]. Il s'en suit que toute organisation des sociétés,
économiques, sociales ou politiques, doit avoir pour objectif l'harmonisation
organique et l’équilibre mutuel et réciproque des cellules qui les composent.
Cette dynamique sociale intimement animée par la vie et la civilisation,
c’est-à-dire par le long et douloureux polissage des moeurs
et l'apprentissage de l'amour, fut, par de funestes écarts entretenus et
répétés dans la chaîne des siècles, renversée et dénaturée. Sous la pression
conjuguée des forces d’aliénation et de pesanteur, l’ordre s'est déshumanisé,
il est devenu immoral, il est chaos. « Comment
ne voyez vous pas que ce que vous appelez valeur est le résultat absurde d'un
état faux de la société »
reprochait P.J. Proudhon à Jean-Baptiste Say [3]. Valeur qui, selon ce dernier, ne pouvait que s'acheter ou se
vendre, et qui, par suite logique, impliquait
que les valeurs humaines et
sociales soient hiérarchisées et subalternisées en
fonction de leur
dimension marchande[4]. A son tour, Abraham Lincoln constatera que: « la puissance d'argent fait sa proie
de la nation en temps de paix et conspire contre elle en temps d'adversité.
Elle est plus despotique que la monarchie, plus insolente que l'autocratie,
plus égoïste que la bureaucratie. Je vois arriver dans un proche avenir une
crise qui me déconcerte et me fais trembler pour la sécurité de mon pays. Les
groupes financiers et industriels sont devenus tout puissants, il s'ensuivra
une ère de corruption aux postes élevés et la puissance d'argent du pays
cherchera à prolonger son règne en utilisant les préjugés du peuple jusqu'à
ce que la fortune soit concentrée en un petit nombre de mains et la
république détruite » [5]. Cette concentration de pouvoirs, monopolisés entre
les mains des dépositaires de l'argent, peut ainsi, « par son étendue et son caractère international, constituer au
dessus des Etats une sorte de super-Etat, dont la puissance démesurée peut
leur imposer, sous peine de graves commotions financières, des attitudes
contraires au bien commun ou à la justice. D'où il faut conclure que, si le
capital est en soi légitime, un régime capitaliste peut être illégitime et
donc mauvais »[6]. C'est à partir des années qui suivirent la
première guerre mondiale que Clifford Hugh Douglas[7] s'attacha à dénoncer
l'immoralité flagrante et tyrannique du système financier. Il écrivait alors : « Toute critique du système financier ne peut être utile que
s'il est admis que l'efficacité du système proposé est subordonné à un
objectif extrêmement précis; la fixation de cet objectif précis étant chose
claire; il appartiendra à la technique retenue d'ajuster les méthodes de la
psychologie humaine aux réalités physiques de façon que cet objectif puisse
être atteint le plus facilement possible. Comment pourrais-je partager le
point de vue de ceux qui disent que la politique ayant trait à l'économie
mondiale équivaut à une philosophie de la vie ? Non, l'activité économique
est, selon moi, une simple activité fonctionnelle des êtres humains dans le
monde. Une activité économique ne peut parvenir à sa pleine efficacité que si
elle satisfait avec aisance et rapidité les besoins de l'économie sans
empiéter sur les activités des autres fonctions sociales » (Warning Democracy, 1934). Il était clair que l'activité économique ne
pouvait atteindre son objectif, qui n'est autre que de servir les besoins
humains si, pour se faire, elle devait étouffer jusqu'à la nécrose les autres
fonctions sociales et guider l'humanité subalternisée toute entière, selon le
bon plaisir des maîtres absolus de l'argent et du crédit. En effet, la
monnaie, qui n'est rien d'autre que l'instrument des échanges, permet, quand
elle est dispensée à certains privilégiés en fonction de sa seule valeur
marchande, de verrouiller les forces créatrices humaines, de canaliser et de
diriger les fonctions sociales, et, en définitive, finit par interdire
l'échange. Ainsi, la monnaie a perverti l'échange, qui, de commutatif qu'il
était, est devenu vénal. Au XIX
e siècle, soulignait L.G. Teyssier [8], « deux roues tournaient l'une à côté de l'autre, la monnaie (métallique)
et les marchandises. Elles n'avaient pas toujours la même circonférence;
elles ne tournaient pas toujours à la même vitesse. Elles étaient
dissymétriques. L'une apportait au
public des moyens
de paiement, l'autre des biens
de consommation; mais la proportion changeait fréquemment. Il manquait des
moyens de paiement lorsqu'il y avait abondance de marchandises, ou il
manquait de marchandises quand il y avait abondance de moyens de paiement.
Aujourd'hui, on en est toujours au système des deux roues, la roue de la
production, la roue de la monnaie de crédit. Et malgré tous les efforts,
elles ne parviennent pas à s'ajuster, d'où les crises ». Cette
monnaie de crédit, monopolisée aujourd'hui par les maîtres de l'argent,
interdit à tout homme, en tant qu'être doué de raison, de détenir ce droit
fondamental et naturel d'user des biens matériels de la terre, alors qu'un « tel droit ne saurait en aucune
manière être supprimé, pas même par l'exercice d'autres droits certains et
reconnus sur des biens matériels » [9]. C'est ce que comprit déjà C.H. Douglas qui
proposa, afin que tous les ouvriers de la onzième heure qu’engendre notre
civilisation puissent être garantis d'un tel droit inaliénable,
l'établissement d'un dividende qui puisse donner à chacun plus qu'elle ne
leur demande; et ceci bien avant que l'Etat ne prenne autoritairement aux uns
pour redistribuer aux autres, ce qui n'eut pour fâcheuses conséquences que de
détruire l'initiative individuelle et l'esprit d'entreprise. Ce système
répartitif de redistribution n’eut
pour effet que de déresponsabiliser ses bénéficiaires, de produire de
l’assistanat et d’encourager l’individualisme. A l’inverse, Douglas entendait promouvoir l’esprit
associatif, il déclarait à ce sujet: « La
création de richesses aujourd'hui est inévitablement une affaire coopérative.
Des produits viennent de diverses sources et forment un ensemble de biens
auquel tous viennent puiser... La production de cette richesse exige de moins
en moins de labeur. Elle est surtout le fruit de l'emploi de puissances
motrices et d'ingénieuses machines de toutes sortes. Il faut bien le
reconnaître, il y a une nombre croissant d'individus dont la production
moderne n'aura nullement besoin pour une partie considérable de leur vie. Ce
nombre ne pourra qu'augmenter de plus en plus (à mesure du recours à des
sources d'énergie extra-humaine et à mesure du
progrès dans les techniques de production). Le problème n'est donc pas de
leur chercher vainement de l'emploi, mais d'établir un dispositif qui leur
permette d'obtenir les produits sans être embauchés. Et cela peut se faire
très facilement par le moyen d'un système de dividendes; Si vous recevez un
dividende aujourd’hui, à titre d'heureux actionnaire d'une compagnie qui en
distribue, ce que vous recevez en réalité, c'est un morceau de papier qui
vous donne droit à une fraction de la production; non pas uniquement de la
production dans laquelle sont engagés vos placements, mais, à votre choix, de
n'importe quelle production offerte dans le monde entier. Ce produit global
de richesses existe, offert sur le marché communautaire; et si nous étendons
le système de dividendes, de telle sorte que tous ceux d'entre nous qui sont
sans emploi obtiennent de ces garanties de dividendes, et que ceux qui sont
employés les obtiennent en outre de leur salaire, alors nous aurons un état
de choses qui ne fera que refléter exactement les faits physiques de la
situation » [10] et [11]. Louis Even [12] résuma ces propositions
monétaires de la façon suivante : I- Effectuer un contrôle national de la monnaie
par un compte de crédit national reflétant en tout temps la véritable
richesse du pays, de sorte qu'à toute augmentation enregistrée de la
production corresponde une émission de masse monétaire identique, et
inversement, afin que les moyens d'achat - ou pouvoir d'achat - entre les
mains de la population soient, en tout temps, collectivement égaux aux prix
collectifs à payer pour les biens consommables. II- Cette nouvelle émission monétaire doit
parvenir directement aux agents économiques consommateurs, franc d'intérêt et
de dette, sous la forme d'un crédit social distribué de deux manières: 1. d'une part, par un dividende national à
chaque citoyen, sous la forme d'un pouvoir d'achat additionnel, reconnaissant
à chacun le droit à un héritage commun, facteur de progrès et de
civilisation; et ceci de sa naissance à sa mort, indépendamment de toute
activité rémunérée par ailleurs. Dividende inaliénable dont chaque citoyen
serait bénéficiaire du seul fait de son existence. 2. d'autre part, par un ajustement des prix,
compensé aux producteurs, sous forme de baisse du coût de la vie, qui
équilibrerait définitivement le pouvoir d'achat global à la production
offerte, évitant toute inflation comme toute déflation. Il s'agirait, en quelque sorte, de subdiviser le
pouvoir financier, de ne plus l'établir sur la valeur vénale, mais sur la
personne humaine. Henri Moreau qui, le premier, s'attacha à diffuser la
pensée de Douglas en Europe francophone, et à qui je rends ici l'hommage de
l'élève au précepteur [13], a ainsi pu écrire que
le crédit social n'est pas seulement une réforme monétaire, mais est surtout
« une philosophie globale basée
sur la personne, une démocratie économique qui exigera de nous le financement
de la consommation ». En effet, le principe même du crédit social
autorise la distribution d'un
« dividende à chaque citoyen de ce pays sans priver aucune personne des
avantages qu'elle possède, mais, a contrario, en augmentant ceux de tout le
monde »[14]. « Nous croyons », déclarait Douglas [15], « que nous pourrions rencontrer les besoins d'aujourd'hui au
moyen de ce que nous appelons un Dividende National. Ce Dividende sera fourni
par une création d'argent nouveau - mais distribué en pouvoir d'achat aux
citoyens consommateurs, c'est-à-dire à toute la population. Qu'on me permette
de bien souligner le fait que ce ne doit pas être de l'argent obtenu par la
taxation, parce que, dans mon opinion, il est d'importance vitale de réduire
les taxes très rapidement et radicalement. La distribution au moyen de
dividendes d'un certain montant de pouvoir d'achat, au moins assez pour
permettre un certain degré de respect de soi-même, de santé et d’honnête
subsistance, est le premier desiteratum de la
situation ». Par ces propos, Douglas dénonçait déjà tous les
systèmes redistributifs de l’Etat Providence que
nous connûmes depuis. Il ne peut donc s'agir de réduire la liberté
économique, de diminuer ou de renier les droits des uns pour accroître ceux
des autres, par un système de prélèvements sociaux ou fiscaux, mais
d'augmenter et de prolonger les libertés et les droits économiques de tous et
de chacun. Ces libertés et ces droits nouveaux doivent être naturellement et
simultanément contrebalancés par des responsabilités et obligations
nouvelles. En effet, il serait vain de domestiquer le pouvoir financier, de
discipliner la vénalité des êtres, et d'accroître les droits économiques de
l'ensemble de la société civile si ceux-ci devaient être dispensés par
l'Etat, unilatéralement, selon son bon plaisir, entre les différents organes
sociaux. Ceci reviendrait, pour reprendre l'expression de P.J. Proudhon, à
transférer au groupe, et qui plus est, à un monstre anonyme, l'Etat, les
droits qui étaient ceux d'un dépositaire individuel. Il s'en suivrait alors
que la puissance de l'Etat, entrepreneur, sera encore plus grande et donc,
son autorité d'autant plus étouffante qu'on l'aura poussée jusqu'à ses
extrêmes conséquences[16]. « Le
vocable « liberté » est bien le mot le plus galvaudé depuis une
vingtaine d'années », rappelait H. Moreau en 1962, « et doit retrouver sa véritable
signification. Cela signifie qu’à toute liberté doit correspondre la responsabilité qu'elle engendre »[17] . C'est pourquoi C.H.
Douglas a toujours milité pour que la personne humaine soit maître de
l'organisation de sa vie, libre d'accepter ou de refuser toute proposition,
libre de s'associer. Il fut, en fait, le combattant des forces qui s'opposent
à la liberté de choix de l'individu, au sens où l'entendait Simone Weil en
parlant du « combat coextensif,
lui, à toute notre histoire, entre les tendances oppressives et les tendances
émancipatrices, entre les forces d'asservissement et les forces de
libération, bref, entre la pesanteur et la grâce ». C'est sans aucun doute ce qu'il voulut exprimer, lorsqu'en
1935, il s'abstint de venir saluer la victoire électorale du créditiste
William Aberhart dans la province canadienne
d'Alberta. Henri Moreau écrivit à ce sujet dans le journal « Vers
Demain »: « En cela, Douglas
restait logique envers ce qu'il a toujours professé, à savoir que le
social-créditisme doit d'abord développer le pouvoir chez les citoyens par la
prise de responsabilités individuelles ». Ces responsabilités et devoirs
d'émancipation s'inscrivent dans le droit de la raison, le droit de distinguer
le bien du mal dont chacun est titulaire mais que l'Etat, dans un système
coercitif, s'est octroyé au nom d'un prétendu intérêt général. On ne peut
cependant changer les moeurs par décret ! Dénoncer la société marchande des changeurs de
monnaie ne signifie pas pour autant qu'il faille verser dans son excès
contraire, d'une société de gratuité. Tout en ce monde est périssable. Si des
potentialités d'abondance relative peuvent apparaître, si même nos
propositions s'inscrivent sous le signe de l'abondance; l'abondance, en
absolu, n'existe pas, pas même dans l'air que nous respirons, dans l'eau que
nous buvons. Et ceci nous amène aujourd'hui à respecter, à apprécier notre
environnement, faute d'avoir cru, un temps, que tout bien n'a de valeur que
s'il est vénal. Il en est de même des potentialités d'abondance du crédit,
franc d'intérêt, qui, elles aussi, sont dépendantes des hommes de bonne
volonté. Il leur faudra, pour se maintenir, comme le rappelle le
« Rapport de la Commission d'étude sur le système monétaire appelé
Crédit Social » de 1939 (infra), « une
augmentation continuelle de production due à une augmentation équivalente de
travail ». Il n'est pas besoin de simulation économique pour
comprendre que si cette responsabilité n'est pas laissée entre les mains des
titulaires de droits nouveaux, ceux-ci ne pourront posséder la pleine
conscience de la contrepartie nécessaire à l'existence du crédit social [18]. Il faut donc développer ici, parallèlement et
simultanément, une théorie de mutualité, une loi de réciprocité, une loi de
l'échange commutatif qui vienne contrebalancer et prolonger les pouvoirs
organiques ouverts par ces nouveaux droits et libertés. Ce ne peut-être qu'une loi de coopération « qui, par la sincérité de l'échange
crée une véritable solidarité entre les peuples, qui, sans interdire
l’initiative individuelle, sans prohiber l'épargne domestique, ramène
incessamment à la société les richesses que l'appropriation en détourne »
[19], qui, par la limitation
réciproque des pouvoirs qu'elle
autorise ne puisse qu'ajouter et non
plus retrancher au tout et parties, car « de même que la partie et le tout sont en quelque manière une
même chose, ainsi ce qui appartient au tout est en quelque sorte à chaque
partie » [20]. Ce tout, cette
personne organique et dynamique est « très
certainement une réalité, un être, une essence que je désigne sous le nom
d'homme collectif. Cet homme existe dans la commune, dans la nation, dans
l'humanité christianisée. Il est en croissance » [21]... Enfin, c'est à une double lecture de cette étude
que nous vous convions, eu égard aux valeurs spirituelles et aux aspirations
libertaires, les deux raisons contraires, qui firent notre civilisation, et
qui, de confrontation en osmose, pourraient nous amener à vivre en communion
de libertés. LE CREDIIT SOCIAL ET LA DOCTRINE CATHOLIQUE Après la publication de l'Encyclique Quadragesimo anno, certains
adversaires de la thèse créditiste affirmèrent que celle-ci était teintée de
socialisme. Une Commission d'études de
l'Eglise Catholique fut alors nommée et chargée de vérifier ou d'infirmer
cette identification. Elle donna, à cette occasion, de pertinents conseils
aux concepteurs sociaux créditistes. Ses conclusions parurent dans « La
Semaine Religieuse de Montréal » du 15 novembre 1939. Les voici : « On
sera sans doute heureux de prendre connaissance des conclusions auxquelles en
est venue, après une sérieuse étude des arguments présentés de part et
d'autre, la Commission chargée par Nosseigneurs les Evêques d'examiner, du point
de vue de la Doctrine catholique, le système dit du Crédit Social, et de
considérer en particulier si ce système pouvait être taxé de socialisme, au
sens où l'Eglise a condamné le socialisme ». De cette Commission, présidée par le R.P. Joseph.
P. Archambault, S.J., faisaient également partie : Mgr Wilfrid Lebon, P.D.,
MM. les abbés Philippe Perrier, Arthur Deschène,
Jean-Baptiste Desrosiers, P.S.S., Charles-Omer Garant, et le R.P. Louis Chagnon, S.J . RAPPORT DE LA COMMISSION D'ETUDE SUR LE SYSTEME MONETAIRE APPELE CREDIT SOCIAL 1- La Commission détermine tout d'abord le champ
de l'étude qu'il s'agit de faire. a- Il ne
s'agit aucunement de l'aspect économique ou politique i.e
de la valeur de la théorie au point de vue économique et de l'application
pratique du système du Crédit Social à un pays. Les membres de la Commission
ne se reconnaissent aucune compétence en ces matières, et d'ailleurs l'Eglise
n'a pas à se prononcer sur des questions pour lesquelles, comme le dit le
Pape Pie XI, « elle est dépourvue de moyens appropriés et de
compétences" (Quadr. anno). b- Il ne
s'agit pas non plus d'approuver cette doctrine au nom de l'Eglise, car,
l'Eglise n'a jamais, sur le terrain social et économique, présenté de système
technique déterminé, ce qui d'ailleurs ne lui appartient pas (Div. Redempt. n.34). c- La seule
question à l'étude est la suivante: la doctrine du Crédit Social, dans ses
principes essentiels, est-elle entachée de socialisme ou de communisme,
doctrines condamnées par l'Eglise; et par suite doit-elle être regardée par
les catholiques comme une doctrine qu'il n'est pas permis d'admettre et
encore moins de partager. d- L'Etat
dont il est question dans le présent rapport est considéré, in abstracto,
indépendamment des contingences qu'il peut comporter. 2- La Commission a ensuite formulé en propositions
les principes essentiels du Crédit Social. « Le
but de la doctrine monétaire du Crédit Social est de donner à tous et à
chacun des membres de la Société la liberté et la sécurité économique que
doit leur procurer l'organisme économique et social. Pour cela, au lieu
d'abaisser la production vers le niveau du pouvoir d'achat par la destruction
de biens utiles ou la restriction du travail, le Crédit Social veut hausser
le pouvoir d'achat au niveau de la capacité de production des biens
utiles ». Il propose à
cette fin : I- L'Etat
doit reprendre le contrôle de l'émission et du volume de la monnaie et du
crédit. Il l'exercera par une commission indépendante et jouissant de toute
l'autorité voulue pour atteindre son but. II- Les
ressources matérielles de la nation représentées par la production
constituent la base de la monnaie et du crédit. III- En tout
temps l'émission de la monnaie et du crédit devrait se mesurer sur le
mouvement de la production de façon qu'un sain équilibre se maintienne
constamment entre celle-ci et la consommation. Cet équilibre est assuré,
partiellement du moins, par le moyen d'un escompte dont le taux varierait nécessairement
avec les fluctuations mêmes de la production. IV- Le
système économique actuel, grâce aux nombreuses découvertes et inventions qui
le favorisent, produit une abondance insoupçonnée de biens en même temps
qu'il réduit la main d'oeuvre et engendre un
chômage permanent. Une partie importante de la population se trouve ainsi
privée de tout pouvoir d'achat des biens créés pour elle et non pas pour
quelques individus ou groupes particuliers seulement. Pour que tous puissent
avoir une part de l'héritage culturel
légué par leurs prédécesseurs, le Crédit Social propose un dividende
dont la quantité sera déterminée par la masse des biens à consommer. Ce
dividende sera versé à chaque citoyen, qu'il ait ou non d'autres sources de
revenus. 4- Il s'agit maintenant de voir s'il y a des
traces de socialisme dans ces propositions. Ad Iam : Cette proposition ne parait pas comporter de
données socialistes ni partant être contraire à la doctrine sociale de
l'Eglise. L'affirmation est basée sur les passages suivants de l'Encyclique Quadragesimo anno. Le Pape dit:
« Il y a certaines catégories de biens pour lesquels on peut soutenir
avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en
viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans
danger pour le bien public, être laissé entre les mains des personnes
privées ». On y lit
encore: « Ce qui à notre époque frappe tout d'abord le regard, ce n'est
pas seulement la concentration des richesses, mais encore l'accumulation
d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains
d'un petit nombre d'hommes, qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires
mais les simples dépositaires et garants du capital qu'ils administrent à
leur gré. Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et
maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur
bon plaisir. Par là, ils distribuent le sang à l'organisme économique dont
ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que, sans leur consentement,
nul ne peut plus respirer ». Vouloir
changer un tel état de choses, n'est donc pas contraire à la doctrine sociale
de l'Eglise. Il est vrai qu'en confiant à l'Etat le contrôle de la monnaie et
du crédit, on lui donne une influence considérable sur la vie économique de
la nation, une influence équivalente à celle qu'exercent les banques
actuellement à leur seul profit: mais cette manière de faire, in se, ne
comporte pas de socialisme. La monnaie n'étant, dans le système du Crédit
Social, qu'un instrument d'échange dont le cours sera rigoureusement réglé
par la statistique de la production, la propriété privée demeure intacte;
voire la monnaie et le crédit seraient peut-être moins qu'aujourd'hui
« dispensés selon le bon plaisir » de ceux qui les contrôlent.
Réserver à la collectivité la monnaie et le crédit n'est donc pas opposé à la
doctrine sociale de l'Eglise. Saint Thomas
le dit implicitement, dans Ethica, livre 5, leçon
4, quand il affirme qu'il appartient à la justice distributive, laquelle, on
le sait, relève principalement de l'Etat, de distribuer les biens communs, y
compris la monnaie, à tous ceux qui font partie de la communauté civile.
Ainsi s'exprime Saint Thomas: Justitia distributiva est illa, quae consistit in distributionibus aliquorum communium, quae sunt dividenda inter cos qui
communicant civili communicatione:
sive sit honor, sive sit
pecunia, vel quidquid ad bona exteriora pertinens (Eth., livre 5,1,4).
En fait, la
monnaie et le crédit ont été, dans le passé, sous le contrôle de l'Etat, en
un grand nombre de pays, notamment dans les Etats pontificaux; ils le sont
encore dans la Cité Vaticane. Il serait bien difficile de voir dans cette
proposition, par conséquent, un principe socialiste. Ad IIam: Que la monnaie et le crédit soient basés sur la
production, sur les ressources matérielles nationales, cela ne comporte,
semble-t-il, aucun caractère socialiste. La base de la monnaie est une
affaire purement conventionnelle et technique. Dans la discussion présente,
ce point est accepté en principe par plusieurs des opposants. Ad IIIam: Le principe de l'équilibre à maintenir entre la
production et la consommation est sa fin. Dans une économie vraiment humaine
et coordonnée, en effet, le but de la production est la consommation et cette
dernière doit normalement épuiser la première, du moins lorsque la production
est faite, comme elle doit l'être, pour répondre à des besoins vraiment
humains. Quand à
l'escompte, dont le principe est admis et même pratiqué couramment dans
l'industrie et le commerce, il n'est qu'un moyen de réaliser cet équilibre;
il permet au consommateur de se procurer la marchandise dont il a besoin à un
prix inférieur sans perte pour le producteur.
Il est à
noter que la Commission ne se prononce pas sur la nécessité d'un escompte
occasionné par l'écart qu'il y a, selon le système du Crédit Social, entre la
production et la consommation. Mais si cet écart existe, vouloir le combler
par le moyen d'un escompte ne saurait être considéré comme une mesure
entachée de socialisme. Ad IVam: Le principe du dividende peut aussi se concilier
avec la doctrine sociale de l'Eglise; il est d'ailleurs comparable au pouvoir
d'octroyer que possède l'Etat. La Commission ne voit pas pourquoi il serait
nécessaire à l'Etat de posséder les biens de production pour pouvoir payer ce
dividende; actuellement, quoique dans un sens contraire, le pouvoir de taxer,
que l'Etat possède en vue du bien commun, comporte davantage cette note et
pourtant est admis. La même affirmation vaut pour l'escompte: l'un et l'autre
tiennent du principe de la ristourne dans le système coopératif. D'ailleurs
la coopération est en honneur dans le Crédit Social. Le seul
contrôle de la consommation qui soit nécessaire pour l'établissement du Crédit
Social, c'est celui de la statistique qui détermine l'émission de la monnaie
et du crédit. Or, la statistique ne saurait être considérée comme un
véritable contrôle et comme une entrave à la liberté individuelle; elle n'est
qu'une méthode de connaissance. La Commission ne peut admettre que le
contrôle statistique nécessite la socialisation de la production, ou qu'il
soit de « l'essence du socialisme et du communisme ». CONCLUSION La
Commission répond négativement à la question: « Le Crédit Social est-il
entaché de socialisme ? ». Elle ne voit pas comment on pourrait
condamner au nom de l'Eglise et de sa doctrine sociale les principes
essentiels de ce système; tels qu'exposés précédemment. Elle tient à rappeler
cependant que le Crédit Social, dont elle n'avait pas à juger l'aspect
purement économique ou politique, ne reste toujours qu'une réforme monétaire.
Il ne faudrait pas oublier, en effet, que ce qui importe surtout, c'est une
réforme des institutions par l'organisation corporative appuyée sur la
réforme des moeurs, selon les recommandations
explicites de Pie XI. ETUDE DE QUELQUES
OBJECTIONS La
Commission a aussi étudié quelques-unes des objections habituellement
présentées contre la conclusion qui précède.
Première objection: Le contrôle de la monnaie et du crédit entraîne nécessairement le
contrôle de la production jusqu'à la socialisation de cette dernière. Réponse: Le contrôle
de la monnaie et du crédit n'enlève pas aux individus ou aux institutions
privées la propriété des instruments de travail et des biens de production,
même s'il peut impliquer dans une certaine mesure un contrôle indirect de
cette production. Ce contrôle indirect qui, normalement du moins, doit
s'exercer en vue du bien commun, ne comporte pas de caractère socialiste, pas
plus que le contrôle rationnel de la production par les banques ne pourrait
être nécessairement taxé d'individualisme libéral. Deuxième objection: Que le dividende est un encouragement à la paresse. Réponse: L'Etat ne
fabriquera pas la monnaie et le crédit selon son bon plaisir mais selon les
exigences manifestées par les statistiques de la production, laquelle est
intimement liée au travail des citoyens. Que quelques-uns essaient encore de
chômer, cela arrivera sans doute; seulement, il ne faudrait pas croire que le
dividende pourra toujours faire vivre son homme. S'il peut arriver, au début,
que pour combler le fossé entre la production et la consommation, le
dividende soit assez fort, il lui faudra pour se maintenir une augmentation
continuelle de production due à une augmentation équivalente de travail. Les
Créditistes ne devraient pas cependant trop appuyer sur le dividende,
principalement sur le dividende basique permanent qui n'est pas essentiel au
système; mais le principe lui-même ne peut être condamné. Troisième objection: Le dividende, et même l'escompte, dit-on,
prive l'ouvrier de son salaire et le producteur de son profit. Réponse: Cela serait
vrai, peut-être, dans une certaine mesure et toujours d'une façon indirecte,
si de fait il n'y avait pas d'écart entre la production et la consommation.
Mais le système du Crédit Social est basé précisément sur cet écart: question
purement économique et technique. De fait, le système ne saurait être
condamné au nom de la doctrine sociale de l'Eglise; D'ailleurs, il semble que
vraiment un écart existe entre le coût de certaines productions, chasse,
pêche, richesse du sol, etc, et le prix de
consommation. Quatrième objection: A première vue, une phrase de Douglas inspire quelques doutes:
"The dividend shall progressively displace wages and salaries" (Warning Democracy,
p.34). Réponse: Le mot
« dividende » n'a pas toujours dans les écrits de Douglas la même
signification. Douglas entrevoit ici un système économique entièrement
coopératif. Alors il devient facile de comprendre que les ouvriers
coopérateurs ne reçoivent plus leurs rétributions sous forme de salaires mais
bien sous forme de dividendes. Ils sont dans ce cas, en quelque sorte,
propriétaires eux-mêmes du système de la production. Cette
substitution du dividende au salaire ne peut être considérée comme opposée à
la doctrine sociale de l'Eglise; d'autant que le Pape lui-même, dans Quadragesimo anno, admet la
légitimité d'un ordre de choses où le contrat de société corrigerait, dans la
mesure du possible, le contrat de louage de travail; La coopération est une
forme de société dans lequel le dividende tend normalement et progressivement
à remplacer le salaire. Voici le
message de Pie XI: « Commençons par relever la profonde erreur de ceux
qui déclarent essentiellement injuste le contrat de louage de travail et
prétendent qu'il faut lui substituer un contrat de société; ce disant, ils
font, en effet, gravement injure à Notre Prédécesseur, car l'Encyclique Rerum Novarum non seulement
admet la légitimité du salariat, mais s'attache longuement à le régler selon
les normes de la justice. Nous estimons cependant plus approprié aux
conditions présentes de la vie sociale de tempérer quelque peu, dans la
mesure du possible, le contrat de travail par des éléments empruntés au
contrat de société. C'est ce que l'on a déjà commencé à faire sous des formes
variées, non sans profit sensible pour les travailleurs et pour les
possesseurs du capital. Ainsi, les ouvriers et les employés ont été appelés à
participer en quelque manière à la propriété de l'entreprise, à sa gestion et
aux profits qu'elle apporte ». Il est vrai
qu'il est difficile d'imaginer un système coopératif poussé à un tel degré
que tout salaire disparaîtrait pour faire face à un dividende: cela cependant
ne rend pas l'hypothèse erronée. La Commission tient à noter de plus que
certaines expressions de Douglas, sur ce sujet, sont plutôt confuses. Telle
paraît être toutefois sa pensée, au dire même de chefs créditistes. Cinquième objection: Le Crédit Social devenant un parti politique, ne faut-il pas
craindre des accointances avec les communistes ? Tim Buck, un chef
communiste, a, paraît-il, demandé à ses partisans de voter pour le candidat
créditiste partout où il n'y aurait pas de candidat communiste ou CCF. Réponse: Il s'agit
ici évidemment d'une question purement politique voire d'une tactique
électorale. Or on sait que ces tactiques ne sont pas toujours dictées par une
similitude de pensée mais par des circonstances le plus souvent extrinsèques.
En tout cas, on ne saurait condamner une théorie ou un système qui en
eux-mêmes ne sont pas répréhensibles devant la doctrine sociale de l'Eglise,
à cause de cette crainte de les voir plus ou moins soutenus par des
communistes ou quelque autre groupe politique. Ces
objections ne sauraient, dans l'opinion de la Commission, infirmer le
jugement précédent formulé du point de vue catholique. Ajoutons qu'une étude
plus approfondie de ce système au point de vue purement économique
s'imposerait étant donné l'importance que prend la question de nos
jours ». PREMIÈRE PARTIE L'ÉCONOMIQUE « L' Economique et la Politique diffèrent non seulement dans la mesure
où diffèrent elles-mêmes une société domestique et une cité (car ce sont là
les objets respectifs de ces disciplines), mais encore en ce que la politique
est l'art du gouvernement de plusieurs et l'économique celui de
l'administration d'un seul ». Aristote (Les Economiques,
Livre I) CHAPITRE PREMIER : LE MARCHE DES FAUX DROITS OU LA DUPLICATION MONETAIRE. « Le jugement éthique porté sur le mécanisme du crédit bancaire
s'est profondément modifié au cours des siècles. (...)A l'origine, le principe
du crédit reposait sur une couverture intégrale des dépôts. (...) Ce n'est que vers le XVII e siècle, avec l'apparition des billets de
banque, que les banques abandonnèrent progressivement ce principe. Mais ce
fut dans le plus grand secret et à l'insu du public ». Maurice Allais ( L'impôt sur le capital et la réforme monétaire ) « Comme plusieurs d'entre vous ici le savent bien, le système
monétaire contemporain est purement arbitraire, et la fabrication de l'argent
dans le monde ne coûte guère plus que le prix de l'encre et du papier ». Clifford Hugh
Douglas (Newcastle - Upon Tyne, le 9 mars 1937) « Le privilège de créer et de produire de la monnaie est le
plus opportun dessein d'un gouvernement. Par l'adoption de ces principes, le
besoin ressenti depuis longtemps d'uniformiser la monnaie aux besoins sera
satisfait. Les assujettis aux taxes seraient libérés des intérêts. L'argent
cesserait d'être le maître pour devenir la servante de l'humanité ». Abraham Lincoln « Honneur à Lycurgue, il a banni de Sparte l'or et l'argent, cause de tous les crimes ». Pythagore LES MECANISMES DE LA CREATION MONETAIRE Avant la création de la Banque de France en l'an
VIII, le droit de battre monnaie était régalien. Entendons par là que seule
la Maison de France était autorisée à mettre en circulation des pièces
frappées de son sceau. Les banques délivraient alors à leur clientèle, contre
dépôt de ces pièces, pour des raisons de commodité et de sécurité, des
billets, d'abord nominatifs, puis au porteur. Bien vite, elles s’octroyèrent
le droit de prêter plus de billets qu'elles n'avaient de pièces en caisse.
Ces billets n’avaient donc pas de contreparties, ils étaient émis ex-nihilo.
L’idée en revint à Palmstruck, fondateur de la
Banque de Suède en 1656. Aussi, en 1803, la Banque de France se dota du
monopole de l’émission de ces billets de Banque en Ile de France, mais ce
n'est qu'en 1848, que ce monopole fut étendu sur tout le territoire. En fait, c'est la Banque d'Angleterre, la soeur aînée, créée en 1694, qui inspira cette mesure à la
France. Deux écoles s'opposaient Outre-Manche : les
partisans du Banking principle
pour qui l'émission de billets étaient une activité bancaire, donc
commerciale, et ceux du Currency principle pour qui l'émission de billets constituait une
forme moderne de création monétaire et devait être contrôlée par l'Etat. En
1844, Sir Robert Peel fit entériner ce dernier principe par le « Bank
Charter Act ». Nous étions ici sous le règne
de l'étalon-or. Les billets, émis avec parcimonie par la Banque d'Angleterre
ne se déprécièrent pas ou peu, ils conservèrent longtemps leur couverture or,
ce qui fit de la Livre Sterling la monnaie de référence internationale
jusqu'à la seconde guerre mondiale. Le monopole d'émission de la Banque
d'Angleterre ne lui fut cependant acquis définitivement qu'en 1921. En étendant sur tout le territoire son monopole
d'émission des billets, la Banque de France voulait affirmer sa volonté de
contrôler la création monétaire. Ainsi, quand une banque accordait un crédit
à l'un de ses clients, le volume de son épargne en billets de banque
diminuait. Pour se procurer de nouveaux billets, la banque s'adressait à
l'une de ses concurrentes ayant des excédents d'épargne. Elle procédait pour
cela à l'échange des effets de commerce, lettres de change, créances à terme
non échus que lui avait remis sa clientèle commerçante, contre des billets de
la Banque de France, retenue faite d'un intérêt déterminé selon la loi de
l'offre et de la demande. Il s'agit aujourd'hui du marché libre de l'argent,
ou marché interbancaire. Plus les excédents d'épargne étaient rares, plus
l'argent était cher. Il arrivait que, sur le marché, la demande soit trop
forte pour l'offre, lorsque les particuliers retiraient leurs épargnes pour
le règlement des impôts, par exemple. Les banques se faisaient alors
réescompter ( échangeaient à leur tour) leurs créances non échues auprès de
la Banque de France. Celle-ci, en acceptant les titres non échus, créait de
nouveaux billets, mais elle fixait un taux de réescompte pour limiter la
demande de nouvelle monnaie en fonction des possibilités qu'offraient ses
réserves d'or. La Banque de France (BDF), Banque centrale, était
privée. Elle comptait 200 actionnaires, ce qui donna naissance, plus tard, à
l'image des 200 familles. Nationalisée par deux fois, le 24 juillet 1936 et
le 2 décembre 1945, c'est aujourd'hui une société anonyme de droit privé
n'ayant qu'un seul actionnaire. Mais
les diverses modifications qu'elle a subi depuis, notamment avec la
loi de 1993 lui donnant une relative autonomie vis à vis du gouvernement,
n'ont pas pour autant éliminé le vice fondamental de notre système monétaire
qui autorise toujours la création de faux-droits par duplication monétaire. Parce que la Banque d'Angleterre abusait trop du currency principle qui
réglementait strictement l'émission monétaire, certains historiens estiment
que la monnaie scripturale est apparue d'abord en Angleterre avant
d'apparaître sur le continent. Sans doute les besoins de l'économie ne
pouvaient-ils pas se satisfaire du trop peu de billets. Peut-être le réseau
bancaire vit-il le moyen de retrouver son indépendance commerciale ? Peu
importe, le chèque apparaît en France en 1865. Et avec la monnaie
scripturale, le réseau bancaire entrevit très vite la possibilité de ne plus
remettre des billets de banque à ses clients venus faire escompter leurs
effets de commerce, mais préféra leur ouvrir un compte créditeur. Les chèques
circulaient sans que l'encaisse en monnaie centrale, c'est-à-dire les billets
de banque, en soit amoindrie. Plus encore, les banques ayant suffisamment de
monnaie centrale accordaient des prêts dans les mêmes conditions. Il leur
suffisait de connaître quelque peu à l'avance les besoins en monnaie centrale
de leur clientèle et de se constituer des réserves de sécurité en
conséquence. Elles s'obligeaient, en quelque sorte, à constituer des
réserves. Hormis cela, leur pouvoir était absolu. Un créditiste belge, Jacques Keyaerts,
a illustré fort plaisamment ce mécanisme de duplication monétaire dans une
fable intitulée « Socrate et le Banquier ». Cet apologue mérite
d'être conté. L'APOLOGUE DE SOCRATE ET LE BANQUIER APHRON - Je te salue Socrate et
je me réjouis de te présenter Ploutos, le plus riche banquier de notre belle
cité, pour ne pas dire du pays tout entier. Seuls les dieux pourraient dire
ma reconnaissance envers cet homme qui, dans sa grande bonté, a daigné me
consentir un prêt de mille drachmes dont j'avais un pressant besoin. SOCRATE - Je te salue, ô
maître souverain des choses et des gens. LE BANQUIER - Maître souverain, c'est
beaucoup dire. Je ne suis qu'un humble banquier qui fait bien ses affaires.
Il faut le dire... et qui satisfait toujours sa clientèle. C'est bien là le
secret de ma réussite. SOCRATE - Ne sois pas aussi
modeste, mon cher banquier. Il possède tout celui qui est maître du crédit.
Il est plus puissant qu'un roi, l'homme qui a le pouvoir de fabriquer
l'argent LE BANQUIER - Je fabrique de l'argent
? SOCRATE - Bien sûr, tu as ce
pouvoir inouï qui met à tes pieds tous les gouvernements de la terre. A moins
que je ne me trompe, moi qui ne suis qu'un ignorant. LE BANQUIER - Certes, tu te trompes,
et lourdement encore. Non, c'est l'Etat qui crée les pièces et les billets. Moi,
je recueille l'argent que les honnêtes travailleurs me confient. J'enferme le
fruit de leur épargne dans mes coffres et lorsque quelqu'un présentant de
bonnes garanties, comme mon ami Aphron, vient me
demander un prêt, je le lui accorde en puisant dans cette réserve, moyennant
un modeste intérêt pour ma peine, cela va de soi. SOCRATE - Ainsi, l'argent que
l'on dépose chez toi est le même que celui que tu prêtes. LE BANQUIER - Evidemment, Socrate, où
veux tu en venir ? SOCRATE - A ceci, admettons
qu'une nouvelle banque soit créée et que dix personnes viennent déposer mille
drachmes. Le nouveau banquier aura donc 10.000 drachmes en caisse. LE BANQUIER - Oui. SOCRATE - Supposons encore qu'un
onzième citoyen vienne emprunter 1000 drachmes, la banque lui ouvrira un
compte crédité de ce montant. LE BANQUIER - C'est bien ainsi. SOCRATE - Et si un des déposants
veut ensuite retirer ses mille drachmes, montant de son compte, le banquier
lui dira : « Non, je ne vous en donne que 900 car j'ai prêté 1000
drachmes à une tierce personne, donc j'ai retiré 100 drachmes à chaque
déposant. LE BANQUIER - Mais non, Socrate, un
tel banquier ferait faillite. SOCRATE - Pourtant, si l'argent
emprunté est le même que l'argent déposé, ce que le banquier prête, il doit
le retirer de sa caisse. LE BANQUIER - Oui. SOCRATE - Or, sa caisse est
composée de l'ensemble des dépôts plus un petit capital de départ bien vite
évanoui. Donc il doit diminuer les comptes des déposants s'il veut prêter. LE BANQUIER - En fait, ce n'est pas
ainsi que l'on opère, le banquier est à peu près sur que tous les déposants
ne retireront pas leur avoir en même temps. C'est en se basant sur ce fait
qu'il peut prêter, sans diminuer les comptes. SOCRATE - Belle réponse, en
vérité et qui semble confirmer la thèse que le banquier ne fabrique pas
d'argent. Mais écoute encore ceci. Les déposants utilisent leur compte en
banque, sans pour autant RETIRER DES PIECES. LE BANQUIER - Oui, par le moyen de
chèques, ils m'ordonnent de passer de l'argent d'un compte à un autre. Ainsi,
sans retirer d'argent, ils paient leurs dettes. SOCRATE - Fort bien. Donc l'argent déposé sert à
payer, sans retirer de pièces de la banque, il suffit d'un simple ordre de
transfert d'un compte à un autre. LE BANQUIER - C'est cela. SOCRATE - Donc cet argent existe. LE BANQUIER - C'est ridiculement
vrai. SOCRATE - Mais l'argent emprunté
sert également à payer des dettes et on l'utilise comme celui des compte de
dépôts, par des ordres de transfert d'un compte à un autre. LE BANQUIER - Oui. SOCRATE - L'argent emprunté
existe donc aussi, mais comme il sert à des opérations différentes de celles
des comptes de dépôt, il a une existence indépendante. J'en conclus que
l'argent déposé et l'argent emprunté sont deux choses différentes. Comme on
ne t'a fourni que le premier, tu as fabriqué le second. LE BANQUIER - Mais enfin, c'est
absurde : moi, banquier, je reçois 10.000 drachmes de mes déposants en bonnes
pièces frappées par l'Etat. Lorsque je prête, les 10.000 pièces n'ont pas augmenté,
ce sont toujours les mêmes. SOCRATE - C'est on ne peut plus vrai. LE BANQUIER - Donc je n'ai pas créé
de monnaie. SOCRATE - En es tu bien sûr,
peux-tu me dire ce qu'est la monnaie ? LE BANQUIER - La monnaie est un signe
qui représente un pouvoir d'achat. SOCRATE - Si je comprends bien,
tout signe quel qu'il soit, quelle que soit sa nature, est de la monnaie s'il
représente un pouvoir d'achat. LE BANQUIER - C'est bien cela. SOCRATE - Donc si nous découvrons
que tu as augmenté le pouvoir d'achat, tu conviendras que tu as fabriqué de
la monnaie. LE BANQUIER - Je pourrais
difficilement le nier. SOCRATE - Supposons que les dix
déposants de tout à l'heure et l'emprunteur veuillent acheter chacun un
nouveau cheval. L'animal coûte 1000 drachmes la pièce, ils s'adressent à un
maquignon qui décide d'ouvrir un compte dans la même banque. Que va-t-il se
passer ? LE BANQUIER - La chose est simple. Les onze hommes
m'adresseront un ordre de transférer le montant total de leur compte au
compte de leur créancier. SOCRATE - Donc les onze hommes seront débités chacun
de 1000 drachmes et le douzième sera crédité de 11.000 drachmes. LE BANQUIER - Certes. SOCRATE - Cependant, tu n'as
toujours que 10.000 drachmes en pièces
dans ta caisse. LE BANQUIER - Evidemment. SOCRATE - D'où viennent donc les
1000 drachmes supplémentaires, si tu ne les as pas créés. Tu vois bien que tu
as fabriqué pour mille drachmes de pouvoir d'achat supplémentaire, puisque
cette somme a servi à acheter un cheval qui, sans toi, serait resté entre les
mains du maquignon. LE BANQUIER - Par Zeus, Socrate, je
ne sais plus que te répondre. LES LIMITATIONS DE LA CREATION MONETAIRE Pour limiter ce pouvoir de création monétaire du
réseau bancaire, les Banques centrales intervinrent sur le marché monétaire.
Cette politique est reconnue, en France, depuis 1938, mais n'est réellement
officielle que depuis avril 1966. Elle consiste, pour la Banque centrale, à
acheter où à vendre sur le marché monétaire des effets privés ou publics,
Bons du Trésor, papiers commerciaux, effets de commerce, de manière à
accroître ou à diminuer les ressources des banques. La Banque centrale crée
alors de la monnaie en achetant des titres et, inversement, elle la détruit
ou réduit en les vendant. L'efficacité de cette mesure peut avoir des effets
négatifs. En période d'inflation par exemple, le taux de l'argent sur le
marché monétaire peut avoir des niveaux tellement élevés que les autorités
monétaires n'épongent que partiellement les liquidités. Aux Etats-Unis, c'est en 1913 que le FED, Réserve
Fédérale américaine de droit privé, qui réunissait 12 banques fédérales, fut
créé par le Reserv Federal
Act (23.12.1913). Celui-ci lui accorda le monopole
d'émission du dollar. A sa création, le FED intensifia le système de réserves
en monnaie centrale que les banques avaient pris l'habitude de tenir par
sécurité, mais il exigea que ces réserves soient portées jusqu'à 100 % de
tous les dépôts. Le FED restreignît ainsi très fortement le pouvoir bancaire mais
les exigences des consommateurs de crédit lui firent vite desserrer cette
norme d'honnêteté garantissant la stabilité du pouvoir d'achat du dollar. Il
s'agissait là de la politique dite aujourd'hui des réserves obligatoires - ou
de couverture fractionnaire - qui exige que les banques conservent à la
Banque centrale un pourcentage variable de leur encaisse en monnaie centrale,
non rémunérée, défini par rapport à leurs dépôts. Ces dernières années, ce
taux variait aux Etats - Unis entre 8 et 14 %. En France, cette mesure fut
introduite par un décret du 9 janvier 1967. Elle est dotée depuis 1985 d'une
série de coefficients d'assouplissement qui ne modifie pas profondément le
système antérieur. Le système des réserves obligatoires est très diversement
interprété selon les gouvernements et les traditions monétaires des Etats.
Pour les uns, il a pour effet de stériliser les dépôts. Pour les autres, il
associe la Banque centrale à la création de moyens de financement et limite
la création monétaire ex nihilo, c'est-à-dire sans contrepartie, en obligeant
les banques à se refinancer
auprès de la Banque centrale. Quand une banque crée de nouveaux moyens de
financement ex-nihilo, elle est obligé de reconstituer des réserves à la
Banque centrale dans une proportion
imposée. Si celle-ci élève son taux de réescompte ou vend des effets sur le
marché monétaire interbancaire, la banque commerciale devra renoncer à créer
- ou créera moins - de signes monétaires ex-nihilo. Le maniement du taux de réescompte, l'intervention
sur le marché monétaire et les réserves obligatoires constituent aujourd'hui
les trois principaux instruments de régulation de la création monétaire que
les autorités monétaires manient plus ou moins simultanément en fonction de
la conjoncture internationale et des objectifs économiques nationaux. Ainsi, si l'instrument favori de la limitation
monétaire reste, au Royaume Uni, le réescompte, la Banque de France, depuis
1971, lui préfère les interventions sur le marché monétaire par l'achat ou la
prise en pension des effets commerciaux privés ou publics. De 1972 à 1984, les autorités monétaires
juxtaposèrent des réserves obligatoires supplémentaires aux réserves
obligatoires ordinaires. Les crédits destinés à l'exportation, aux économies
d'énergie, aux logements sociaux n'y étaient pas assujettis. Par cet
encadrement du crédit, on entendait ainsi favoriser certains secteurs
porteurs ou conjoncturellement privilégiés. ECONOMIE DE MARCHES FINANCIERS ET ECONOMIE D'ENDETTEMENT De nos jours, les économies des pays
industrialisés sont classées en deux catégories : économie de marchés
financiers et économie d'endettement (I et II pour l'OCDE). L'économie de marchés financiers, à laquelle se
rattachent les Etats-Unis est une économie de finance directe. Dans ce
système, c'est par l'émission de titres que les agents économiques collectent
directement dans le public leurs moyens de financement. Il importe que les
besoins d'investissement soient égaux ou inférieurs à l'épargne réalisée, le
niveau d'autofinancement des entreprises doit y être très élevé. Par contre,
l'Etat est structurellement endetté et se finance par l'émission de Bons du
Trésor. Ainsi, nous remarquerons l'importance du marché obligataire, Bons du
Trésor, Obligations Assimilables au Trésor, dans ce type de système,
notamment aux Etats-Unis. Sur le marché financier, le taux d'intérêt est le
taux d'équilibre des fonds prêtés. La Banque centrale vend et achète des
titres sur le marché monétaire mais elle n'est pas prêteur en dernier ressort contraint . Les agents
économiques se financent donc sur le marché des capitaux; C'est ici
qu'apparaissent les dangers de ce système, qui, par l'internationalisation
des marchés financiers, peut déstabiliser les grands équilibres monétaires en
accroissant démesurément les flux financiers spéculatifs au détriment des
besoins d'investissement locaux. L'économie de marchés financiers se
caractérise par un financement direct. L'appel aux marchés étrangers, une
importante dette de l'Etat, des taux d'intérêt d'équilibres et des
interventions fréquentes de la Banque centrale sur le marché monétaire
interbancaire. L'économie d'endettement, à laquelle se rattachait
davantage la France, est une économie de finance indirecte. Dans ce système, c’est
par le crédit que les agents se procurent les moyens de leur
financement. Dans ce modèle, les
besoins d'investissement sont supérieurs à l'épargne réalisée. Le niveau
d'autofinancement des entreprises est faible. Les intermédiaires bancaires ne
peuvent pas se limiter à un refinancement sur le marché monétaire. Ils créent
alors des signes monétaires « ex nihilo » sous réserve des dispositions
réglementaires, en l'occurrence des
réserves obligatoires, et font appel au refinancement de la Banque centrale
pour réescompter leurs papiers commerciaux, celle-ci étant « prêteur en dernier ressort
contraint ». Sur le marché, le taux d'intérêt résulte donc des
possibilités de création monétaire qu'accorde la Banque centrale par ses
interventions sur le marché monétaire. Ce taux d'intérêt du marché monétaire
(TMM) n'est donc plus un taux d'équilibre entre l'offre et la demande de
monnaie. Il sert de frein ou d'accélérateur à la création monétaire. C'est
ici qu’apparaît le danger de l'économie d'endettement car la Banque centrale
doit subir la double contrainte du taux d'intérêt et du volume de création
monétaire qu'elle accorde pour poursuivre les objectifs de la politique
économique. Les caractéristiques de l'économie d'endettement peuvent se
définir par un refinancement indirect, une Banque centrale prêteur contraint, des taux d'intérêt
d'intervention et un manque d'autofinancement des entreprises. Il faut noter que la France, depuis le rapport Marjolin, Sadrin et Wormser, de
1969, se rapproche de l'économie de marchés financiers. Dans cet esprit, la
création monétaire consécutive aux déficits budgétaires (concours de la
Banque de France au Trésor) fut réduite dès 1973, elle atteignait une dizaine
de milliards de francs, en 1985. En contrepartie, est apparue sur le marché
obligataire toute une série de produits financiers, Obligations Assimilables
au Trésor (OAT) et Bons du Trésor Négociables (BTN) qui accrurent le montant
de la dette publique à hauteur de six mois du Produit Intérieur Brut (cf.
Tableau I). La moyenne de la dette publique des pays de l’OCDE atteignait 70
% du PIB en 1995 contre 40 % en 1975. En France, les intérêts de la dette
d’Etat couvraient 4,8 % des recettes fiscales en 1980. Ils s’élevaient à 19 %
en 1995, soit 72 % de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. TABLEAU I : CROISSANCE DE LA DETTE DE L’ETAT en
milliards de francs
source : Rapport du CES sur l’endettement public Journal Officiel du 9 avril 1996 ELEMENTS DE CRITIQUE Depuis le cours forcé du franc en 1914, et plus
encore aujourd'hui, la monnaie ne se définit plus par rapport à une encaisse
métallique, or ou argent. A cette conception matérialiste de la monnaie des
siècles passés, répond maintenant une conception nominaliste où le règlement
est garanti par un simple jeu d'écriture : la monnaie ex nihilo. L'économie de marchés financiers, à échelle
internationale, présume que les épargnes globales mondiales soient égales ou supérieures
aux besoins d'investissement globaux mondiaux. Ici apparaît l'idée d'un
équilibre mondial voire d’une globalisation financière régulée par les
marchés. En effet, si cet équilibre n'existait pas, on pourrait supposer une
création monétaire qui, par un système de péréquation, ne pénaliserait aucun
espace économique déterminé. Ceci impliquerait une autorité internationale,
fut-elle laissée aux marchés financiers tout d’abord, chargée de réguler
cette péréquation de création monétaire dans l'espace afin que la charge
inflationniste que cette création pourrait contenir soit diluée dans chaque
espace national par des mouvements financiers transnationaux. L'économie d'endettement présume, de son côté, une
création monétaire ex nihilo. Si l'on peut excuser le silence de certains
auteurs qui, dans leurs travaux, semblent se satisfaire du mode actuel de
création monétaire, et ignorer la démarche de Douglas, on ne peut leur
pardonner d'oublier les nombreuses critiques qu'émit Jacques Rueff, notamment
dans son rapport de 1958, à l'égard de ce mode de création monétaire. Ce
dernier ne cessa de dénoncer le caractère inflationniste de la création
monétaire ex-nihilo. Ainsi, pensait-il, en créant de la monnaie en
contrepartie d'une distribution de crédits, le réseau bancaire transfère un
pouvoir d'achat aux bénéficiaires de crédits sans que, simultanément,
quelqu'un renonce à un pouvoir d'achat correspondant. Pour Jacques Rueff,
cette création de « faux droits » peut donner l'illusion de la
prospérité aux bénéficiaires de crédits, mais ce qu'ils reçoivent est
nécessairement prélevé sur d'autres. C’est pourquoi l'inflation, la
dépréciation monétaire, représente a posteriori une forme d'imposition,
c'est-à-dire un transfert forcé de ressources. Le mode de création monétaire actuel par
duplication de faux droits, et sa distribution aux plus offrants, entraînent
un nouveau partage de la valeur ajoutée dans lequel l’offre de travail est
sous haute surveillance. Le travail est sous la garde tutélaire du capital
alors qu'il conviendrait, comme le réclamait P.J. Proudhon, que « le premier, qui a toujours obéit,
commande, et que le second, qui a toujours commandé, obéisse » («Le
Peuple», nov.1848). Les ingrédients nécessaires à l'alimentation de
cet impôt inflationniste que les flux monétaires ne peuvent chasser nous sont
connus, Jacques Rueff les a admirablement analysés : « Un
économiste allemand qui joua quelque rôle sous Hitler, Wagemann,
a écrit, dans un livre publié pendant la guerre, que « le travail
scientifique le plus important des français, en matière monétaire, était le
grand roman de Zola : « L'Argent ». Bien que comme modeste auteur
d'une « théorie des phénomènes monétaires », je me
sente quelque peu visé,
je montrerai que je n'ai pas de rancune en répondant à Wagemann, que l'Allemagne, elle, a donné au monde son
plus grand théoricien de la monnaie. Il est vrai que ce n'était pas un
économiste, puisque c'est Goethe qui, dans le second Faust, a montré
clairement que l'inflation était et ne pouvait être qu'une invention du
démon. Méphistophélés, temporairement déguisé
en fou du roi, inspire au chancelier la formule « grosse de destinées,
qui convertit tout mal en bien et fait savoir, à tout un chacun, que ce
papier vaut mille couronnes et pour garantie certaine, un nombre défini de
biens, encore enfouis dans le sol de l'empire ». La théorie du change et
celle du plein emploi sont complètement exposées: « il sera impossible
d'arrêter le papier dans son vol, les billets se dispersent avec la rapidité
de l'éclair. La boutique des changeurs est toute grande ouverte; on y honore
chaque effet par l'or et l'argent, avec quelque rabais à la vérité (déjà la
dépréciation monétaire). De là, on se rend chez le boucher, cher le
boulanger, chez l'aubergiste. La moitié du monde ne rêve que de festins,
tandis que l'autre se pavane dans des habits neufs. Le mercier coupe, le
tailleur coud (le plein emploi). Le vin jaillit dans les tavernes aux cris de
« Vive l'Empereur » (les avantages politiques de l'inflation). Mais
le héraut, qui commente la fête, en dénonce déjà les graves conséquences:
« Comme elle happe tout, la chère multitude. Le donneur en est assailli.
Il pleut des bijoux comme dans un rêve, et chacun veut en avoir quelque
chose. Mais ce qu'ils saisissent avec tant d'avidité ne leur profite guère:
les trésors leur échappent aussitôt. Le collier de perles se brise et le
pauvre diable n'a plus, dans la main, que des scarabées: il les secoue et les
voilà qui bourdonnent autour de sa tête. Les autres, au lieu de biens solides,
n'ont attrapé que des frivoles papillons ». N'en doutez pas: le poète a
vu plus clair que la plupart des économistes, il a compris et clairement
montré que l'inflation était l'oeuvre du diable,
parce qu'elle respectait les apparences en ne détruisant que les réalités...
Elle donne aux salariés des revenus croissants, mais dès qu'elle les a fait
goûter au niveau de vie qu'ils promettent, elle l'amenuise sournoisement par
la hausse des prix... Ne croyez pas surtout que cette diminution du pouvoir
d'achat soit occasionnelle et subalterne, elle est l'essence même du
mécanisme inflationniste... Dorénavant, seuls défendront leur niveau de vie
ceux qui sauront obtenir l'ajustement constant de leurs salaires à des prix
constamment croissants. La fidélité à l'organe revendicateur, plus que la
fidélité à la tâche, vaudra sécurité et bien-être. Ainsi, le diable n'aura
plus à craindre qu'une morale du travail attache l'homme au devoir quotidien.
Dissimulé derrière l'inflation, il a, en ricanant, appris aux travailleurs
que c'est en travaillant peu ou en travaillant mal qu'ils cueilleront le plus
de fruits » [22]. Les faux droits, ou crédit ex nihilo, créés par le
système financier par anticipation d’une virtuelle production engendre
l’inflation et corrompt les rapports sociaux. Ces faux droits, convertis en
moyens de financement par la Banque centrale, n’ont pour contrepartie que des
promesses à payer ultérieurement. Ils constituent une dette qui devra être
remboursée, capital et intérêt, par tous les agents économiques. LA MONNAIE FRANCHE DU CREDIT SOCIAL Dans le mode de création monétaire proposé par
Douglas, concepteur du « Social Credit »,
ce n'est plus la dette, qu'elle soit le fait de « faux droits », de
création monétaire ex-nihilo, ou d'émission de titres obligataires, qui
finance les besoins de l'économie. C'est le niveau de l'offre, des prix
collectifs à payer pour les biens consommables dans le pays, qui détermine le
montant de la monnaie, des moyens d'achat, à émettre ou à détruire. Il n'y a
plus d'intermédiation. La monnaie nouvelle créée intervient comme la soulte
de l'échange, le régulateur des marchés, et le stabilisateur des prix. Dans l'hypothèse où les besoins d'investissement
sont inférieurs ou égaux à l'épargne réalisée, l'Institut d'émission monétaire
n'a pas à intervenir. Par contre, si au terme d'une période déterminée, par
exemple mensuelle, il s'avère que les moyens de paiement, le pouvoir d'achat
disponible entre les mains de la population, sont inférieurs aux prix
collectifs à payer, cela signifie que les agents économiques ont accrû leur propension marginale à épargner. Leurs
épargnes sont devenues, ou vont devenir, des investissements sociaux ou
productifs, qui se traduiront par de nouvelles richesses créées. Il ne
disposent alors plus de moyens de paiement suffisants pour obtenir les prix
collectifs à payer pour les biens consommables mis en vente. Le mécanisme
créditiste décrit par Douglas doit alors jouer. La Banque centrale doit
émettre de nouveaux moyens de paiement additionnels, à hauteur des prix
collectifs à payer. C'est la monnaie de crédit social. La création monétaire
n'est plus anticipée, elle est simultanée à la renonciation d'un pouvoir
d'achat correspondant. Dans l'hypothèse inverse, le pouvoir d'achat global
est supérieur aux prix collectifs à payer, cela suppose que les agents ont
limité leur propension marginale à épargner ou ont désinvesti, cela signifie, a priori, que le taux
d'épargne désiré est atteint ; autrement dit, que les citoyens jugent la
croissance suffisante. Dans ce cas, la Banque centrale doit retirer les
moyens de paiement excédentaires en circulation par un mécanisme
d'annulation, de destruction, sur la consommation. La monnaie de crédit
social destinée à la consommation est donc temporaire et non thésaurisable.. On notera que dans ce mécanisme de régulation
monétaire, le rapport Prix collectifs à payer / Moyens de paiement reste
fixe. Comme l'a défini Douglas, le véritable coût de la production, c'est la
consommation qu'elle a exigée.
L'émission de la monnaie de Crédit Social n'anticipe plus la
production nouvelle. Elle vient compléter les moyens de paiement en
circulation pour équilibrer la demande au niveau de l'offre existante. Il n'y
a plus de processus inflationniste, tel que décrit précédemment et sur lequel
nous revenons plus loin. Ce principe admis, chacun reste libre d'épargner
ou de dépenser, par la consommation, son pouvoir d'achat. Douglas a introduit
ici deux notions distributives autorisant l'ajustement des prix et le plein
revenu : 1- L'escompte compensé ou prix compensé : Le prix
compensé suppose que les prix collectifs à payer soient escomptés à la
consommation afin qu'ils atteignent le niveau des moyens de paiement entre
les mains de la population. Cet escompte est compensé au producteur et aux
détaillants par la Banque centrale. 2- Puis les dividendes nationaux ou revenus
sociaux que nous appelons dividendes familiaux : C'est la reconnaissance
contractuelle du droit de tous et chacun à une part de la production, le
droit mutuel reconnu à chaque famille à l'autonomie financière. Cette
reconnaissance doit s'effectuer dans la répartition des revenus disponibles,
d'une part, par les dividendes familiaux, au titre de l'investissement
humain, et d'autre part, par la rémunération de l'activité productive, au
titre de l'investissement matériel. Ces dividendes familiaux pourraient
progressivement déplacer les salaires pour constituer la base d'un pouvoir
d'achat garanti à chacun, quelque soit la dynamique de la croissance. A l'inverse, le système monétaire actuel, par le
monnayage vicié et frauduleux qu'il a établi, engendre des revenus non
gagnés, arbitraires, qui ne reposent que sur le ratio taux d'inflation / taux
d'intérêt réel, au détriment des véritables actifs économiques, à savoir les
agents économiques composant les populations et les biens et services créés. DES REVENUS NON GAGNES Maurice Allais, prix Nobel d'économie 1988, dans
son ouvrage « L'impôt sur le capital et la réforme monétaire »
(Hermann 1977), s'est attaché à démontrer les vices actuels de la création
monétaire, et continuant la réflexion d'autres économistes, a expliqué la
nécessité d'un retour à un intégral taux de couverture à 100 % de tous les
dépôts. Il écrivait ainsi: « Alors
que pendant des siècles l'Ancien Régime avait préservé jalousement le droit
de l'Etat de battre monnaie et le privilège exclusif d'en garder le bénéfice,
la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce
privilège à des intérêts privés. Ce n'est pas là le moindre paradoxe de notre
époque ». Ce droit est aujourd'hui laissé à des
intermédiaires, les banques, qui créent la monnaie en fonction de la demande
de crédit des agents économiques, et est entretenu par le laxisme des
pouvoirs publics, les oligopoles syndicaux et les lobbies industriels et
financiers. Nous avons vu que cette création monétaire ex -nihilo, de faux
droits, est limitée par le système des réserves obligatoires que les banques
doivent conserver auprès de la Banque de France afin de garantir leurs
liquidités. Ce système de couverture par les réserves obligatoires, s'il
réduit momentanément le pouvoir de création monétaire des banques, ne leur
retire aucunement ce privilège. Il réduit momentanément l'inflation mais ne
l'arrête pas. D'autant que depuis 1914, la monnaie n'a plus d'équivalence
matérielle. Maurice Allais ne dit rien d'autre: « Au XIX e siècle, il y avait un seuil pour
l'inflation qui ne pouvait pas être dépassé en raison de la convertibilité or
des monnaies. Aujourd'hui, les monnaies sont détachées de tout support réel
et il n'y a plus de limites à l'inflation ». M. Allais ne prêche pas
pour autant un retour à l'étalon or. « La
démonétisation de l'or a constitué un grand progrès, mais malheureusement, à
l'erreur des régimes d'étalon or du passé, on a substitué une autre erreur,
tout aussi nocive, celle de la multiplication des moyens de paiement, créés
par simples jeux d'écritures, dont la conséquence est l'inflation avec toutes
ses séquelles: l'inefficacité de l'économie, le gaspillage du capital, la
multiplication des injustices et le désordre social ». L'Etat est, de sorte, moins porté à adopter une politique
contraignante. Il lui est facile alors de rembourser ses prêteurs en monnaie
dévalorisée, et il ne se gêne pas ! Par exemple, « l'Etat a imposé l'acquisition d'obligations aux organismes de
prévoyance (Caisse de retraite), ainsi l'ensemble des épargnants ne peut
échapper à la spoliation de l'épargne mobilière en obligations. (...) Comment
peut-on qualifier sérieusement une telle société de libérale ? Comment ne pas
voir combien elle est potentiellement très proche de l'Etat totalitaire et
qu'elle ne fait que le préparer ? ». D'autant que l'inflation
aboutit, à terme, à la dévaluation. Dévaluations qui ont jalonné l'histoire
du franc depuis 1914. Il ne faudrait pas perdre de vue, en effet, la
signification profonde d'une dévaluation. Au delà de l'apparence immédiate
qui permet à nos produits de mieux s'exporter et de reconquérir le marché intérieur,
la dévaluation consacre la dépréciation du signe monétaire, c'est-à-dire la
perte de pouvoir d'achat que procure la monnaie, ou plus concrètement encore,
elle oblige à plus de productivité pour atteindre le précédent pouvoir
d'achat. Chaque dévaluation diminue la valeur de l'effort effectué. Enchaînement logique, une productivité toujours
plus élevée est nécessaire pour maintenir, malgré les progrès de la science
et de la technique, la décence du niveau de vie. C'est ainsi que nous
arrivons à une société productiviste, improprement qualifiée de consommation.
La création de faux droits, de pouvoir d'achat
ex-nihilo est généralement niée par beaucoup, ou pour le moins
amoindrie. Si vous posez la question à votre banquier, il vous répondra sans
doute « qu'à l'augmentation de la
masse monétaire qui résulte à un instant donné d'un compte courant créditeur
à un opérateur succède une diminution lorsqu'à un instant ultérieur
l'opérateur rembourse à la banque le montant de son prêt ». Il en
est, en effet, bien ainsi, mais la banque prête de nouveau les fonds qui lui
sont remboursés, et renouvelle constamment cette opération, ce qui aboutit à
un accroissement permanent de la masse monétaire. De plus, « la création de monnaie ne se limite
pas à la partie non couverte des dépôts à vue et elle s'étend pour une grande
part aux dépôts à terme. Si les délais sont relativement courts la
substitution dans les encaisses des dépôts à terme aux dépôts à vue est
presque totale, et la création de monnaie tout à fait comparable à celle
correspondant aux dépôts à vue ». Dans le même ordre d'idées, « le financement d'investissements longs avec des liquidités à
court terme entraîne une distorsion des taux d'intérêt défavorable à la
réalisation d'une situation d'efficacité maximale pour l'économie ».
En effet, dans un contexte inflationniste, les taux d'intérêt réels,
c'est-à-dire déduction faite du taux d'inflation, à long terme, tendent à
être artificiellement bas puisque l'épargne parait abondante tandis que les
taux réels à court terme en subissent le préjudice en se gonflant, ce qui
bien évidemment pénalise la relance. « Ce
qui est essentiel », continue Allais, « c'est
que toute monnaie créée par ce processus (ex-nihilo) donne lieu à un pouvoir
d'achat qui en général s'exerce immédiatement sur le marché. Il est certes à
tout moment compensé dans les écritures bancaires par l'inscription d'une
promesse à payer à l'actif de la banque, mais comme à cette contrepartie ne
correspond aucune abstention ailleurs quant à l'exercice d'un pouvoir
d'achat, il en résulte bien une augmentation nette du pouvoir d'achat qui se
présente sur le marché ». Il en est, par ailleurs, de même sur le marché des
actions et obligations où les banques prêtent autant qu'elles le peuvent. « La seule différence est qu'il
n'existe ici aucune disposition réglementaire relativement aux
réserves », ce qui aboutit sur le plan international à une
gigantesque escroquerie qui se révèle périodiquement par la désintégration de
bulles financières. Le mécanisme actuel du crédit repose sur deux
processus. Dans le premier, les épargnes sont mobilisées et prêtées. Il n'y a
qu'un simple transfert de pouvoir d'achat. Dans le second, ce sont les
encaisses disponibles à vue qui sont prêtées pour financer des achats de biens
de consommation ou d'investissement. Il y a duplication du pouvoir d'achat et
création d'un nouveau pouvoir d'achat ex nihilo. C'est sur la confusion de
ces deux processus, pourtant fondamentalement différents, que s'appuient tous
les défenseurs du système actuel du crédit. Après avoir ainsi analysé et
dénoncé les vices et effets pervers de l'actuel système de crédit, M. Allais
préconise dès lors le retour à l'Etat du privilège exclusif de la création
monétaire, droit régalien de battre monnaie qui s'articulerait autour d'une
réforme relativement facile à mettre en oeuvre. Les créditistes connaissent bien cette règle.
Maurice Allais l'énonce en deux principes: « - Le
domaine de la création monétaire doit relever de l'Etat et de l'Etat seul. Il
convient de lui donner une maîtrise totale de la masse monétaire. - Il
convient d'éviter toute création monétaire autre que celle de la monnaie de
base de manière que personne en dehors de l'Etat ne puisse bénéficier de faux
droits résultant actuellement de la création de monnaie bancaire,
c'est-à-dire de manière que toute dépense trouve son origine dans un revenu
effectivement reçu. Ces deux principes impliquent que tout dépôt à partir
duquel ces paiements peuvent être effectués soit intégralement couvert en monnaie
de base ». Il s'agit là d'interdire au réseau bancaire de
créer de la monnaie ex-nihilo, scripturale à partir des dépôts à vue, mais,
et là est l'innovation par rapport aux précédentes études, également à partir
des dépôts à terme. Ainsi les banques ne pourront plus prêter à long terme
avec du court terme, elles ne pourront plus prêter que les fonds dont elles
disposent, le moyen terme et le long terme pour le moyen terme, le long terme
pour le long terme, ou en empruntant sur le marché interbancaire ou à la
Banque centrale. De sorte que la Banque centrale, dans ce système, n'est plus
prêteur en dernier ressort contraint. De fait, cette proposition, dans son principe,
n'est pas nouvelle. Elle était déjà inscrite dans le Reserv
Federal Act de 1913 qui devait
donner naissance au FED. Elle fut l'objet d'une réflexion d'économistes
américains en 1933, appelée « Manifeste de l'Ecole de Chicago » qui
préconisait le « 100 % Money »; Ce plan du 100 % monnaie, ainsi que
les travaux de Milton Friedman et surtout d'Irving Fisher, prévoient
également la dissociation de la création monétaire et de l'activité bancaire,
mais « la couverture intégrale des
dépôts à vue ne saurait suffire pour assurer cette séparation et là se
trouvait le défaut essentiel du plan de l'école de Chicago et d'Irving
Fisher ». M. Allais, ici, ne se contente pas de réclamer un
taux de couverture à 100 % sur tous les dépôts à vue, mais également sur tous
les dépôts à terme, de façon à ce « qu'un
prêt d'un terme donné soit financé à partir d'un emprunt de terme au moins
aussi long ». Pour ce faire, il conviendra de répartir et de
redéfinir les fonctions des banques et intermédiaires financiers en deux
types d’établissement: - Les banques de dépôt qui assureront la garde des
dépôts en monnaie de base et les opérations d'encaissement et paiement. Il
leur sera interdit de se livrer à quelque opération de prêt que ce soit,
étant entendu que ces dépôts seront disponibles à vue. - Les banques de prêts « qui assureront le négoce des promesses à payer. Il sera
interdit à ces banques de recevoir des dépôts à vue et d'effectuer des
encaissements ou des paiements pour le compte de leurs clients. Elles devront
avoir l'obligation de publier la distribution des éléments de leurs actifs et
de leurs passifs suivant leur maturité ». Ainsi, un emprunt à moyen terme ne pourra
être utilisé et prêté qu'à moyen terme, le taux de couverture à 100 % étant
là aussi exigible. Cependant M. Allais estime que « les dépôts à terme dont le délai d'échéance est de moins de 3
mois pourront être transformés en dépôts à vue ». La traite à court
terme (moins de trois mois) est ici assimilé à un dépôt à vue. Nous retiendrons cette classification pour
déterminer le crédit social. La politique des contreparties monétaires s'écrit
alors ainsi : - La totalité des dépôts gérés par les banques de
dépôts aura une couverture à 100% en
monnaie de base: billets, pièces et dépôts à la Banque de France (BDF). - La totalité des prêts consentis par la banque de
prêts aura une couverture à 100% constituée par des emprunts à terme
identique, ou plus long, qu'elles auront effectués auprès du public ou de la
BDF. Toute utilisation d'un moyen terme pour financer un terme plus long
deviendra frauduleux et aisément contrôlable. Cette dissociation des activités de dépôt et de
prêt des banques, couverts à 100%, permet ainsi de rendre impossible toute
création monétaire en dehors de la monnaie centrale (de base), et fera
disparaître les dérèglements et déséquilibres provenant de l'utilisation de
moyen terme sur du long terme. Cette séparation demandera la facturation
effective des opérations bancaires, estimée à 2 %, puisque nous savons que « la différence entre la moyenne des
taux d'intérêt actifs (c'est-à-dire des taux d'intérêt reçus par les banques)
et la moyenne des taux d'intérêt passifs (c'est-à-dire payés par les banques)
est de l'ordre de 2 % ». Enfin, cette dissociation permettrait également: «- l'expansion
de la masse monétaire globale aux taux souhaités par les autorités
monétaires. - « le
retour à la collectivité des gains provenant de la création monétaire et
l’allégement en conséquence des impôts existants. - « un
contrôle aisé par l'opinion publique et par le parlement de la politique
monétaire et de ses implications ».
Il s'agit là, de toute évidence, de la première
mesure à faire adopter pour que notre économie s'affranchisse de la tyrannie
financière et retrouve son efficacité, d'une part; mais aussi pour que la
réforme créditiste puisse, par la suite, être appliquée. Ce n'est d'ailleurs
pas pour rien qu'elle constituait l'esprit de la première proposition de
l'analyse de Douglas. Remercions ici Maurice Allais d'avoir défriché, de si
belle façon, un terrain sur lequel se putréfient les grands équilibres
sociaux. Cette réforme comprise, Maurice Allais préconise
que « le volume de la monnaie de
base (ou monnaie centrale) soit augmenté chaque année à une allure régulière
de manière à assurer une croissance de niveau moyen des prix de l'ordre de 2
% l'an. A cet effet, le taux d'accroissement de la monnaie de base pourrait
être fixé chaque année par la loi à une valeur égale au taux d'accroissement
du PNB réel majoré de 2 % (ou 0,25 % par trimestre) ». Il s'agirait d'équilibrer le taux d'accroissement
de la monnaie de base, devenue la seule monnaie créée, à la croissance de la
production nationale réelle (hors inflation), majorée de 2 % afin de ne
pas freiner l'expansion, et d'assurer constamment une demande globale
suffisante pour permettre l'écoulement effectif de cette production à des
coûts lentement croissants. Ainsi, l'émission de la monnaie s'équilibrerait
sur le mouvement de la production, telle que le proposait déjà Douglas. Cependant Maurice Allais n'étudie pas et n'évoque
pas les possibilités de créditer directement la demande des consommateurs par
l'augmentation de la monnaie de base dont il conçoit, par ailleurs, très bien
la fixation par trimestre, majorée de 0,25 %. Il n'évoque pas la possibilité,
comme nous le soutenons et souhaitons, d'allouer, tout aussi périodiquement,
à chaque citoyen, actif ou non, une part, identique pour chacun, de cet
accroissement monétaire sous forme de dividende familial. Il est pourtant
clair que ces dividendes familiaux assureraient à chacun un complément de
revenu indépendant de l'activité rémunérée, ce qui permettrait de supprimer
les revenus de transfert, actuels systèmes de redistribution, de retraite, de
santé, de chômage, et autres minima sociaux. De cette façon, les agents économiques seraient
parfaitement libres de diriger ces revenus vers l'épargne ou la consommation.
Il n'en reste pas moins vrai que, déjà, comme le reconnaît Maurice Allais,
ces premières propositions aboutissent à dessaisir les grands organismes de
crédit de la possibilité de créer de la monnaie scripturale, c'est-à-dire du
droit de battre monnaie, et à réserver à l'Etat seul le droit de créer de la
monnaie à une allure déterminée. Sans doute ces propositions ne peuvent que
susciter l'opposition de puissants intérêts et aller à l'encontre de nombreux
préjugés, mais il est certain que « les
mécanismes actuels du crédit reposent sur des bases pour une très grande part
irrationnelles, dont l'origine historique est tout à fait empirique, qui
n'ont jamais cessé de se révéler très dommageables, et qui n'ont jamais été
pensées très sérieusement, sauf par une minorité d'économistes, et cela aussi
bien en France que dans les autres pays d'Europe occidentale et aux
Etats-Unis ». Ces réflexions extraites de l'ouvrage de référence
de l'oeuvre de Maurice Allais (opus cité) peuvent
nous permettre de mieux comprendre les silences et les complicités tacites de
la majorité des politiques devant cette création monétaire ex-nihilo
inflationniste, et de cerner les différents groupes sociaux et organismes qui
en tirent un profit, non gagné par le travail, et qui, en fait, perdurent
grâce à elle. Elles nous permettent de mieux saisir les structures qui la
protègent, mais aussi ceux qui, en définitive la paient dans l'inflation ou
le prix de l'argent. Les premiers bénéficiaires de cet extraordinaire
privilège sont, bien évidemment, les banques qui gagnent autant qu'elles
prêtent. Plus elles prêtent, plus elles gagnent et plus grande est leur
sécurité. La chose est évidente pour tout le monde. Cependant, la chose est plus complexe, car
le mécanisme du crédit aboutit directement ou indirectement, sans que les
agents économiques concernés en soient conscients, à un transfert gigantesque de pouvoir d'achat au
profit de certains et au détriment des autres. Les uns et les autres appartiennent
à toutes les classes sociales. Or, ce mécanisme présente la caractéristique
essentielle de privilégier les revenus non gagnés au détriment des revenus du
travail. Et c'est contre cette tyrannie qui ne peut mener qu'au totalitarisme
et à l'oppression humaine que nous nous élevons. Et que dire « lorsque l'Etat », note
encore Maurice Allais, « c'est-à-dire
les hommes politiques qui détiennent le pouvoir de décision, par une
politique délibérée, poursuivie pendant des années, a toléré, sinon encouragé
et provoqué, une gigantesque inflation qui a dépouillé des millions de
français à une échelle jamais atteinte au cours des pires scandales qu’ait
connu le XIX e siècle
! » Qui doit alors posséder le pouvoir d'émission
monétaire, de contrôle de la masse monétaire et, par conséquence, de ses
stabilités interne et externe ? Posons la question. CHAPITRE II : L'USUROCRATIE COLLECTIVE OU LE DROIT D'AUBAINE « En 1840, lorsque j'ai publié (le) premier Mémoire sur la
propriété, j'ai eu soin de le distinguer de la possession ou simple droit
d'user. Quand le droit d'abuser n'existe pas, quand la société ne le
reconnaît pas aux personnes, il n'y a
pas, disais-je, droit de propriété, il y a simplement droit de possession.
(...) L'homme n'a pas plus le droit d'abuser de ses facultés que la société
d'abuser de sa force ». P.J. Proudhon (Théorie de la propriété, posthume, 1865.) « La formule, « jus uti et abu tendi » (le droit
d'user et d'abuser) est une expression païenne du droit de propriété ». J. Duperray, Docteur en théologie (La Question Sociale, Ed. SPES, Paris, nihil obstat - Imprimatur mai 1937) Transférer les droits oligarchiques des banques à
l'Etat, par le biais de la Banque de France n'éliminerait par le droit d'aubaine.
Tout au plus, de « seigneurial » qu'il était, ce droit deviendrait
« régalien ». Le pouvoir monétaire de l'Etat serait alors encore
plus dépendant du bon vouloir des gouvernants, c'est-à-dire des agents en
exercice du pouvoir collectif. En jetant un regard sur ce transfert, Pascal Salin
[23] s'interrogea sur les
vices monopolistiques qu'il pourrait engendrer. Sa première objection
concernait l’impôt d'inflation, c'est-à-dire la redistribution des revenus
effectuée par le biais d'une création monétaire inflationniste. Maurice
Allais y consacrait une large partie de son ouvrage. Par exemple, dans le cas
d'une création monétaire ex-nihilo, la valeur monétaire se déprécie, de sorte
que les possesseurs de monnaie voient fondre une partie de leur pouvoir d'achat
qui est affectée aux bénéficiaires des demandes de crédit. La monnaie
ex-nihilo, simple duplication de pouvoir d'achat, est alors créée au
détriment des épargnants, au bénéfice des emprunteurs. L'inflation qui en
résulte dépossède les uns d'une partie de leur pouvoir d'achat, qui est alors
redistribuée aux autres, tout comme le ferait un impôt. Pascal Salin souligne que si Maurice Allais
préconise, à juste titre, un taux d'inflation faible, par exemple de l'ordre
de 2 %, il est stupéfait de lire sous sa plume la suggestion selon laquelle « il conviendrait que tout l'impôt
d'inflation soit récupéré par la puissance publique et constitue l'un des
trois impôts importants du système fiscal ». En effet, la réforme
monétaire proposée par Maurice Allais suppose que les banques ayant besoin de
liquidités en monnaie centrale empruntent à la Banque de France à un taux
d'intérêt élevé aux taux des obligations de premier rang, diminué de 2 %,
intérêt qui apporterait des ressources à l'Etat provenant de l'accroissement
de la masse monétaire [24]. Certes,
continue Salin, « M. Allais
voudrait obliger les banques commerciales à n'émettre que de la monnaie gagée
à 100 % en monnaie de la Banque centrale. Or, si l'Etat devient seul
bénéficiaire de l'impôt d'inflation, comment penser que l'on pourra, mieux
que dans le passé, contrôler l'expansion monétaire ? Le laxisme des autorités
monétaires ne pourrait qu'être encouragé par le profit accru qu'elles
retireraient de l'inflation ». En l'occurrence, si dans le mode d'émission
monétaire actuel, toute création monétaire ex nihilo redistribue, par le jeu
de la duplication inflationniste, une partie des revenus épargnés au profit
des emprunteurs privés et publics, rien ne permet d'affirmer que l'Etat,
unique bénéficiaire de l'accroissement monétaire dans la réforme proposée par
Maurice Allais, limitera les ressources qui en résultent. Il serait ainsi
facile à la Banque centrale d'accorder davantage de prêts aux banques de
second rang que ne l'exige une situation de stabilité monétaire, et
d'accroître les rentrées non fiscales de l’Etat par l’impôt d’inflation, en
dégradant progressivement la fonction de réserve de pouvoir d'achat de la
monnaie, ce qui déprécierait d’autant la valeur réelle attendue de ses
Obligations émises auprès du public. Justifiant les ressources qui proviendraient de
l'intérêt nominal de 6 % des prêts accordés aux banques par la Banque de
France afin d'accroître la masse monétaire, M. Allais souligne que « ce complément de ressources ne
correspondrait pas à une charge supplémentaire pour l'économie mais à un
simple transfert à l'Etat des ressources correspondant à la création
monétaire qui sont actuellement distribuées plus ou moins aveuglement à une
foule de parties prenantes par le mécanisme du crédit ». Pourtant, si nous savons que le mécanisme
du crédit, actuellement, fait la part belle aux revenus non gagnés en
distribuant de la monnaie ex-nihilo, plus ou moins aveuglément, au détriment
des revenus gagnés et épargnés, rien ne saurait justifier la monopolisation
par l'Etat d'une partie des ressources monétaires créées. Ressources qui ont
pour contrepartie le travail des producteurs et l'échange réalisé grâce aux
consommateurs. Maurice Allais socialise ici l’intérêt, mais il ne
l'annule pas. Il octroie à l'Etat une partie de la richesse créée par
d'autres. Aucune justification morale ne saurait ici légitimer ce droit de
péage à la production et à la consommation.
Cet intérêt freine et limite la production comme la consommation,
soumettant les forces économiques à la puissance financière. L’économie est
alors contrainte de limiter son devoir de production de biens et de services.
En effet, « quiconque a reçu de la
Divine Bonté une plus grande abondance, soit de biens extérieurs et du corps,
soit des biens de l'âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son
propre perfectionnement et, également, comme ministre de la Providence, au
soulagement des autres » (Encycl. Rerum Novarum). Dès lors, aucun péage d'ordre financier ne peut
être légitime. Le consommateur a, quant à lui, le devoir de consommer et non
de thésauriser, afin que la production rencontre sa finalité qui est d’être
consommée et de perpétuer la vie. Pour cela il faut que les consommateurs
aient entre leurs mains suffisamment de moyens de paiement immédiat,
c'est-à-dire non épargnés et non investis pour être en mesure d’écouler la
production. DU DROIT D'ABUSER De quel droit l'Etat s'arrogerait-il un intérêt [25] sur le droit de vivre
et de produire des citoyens ? Ne s'agit-il pas là d'un droit seigneurial qui
ne repose que sur le droit de la force, du droit d'abuser de sa force ? « Et qu'on n'en appelle pas à la
providence de l'Etat, car l'Etat est postérieur à l'homme. Avant qu'il pût se
former, l'homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre et de protéger
son existence (Rerum Novarum). Le gain que procure l'argent prêté peut se
justifier quand il s'agit de compenser la privation d'un pouvoir d'achat
(taux réel) augmenté d'une prime de risque et d’une estimation de l'inflation
(taux nominal) ; mais dans le modèle proposé par Maurice Allais, il n'y a
aucune privation de pouvoir d'achat puisque cette monnaie est créée pour
autoriser l’échange qui sans elle n'aurait pas lieu [26]. Si cette monnaie n'est
pas émise, l’échange n'aura pas lieu, ou le bien sera vendu à sa sous valeur
sans compensation. La seule privation de pouvoir d'achat que l'on observe est
supportée par les agents économiques, producteurs et consommateurs,
contraints de réduire leur production et leur consommation. Il y a donc un
abus du pouvoir de l'Etat et socialisation de « l'usurocratie ».
Comme par ailleurs cette monnaie est, avec un cours forcé, seule à pouvoir circuler à l'intérieur du
pays, même si elle est mauvaise; le droit de produire, et par conséquent de
vivre, est subordonné à une usure de 6 %. Ainsi, si nous supposons que plusieurs monnaies
puissent circuler, les agents économiques pourraient emprunter en une autre
monnaie moins onéreuse. Et c'est cela que Pascal Salin exprime en doutant que
l'Etat, seul bénéficiaire de la création monétaire, saura se limiter aux
ressources que procure si facilement un accroissement monétaire rigoureux. Il
écrit ainsi : « Il y a une différence essentielle
entre un émetteur privé de monnaie et un émetteur public, à savoir que l’émetteur
public est seul à disposer des moyens de coercition, ce qui lui permet
d'imposer le cours forcé pour obliger les individus à utiliser la monnaie
qu'il émet, même si celle-ci est une mauvaise monnaie. Au lieu de dire que la
création monétaire est un attribut de la souveraineté, il conviendrait de
dire que le monopole de la contrainte dont dispose l'Etat lui permet de
détourner à son profit une activité économique qui est particulièrement
lucrative, surtout si, précisément, elle peut être instaurée en monopole
comme c'est le cas pour la création monétaire » [27]. P. Salin oppose ainsi un espace monétaire
concurrentiel à la réforme de Maurice Allais, estimant que par le jeu de la
concurrence, la monnaie qui, en définitive, sera la plus utilisée, sera la meilleure,
c'est-à-dire la moins inflationniste, alors que la situation de monopole
monétaire que s’octroierait l’état n'assurerait en rien contre l'inflation
puisque même avec un retour à une couverture de 100 % de tous les dépôts, si
les banques n'émettaient plus de monnaie ex-nihilo, la Banque de France
pourrait financer l'Etat sur ce qu'elle créerait alors directement par le
biais de prêts à l'économie non justifiés par la croissance. P. Salin prône
alors la privatisation de l'Institut d'émission. En effet, comment supposer
que l'on puisse donner une réelle autonomie à la Banque de France par le
biais d'une convention, d'une commission de surveillance, tant que la Banque
de France dépendra de l'Etat ? Il s'étonne que M. Allais puisse suggérer « le retour à l'Etat du privilège
exclusif de la création monétaire, d'autant qu'au cours de l'histoire la
puissance publique a confisqué un rôle monétaire qu'elle n'avait pas inventé
et qui ne lui appartenait pas (et qu'il ne convient donc pas de lui
« rendre ») ». Peut-on admettre cependant que l'Institut
d'émission monétaire appartienne et soit géré par un quelconque groupe qui
n'en aurait pas l'usage et le besoin pour produire et consommer alors que,
puisque la monnaie sert d'abord l'échange, son émission devrait être
contrôlée mutuellement et solidairement par les cocontractants de
l'échange, agents économiques
producteurs et consommateurs, entreprises et familles. DU POUVOIR D'EMISSION MONETAIRE « Le
idées courantes », nous dit Pascal Salin, « de
même que la pratique, ne font guère que traduire la croyance universelle
selon laquelle la création monétaire est un attribut de la souveraineté
(...). Ceux qui détiennent le pouvoir dans la nation ont utilisé les moyens
que leur donne cette position pour monopoliser la création monétaire. Même si
leur monnaie est mauvaise, c'est-à-dire qu'il y a de l'inflation, les
autorités imposent aux citoyens d'utiliser cette monnaie en imposant le cours
forcé ou différentes mesures de contrôle des changes, ce qui ne les gène nullement
pour proclamer que leur politique monétaire a pour but d'assurer le
« bien commun ». Et le plus
admirable est que l'on les croit, de même qu'on les croit lorsqu'elles
affirment que l'inflation est due à la hausse du prix du pétrole, aux
spéculateurs internationaux, aux complots des firmes internationales, au
désordre du système monétaire international, à l'anarchie des circuits
commerciaux, à la pluie et au beau temps, au manque de civisme des citoyens
et autres boucs émissaires » (opus cité). La chose est entendue, et nous n'avons de cesse de
bousculer toutes ces idées reçues et intellectuellement confortables. Il nous
faut aussi rappeler que si la France d'avant la création de la Banque de
France disposait de nombreux instituts d'émission, ces instituts régionaux et
communaux étaient assujettis à assurer une couverture or de 100 % à toutes
les émissions qu'ils pouvaient engendrer, sauf justement à déprécier la
valeur de la monnaie émise et à faire découvrir quelque retentissante
escroquerie s'il venait à l'idée aux déposants de retirer tout leur or. C'est
ainsi que la Maison de France dut procéder à de nouveaux ajustements de la
valeur du franc. Jean Rivoire dans son « Histoire de la monnaie »
(Que sais-je n° 227) remarquait bien sûr que l'affaiblissement des monnaies
pouvait répondre à une disette de métaux précieux :: « on fabrique davantage de pièces pour une même quantité d'or
et d'argent, répondant aussi aux besoins de l'économie, facilitant les
exportations de biens », mais que plus généralement « sa véritable justification est de
procurer des ressources à l'Etat. Ce n'est pas sans raison que Philippe Le
Bel passera dans l'histoire sous le nom de « roi faux monnayeur »
Signalons également que les Canonistes Saint Thomas d'Aquin et Nicolas Oresme
condamnèrent cette exploitation abusive par le souverain de son « droit
de seigneuriage », ou impôt d'inflation. Nous ne faisons ici que
soutenir et reprendre cette thèse. On a observé que les périodes inflationnistes et
déflationnistes correspondaient à la découverte de nouvelles mines aurifères
ou à la cessation d'exploitation de ces mines. De sorte que, comme le
rappelle justement P. Salin, il n'y eut pas, à proprement parler, de droit
régalien d'émission monétaire par le passé, encore que Saint Louis, dans une
sagesse prémonitoire disait que « le
premier devoir d'un roi est de frapper l'argent lorsqu'il en manque pour la
bonne vie économique de ses sujets ». Mais l'étalon or était, comme l'a très
justement défini Henri Moreau, « une digue élevée à hauteur des
encaisses détenues par la Banque de France ». On sait que cette « relique barbare »
qu'était l'étalon or fut peu à peu abandonnée, dans les faits, tout au long
du XIX e siècle, compte tenu de la faculté donnée aux banques d'émettre
autant de crédits qu'elles les désiraient, dans la mesure où elles
respectaient un certain niveau de réserves capable de satisfaire les demandes
de retrait de leur clientèle. Elle fut également abandonnée compte tenu de la
rapide expansion de la production des marchandises, de l'expansion plus
faible du stock d'or et de la capitalisation progressive de l'or mondial par
certains pays exportateurs; et dans les lois, par le moratoire et le cours
forcé de 1914, et la conférence de Gènes de 1922. Aussi, à défaut d'assurer
techniquement la stabilité monétaire par l'étalon or, Pascal Salin, reprenant
les propositions de Friedrick Von Hayek, envisage
un système de monnaies concurrentielles nécessairement flottantes dans lequel
« le marché sélectionnerait les
bonnes monnaies », c'est-à-dire les plus avantageuses. Mais le marché, en éliminant le monopole des
Banques centrales, n'éliminera pas pour autant l'oligarchie bancaire. En
effet, le marché ne peut supprimer le droit de seigneuriage, ou droit
d'aubaine, que constitue l'intérêt laissé à l'émetteur de monnaie. Il
remettra cet intérêt dans une sphère concurrentielle, le marché
monétaire, lui permettant de retrouver sa fonction de taux d’équilibre du loyer de la monnaie à court terme. Mais
dans les faits, le marché privilégiera les utilisateurs de monnaie,
emprunteurs et épargnants, manipulant les plus grandes surfaces financières,
offrant le moindre risque et la meilleure rentabilité. Le droit d’aubaine se
sera déplacé du public au privé. DROIT SEIGNEURIAL ET DROIT REGALIEN Ce droit de seigneuriage, qu'il soit
monopolistique ou oligarchique n'a aucune justification économique [28], si ce n’est celle de
réguler l'émission monétaire dans la pratique actuelle de crédit ex-nihilo
par duplication du pouvoir d'achat. Notons également qu'en préférant l'action
du taux d'intérêt à celui de la couverture à 100 % des dépôts, cette
politique assure à l'émetteur et à ses actionnaires (donc actuellement à
l'Etat) des ressources non gagnées puisqu'ils « ne sont pas les
propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils
administrent à leur gré » (Quadragesimo anno). C'est pourquoi nous affirmons que ce droit
d'aubaine peut être assimilé à une spoliation légale, en ce sens que l'Etat
abuse de ses facultés d'émission monétaire pour en tirer un profit non gagné
qui appartient aux acteurs responsables de l'échange grâce à qui il a pu
apparaître : les acteurs de la production et de la consommation. « Supprimez le droit d'aubaine en gardant la propriété et tout
sera changé », écrivait déjà Proudhon. Comment, en effet, justifier ce droit d'aubaine
s’il ne rémunère pas une privation de pouvoir d'achat et ne régule plus la
duplication monétaire rendue impossible ? S'il est possible de discuter de la
rémunération équitable d'un capital prêté en fonction de la richesse
provenant du travail qu'il peut engendrer, comment justifier la rémunération
d'un capital créé pour répondre à une nouvelle richesse, puisqu'en fait, en
dernier ressort, cette nouvelle richesse pourrait s'échanger, se négocier par
le troc, si les signes monétaires n'existaient pas, sans qu'il soit besoin de
l'amputer d'une partie de sa valeur au bénéfice de l'émetteur de monnaie
? L’apparition, ces dernières années, sur le
continent européen, de systèmes de troc multilatéraux, les systèmes
d’échanges locaux (SEL), confirme cette hypothèse. Dans ces systèmes, les
moyens d’échange ne portent pas d’intérêt, ni à l’émission, ni sur les
comptes créditeurs, ni sur les comptes débiteurs. Si stocker ces moyens d’échange ne présente
aucun avantage, être à découvert ne présente aucun inconvénient. Ainsi, la
seule utilisation rationnelle de ces
moyens d’échanges est de participer aux échanges des biens et services
proposés. La vitesse de circulation, de mains en mains, de ces moyens
d’échange, s’en trouve naturellement augmentée, accroissant corrélativement
la consommation et la production des biens et services du circuit. Certains
SEL dévalorisent d’ailleurs périodiquement les moyens d’échange détenus
depuis trop longtemps par les mêmes acteurs, afin d’inciter ceux-ci à les
échanger. Les SEL viennent ainsi pallier localement les carences des monnaies
officielles Ces moyens d’échange, inspirés de la monnaie franche de Silvio
Gesell (cf. infra), stimulent les échanges entre la production et la
consommation, décourageant la thésaurisation, et ne servent en définitive que
les populations locales. Des expériences semblables furent fréquentes dans le
passé en Allemagne dans les années trente et en France dans les années
cinquante. C’est également afin d’émettre une monnaie de
consommation que Louis Even proposa en 1964 des
lois provinciales de crédit social capables d'établir, dans chaque
province canadienne, des Offices provinciaux de crédit représentant
fidèlement le flux de production et de consommation en émettant la monnaie
nécessaire à la consommation des familles, par le dividende, et à la
production, par l'escompte compensé ou le bon d’achat Comment émettre et distribuer cette monnaie de
consommation, franche d’intérêt, que nous appelons crédit social ? Il s'agira
ici de subdiviser le volume d’émission monétaire, franc d'intérêt, au plus
bas niveau possible, entre les acteurs de l'échange, de sorte que chacun
d'entre eux puisse posséder une parcelle de pouvoir économique qui vienne se
contrebalancer, s’équilibrer au pouvoir de l'autre acteur contractant.
Cet équilibre des
pouvoirs s'inscrira dans une optique coopérative et associative dans
laquelle la répartition du crédit s'établit par le bas, contractuellement et
mutuellement. Or, qui décide aujourd'hui de l'emploi des crédits
à apporter aux agents économiques ? L'encadrement du crédit favorise tel ou
tel secteur économique sans organiser la répartition de ce crédit en fonction
des souhaits et besoins de chacun. Il
nécessite une planification étatique et donc d’une certaine socialisation du
système. Quant à la sélection par les taux, elle ne fait qu'accroître les
disparités sociales et territoriales. Elle réduit les possibilités de crédit
en élevant les taux d'intérêt directeurs, sous le prétexte que l'économie des
régions riches est en surchauffe, interdisant ainsi aux régions pauvres de
combattre la désertification économique qu’elles peuvent traverser [29]. En effet, deux espaces
géographiques, à consommation égale, peuvent produire différemment et, vice
versa, à production égale, peuvent consommer différemment. Il est donc
arbitraire d'émettre la monnaie nouvelle de façon identique, quant à son
volume, quant à sa destination et quant à sa mission, sauf à retomber dans
les erreurs précitées de l'encadrement du crédit ou de la distribution
aveugle à une foule de parties prenantes, en fonction de leur surface
financière et de la rentabilité attendue. La monnaie n'est que l'instrument de l'échange,
dans le temps. L'échange est un acte contractuel librement consenti entre les
producteurs et les consommateurs de biens et de services. Aussi, la monnaie
ne doit plus être la maîtresse des acteurs économiques mais leur servante.
Elle doit donc appartenir mutuellement et réciproquement aux entreprises et
aux familles, aux consommateurs et aux producteurs, les deux pôles
économiques. Ainsi, comme le disait A. Lincoln, « le besoin ressenti depuis longtemps d'uniformiser la monnaie
aux besoins sera satisfait. Les assujettis aux taxes seraient libérés des
intérêts ». Ce sera l’objectif de la monnaie de crédit social que
nous allons nous attacher à définir maintenant. CHAPITRE III : LES DIVIDENDES FAMILIAUX « Au lieu de porter atteinte au capital - ce qui est discuté par
beaucoup de personnes - contentons nous de faire admettre que le crédit est
un bien commun et non la seule propriété des banquiers. Distribuons le à tous les consommateurs de manière que
chaque année, les chefs de famille soient crédités d'un pouvoir d'achat
additionnel » C.H. Douglas (Economic Democracy, 1919) « C'est un axiome pour l'économie « bourgeoise » et la
civilisation mercantile qu'on n'a rien pour rien; axiome lié à la conception
individualiste de la propriété (...). Bien au contraire, la loi de l'usus communis porterait à poser que, du moins et d'abord pour
ce qui concerne les besoins premiers, matériels et spirituels de l'être
humain, il convient qu'on ait pour rien le plus de chose possible (...). Que la personne humaine soit ainsi servie dans ses nécessités primordiales, ce n'est après tout que la première condition d'une économie qui ne mérite pas le nom de barbare. Les principes d'une telle économie conduiraient à mieux saisir le sens profond et les racines essentiellement humaines de l'idée d'héritage; en telle sorte que tout homme, en entrant dans le monde, puisse effectivement jouir, en quelque façon, de la condition d'héritier des générations précédentes ». Jacques Maritain (Humanisme intégral) « Philosophie politique bâtie sur l'héritage culturel; Condition
d'héritier des générations précédentes. institution d'un nouvel organisme
financier. La démocratie économique légiférerait en faveur d'une distribution
plus véloce de l'immense productivité moderne ». Henri Moreau (Votre Avenir, 1962,
Bruxelles) Dans la réforme monétaire proposée par M. Allais,
nous avons vu qu'après avoir dissocié les activités de dépôts des activités
de prêts des banques, et modifié la législation en vigueur sur les réserves
obligatoires par un retour à un taux de couverture à 100 % des dépôts, à vue
et à terme, détenus par les banques auprès de la Banque de France, le système
bancaire ne pourrait plus accorder de crédit ex-nihilo, c'est-à-dire au delà
de ce qu'il détient en épargne déposée pour une durée identique ou plus
longue à la durée du prêt. Ainsi, la Banque de France retrouverait le
contrôle de la masse monétaire et serait en mesure d'accroître celle-ci en
fonction du taux d'accroissement de la production nationale réelle. La Banque
de France (BDF) ne serait plus tenue d'escompter les promesses à payer que
détiennent les banques, mais accorderait son concours à l'économie en
répondant aux emprunts lancés par le système bancaire auprès d'elle et auprès
du public, au prorata de l'accroissement de la production observé. Ainsi, si
lors d'une période, disons mensuelle, les indicateurs économiques de la BDF
notent un accroissement de la production comparé à la période précédente, la
BDF souscrirait aux emprunts lancés par les banques pour un montant égal à
l'accroissement observé. La BDF créerait ainsi la monnaie en fonction de
l'accroissement de la production. L'ACCROISSEMENT MONETAIRE M. Allais souligne d’ailleurs « qu'en abandonnant au secteur bancaire le droit de créer de la
monnaie, l'Etat s'est privé en moyenne d'un pouvoir d'achat annuel
représentant environ 5,2 % du revenu national ». C'est donc dire
qu'au regard de l'accroissement de la
masse monétaire annuel constaté au terme de cette période, les banques ont
économisé, (ou se sont appropriées) 5,2 % du Revenu National que leur aurait
coûté l'impossibilité de puiser dans les dépôts à vue et à terme plus courts
pour prêter à plus long terme à leurs clients, comme tel aurait été le cas
avec une réforme revenant à un taux de couverture à 100 % de tous les dépôts.
« Si cette
réforme était appliquée », continue M. Allais, « les ressources supplémentaires dont l'Etat pourrait bénéficier
sont faciles à estimer. La masse monétaire représente approximativement 50 % du
revenu national, son accroissement au taux annuel de 6 % donnerait une
recette de 3 % du revenu national. En second
lieu, pour assurer une couverture intégrale en monnaie de base, l'Etat
devrait prêter au secteur bancaire, par l'intermédiaire de la BDF une somme
globale égale à la valeur de la différence M - B [30]
au moment de la mise en application de la réforme, entre la masse monétaire
et la monnaie de base. Ce prêt pourrait être effectué à un taux égal au taux
d’intérêt nominal des obligations de premier rang, soit environ 6 % ainsi
qu'il vient d'être indiqué. Comme la différence M - B entre la masse
monétaire et la monnaie de base représente une fraction d'environ 1/3 du
revenu national, la recette correspondante représenterait environ 2 % du
revenu national. Les ressources globales dont bénéficierait l’état seraient
donc de l'ordre de 3,5 % du revenu national. On peut ainsi retenir pour ce
supplément l'estimation modérée de 3 % ». Si nous n'avons pas retenu le mode de distribution
du crédit préconisé par M. Allais, notamment le transfert à l’Etat des droits
oligarchiques, que s’octroient les banques sur la création monétaire, nous
avons adopté le même raisonnement pour appréhender la création des nouveaux
moyens de paiement. Ainsi, à partir de ces données, nous nous sommes
livrés, en observant la même rigueur de pondération des agrégats monétaires,
à l'évaluation de l'accroissement monétaire de 1985 à 1987 (cf. Tableaux II
et III), puis de 1994 à 1995 (Tableau VI). Il ne s'agit bien sûr que d'une approche
théorique et non technique, approximative[31], qui importe moins par
l'évaluation retenue que par la technique de calcul de la monétisation des
ressources quasi-monétaires employée dans l'exemple illustrant notre propos. Pour établir son calcul de la monétisation
effective des disponibilités quasi-monétaires, M. Allais admet une estimation
M* de la masse monétaire égale à la somme des disponibilités monétaires M2 et
des deux tiers du montant des disponibilités quasi-monétaires 2 (M3-M2)3,
soit M* = M2 +2(M3-M2)3. En appliquant cette
estimation M* aux années 1986 et 1987, nous obtenons un accroissement de :
(cf. Tableau IV) TABLEAUX II : PRINCIPAUX AGREGATS DE MONNAIE AU 1er JANVIER 1988 en milliards de francs
AGREGATS DE MONNAIE EN FIN D'ANNEE en milliards de F
TABLEAU III : L'ACCROISSEMENT MONETAIRE DE 1986 A 1987 ET SA REPARTITION AGREGATIVE en milliards de F.
(Source INSEE
TEF 1988) 1): dont livrets soumis à l'impôt, livrets bleus,
d'épargne populaire, Codevi, épargne logement et livrets A. 2): avec Titres du marché monétaire et avoirs en
devise comportant des risques en capital. 3): M* = M2 + 2(M3-M2)3. TABLEAU IV : L'ACCROISSEMENT MONETAIRE 1986 ET 1987 EN MOYENS DE PAIEMENT IMMEDIAT
LA RETROCESSION DU CREDIT Nous avons donc cerné, avec l’accroissement de
l’agrégat M*, l’accroissement périodique de la monétisation effective des
disponibilités monétaires qui constitue le volume de crédit que la BDF aurait
pu émettre sans intérêt si un plan de couverture intégral de tous les dépôts
bancaires avait été mis en place. Ce volume de crédit constitue la première
partie du crédit social. A présent, sa distribution va supposer que la Banque
centrale délivre à tous les consommateurs un dividende de cet accroissement
monétaire, accordant à tous un pouvoir
d'achat additionnel et d’équilibre. Nous obtiendrons ici, pour une population
effective recensée au 1er janvier 1987 de 55.506.000 habitants
(que nous arrondirons par excès à 55,6 millions) un ordre de grandeur
approximatif, en 1986 appliqué sur M* de 133,5 Mds./ 55,6 Ms. soit 2401 francs par an ou 200 francs par
mois et par personne; et en 1987,
toujours appliqué sur M* de 234,1 Mds./ 55,6 Ms. soit 4210 francs ou 350
francs par mois et par personne. Nous retiendrons donc comme estimation de
l'accroissement mensuel des moyens de paiement immédiat une base de 300
francs en 1987 [32], tout en notant que la
réforme monétaire préconisée ici rendrait la création monétaire linéaire, et
éliminerait de fait les variations observées d'une période à l'autre,
consécutives à la politique de régulation monétaire menée par la Banque
centrale, en relevant ou abaissant ses taux d'intérêt directeurs, ou en
intervenant sur le marché interbancaire, afin de discipliner la création
monétaire ex-nihilo. En effet, pour mener cette politique de régulation, elle
ne peut, dans le système actuel, concilier les impératifs de maintien de
pouvoir d'achat de la monnaie et les besoins en liquidité de l'économie,
puisqu'elle intervient forcément à contre temps. C'est ainsi qu'une politique
de relance économique par baisse des taux d'intérêt peut se traduire à moyen
terme par une poussée inflationniste, et inversement, une politique
désinflationniste peut créer un mouvement récessionniste.
Dans de pareils cas, le marché réagit évidemment beaucoup plus vite que la
Banque centrale, il anticipe ses mouvements en les accentuant ou en les
annulant, selon l'intérêt spéculatif qu'il y trouve. Dans ce contexte, l'inflation
zéro dans le temps relève de l'utopie.
Nous avons donc estimé le montant des actifs de la
masse monétaire qui peuvent immédiatement se transformer en pouvoir d'achat
(moyens de paiement), sans risque en capital, à partir de l'agrégat M* de la
masse monétaire où M* = M2 +
2(M3-M2)3, avec M2 = moyens de paiement et placements à vue, et les 2/3 de
M3-M2 = 2/3 des dépôts à terme et bons d'épargne en francs, des certificats
de dépôts et bons des établissements de crédit. En retenant comme agrégat de référence M*, nous
obtenons une monétisation effective des disponibilités quasi-monétaires et
des moyens de paiement : de 2504 + 2(661,8)3 = 2945,2 Mds en fin 1985, de 2605,5 + 2(709,9)3 = 3078,7 Mds en fin 1986, de 2713,9 + 2(898,4)3 = 3312,8 Mds en fin 1987. L'accroissement de la monétisation effective des
disponibilités quasi-monétaires, appliqué sur M*, fut donc de 133,5 Mds de
1986 à 1987, et de 234,1 Mds de 1987 à 1988 [33]. La réforme monétaire créditiste, que nous vous
soumettons ici, va impliquer alors que cet accroissement monétaire ne soit
plus le fait des banques secondaires qui, par le refinancement des promesses
à payer, ont pu délivrer le crédit aux agents qui en faisaient la demande ; mais le fait de l'Institut d'émission ou
BDF qui répartira, en parts identiques, sous forme de dividende, ce crédit
devenu franc d'intérêt, donc social, aux populations actives comme non
actives. Cet accroissement monétaire ne bénéficie pour l'heure, dans notre
actuel système monétaire, qu'à une partie de la collectivité, répartie dans
de nombreuses catégories sociales, aux institutions financières bien sûr,
mais également aux emprunteurs et à certaines forces sociales au détriment de
l'ensemble de la collectivité, notamment épargnants, c'est-à-dire en fait à
tous les contribuables assujettis aux prélèvements obligatoires, ces derniers
n'étant en fait que des épargnes forcées [34] dont une part
croissante est utilisée à rembourser les intérêts des dettes publiques.. TABLEAU V : TABLE DE CONVERSION MONETAIRE
Bien que notre estimation ne soit donnée ici
qu'accessoirement (le mode de calcul du PIB, lui-même, étant matière à
caution) cet accroissement monétaire correspondait, en partie, aux besoins
plus ou moins bien exprimés de l'économie, puisque sans l'appoint du crédit
bancaire, un écart récessionniste se serait
révélée. Ecart récessionniste que comble sans cesse
le crédit bancaire. En effet, sans ce crédit bancaire, la production offerte
n'aurait pu s'écouler que si toute l'épargne investie précédemment, et travaillant
à une future production, s'était remonétisée[35]. Ceci aurait interdit
et arrêté le financement des productions en cours et nécessité l'assistance
financière des instances monétaires internationales, FMI et Banque Mondiale
qui, en contrepartie, auraient exigé le contrôle de la politique sociale du
pays, comme la chose est devenue fréquente dans les relations Nord/Sud et
Est. Toute l’activité économique est ainsi dépendante de l’oligarchie
bancaire ou de la tutelle internationale. La réforme financière que nous
proposons devra donc affranchir les activités économiques de ces deux
tutelles par l’émission d’un volume de monnaie temporaire, sans intérêt,
comblant l’écart récessionniste sous forme de
crédit social distribué à tous les acteurs économiques. Créditer tous les citoyens, de la naissance à la
mort, d'un revenu indépendant du salaire, correspondant globalement à
l'accroissement monétaire nécessaire pour acquérir les biens et services mis
à leur disposition sur le marché, permettrait, en effet, à la production de
rencontrer enfin sa finalité : la consommation. Tout comme les crédits
bancaires d'aujourd'hui sont destinés, pour une partie, à être consommés et
pour l'autre, la plus grande, à être investis, les dividendes familiaux
seront consommés ou épargnés. En consommant ces revenus, les ménages
exprimeront librement leurs besoins, en les épargnant et en les prêtant aux
institutions financières[36], ils participeront
individuellement à l'expansion à venir [37]. Périodiquement, une nouvelle estimation de cet
accroissement des moyens de paiement immédiat à créditer aux citoyens sera
faite en fonction des prix collectifs à payer pour les biens consommables mis
en vente dans le pays. A supposer que n partie des moyens de paiement
immédiat se soit transformée en placements à terme non échu, c'est-à-dire non
monétisables, il reviendra à l'Institut d’émission
monétaire le soin d'ajuster, par la création de moyens de paiement, le
pouvoir d'achat disponible afin de le porter à hauteur du prix collectif à
payer [38]
pour les biens et services produits. Ainsi en créditant directement à
l'économie l'accroissement monétaire indispensable à l'écoulement de la
production, nous pourrons établir et garantir dans le temps, sans processus
inflationniste, l'équilibre entre la chose, le prix des biens consommables
mis en vente, et le signe, les moyens de paiement nécessaires à leur
acquisition. LA RETROCESSION DES REVENUS INDIRECTS Il convient cependant ici de rappeler que les travaux de Douglas sont
antérieurs à la mise en place de la politique qui se développa en France
grâce à « un lointain penchant
pour l'étatisme, remontant au Colbertisme et aux temps de la Révolution et de
l'Empire » [39], et qui consiste en des
transferts de redistribution étatique. Il s'agit des allocations de santé, de
vieillesse, de famille et de chômage, qui constituent les salaires différés,
créés selon les modèles keynésiens. Ces revenus de transfert, ou de redistribution,
s'élevaient en 1987 à 1190,94 Mds. de francs de cotisations versées pour
1247,01 Mds. de prestations sociales, dont : santé : 339,86 Mds., vieillesse
: 637,90 Mds., famille : 171,33 Mds., emploi : 94,20 Mds. et divers : 3,69
Mds. Ces prestations sociales dont le coût est répercuté sur le marché,
puisqu'elles s'insèrent dans le salaire, correspondaient à 22,87 % du Revenu
National brut en 1987 [40]. Nous retiendrons l'ensemble de ces prestations
sociales concernant la vieillesse, la famille, l'emploi, la santé et le poste
« divers » [41]. Le montant des
prestations perçues par les ménages en 1987 s'est élevé à 1247,01 milliards de francs. Le principe retenu est d'en affecter le montant au
volume de monnaie temporaire précédemment défini afin qu'il en constitue le
socle imprescriptible et garantisse à toute personne, active ou non, quelque
soit son âge, du seul fait de sa citoyenneté, un pouvoir d'achat disponible
périodiquement, qu'elle sera libre d'épargner ou de consommer, assurée
qu'elle serait d'en avoir la jouissance à vie. Sur une population de 55,6 millions de citoyens
recensés en 1987, le montant de
1247,01 Mds ainsi dégagé assurerait un revenu garanti de 22.428 francs pour
l'année, soit 1869 francs par mois auquel il convient d'ajouter les 300
francs, estimation basse, dégagés par l'accroissement monétaire, soit un
dividende de 2169 francs par mois pour chacun des 55,6 millions de citoyens
de notre pays, en francs 87. CONSTANCE DU PRINCIPE Selon les principes que je viens de précédemment énoncer, et
afin d’en démontrer la constance, eu égard à l’évolution économique,
notamment après la phase désinflationniste des cette décennie, je vous
soumets dans ce paragraphe une estimation du volume de crédit social au terme
de l’année 1995. TABLEAU VI AGREGATS ET ACCROISSEMENT MONETAIRES
EN 1994 ET 1995 en milliards de F.
Source INSEE Comme nous l’avons exposé plus haut, nous retenons
comme partie du crédit social l’accroissement de la monétisation effective
des disponibilités monétaires de l’agrégat M*, soit : D M* 1994 - 1995 = M2
+ 2(M3-M2)3 = 270,7 Mds. de francs 1995. Sa distribution suppose tout d’abord que la Banque
centrale délivre à tous les consommateurs un dividende de cet accroissement
monétaire, ce qui donnerait à tous un
pouvoir d'achat additionnel. Nous obtenons ici, pour une population effective
recensée au 1er janvier 1996 de 58 300 000 habitants, un ordre de
grandeur approximatif de 270,7 Mds./
58,3 Ms. soit 4643,20 francs ou 386 francs par mois et par personne[42]. A ces 270,7 Mds. de francs viennent s’ajouter les Prestations Sociales reçues en 1995 [43]. Il s'agit toujours des allocations de santé, de
vieillesse, de famille et de chômage. Ces transferts de redistribution s'élevaient
en 1995 à 1933 Mds. de francs de prestations sociales versées, dont :santé :
521 Mds., vieillesse : 963 Mds., famille : 249 Mds., emploi : 159 Mds. et
divers : 26 Mds. Ces prestations sociales correspondaient à 25,16 % du PIB
1995. Nous retenons, comme précédemment, dans notre
exemple l'ensemble de prestations sociales concernant la vieillesse, la
famille, l'emploi, la santé et le poste divers. Le montant des prestations
perçues par les ménages en fin 1995 s'est donc élevé à 1933 milliards de francs
que nous affectons au montant de l’accroissement monétaire constaté pendant
la même période, et précédemment défini, afin qu'il constitue un pouvoir
d'achat additionnel pour tous et chacun. Sur une population de 58,3 millions de citoyens,
en 1995, le montant de 1933 Mds. ainsi dégagé assurerait un revenu garanti de
33.156 francs pour l'année, soit 2763 francs par mois auquel il convient
d'ajouter les 386 francs dégagés par la monétisation effective de
l'accroissement monétaire, soit un dividende de 3149 francs par mois pour
chacun des 58,3 millions de citoyens de notre pays, en francs 96. Bien que nous ayons retenu, dans ces deux exemples
de 1987 et 1996, la valeur des prestations sociales fournies, supérieure à
celle des cotisations sociales versées, un autre modèle peut également être
envisagé. Ce modèle s’appuierait sur les ressources du système actuel de
protection sociale, soit en 1995, 2242 Mds. de francs, englobant, outre les
cotisations employeurs (1128 Mds), salariés (512 Mds.), travailleurs indépendants
(104 Mds), et autres cotisations (17 Mds), les impôts et taxes (179 Mds) et
les contributions publiques (302 Mds)
qui y sont affectés. Nous obtiendrions alors un crédit social de 2512,7
Mds. dont 270,7 Mds au titre de la monétisation effective de l’accroissement
monétaire et de 2242 Mds. au titre de la rétrocession du budget de la
protection sociale, soit un pouvoir d’achat additionnel de 43.099 francs l’an
ou 3591,6 francs par mois pour 58,3 millions de citoyens recensés. L’agrégat du crédit social pourrait ainsi
s’élargir à l’ensemble de ces revenus au fur et à mesure que la réforme
serait introduite. SOLVABILISER LA DEMANDE AVEC
LE DIVIDENDE FAMILIAL Que pourrions nous constater ? Tout d'abord, au
delà des incidences sociologiques qu'engendrera ce revenu additionnel,
l'octroi à chaque français(e) d'un dividende de plus de 3500 francs par mois
en 1995 ne provoquera aucune inflation puisque ces moyens de paiement sont
déjà actuellement distribués, soit par des revenus de transfert, soit par crédit
bancaire [44].
Cependant à la différence de la redistribution et de la création des
ressources monétaires actuelles, ce revenu additionnel ne sera plus dépendant
d'une activité rémunérée ou d'une reconnaissance de dette. Le dividende solvabilisera la demande des agents à hauteur de l’offre.
Ce dividende du crédit social ne sera pas
pour autant consommé. Il est même probable qu’une partie de ces
dividendes sera épargnée. Mais cette nouvelle source de revenus favorisera
une nouvelle répartition du temps que les agents consacrent à la
collectivité, en contrepartie d'une rémunération. Par exemple, pour une
consommation moyenne des ménages français de 2,7 personnes en 1987 [45], ce sont 2,7
dividendes, soit 5400 francs de 1987 qui seraient venus s'ajouter au salaire
net. Sur le même modèle de composition
des ménages, si nous gardons le même indicateur statistique, ce sont 2,7
dividendes, soit en moyenne environ
8502 F. (3149 F. x 2,7) qui auraient constitué en 1995 le dividende
familial moyen des agents, indépendamment des autres revenus, s’il y a lieu,
c’est-à-dire des revenus du travail et
du capital. Un ménage composé d’un seul membre ne reçoit bien évidemment
qu’un seul dividende. Dans ce contexte, l’'emploi ne sera plus la contrainte
pesante sans laquelle la survie économique, l'échange, l'insertion sociale
sont interdits. Les ménages pourront
réduire partiellement le temps consacré à l'activité rémunérée ; l'emploi à mi-temps, l'alternance et la
formation pourraient se développer sans pour autant pénaliser la consommation
par manque de pouvoir d’achat. Le travail ne sera plus choisi pour des
raisons uniquement matérielles, mais bien plus comme le prolongement naturel,
social, de l'épanouissement personnel [46]. Pour d'autres,
l'activité rémunérée restera le premier objectif. Ceux-là consacreront bien
évidemment plus à l'épargne, épargne volontaire en vue de la constitution
d'une solide amélioration du temps laissé aujourd'hui à la retraite. A terme,
cette épargne ne diminuera pas pour autant les moyens de paiement entre les
mains de la population si, investie dans la production, elle engendre de
nouvelles richesses réelles. Elle ne sera cependant compensée par l'émission de
nouveaux moyens de paiement qu’à mesure que la production croîtra et viendra
augmenter le montant global des
dividendes familiaux. Ainsi, l’épargne, investie dans la production, loin de
pénaliser les plus défavorisés et de favoriser la concentration du capital,
pourra avoir pour contrepartie un accroissement de l'émission monétaire, c'est-à-dire
une augmentation du pouvoir d'achat des dividendes familiaux. Sans doute convient-il ici d'expliquer notre
raisonnement. On sait que la création des moyens de paiement (monnaie
disponible) correspond en fait à la mise en pension définitive ou temporaire
de promesses à payer détenues par les banques à l'Institut d'émission, la
BDF. Les banques secondaires font escompter ainsi leurs promesses à payer
quand elles n'ont plus suffisamment de liquidité. Ce qui signifie qu'elles
ont prêté l'épargne, et la partie des
dépôts à vue et à terme de leurs clients, qui ne sont pas soumis aux réserves
obligatoires. Les dépôts à vue comme l’'épargne ne sont donc ni conservés ni
stockés. Ainsi, quand un épargnant désire retirer des fonds de sa banque,
celle-ci négocie les promesses à payer en sa possession sur le marché
interbancaire ou, en dernier ressort, à la BDF. Si la banque négocie ses
promesses à payer sur le marché interbancaire, ceci implique qu'il existait
des capitaux déposés non employés. On peut donc dire qu'à la remonétisation
d'une épargne est venue correspondre la démonétisation de moyens de
paiement. Jeu à somme nulle. Par
contre, si la banque s'adresse à la BDF, c'est qu'il n'y a pas
correspondance, ou à un coût trop élevé, d'épargne à négocier. Dans ce cas,
la possibilité de retrait des capitaux déposés signifie bel et bien qu'il y a
eu création monétaire par anticipation des promesses à payer ou par
duplication du pouvoir d'achat. C'est ainsi, avons nous vu, par cette
création de faux droits, que se déprécie la monnaie. Au début de la chaîne, nous avions un
épargnant qui désire retirer ses fonds. A la fin de cette chaîne nous
constatons que celui-ci est récompensé en monnaie dévalorisée, avec un
intérêt, qui dans le cas de l'épargne populaire, de précaution, n'arrive pas
toujours à maintenir son pouvoir d'achat initial. L'épargne ne peut donc pas
être globalement interprétée comme une absence de dépense; elle correspond
simplement à la dépense d'un revenu par un autre que celui qui l'a gagné ou encore,
par celui qui l'a gagné, mais pour investir, par exemple pour construire un
logement, ou pour consommer à terme. LA DYNAMIQUE RETROCESSIVE DU BUDGET SOCIAL Nous avons étudié les méthodes de reconnaissance
du crédit social provenant, pour une part, de l’accroissement monétaire
proportionnel à la croissance économique, et pour l’autre, du volume de
capital nécessaire au financement du budget social, puis de sa distribution
aux agents sous forme de dividendes. Il convient, maintenant, de cerner les mécanismes
et les conditions de suppression du coût des revenus de transfert supportés
par les entreprises et les mécanismes de leur rétrocession à l’actif de la
Banque centrale, sur l’agrégat du crédit social. Les revenus de transfert, revenus de redistribution,
c’est-à-dire les salaires différés redistribués à d’autres agents
économiques, que nous avons évalués précédemment de façon globale, constitue le Budget Social de la nation. Ce
ne sont pas stricto sensu des épargnes volontaires qui iront s’investir dans
les productions à venir. Ce sont des prélèvements forcés (obligatoires)
improductifs. A peine collectés, ils sont quasiment et instantanément
dépensés par d’autres agents, retraités, chômeurs, et autres ayant-droits
auxquels ils sont redistribués. Comme le notent ses détracteurs, cette
technique de répartition par redistribution « crée beaucoup moins d'épargne que la capitalisation, puisque
l'essentiel des cotisations sert à payer immédiatement les prestations »
[47]. Nous n'avons donc pas affaire, avec ces revenus de
transfert, à des investissements, mais bien à une charge pour notre économie
puisqu'ils n'engendrent aucune création de richesse. Cependant l'analyse
qu’en donnent les auteurs libéraux n'est pas pour autant exempte de critique [48] dans la mesure où, si
la capitalisation autorise l'investissement, celle-ci n'est possible que si
l'offre de travail est suffisante pour tous puisque ces revenus sont prélevés
à une seule source, celle des revenus du travail rémunéré. Mais même en admettant que la capitalisation
puisse engendrer des investissements productifs d'emploi, nous constatons que
la longévité de la vie et les avancées de la technique, c’est-à-dire le
progrès qui, chaque jour, permet à l'homme de réduire le temps passé à la
production de biens et services contre rémunération, ne permettront pas de
dégager suffisamment d'emplois pour chaque être humain ? Il suffit pour s’en
convaincre de comparer l’évolution dans le temps de la population d’équivalents agents-vie actifs employés par les branches productives
et de la population d’équivalents agents-vie inactifs inemployés par les
branches. J’entends par équivalents agents-vie employés par les
branches la somme des durées d’activité employée de la population totale
pendant une période déterminée, et inversement par équivalents agents-vie inemployés par les branches la somme des durées
d’inactivité, dont en activité inemployée, de la population totale pendant
cette même période, en incluant en conséquence les durées de chômage, d’arrêt
de travail maladie, d’enfance, de scolarité
et d’études, de retraites de chaque agent. Partagé, partiel ou
monopolisé par quelques uns, l’emploi total, ou équivalent agent-vie employé, ne pourra
plus assurer le financement du budget social. La rétrocession du budget social de la nation, des
revenus de transfert, sur l'agrégat du crédit social, va donc permettre,
d’une part, aux familles de disposer tout au long de leur vie, active et non
active, d’un revenu indépendant de l’activité rémunérée et d’autre part, aux
entreprises de diminuer leurs coûts de production, et par conséquent,
d’accéder à une plus large autonomie financière. En effet, la suppression du
financement du budget social par les entreprises leur permettra de moins
recourir au crédit bancaire, d’acquérir des actions dans d’autres
entreprises, et de renforcer leur taux d'autofinancement. Ceux-ci, faibles en
France dans les années 1980, ne doivent leur bonne tenue qu’à la faiblesse
actuelle des investissements. De sorte
que les potentialités de création de monnaie temporaire, à masse égale,
diminuée de la charge inflationniste qu'elle comporte dans l'actuel système
de duplication monétaire, viendront renforcer et s'ajouter au crédit
disponible issu de l'accroissement monétaire des moyens de paiement immédiat
que nous venons de déterminer. Prenons ainsi pour exemple un entrepreneur
produisant actuellement des valeurs commercialisées pour un montant de 150
francs qui se répartissent ainsi : - 40 frs. de charges sociales, - 60 frs. de salaire direct, - 12,5 frs. d'amortissement des emprunts
bancaires, - 12,5 frs. de dividendes versés aux actionnaires
de son entreprise, - 12,5 frs. de fonds de caisse d'autofinancement
de ses investissements, - 12,5 frs. d'intéressement des salariés. Considérons, pour simplifier, que notre
entrepreneur soit lui-même salarié. Si nous retranchons maintenant les charges
sociales supportées par l'entreprise, nous constatons qu'en conservant le
même prix final des valeurs produites, l'entrepreneur peut déjà soustraire
12,5 frs. d'amortissement des emprunts bancaires et augmenter son
autofinancement de la même façon, voire plus. Il n'a donc plus d'intérêt à
payer à la banque créancière. Il n'aura donc plus à les amortir sur ses prix
de vente ou en restrictions salariales, en revenus ou en personnel. Actuellement, nous constaterions, dans notre
système monétaire, un accroissement des possibilités de crédit bancaire, et
soyons certains que les banques useraient de tous les procédés possibles pour
placer celui-ci à intérêt auprès d’autres agents économiques. Mais avec le
plan de couverture intégrale des dépôts bancaires proposé ici, il leur
devient impossible de créer de la monnaie ex-nihilo. Seule, la Banque de
France dispose de ce pouvoir régulateur. Ce nouveau volume monétaire pourra
ainsi s’ajouter aux possibilités d’accroissement monétaire de la Banque
centrale pour constituer, comme nous l’avons vu, le crédit social de la
nation. PRINCIPES ET TECHNIQUE DE RETROCESSION DU BUDGET SOCIAL SUR LE CREDIT SOCIAL En soi, la suppression du financement du budget
social par les entreprises est une mesure peu innovante. De nombreux textes
législatifs exonèrent déjà, sous certaines conditions, les entreprises de ce financement, ou en fiscalisent certains éléments. La fiscalisation du budget social permet sans
doute de rendre les entreprises plus
concurrentielles, et par conséquent de vendre davantage sur les
marchés externes, si tant est qu’ils soient solvables. Mais sur le marché
intérieur la demande n’est pas pour autant accrue puisque l’impôt consenti ne
fait que redistribuer aux uns ce qu’il a retranché aux autres. Ce mécanisme
souffre par ailleurs d’importants déséquilibres générationnels persistants
; mais sa faillite repose
essentiellement sur le fait qu’il a pour assiette un bien dont la production
décroît puisqu’il est est financé par les revenus
de l’emploi dont nous avons vu, en termes d’équivalents agents-vie, la diminution. Si l’emploi décroît, la productivité, par contre,
s’accroît. Le principe de la rétrocession du budget social sur l’agrégat de
crédit social va donc s’inscrire dans un cadre différent. L’intervention
budgétaire, instrument privilégié des politiques néo keynésiennes de
régulation, fondée sur le pouvoir discrétionnaire redistributif
des pouvoirs publics, est abandonnée au profit d’un système distributif fondé
sur le pouvoir créditeur l’Institut d’émission monétaire. En effet, ce
financement n’a plus pour assiette la redistribution, par l’Etat, des revenus
de l’emploi et du capital, mais la distribution, par la Banque centrale, des revenus mutualisés de la
productivité. Dans un système de répartition, une partie des
revenus des actifs, revenus directement issus de la production, du travail et
du capital, que nous appelons revenus
primaires, est redistribuée aux inactifs en fonction de leurs droits
acquis. Ces revenus de redistribution, que nous appelons revenus de transfert, sont issus des prestations sociales et des
pensions de retraites. C’est sur cette base que les risques sont, pour
l’essentiel, mutualisés, qu’il s’agisse des droits à la retraite, aux
allocations chômage, des prestations de santé. Dans un système de capitalisation, une partie des
revenus de l’emploi, et du capital, est épargnée et capitalisée par les
agents. A monnaie constante, ces revenus s’accroissent des intérêts engrangés
pour constituer un capital de sortie ou une rente quand l’agent devient
inactif ; mais pour autant qu’il ait suffisamment épargné et été
employé, s’il n’a pour seul richesse que la force et le talent de son travail. Du point de vue économique, la capitalisation
s’avère plus efficace puisque le capital ne reste pas improductif mais peut
s’investir. Du point de vue social, la capitalisation ignore le principe
mutualiste et favorise les agents ayant bénéficié de revenus et de périodes
employées plus étendus que les autres. Le principe de la rétrocession du budget social
sur l’agrégat du crédit social va donc rompre avec la logique redistributive du système de répartition et avec la
logique individualiste du système de capitalisation en mutualisant les
revenus de la productivité qui seront distribués sous forme de dividende à
chaque agent. La technique de cette rétrocession s’articule
autour de trois actions concomitantes avec 1- l’exonération des charges sociales des entreprises,
c’est-à-dire la suppression des revenus de transfert ; 2- l’injection d’un volume de monnaie temporaire
égal à l’ensemble des revenus de transfert précédemment supprimés et de
l’accroissement monétaire déterminé plus haut, sous la forme d’un crédit, ou
de traites, à court terme, sans intérêt ; 3-
l’application d’un coefficient multiplicateur sur chaque valeur
ajoutée égal au volume des revenus primaires déduction faite des revenus de
transfert, auquel nous ajoutons le rapport des revenus de transfert et de
l’accroissement monétaire, constituant dorénavant l’agrégat de crédit social,
sur les revenus primaires déduction faite des revenus de transfert. Le coefficient multiplicateur de crédit social appliqué
sur la valeur ajoutée peut ainsi s’exprimer par RP + RT +
D M
ou RP + CS ou 1+ co
CS .
RP avec RP = revenus primaires après déduction des
revenus de transfert, RT = revenus de transfert, D M = accroissement monétaire, CS = crédit
social et co CS = coefficient de crédit
social affecté aux revenus primaires après suppression des revenus de
transfert. Ainsi, la
rétrocession d’un agrégat économique,
les revenus de transfert, sur un agrégat monétaire, le crédit social,
n’altèrera pas la valeur du Produit Intérieur Brut qui recense l’ensemble des
valeurs ajoutées par les branches productives. Prenons ici l’exemple d’un Produit Intérieur Brut
(PIB) évalué à 110 unités monétaires
réparties pour 10 unités dans la formation brute de capital fixe
(FBCF) et pour 100 dans le revenu national, ce dernier redistribuant 30 % de sa valeur en revenus
de transfert et en crédit, données macro économiques qui sont
approximativement celles de la France de 1995 dont les prestations sociales représentaient 25,16 % du PIB,
comme signalé plus haut. Les 30 unités monétaires des revenus de transfert
et de crédit représentent 42 % du revenu national moins les revenus de
transfert, ou de l’ensemble des revenus primaires après transfert : 30 /
70 = 42 % du revenu national. Après la
rétrocession du budget social sur l’agrégat du crédit social, la valeur du
PIB sera donc égale à 110, avec 10 au titre de la FBCF et 100 au titre du revenu national dans lequel les revenus primaires sont affectés d’un coefficient
multiplicateur de crédit social ( 70 x 1,42 = 100). Les entreprises, les producteurs et les
fournisseurs, exonérés du financement des charges sociales, auront à
supporter pour chaque valeur ajoutée un coût de production ramené à 70 % du coût antérieur. Ils appliqueront
sur ce coût le coefficient multiplicateur de crédit social pour obtenir le
prix de vente. Dans notre exemple, une valeur ajoutée de 7 unités
monétaires sera augmentée de 42 % de
sa valeur ou affectée d’un coefficient de 1,42 soit un prix de vente de 10
unités (7 x 1,42 + 10). Le revenu national (RN) est alors égal à
l’ensemble des valeurs ajoutées affecté du coefficient multiplicateur de
crédit social : RN = S VA x Co CS. Les producteurs et fournisseurs multiplieront
ainsi la valeur ajoutée des biens et services proposés à la consommation, par
le coefficient de crédit social. Ils en recevront la valeur lors de chaque
vente, qu’ils collecteront et rembourseront, à l’échéance du terme
périodique, à la Banque centrale, tout comme ils collectent aujourd’hui la taxe sur la valeur ajoutée
pour le Trésor Public. Tout comme un agent emprunteur annule une dette en
remboursant son créancier, tout comme un client annule une traite en
remettant des disponibilités monétaires de même valeur à son fournisseur, le
volume de crédit social sera annulé par la consommation et collecté par les
fournisseurs qui le remettront à la Banque centrale émettrice. Interprété comme des traites à court terme, le
volume du crédit social est périodiquement annulé et un nouveau volume est
réinjecté qui peut être inférieur,
égal ou supérieur, en fonction de la croissance économique de chaque nouvelle
période. En d’autres termes, l’Institut d’émission
monétaire accordera périodiquement un volume de crédit social sans intérêt à
l’ensemble de l’économie qui lui rendra en fin de période par la valeur
collectée sur les échanges effectués. En pratique, il s’agira d’une mesure de
destruction monétaire portant sur la valeur ajoutée de chaque échange. Ce
mécanisme se reproduira à chaque période suivante en fonction des données
économiques enregistrées. Il va de soi que si le volume du crédit social,
exprimé par son coefficient multiplicateur, ne se retrouve pas sur les
valeurs ajoutées consommées, ceci traduira une augmentation de la propension
marginale des agents à épargner ayant pour conséquence une diminution de la
consommation. Nous observerions, dans ce cas, des constitutions de stocks, à exportations égales par
ailleurs, qui diminueront d’autant le volume nécessaire de valeurs ajoutées à
produire lors de la période suivante. La croissance économique qui en
résultera en sera naturellement amoindrie
tout comme le volume de crédit social qui sera corrélativement affecté En effet, le crédit social constitué pour une part
de l’accroissement monétaire qu’exige
la croissance économique, et pour l’autre de la rétrocession du budget
social, après suppression des revenus de transfert, s’interprète comme un volume de monnaie temporaire, sans
intérêt, perpétuellement injecté dans l’économie par distribution mutuelle
aux agents, et périodiquement annulé après consommation des valeurs ajoutées
produites. Dès lors que les valeurs ajoutées produites, ou
pour le moins une partie, ne sont pas
consommées, il n’y a pas lieu d’injecter de crédit social, ou pour le moins
d’un volume égal au précédent. Le crédit social est un volume de monnaie de
consommation périodiquement injecté dans l’économie. Ce volume de monnaie
temporaire n’est donc pas thésaurisable puisqu’il
est périodiquement repris par
l’Institut d’émission. Il a pour objectif de faciliter, en comblant l’écart
existant entre le prix global de production et les moyens de paiement
disponible, l’écoulement de la production. Pour autant, l’agent, serait-il privé de revenus
du travail ou du capital, et ne disposait-il que du dividende de crédit
social, préservera sa liberté d’épargner puisque l’annulation du crédit
social porte sur un volume monétaire collecté sur les valeurs ajoutées
consommées. En effet, si un agent ne disposant que du dividende de crédit
social en épargne une partie, celle-ci ne peut-être annulée sur les valeurs
ajoutées qu’il s’est abstenu de consommer. Pour que l’ensemble des valeurs
ajoutées produites soient consommées, un autre agent va donc consommer des
valeurs ajoutées au delà du pouvoir d’achat qu’offre son dividende de crédit
social, c’est-à-dire tout naturellement avec une partie de ses revenus
primaires. Cette partie de revenus primaires, annulée après consommation, se
substituera alors au crédit social non
consommé de l’agent précédent et permettra de retrouver le volume initial de
crédit social émis. La liberté de consommer et d’épargner de chaque agent est
ainsi intacte. LA MUTUALITE COMMERCIALE Le coefficient multiplicateur de crédit social
s’appliquera dans le cadre d’un espace territorial d’économie intégrée sur
les biens et services consommés sur le marché intérieur. Les importations
pourront aussi être affectées de ce
coefficient, alors que les exportations seront affectés du coefficient multiplicateur de
crédit social propre aux pays importateurs qui l’appliquent, ou à défaut du
système de taxes à l’exportation en vigueur dans ces pays. Cependant, dans le cadre d’accords de libre
échange, il est souhaitable que les principes de mutualité sociale puissent
se développer. En effet,
nous estimons que l’échange, qu’il soit interne ou externe, n’a pas
vocation à donner plus qu’il ne prend, mais doit permettre d’offrir au deux
parties contractantes plus qu’il ne demande. A cette fin, il doit être
équilibré. Pour autant, nous admettons bien volontiers que
chaque nation ait besoin d’échange, au même titre d’ailleurs que chaque autre
espace sociétal, en commençant par la sphère domestique ou familiale, et
communale. Ces échanges extérieurs accroissent la diversification de l’offre
et par conséquent la demande, d’autant que par le jeu de la concurrence, ils
permettent de réduire les prix. Mais nous savons, par contre que, si dans le
cadre d’accords de libre échange, les
produits importés sont moins chers que les produits intérieurs, les
entreprises nationales qui veulent survivre
devront réduire la masse salariale au détriment des ouvriers. Toutefois, afin d’équilibrer les effets de ces
avantages d’une part, et de ces inconvénients, d’autre part, P.J. Proudhon proposait
(Système des contradictions économiques) de mutualiser les avantage de
production que tire l’une des deux parties sur les deux. Ces avantages de
production, propres à chaque pays, constituent, en effet, autant de rentes de
situation différentielles qui accordent un revenu non gagné au pays
exportateur au détriment du pays importateur.
Ainsi, des sols plus productifs, des coûts de production moins élevés,
des meilleurs rendements capitalistiques, une technologie plus avancée,
peuvent constituer, lors des échanges extérieurs, autant d’avantages
comparatifs qui privilégient l’un des deux pays au détriment de l’autre. Ces rentes différentielles doivent donc être
mutualisées entre le pays exportateur et le pays importateur par un impôt de compensation qui en
répartirait la valeur entre chacun. Par exemple si un pays A produit un bien
pour 5 F alors qu’un autre pays B produit le même bien pour 10 F, un impôt de
compensation taxera le bien produit par A de la moitié de la rente
différentielle, soit 2,5 F qui seront
versés au pays B. La mutualisation de ces rentes différentielles
qui, pour Proudhon, devait constituer le nouvel ordre de mutualité
commerciale, ne devrait pas cependant, être mise en oeuvre
par la puissance publique de l’Etat qui n’en a pas la compétence.
L’identification de ces rentes et leur mutalisation
devraient être assurées par les chambres du commerce et s’insrcrire
dans le cadre corporatif que nous
décrivons dans notre seconde partie. Enfin, il semble préférable de procéder à la mise
en place de la rétrocession du budget social de la nation de façon
progressive pour accompagner l’extinction graduelle des droits ouverts dans
le précédent système de répartition. A
ce jour, nous pouvons estimer l’extinction des encours sociaux de ces droits,
compte tenu de l’âge moyen des français et de la gestion des cotisations déjà versées par les
populations actives sur environ 20 ans. Période d’extinction graduelle,
pendant laquelle l’introduction du crédit social, d’un montant équivalent à
la perte de ressources, viendra compenser l’extinction progressive des
prestations sociales distribué sous forme de dividende à chaque citoyen,
actif ou non. Il restera, à présent, à procéder à l'abaissement
des prix ou à l'augmentation des dividendes familiaux dans le respect des
objectifs et décisions des populations concernées. La rétrocession des
charges sociales a permis à l'entreprise d'annuler le coût croissant et
composé de l'intérêt de la dette qui grevait son budget. Ici aussi, le crédit
social a supprimé l'intérêt, économiquement inefficace. Dans notre
proposition, le dividende familial assure à toutes les familles un revenu
minimum et à certains un complément de revenus qu'ils pourront épargner pour
l'avenir commun. Et ceci d'autant que le dividende s'accroîtra au fur et à
mesure que l'épargne productive, c'est-à-dire le pouvoir d'achat investi dans
la production réelle, se développera, puisque l'objet de l'épargne est de
créer de nouvelles richesses, qui, à leur tour, nécessiteront un
accroissement monétaire. CHAPITRE IV : L’AJUSTEMENT DES PRIX « L'exactitude de
l'analyse faite par Douglas n'a jamais
été réfutée, et la réforme qu'il propose,
avec sa fameuse formule
d'ajustement des prix, est la seule
réforme qui aille jusqu'à la racine du
mal. Personnellement, je suis convaincu
que la finance capitaliste doit
inévitablement engendrer des guerres, des révolutions et l'affamation de millions d'êtres humains, dans un monde
d'abondance potentielle. J'ai étudié le sujet durant quinze années et je considère une réforme financière telle que proposée par Douglas comme essentielle au rétablissement d'un système économique chrétien de propriété largement répandue et, par conséquent, la seule option à opposer à celle d'un communisme athée... Je ne vois qu'un seul choix : c'est ou bien le Crédit Social de Douglas, ou bien le chaos du communisme. Tout le noeud de la tragique transition du capitalisme au communisme est actuellement situé dans la finance ». Père Peter Coffey Docteur en philosophie, Maynooth, Irlande (Lettre au Père
Richard, Jésuite canadien, 1932). LES PRIX ET LE POUVOIR D’ACHAT Les prix grimpent. Sur le long terme, de nombreux
prix baissent, mais l’observateur constate généralement, sur le court terme,
l’inverse. Les apparences sont mauvaises conseillères. Nous avons vu que
l’inflation est l’une d’entre elles.
C’est pourquoi les prix, calculés en monnaie courante, donnent
l’impression de monter, alors qu’à la vérité, c’est le pouvoir d’achat de la
monnaie qui diminue. D’une façon générale, les prix de chaque bien et
service produit évoluent selon la productivité dégagée dans le temps. Ainsi
le prix des automobiles n’a cessé de baisser depuis cinquante ans tandis que
celui d’une coupe de cheveux stagne depuis un siècle. Les gains de
productivité du secteur secondaire furent, durant ces dernières décennies,
conséquents, alors qu’ils furent quasiment nuls dans certaines branches du
tertiaire. Il en est de même des prix des biens du secteur primaire qui
évoluent en fonction des progrès enregistrés dans les modes d’exploitation.
Ces prix évoluent également en fonction des fluctuations de la relative
rareté ou abondance des matières premières utilisées. Mais, quand bien même la stabilité globale de l’ensemble
des prix des biens et services seraient assurée sur le marché intérieur, la
hausse des prix de matières premières, produits semi-finis ou services
importés peut également faire grimper
les prix des biens et services dans lesquels ils sont incorporés. Ce fut, par
exemple, le cas avec les hausses du prix des produits pétroliers, en 1973 et 1979, qui renchérirent
l’ensemble des prix des biens et services. La stagnation du pouvoir d’achat
salarial des agents économiques, voire l’accroissement de leurs prélèvements
sociaux ou fiscaux, peut, d’autre
part, réduire leur niveau de vie et donner l’impression que le coût de la vie
augmente. Cette nouvelle impression n’est qu’à moitié fausse, car si le prix
unitaire de chaque produit n’augmente pas, il n’en est pas de même du coût de
la vie sociale, c’est-à-dire en société. Enfin et surtout, la valeur des fonds propres
d’une entreprise (capital social et dette) est garantie par la valeur de sa
production. A volume identique, une baisse de cette valeur engendrerait
mécaniquement une baisse des fonds propres de cette entreprise. Cette moins
value inciterait alors les apporteurs de capitaux, actionnaires et prêteurs,
à investir dans une autre entreprise. C’est pourquoi une baisse de valeur de
chaque prix unitaire des biens et services produits doit être compensée par
un accroissement en volume de la vente de cette production. Mais cet accroissement en volume de la production
ne sera possible que si des débouchés effectifs ou potentiels, c’est-à-dire
de nouveaux marchés sont reconnus. L’entreprise doit donc, afin d’accroître
ses parts de marché et d’en capter de nouveaux, l’entreprise doit dégager une
productivité suffisante capable de réduire ses coûts de production dont
notamment la masse salariale. Comme la réduction de la masse salariale va
diminuer la solvabilité du marché interne, le concours palliatif du crédit
bancaire ex nihilo et le commerce extérieur seront encouragés. Ainsi, les échanges internationaux qui se
développèrent dès le XV e siècle, soutenus par les grandes découvertes et les
théories mercantilistes, s’accélèrent aujourd’hui avec la mondialisation financière.
Ainsi, le crédit ex nihilo, contenu
jusqu'à la fin du XIX e siècle par la digue protectrice de la contrepartie
aurifère que possédait la monnaie, s’est accru dès la première partie du XX e
siècle avec l’introduction de la monnaie scripturale, pour représenter de nos
jours 85 % environ de la masse monétaire (cf. Tableau VII infra). Mais le commerce extérieur exige que les biens et
services proposés sur des marchés ouverts à la concurrence soient
compétitifs. Les entreprises s’attachent à en réduire les coûts de
production, et notamment la masse salariale ; alors qu’inversement, le
crédit bancaire ex nihilo les
surenchérit. La demande globale des consommateurs est ainsi amputée d’une
partie de la masse salariale et du coût du remboursement des crédits,
c’est-à-dire des intérêts composés qui peuvent aller jusqu'à représenter la
même valeur que le capital lui-même.
Il en résulte une confrontation permanente des agents économiques et
une diminution générale du niveau de vie qui ne peut être compensée, toutes
choses égales par ailleurs, que grâce au progrès de la productivité. Nous nous apercevons
donc, à l’énoncé de ces différents paramètres, que l’évolution des prix
résulte de la confrontation de plusieurs variables aux effets opposés qui
peuvent affecter l’ensemble ou une partie de la production, une branche de
celle-ci, un seul bien ou service produit, ou même une seule unité de production.
C’est pourquoi la stabilité de l’indice global des prix n’interdit pas
d’observer des variations, autre que saisonnières, sur les prix de certains
biens en fonction de la productivité dégagée lors du cycle productif, des
aléas des marchés ou des contraintes importées. Bien sûr, la répercussion d'une hausse des prix
n'ait rien de mécanique, on peut imaginer que les entreprises l'absorbent
sans modifier leur prix de vente; mais encore faut-il que l'investissement
autofinancé n'en pâtisse pas et que les entreprises soient assurées de
rattraper cette perte par des gains de productivité futurs qui ne pourront
donc pas être distribués aux salariés.
Il s'agit donc là, pour l’entreprise et du point du vue micro économique,
d'un jeu à somme nulle où les gains de productivité viennent annuler les
effets d’enchérissement du financement externe des charges financières
qu’exige le crédit bancaire, ou des matières premières et produits semi-finis
incorporés dans la production, ou des charges sociales que supporte la masse
salariale. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une annulation pour l’économie
nationale, car, du point de vue macro-économique, dire que la productivité
annule les effets d’enchérissement de la masse salariale revient à dire que
la productivité autorise la réduction de celle-ci, autrement dit réduit le
volume d’emplois et d’effectifs qui compose celle-ci. Plus la productivité
croît, plus l’emploi décroît sans pour autant que ce dernier se déverse sur
d’autres secteurs. Cependant, il ne peut être question de comprimer
la productivité, sauf à accepter une réduction drastique du pouvoir
d’achat ; mais il convient d’en sociabiliser les effets afin qu’adossés
arbitrairement, par une espèce de droit d’aubaine, à un secteur productif, à
une activité ou à un espace, au
détriment de tel autre, ils puissent profiter à tous sans pour autant exiger
des déracinements destructeurs, avilissants et engendrer, en définitive,
l’exclusion. C’est l’objectif du second procédé d’émission monétaire
créditiste. LE MECANISME D'EQUILIBRE CREDITISTE Le second procédé d'émission monétaire créditiste
peut se présenter comme un instrument de régulation des prix, comme un
mécanisme d’ajustement et d’amortissement des différentes variables et
contraintes internes et externes qu’ils incorporent. En période d'équilibre
de ces différentes variables, il peut s'inscrire comme un instrument de
baisse des prix. De quoi s'agit-il ? Louis Even
remarquait d'abord : « Il y a des
gens qui n'ont pas besoin de tout leur argent pour acheter des produits et
qui préfèrent épargner ou en placer. Cela diminue le pouvoir d'achat effectif
global ; Seul, l'argent consacré à acheter forme un pouvoir d'achat
immédiatement effectif. Pour cette raison et pour d'autres, l'équilibre entre
les prix et le pouvoir d'achat n'est pas atteint... Mais le Crédit Social y
pourvoit par un mécanisme régulateur qui respecte la liberté de chacun, rend
l'épargne des mieux fortunés bénéficiaires pour tous, et en même temps
empêche toute inflation des prix ». Ce mécanisme détruit instantanément et
automatiquement les mouvements de hausse des prix observés sur certains
produits. C'est un escompte que les producteurs et les fournisseurs vont
appliquer sur les prix des biens et services offerts à la consommation, et
que la Banque centrale leur restituera par une compensation monétaire
équivalente financée sur le crédit social. Les créditistes appelèrent ce
mécanisme l'escompte compensé ou le prix ajusté. Mécanisme qui peut également
prendre la forme de Bons d’achat. En
effet, dans le mode d'émission monétaire créditiste, cette compensation de la
Banque centrale aux producteurs et fournisseurs complète, en l’accompagnant,
la distribution des dividendes familiaux. Ainsi s'équilibrent et se
contrebalancent les pouvoirs financiers des producteurs et des consommateurs. La nouvelle monnaie de crédit social emprunte deux
voies régulant d'une part les prix, et d'autre part, le pouvoir d’achat
disponible, en fonction de l'épargne préalablement formée (et investie dans
une nouvelle production) et du niveau de croissance observé. L'émission de la monnaie nouvelle, sous forme de
dividende, soutenant la demande, et de compensation, soutenant l’offre, restitue alors en moyens de paiement
immédiat une partie de l'épargne investie, à hauteur des prix collectifs à
payer pour les biens et services consommables nouvellement produits. LE THEOREME A + B Pour illustrer cette technique, nous exposerons à
présent le théorème A + B de C.H. Douglas (cf. note 35). Nous commencerons
par comparer le pouvoir d'achat effectif, c'est-à-dire les moyens de paiement
immédiat dont disposent les consommateurs au prix collectif de la production
des biens et services consommables dans le pays, importations et exportations
incluses, à un moment T. A cette fin, nous allons décomposer le prix d'un
bien en fonction de la vitesse de transformation des valeurs qu'il représente
en pouvoir d'achat immédiat. Ce prix se décomposera d'un groupe de valeurs
immédiatement convertibles en liquidités. Il s'agira du groupe A comprenant
des salaires nets, des appointements, des rémunérations du travail, auxquels
nous ajouterons les revenus de la propriété et de l'entreprise qui ne sont
pas réinvestis. Ce groupe A est caractérisé par le fait que la monnaie ainsi
distribuée apporte au public un pouvoir d'achat immédiat. A ce premier groupe il conviendra d'ajouter les
paiements effectués pour achat de matières premières, achat et entretien de
matériel, gestion des stocks, les charges financières et sociales
(cotisations salariales incluses), les impôts et taxes, et les bénéfices
réinvestis, qui constitueront le groupe B. Ce groupe B se caractérise par le
fait que ses valeurs ne se convertissent pas immédiatement en pouvoir
d'achat. Il en est ainsi des traites commerciales dont la conversion en
pouvoir d'achat immédiat s'échelonnera dans le temps. Nous pouvons donc dire que le prix collectif de la
production est composé des groupes A + B, alors que le pouvoir d'achat
immédiat entre les mains du public au temps T, n'est constitué que par le Groupe
A. Aussi, A ne peut pas acheter A + B. Après avoir exposé ce théorème, Douglas concluait: « Le taux de distribution du pouvoir d'achat aux individus est
représenté par A. Mais puisque tous les paiements doivent entrer dans les
prix, le taux de formation des prix ne peut être inférieur à A + B, une
proportion du produit au moins équivalente à B doit être distribuée par une
forme de pouvoir d'achat non comprise dans le groupe A » [49]. L’écart récessionniste entre le prix global de la production et
les moyens de paiement entre les mains de la population est ici manifeste. Evidemment, dans l’enchevêtrement des différents
cycles de production, les actifs du groupe B écrivent un flux constant et
continu et finissent par se transformer en pouvoir d’achat immédiat
constituant le groupe A. Mais dans le même temps, le groupe A dessine un flux
inverse transformant une partie du pouvoir d’achat immédiat en pouvoir
d’achat différé constituant le groupe B ; alors que de nouveaux cycles
productifs achevés viennent accroître le prix collectif de la production
(A’+B’). Nous nous apercevons ainsi qu’à la
première période, la production A + B ne peut être écoulée que par l’appoint,
à hauteur de B, de crédit bancaire; alors qu’à la période ultérieure, la
production A’ + B’ ne peut être
écoulée qu’avec l’appoint de crédit bancaire à hauteur de A’ - A et B’ ou B ‘’. Nous pouvons ainsi dire que plus la production
s’accroît, plus la monnaie temporaire de crédit augmente. Il n’est, pour s’en
convaincre, que de constater qu’à volume identique avant la seconde guerre
mondiale, le volume de la monnaie de crédit représente, notamment depuis ces
deux dernières décennies, six fois le
volume de la monnaie centrale dans le seul agrégat des moyens de paiement
immédiat M1 (cf. Tableaux VII). TABLEAUX VII : MONNAIE DE CREDIT
Cependant, le théorème A + B fut énoncé par
Douglas alors que l'émission monétaire, notamment en Grande Bretagne, avait encore
pour contrepartie une parité or. Dans ce contexte, quels que fussent les
besoins de l'économie, la Banque centrale ne pouvait réescompter les traites
commerciales que si elle possédait une contrepartie or. La déficience du
pouvoir d'achat était alors manifeste, d'autant que la production, au XIX e
siècle, était soumise aux aléas des rentrées et sorties d'or du pays. Mais, au sortir de la première guerre mondiale,
avec l'abandon progressif de l'étalon or, les banques de second rang,
pallièrent cette déficience chronique du
pouvoir d'achat en anticipant la production par des mécanismes de
duplication monétaire et d'émission de « faux droits » contre
remise des promesses à payer escomptées au public (cf. Chapitre I). L'analyse de Douglas, écrite durant cette période,
dénonçait, certes, le manque de crédit inhérent à l'assujettissement aurifère
de la monnaie, tout comme le fit avant lui P.J. Proudhon dans sa tentative
d'organisation du crédit en 1848 - 1849, mais surtout elle proposait
d'équilibrer dans le temps le flux des biens et services au circuit
monétaire, à l'aide de deux variables: sa vitesse de circulation et son
émission. Il s'agissait donc de contrebalancer simultanément les mouvements de la production, dépréciation et
accroissement, aux mouvements de démonétisation ou de rémonétisation,
c'est-à-dire de transformation des moyens de paiement en épargne et
inversement, par deux procédés d'émission monétaire, le dividende et
l'escompte compensé. Si le dividende entend accroître, par une
expansion monétaire simultanée, le pouvoir d'achat des consommateurs,
l'escompte des prix accordé par les producteurs et les fournisseurs permet
d'atteindre le même équilibre entre le pouvoir d'achat immédiat collectif et
les prix collectifs de la production. Mais, dans cette dernière figure, la
Banque centrale compensera les producteurs et les fournisseurs d'un volume de
crédit social identique qui leur permettra de retrouver le niveau de
financement de leurs investissements et d'établir entre les différents métiers
et professions de la production une compensation de type corporatif. TECHNIQUE DE L'ESCOMPTE COMPENSE ET DU BON D’ACHAT Pour illustrer cet ajustement, reprenons l'exemple
de Louis Even dans « Sous le signe de
l'abondance ». Prenons l'hypothèse d'un pays qui a fourni en biens de
capital et de consommation une production totale évaluée à 120 millions de
francs pendant une période déterminée. Dans le même temps, les dépenses
totales de la population se sont élevées à 90 millions de francs. Si le prix demandé par le producteur pour acquérir
un bien est de X francs, le prix ajusté que paiera effectivement le
consommateur sera de X. 90/120 =
X.3/4 = X. 0,75/1, soit une baisse
de 0,25/1. Le consommateur bénéficiera donc d'un escompte de 25 % qui sera
compensé aux différentes branches productives par la Banque centrale. Deux techniques peuvent alors être envisagées: - Le Bon d'achat grâce auquel le bien est vendu au
prix demandé par le fournisseur producteur tandis que le client consommateur
reçoit une compensation équivalente à l’escompte sous la forme d’un crédit
auprès de la Banque centrale. - L'escompte compensé avec lequel le bien est
vendu au prix escompté. L'escompte est alors compensé au fournisseur par la
Banque centrale. Ici, l'expérience, la pratique, la commodité
prévaudront pour déterminer, selon le type de produit et la nature des
transactions, la technique appropriée. Toutes les entreprises, quelles que soient leur
taille et leur nature, pour peu qu'elles indiquent leur bénéfice moyen sur
leur chiffre d'affaires et pratiquent des prix leur permettant de préserver
celui-ci, pourront ainsi bénéficier de cette compensation. Il leur suffira pour cela de se faire enregistrer
auprès des autorités compétentes. Le contrôle en la matière reviendra aux
différentes corporations professionnelles fédérées (cf. seconde Partie).
Celles-ci pourront ainsi promouvoir entre elles des compensations mutuelles.
Cependant, chaque entreprise, producteur et fournisseur, restera libre de
bénéficier de cette mesure. Mais, leur handicap sera d'autant plus grand que
le taux de l'escompte sera élevé, et le produit vendu meilleur marché.
Toutefois une entreprise incapable de produire un bénéfice après plusieurs
exercices pourra être exclue de cet avantage compétitif dans la mesure où, si
elle ne sait dégager ni bénéfice ni investissement, cette compensation
reviendrait en fait à lui offrir des subventions et à dériver ainsi vers un
assistanat d'entreprises, contraire à la philosophie sociétale de nos
propositions. Il reste que si la réforme financière créditiste
tend à l'abolition progressive des taxes telles qu'elles se présentent
aujourd'hui [50],
il peut arriver que l'escompte compensé soit nul ou négatif. Ceci pourrait
être, par exemple, le cas lorsque l’activité économique traverse une phase de
récession. Dès lors, le volume de crédit social à annuler doit être supérieur
à celui qui sera émis lors de la période suivante. L’escompte compensé est
alors absorbé par le mécanisme précédemment exposé de remboursement du volume de crédit social sur la
consommation. Hormis ce cas d’école, le prix ajusté, par bon
d'achat ou escompte compensé, a pour fonction de rendre la valeur de la
production globale parfaitement équilibrée à la consommation exprimée en
pouvoir d'achat. Si, sauf pour les biens ne bénéficiant pas du prix ajusté,
tous les articles de production du pays sont payés, dans notre exemple
précédent, aux 3/4 de leur coût de production, et compensés au 1/4 restant,
les consommateurs pourront obtenir toute la production de 120 millions de
francs avec 90 millions de francs de pouvoir d'achat immédiat. Le prix ajusté
peut donc s'exprimer le plus simplement possible comme étant : le prix marqué x Consommation + Exportation Consommation +
Importation Il n'y a donc plus d'entrave financière à la
consommation, si l'on excepte celle qui s'articule autour de l'épargne, et
qui, à terme, reviendra dans le circuit de la monnaie de circulation pour
l'acquisition d'un bien de capital [51]. La mévente d'un
produit devient alors un indicateur du marché qu'il conviendra de suivre lors
des prochains cycles de production. Le consommateur, libre, car
solvable, sanctionne en effet, par
l'abstinence, le produit dont il ne ressent pas le besoin, et oriente ainsi
la ligne directive de la production. Le faux besoin, nécessaire à l'entrepreneur dans
le système capitaliste, pour compenser la baisse tendancielle de son taux de
profit, est éliminé puisque le consommateur dispose avec ce mécanisme de prix
ajusté d'un véritable pouvoir sélectif des besoins ressentis. L’AMORTISSEMENT ET L’ANNULATION DES VARIABLES Prenons maintenant un deuxième exemple: Supposons
que le prix de la production proposée à la consommation soit de 10 et le
pouvoir d'achat effectivement disponible (c'est-à-dire les moyens de paiement
regroupés dans l'agrégat monétaire M1) de 8. Le rapport P/C
(Production/Consommation) s'inscrit 10/8 ou 1,25/1 alors qu'il devrait être
de 1/1 (un) pour atteindre son but. Comme 8 ne peut pas acheter 10, un
escompte abaisse le prix de la production de 2 points, ou ramène le prix de
1,25 à 1, afin que la production rencontre la consommation. Cette opération
d'escompte de 25 % est compensée d'un montant identique aux fournisseurs, ce
qui leur permet de rééquilibrer leur budget (charges, marges
bénéficiaires...). Cette compensation leur est garantie par la Banque
centrale. Il s'agit donc là d'un coefficient d'ajustement des prix ou de régulation
monétaire. Comme nous l’avons vu, différentes variables peuvent infléchir les
prix et les faire grimper. On sait cependant que la répercussion d’une hausse
des prix n'a rien de mécanique, et qu'à l’exception de quelques cas isolés,
les fournisseurs répugnent à ces hausses de prix imprévisibles [52]. C’est pourquoi la garantie d'être compensés
par la Banque de France doit leur permettre de ne pas répercuter sur la
consommation finale ces hausses de prix incontrôlables. Il est évident que
l'ampleur de ces hausses n'est pas identique pour chaque produit ou service
mis en vente. Si nous limitons cette approche aux incidences d'une hausse de
matières premières incorporées dans le bien produit, par exemple, les
répercussions sont d'inégales grandeurs selon que la fabrication du produit
final fasse appel à peu ou beaucoup de ces matières premières. Il appartient, avons-nous dit d’autre part, aux
groupes professionnels fédérés au sein d'organisations professionnelles
corporatives, de déterminer la nature et les incidences de ces hausses, puis
d'en justifier le coût et les effets auprès de l'Institut d'émission
monétaire. Si la participation au mécanisme d’émission monétaire par
l’escompte compensé leur est consentie par les partenaires sociaux, notamment
locaux, l’escompte consenti à la
clientèle annulera cette hausse à sa source. Elle ne viendra donc pas réduire
le pouvoir d’achat collectif des consommateurs. Les fournisseurs,
bénéficiaires de la compensation, n'auront
plus à comprimer leurs marges bénéficiaires au détriment des
investissements futurs. Expliquons nous. Pour ce faire, nous allons
comparer la régulation du prix d’un bien affecté par la raréfaction d’une
matière première, d'une multitude d'incidents et d'événements qui peuvent
toujours déprécier notre appareil productif, importés ou internes, selon le
mode d'émission monétaire de notre actuel système financier et selon le
mécanisme créditiste de l'escompte compensé. I : REGULATION DES PRIX SELON LE MECANISME FINANCIER ACTUEL Nous disons qu’une variable, hausse des charges
sociales ou financières, du prix d’une matière première ou d’un produit
semi-fini, d’une raréfaction des débouchés,
renchérit le coût d'une (ou de plusieurs) production(s) donnée(s). Premier cas - Le fournisseur répercute cette hausse sur
ses prix. La masse monétaire en circulation (moyens de paiement de l’agrégat
M1) ne peut plus satisfaire la demande globale de biens exprimés en monnaie. Première réponse : Afin de rééquilibrer l'offre à
la demande, les agents économiques réalisent (remonétisent)
leur épargne (M3 - M1), ils désinvestissent. Il s'agit là du commencement
d’un mécanisme de récession économique engendrant moins d'investissement,
donc moins de richesses à créer, et par conséquent moins d’emploi. Deuxième réponse : Les agents économiques ne
désinvestissent pas, mais préfèrent emprunter pour boucler leurs trésoreries.
Il y a donc création monétaire ex-nihilo, et anticipation d'une épargne qui
n'est pas encore formée. Aussi la masse monétaire (épargne constituée +
moyens de paiements + monnaie ex-nihilo) se gonfle et devient supérieure à la
valeur des biens exprimés en monnaie. Il s'agit là du mécanisme
inflationniste classique. Second cas - Le fournisseur ne
répercute pas cette hausse sur ses prix. Première réponse : Il comprime ses marges
bénéficiaires et, de fait il devra réduire l'investissement. C’est le début
du mécanisme de récession précédemment cité. Deuxième réponse : Il peut, de la même façon, ne
pas redistribuer les gains de productivité aux salariés, c'est-à-dire
comprimer la masse salariale. Ici le fournisseur privilégiera
l'investissement au détriment des salariés. C'est l'austérité. Les salariés
ne comprennent pas pourquoi leurs salaires sont comprimés tandis que les
profits augmentent. Si logiquement la création d'emplois ne doit pas diminuer
puisque l'investissement n'est pas réduit dans l'opération, il y a un nouveau
partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés qui ne retrouvent plus
leur pouvoir d'achat précédent. Bien évidemment nous savons que ni
l'investissement ni la masse salariale ne sont aussi systématiquement
privilégiés ou réduits, d'autant que c'est au niveau de chaque entreprise,
selon son approche micro économique, que se dessine le nouveau partage de la
valeur ajoutée. Nous pouvons d’ailleurs introduire un autre agent, l'Etat,
qui peut choisir entre la récession ou l’inflation, selon qu'il préfère un
resserrement ou un relâchement de sa politique monétaire, tout comme
n'importe quelle entreprise, sans que l'idée générale énoncée ici soit
contredite. C'est la politique du « stop and go », où l'arbitrage
entre l'inflation et le chômage apparaît comme la contrainte de base de la
régulation monétaire conjoncturelle. Face à une hausse des prix, le système financier actuel
nous oblige ainsi à choisir entre l'inflation pour maintenir la croissance ou
la récession pour combattre l'inflation. Dans tous les cas de figure, il nous
force à changer le mode de partage de la valeur ajoutée pour favoriser les
groupes qui, selon le bon gré de
l'Etat, en ont le plus besoin ou ceux dont les représentants sont
majoritaires dans le gouvernement. Qu’il s’agisse de déterminer l’intérêt
général ou de servir certains groupes de pression, ce nouveau partage va
accorder des rentes aux uns sans en compenser les autres. Il s'en suit
naturellement un conflit permanent entre salariés et employeurs, épargnants
et emprunteurs, Etat et fournisseurs. II : AJUSTEMENT DES PRIX SELON LE MECANISME REGULATEUR CREDITISTE DE L'ESCOMPTE COMPENSE. Nous disons à présent qu’une variable, hausse des
charges financières, du prix d’une matière première ou d’un produit
semi-fini, d’une raréfaction des débouchés,
renchérit le coût d'une (ou de plusieurs) production(s) donnée(s). Les organismes corporatifs constatent la hausse du
coût de cette production, ils la font apprécier et enregistrer auprès de
l'Institut monétaire, la Banque centrale. La participation au mécanisme
d’émission monétaire de l’escompte compensé leur est accordée. Les fournisseurs escomptent alors le prix de vente
de leur production du montant de la compensation qui leur est consentie par
la Banque Centrale. Ils ne vont donc pas répercuter cette hausse. Les prix
collectifs à payer restent égaux aux moyens de paiement. Dans un second temps, sur justificatif de
l'escompte consenti à la consommation finale, la Banque Centrale accroît la
masse monétaire en compensant ces corporations d'un montant identique. Les
fournisseurs restent parfaitement libres de convertir cette compensation en
placements et investissements, ou en
moyens de paiement, donc en pouvoir d'achat immédiat. Cette compensation
intervient après la diffusion dans le pays des produits dont les prix sont en
hausse. Elle autorise ainsi les producteurs à retrouver les conditions d'équilibre
du partage de la valeur ajoutée. Nous constatons qu’il n'y a pas eu d’excès
de la demande globale exprimée en monnaie par rapport à l'offre de quantités
produites. La fraction de crédit social que la Banque
centrale a consentie aux fournisseurs sous la forme d'une compensation de
l'escompte, accordée aux prix à la consommation, a comme contrepartie la
création de nouvelles richesses intervenue pendant la période de diffusion
dans le pays des produits surenchéris.
C'est-à-dire que l'accroissement des richesses nouvelles, la croissance de la
production, est venue annuler les effets inflationnistes ou de récession de
la hausse du prix de certaines matières premières. La création monétaire a
suivi l'accroissement des richesses produites, elle ne l'a pas devancé comme
précédemment. En effet, là où l’appoint du crédit bancaire avec intérêt
venait financer le surcoût du prix d’achat en se répercutant sur les prix de
vente, l’escompte à la clientèle va permettre de maintenir le prix de vente à
son niveau antérieur tandis que sa compensation financera, sans demander d’intérêt, le
surcoût du prix d’achat. Le financement de la hausse est alors supporté par l'autre source d'émission
monétaire du système créditiste: les dividendes familiaux. Cette hausse est
alors amortie par l'ensemble de la nation, dans le temps si les impératifs
sociaux l'exigent, mais à court terme. Ainsi, cette compensation diminuera,
au pire, le montant global de la partie variable du dividende familial, mais
n'altérera en rien les potentialités productives de la nation. En période
de stabilité de prix, la croissance de l’activité
économique est alors répartie mutuellement entre les corps de la production,
par le mécanisme de l'escompte compensé, et les familles, par le dividende,
en fonction de la volonté mutuelle exprimée par les différents acteurs
sociaux participant aux échanges
économiques. L’émission monétaire du crédit social va donc
emprunter deux voies complémentaires, l'une accroîtra le revenu des consommateurs,
l'autre facilitera la circulation de la production. Aucune des deux parties
de l'échange ne sera spoliée. Ces deux voies équilibrent mutuellement le
pouvoir financier détenu par la sphère productive et par la sphère
domestique. Il appartiendra alors aux fournisseurs producteurs
et aux consommateurs de négocier, de façon contractuelle et commutative, au
plus bas niveau social, en fonction des conditions qui leur sont propres, la
répartition du crédit social, franc d'intérêt, entre les deux pôles de
l'échange. CHAPITRE V : L'USURE « Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du temple,
avec leurs brebis et leurs boeufs; il dispersa la
monnaie des changeurs, renversa leurs tables ». Jean, II, 14, 16. « L'usure, en parlant communément, signifie la perception
d'intérêts excessifs sur le prêt d'un capital. Si nous parlons scientifiquement, tous les intérêts sont de l'usure, même si le taux est légal,
qu'il soit modéré ou trop important.
Ces distinctions, pour si
importantes qu'elles soient
du point de vue juridique ou moraliste ne peuvent altérer le caractère
intrinsèque de l'opération, en vertu de laquelle le prêt devrait être gratuit
comme l'exigerait son essence ». René De La Tour Du Pin (Pour un Ordre social chrétien, 1889). « L'usure est une taxe prélevée
sur le pouvoir d'achat, sans
égard pour la productivité, et souvent
même pour les possibilités de produire ». Ezra Pound (L'or et le travail). « Qu'est-ce-que le prêt à intérêt, sinon tuer un homme ». Saint Ambroise Nous nous sommes
attachés, dans nos précédents chapitres, à dénoncer le droit d'aubaine, qu'il
soit de seigneuriage, oligarchique ou étatique, et qui, au nom de la force,
tend à légitimer le droit d'abuser. Nous avons, de la même façon, observé que
l'intérêt demandé par les instituts d'émission monétaire ne se justifie, sur
le plan strictement économique, que parce qu'il régularise la création
monétaire ex nihilo, à contrepartie d'endettement, des banques secondaires.
Supprimons la cause pour détruire l'effet ! En dissociant les activités de prêts et de dépôts
des banques secondaires, et en revenant à un taux de couverture à 100 % de
tous les dépôts, nous supprimons la cause et la justification économique de
l'intérêt demandé par la Banque Centrale pour l'émission de monnaie centrale.
L'émission monétaire n'a plus alors pour contrepartie des promesses à payer
non échues, mais l'accroissement de la richesse réelle du pays. Il s'en suit
que la Banque centrale n'a plus à s'octroyer une « prime de
liquidité » ayant pour fonction de limiter la duplication monétaire des
banques secondaires. Le droit d'aubaine n'existe plus. Il reste, cependant, que les agents économiques
seront amenés tout naturellement, à
épargner et à investir, donc à négocier leur épargne sur le marché.
L'intérêt réapparaîtra-t-il ici, et dès lors, n'aurait-on éliminé le droit
d'aubaine monétaire que pour le transférer du public au privé ? Dans le cas
contraire, peut-on et doit-on supprimer l'intérêt ? L'INTERET VERROUILLE LA PRODUCTION. L'intérêt que réclame la monnaie est considéré
comme l'une des composantes essentielles de l'équilibre économique. La
hauteur des besoins d'investissement actuels ne peut plus supposer que la monnaie
épargnée soit retirée du circuit monétaire,
et comme jadis thésaurisée dans le bas de laine de nos aïeuls. Il
existe, en fait, depuis toujours, plusieurs théories justifiant l'intérêt.
Citons en cinq: la théorie de la fructification (l'argent permet d'acheter
une terre qui rapporte des fruits), la théorie de la productivité (le capital
qui assiste le travail a droit à une rémunération), la théorie du travail
(les rentiers sont considérés comme des fonctionnaires de la collectivité),
la théorie de l'utilité (la valeur se définit par rapport à la rareté) et la
théorie de l'abstinence (la prodigalité, c'est le fruit défendu du paradis
terrestre). L'intérêt est aussi devenu l'instrument,
privilégié et sélectif, qui permet aux monnayeurs et changeurs de monnaie
d'attirer les capitaux, de favoriser les investissements productifs ou
spéculatifs, selon leur bon plaisir; ou a contrario, de freiner la demande de
monnaie. La démocratie économique à laquelle nous aspirons ne peut
reconnaître l'existence d'un droit unilatéral qui présuppose qu'un bien
s'accroît en valeur par l'usage et dans le temps. Déjà P. J. Proudhon, à la différence de Karl Marx,
avait observé que le pouvoir d'abuser des propriétaires s'appuyait sur la
monnaie, à la valeur toujours constante au XIX e siècle. En effet, celle-ci
porte intérêt alors que les biens et les marchandises subissent naturellement
une moins value que seul leur accroissement, donc le travail dont on les
affecte, peut contrebalancer. Comparons, par exemple, l'évolution dans le temps,
d'un capital monétaire (KM) à un capital physique (KP), de valeur égale à
temps n. A temps n + 1, le capital monétaire porte x %
d'intérêt (x = plus value monétaire)
et le capital physique se déprécie de y % (y = moins value monétaire).
Sans intervention du travail, le différentiel
capitalistique à n + 1 est alors de x + y
à l'avantage du capital monétaire. La moins value du capital physique
est venue s'ajouter et renforcer la plus value perçue par le capital
monétaire. Pour un pouvoir d'achat initial de même valeur où à temps n : KM = KP, une concentration du capital
monétaire s’est formée à temps n + 1,
augmenté d'un revenu non gagné. Comparé à KP qui portait à temps n la même
valeur que KM ; à temps n +1, KM s’est
valorisé de x + y. Le capital monétaire s’est accru de son intérêt et de la
dépréciation du capital physique. L’échange est inégal, le droit d’aubaine
évident, le marché est faussé et les écarts sociaux s’accroissent. Il s'en suit que seul le travail accompli sur le
capital physique KP peut permettre de lutter contre cette appropriation
abusive des valeurs x et y. Nous nous apercevons
alors que le capital monétaire croît d'autant plus vite que le capital
physique décroît. Or, si les capacités physiques du travail et de la production
dépendent du coût de leur financement, de l'intérêt demandé sur les
investissements nécessaires à leur mise en oeuvre,
le capital physique ne sera pas toujours en mesure d'organiser le travail.
L'intérêt, coût du prêt monétaire, fixé unilatéralement par l'offreur,
verrouille ainsi la production et condamne le capital physique à se plier à
ses désitératas.
Silvio Gesell [53] notait ainsi que
lorsque Proudhon eut compris que l'argent fait fonction de verrou, son mot
d'ordre fut : « Combattons le
privilège dont jouit l'argent, en élevant les marchandises et le travail au
rang de numéraire ». Car lorsque deux privilèges s'affrontent, ils
s'annulent réciproquement. Conférons aux
marchandises le poids de l'argent comptant: les privilèges se
balanceront ». C'est pourquoi là où Marx appela à la paralysie de
l'appareil productif, notamment par la grève, pour permettre au prolétariat
de conquérir la plus value qui lui échappe; Proudhon appela au développement
du travail, à l'accroissement de la production qui, seuls, sont en mesure
d'abaisser le coût de l'intérêt et de contrebalancer son pouvoir. En effet,
non seulement l'intérêt accroît
le coût de
financement de la
production, et par
conséquent, en réduit
ses possibilités d'écoulement, mais de plus, il présume du gain tiré
de l'usage du prêt, que celui-ci se traduise par une plus ou une moins value. Silvio Gesell illustra cette inéquité
et la substance économiquement inefficace de l'intérêt dans une « robinsonade » introductive à sa « Théorie de
l'intérêt et du capital » (opus cité). Nous la reprenons ici. L'APOLOGUE DE ROBINSON «
Comme chacun sait, Robinson se trouvait seul sur une île. Il tua des porcs,
sala les viandes, confectionna des vêtements. Bref, selon ses estimations, il
pouvait pourvoir largement à ses besoins pour les trois années à venir. Tandis qu'il
procédait à un dernier calcul, il vit venir à lui un homme. - Hé, cria
l'Etranger, le naufrage de mon bateau me force d'aborder ici. Ne pourrais-tu
me prêter des provisions jusqu'au jour où j'aurai défriché un champ et rentré
ma première récolte ? Robinson, à
ces mots, pensa à ses réserves, à l'intérêt qu'il en tirerait et à la
splendeur de la vie de rentier. Il s'empressa d'accepter. - Très bien,
dit l'Etranger. Mais je te préviens: je ne paie pas d'intérêt, sinon je
préfère me nourrir de chasse et de pêche. Ma religion m'interdit tout autant
de payer de l'intérêt que d'en exiger. R- Belle
religion, mais qu'est-ce qui te fait croire que je vais accepter ? E- Ton
égoïsme, Robinson, car tu y gagnes, et pas mal. R- Je ne vois
pas l'avantage que j'aurais à te prêter gratuitement mes provisions. E- Je vais te
le montrer. J'ai besoin de vêtements, tu le vois, je suis nu. As-tu des
habits en provision ? R- Cette
caisse là est pleine à craquer. E- Mais ces
vêtements, là, enfermés, c'est la nourriture de prédilection des mites. R- Tu as
raison, mais comment faire autrement. Ailleurs, ils craignent les souris et
les rats. E- Comment
faire autrement ! Prête moi ces vêtements et je m'engage à t'en faire de
nouveaux dès que tu en auras besoin, et ces vêtements seront même, parce que
neufs, meilleurs que ceux que tu retirerais plus tard de cette caisse. R- Oui,
Etranger, je veux bien te prêter cette caisse, car je vois qu'il m'est
avantageux de te prêter les vêtements même sans intérêt [54]. E- Montre moi
ton froment. J'en ai besoin pour semer et cuire. R- Je l'ai
enterré sur la colline. E- Tu l'as
enfoui pour trois ans ! Et la vermine ? Et les larves ? R- Je sais.
Mais comment les conserver autrement ? Si seulement je connaissais le moyen
de défendre mon capital contre les forces de destruction de la nature. E- Prête moi
une partie de tes provisions, je te réglerai cette fourniture avec du froment
frais de mes moissons, kilo pour kilo, mais toujours sans intérêt. R- C'est avec
joie et en te remerciant. Et si je t'offrais toute la réserve en stipulant
que contre dix sacs tu n'en doives que neuf ? E- Non, je te
remercie. Cela aussi s'appelle de l'usure, à la place du bailleur, c'est le
preneur qui serait capitaliste. Mes convictions condamnent l'usure, y compris
l'intérêt renversé mais j'ai encore besoin d'autre chose: une charrue, un
chariot, des outils. Me prêteras-tu sans intérêt le tout ? R- J'accepte. Je
me réjouis de pouvoir désormais conserver ces biens pour l'avenir, en bon
état et sans travail, grâce au prêt. E- Tu
reconnais alors l'avantage que tu trouves à me prêter ces biens sans intérêt [55]
? R- Je le
reconnais. Mais je me demande pourquoi dans mon pays les prêteurs demandent
un intérêt. E- La cause,
tu dois la chercher dans l'argent. R- Quoi, la
source de l'intérêt viendrait de l'argent ? Mais écoute ce que dit Marx de
l'argent et de l'intérêt: « La force du travail est la source de
l'intérêt (plus-value). L'intérêt, qui fait de l'argent un capital, ne peut
provenir de l'argent. S'il est vrai
que l'argent est un moyen d'échanges, alors il ne fait rien d'autre que payer
le prix des marchandises qu'il achète. Si de ce fait il ne change pas, il
n'augmente pas de valeur. Donc,
l'intérêt (la plus value) doit provenir des marchandises achetées que l'on
revendra plus cher. Ce changement ne peut s'occasionner ni à la vente ni à
l'achat: dans ces deux transactions ce sont des équivalents qui sont échangés.
Une seule hypothèse reste donc: que le changement se produit par l'usage que
l'on fait des biens après l'achat et avant la revente ». (K. .Marx,
« Le Capital », Chap.VI). E- Tu es sur
cette île depuis longtemps. R- Trente ans. E- Cela se
voit. Tu t'en rapporte encore à la théorie de la valeur. Il n'est plus
personne pour la défendre aujourd'hui. R- Quoi ! Tu
viendrais dire que la théorie marxiste de l'intérêt est morte. Ce n'est pas
vrai, je la défendrai. E- Très bien.
Alors défends toi, mais pas avec des mots mais avec des actes. Tu disposes
d'un capital. Moi, je suis nu. Jamais le vrai rapport entre prêteur de
capitaux et emprunteur n'est apparu sous un jour plus clair qu'entre nous
deux. Maintenant, essaye de me soutirer de l'intérêt. R- Ah, non merci,
les rats, les souris et les larves ont rongé ma force de capitaliste. Mais
dis-moi comment expliques-tu la chose ? E-
L'explication est simple. S'il existait sur cette île une organisation
économique faisant usage d'argent, et si moi, naufragé, j’avais besoin d'un
prêt, je devrais dans ce cas m'adresser à un prêteur d'argent pour acheter
ensuite ce que tu viens de me prêter sans intérêt. Mais ce prêteur d'argent
ne s'inquiète ni des rats ni des souris ni des larves. Je ne puis l'aborder
de la façon dont je me suis adressé à toi. Une perte est la rançon de toute
possession de marchandises. Cette perte n'atteint que celui qui doit
conserver les marchandises, non celui qui prête l'argent. Le prêteur d'argent
ignore, lui, ces soucis. Tu n'as pas refermé ton coffre à habits lorsque j'ai
refusé tout paiement d'intérêt, la nature de ton capital t'engageait à
poursuivre la discussion. Le capitaliste d'argent, lui, me claque au nez la
porte de son coffre-fort, lorsque je lui annonce que je ne paie pas d'intérêt.
D'ailleurs, ce n'est pas de l'argent que j'ai besoin mais d'habits, que je
devrais payer avec cet argent. Les habits, tu me les vends sans intérêt,
l'argent nécessaire, je dois le renter. R- De la
sorte, il faudrait chercher l'origine de l'intérêt dans l'argent, et Marx
aurait eu tort? E- Il se
trompait. Il sous estimait l'importance de l'argent, ce grand nerf de
l'économie. Dès lors, il n'est pas surprenant qu'il se soit trompé dans
d'autres questions fondamentales. R- Ainsi le
banquier peut fermer son coffre au nez de celui qui lui refuse l'intérêt,
cette puissance, il la tire de la supériorité de l'argent sur les
marchandises. Voilà le noeud. E- Tout de
même, quelle force de suggestion ont les rats, les souris et les larves.
Quelques heures d'économie politique nous ont appris plus que des années
d'étude dans les grimoires d'économie politique ». (d'après Silvio Gesell, 5
mai 1920.) L'USURE ET LES HOMMES Si l'intérêt, l'intérêt simple, verrouille la
production, que dire alors de l'intérêt composé, qui, à terme, peut exiger de
l'emprunteur, le double ou le triple du capital monétaire emprunté. Ainsi, un
capital prêté de 100.000 francs sur 10 ans à 10 % d'intérêt exigera un
remboursement de 259.374 francs [56]. On comprend dès lors
que les agents économiques emprunteurs, incapables de dégager une telle plus
value sur dix ans, spéculent sur l'inflation.
Dans son manifeste « Pour le démantèlement de
la servitude de l'intérêt de l'argent », Gottfried Feder
comparait la croissance du grand capital bancaire, nourrie des intérêts des
intérêts de l'argent, à une avalanche éternelle. Il écrivait ainsi: « La belle histoire de l'invention du
jeu de l'échec est connue. Le riche roi indien Sherman concéda à l'inventeur
du jeu, pour le remercier, l'accomplissement de ses demandes. Celle-ci
consista en ce que le roi fasse déposer sur la première case du jeu un simple
grain de blé, sur la seconde deux, sur la troisième quatre et ainsi de suite
sur toutes les cases suivantes en doublant chaque fois ce qu'il y avait sur
la case précédente. Le roi sourit de l'apparente modestie du savant et
ordonna d'apporter un sac de blé pour le satisfaire. On sait ce qu'il advint
et que le désir du savant ne put jamais être exaucé, que même le prince le
plus riche du monde ne l'aurait pas pu. Toutes les récoltes du monde entier
pendant mille ans n'auraient pas réussi à remplir les soixante quatre cases
de l'échiquier... ». Nous concevons ainsi que le problème de la dette
des pays en développement soit insoluble dans un système qui admet que l'on
puisse prêter à X % d'intérêt alors que ces pays ne
peuvent engendrer qu'une croissance de la production inférieure ou à peine
égale à X %. Sans compter les spéculations à la baisse des prix de certaines
matières premières que ces pays exportent, alors que, pour la plupart, ils
pratiquent la monoculture chère aux épigones d'Adam Smith. Sans compter la
faible part des achats que leur font les pays industrialisés, ni leurs
besoins de consommation, consécutifs à leur expansion démographique, qui diminuent
d'autant la part de plus value productive laissée à l'investissement et au
remboursement des intérêts de la dette. Même donc, sans prendre en compte ces
contraintes spécifiques, nous ne pouvons que conclure au caractère
intrinsèquement assassin de l'intérêt monnayé unilatéralement. Si l'Eglise admet le principe de la propriété
privée, et par voie de conséquence, reconnaît à son détenteur le droit
d'épargner et de prêter, droit de la personne humaine qui découle directement
du décalogue, on sait qu'elle a condamné le principe de l'intérêt de
l'argent, considéré comme un bien fongible, qui se consomme à l'usage. Les
Pères de l'Eglise, depuis les temps les plus anciens, ont toujours dénoncé
sans équivoque, l'usure rappelait Alain Pilote (Vers Demain 1991) . « Saint Thomas d'Aquin, dans
sa « Somme Théologique » (2.2, question 78) résume l'enseignement
de l'Eglise sur le prêt à intérêt: « Il est écrit dans le livre de
l'Exode (22, 25): « Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple,
au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point à son égard comme un créancier,
tu ne l'accableras pas d'intérêts ». Recevoir un intérêt pour l'usage de
l'argent prêté est en soi injuste, car c'est faire payer ce qui n'existe pas;
ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice... c'est en
quoi consiste l'usure. Et comme l'on est tenu de restituer les biens acquis
injustement, de même l'on est tenu de restituer l'argent reçu à titre
d'intérêt ». En fait, la
seule fois dans l'Evangile où il est mentionné que Jésus fit usage de
violence, c'est justement pour condamner cet intérêt exigé sur l'argent créé,
lorsqu'il chassa les changeurs d'argent du temple avec un fouet, et renversa
leur table (tel que rapporté dans Saint Mathieu 21, 12-13, et Saint Marc 11,
15-19). Il existait en ce temps là une loi qui stipulait que la dîme ou taxe
au temple de Jésuralem devait être payée par une
pièce de monnaie spéciale, appelée « demi-shekel du sanctuaire »,
dont les changeurs d'argent s'étaient justement arrangés pour obtenir le
monopole. Il y avait plusieurs sortes de pièces en ce temps là, mais les gens
devaient obtenir cette pièce spécifique pour payer leur dime. De plus, les colombes et les animaux, que les gens
devaient acheter pour offrir en sacrifice, ne pouvaient être achetés
autrement que par cette monnaie, que les changeurs d'argent échangeaient aux
pèlerins, mais moyennant de deux à trois fois sa valeur réelle en temps
normal. Jésus renversa leur table et leur dit: « Ma maison est une maison de prière, et vous en avez fait une
maison de voleurs ». F.R. Burch, dans son
livre « Money and its true
function », commente ainsi ce texte de
l'Evangile: « Tant que le Christ
limitait son enseignement au domaine de la moralité et de la droiture, il
n'était pas dérangé, ce ne fut que lorsqu'il s'attaqua au système économique
établi, chassa les profiteurs et renversa les tables des changeurs de monnaie
qu'il fut condamné. Le jour suivant, il était questionné, trahi le second,
jugé le troisième et crucifié le quatrième jour ». En 1311, au Concile de Vienne, le Pape Clément V
déclarait nulle et vaine toute la législation civile en faveur de l'usure, en
soulignant que « si quelqu'un
tombe dans cette erreur d'oser audacieusement affirmer que ce n'est pas un
péché que de faire l'usure, nous décrétons qu'il sera puni comme hérétique et
nous ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder
vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette
hérésie ». Le 1er novembre 1745, le pape Benoît XIV publiait
l'encyclique « Vix Pervenit », adressée
aux évêques italiens, au sujet des contrats, où l'usure, ou prêt à intérêt,
est clairement condamnée. Le 29 juillet 1836, le pape Grégoire XVI étendait
cette encyclique à l'Eglise universelle. Il y écrivait : « L'espèce de pêché qu'on appelle usure, et qui réside dans le
contrat de prêt, consiste en ce qu'une personne, s'autorisant du prêt même,
qui par sa nature demande qu'on rende seulement autant qu'on a reçu et
soutient conséquemment qu'il lui est dû, en plus du capital, quelque profit,
en considération du prêt même. C'est pour cette raison que tout profit de
cette sorte qui excède le capital est illicite et usuraire. Et certes,
pour ne pas encourir cette note infamante, il ne servirait à rien de dire que
ce profit n'est pas excessif, mais modéré; qu'il n'est pas grand, mais
petit... En effet, la loi du prêt a nécessairement pour objet l'égalité entre
ce qui a été donné et ce qui a été rendu... Par conséquent, si une personne
quelconque reçoit plus qu'elle n'a donné, elle sera tenue à restituer pour
satisfaire au devoir que lui impose la justice dite commutative... ». Cependant, au fil des siècles, l'approche de
l'Eglise fut plus nuancée, et connut plusieurs variations. Si, dans son
langage, elle désigna pendant longtemps par le mot « usure » le
prélèvement d'un intérêt pour un prêt d'argent, elle semble aujourd'hui
distinguer l'intérêt de l'usure selon la fonction de production ou de
consommation que l'on attribue au prêt. « Depuis
plus d'un siècle », écrit Pierre Haubtmann
[57], « l'Eglise distingue entre intérêt normal de l'argent et usure.
Plusieurs explications ont été proposées de cette variation, et l'accord est
loin d'être réalisé entre les théologiens. Voir le Père Villain,
« l'enseignement social de l'Eglise, Spes,
1953, T.I., pp. 102 à 135, où on trouvera un excellent exposé de la question,
et des solutions diverses proposées par les théologiens ». Monseigneur Pierre Haubtmann
se ralliait à l'opinion du Père Villain qui
estimait « que la doctrine
classique de la non légitimité de l'intérêt reposait sur le fait, alors
exact, que la possession actuelle de l'argent n'avait aucune valeur
économique particulière. Or, aujourd'hui, il n'en est plus de même: « le
rôle de l'argent est profondément modifié ». Selon St. Alphonse de Liquori,
dans son résumé de la Théologie morale, Tome VI de ses oeuvres,
le prêt consiste à donner une chose qui se consomme par l'usage, à la charge
d'en restituer une autre de même qualité, dans un temps déterminé, et l'usure
consiste dans un profit estimable à prix d'argent, que l'on tire du prêt,
pour l'usage de la chose prêtée. Elle est défendue par le droit naturel aussi
bien que par le droit positif, puisque dans les autres choses l'usage est
distinct de la propriété, tandis que dans les choses consomptibles par
l'usage, l'usage ne peut pas être distingué de la propriété, puisque l'usage
que l'on fait de la chose fait qu'on cesse de l'avoir; il suit de là que dans
le prêt la propriété des objets est nécessairement transférée à celui qui les
reçoit, et, si celui qui les a fournis en exige quelque intérêt, il l'exige
d'objets qui ne lui appartiennent plus et qui sont improductifs par leur
nature, comme de l'argent, du blé, etc [58]. Dans ses Décrétales, sous le pape Grégoire
IX (1227-1241), l'Eglise consacra à l'usure un livre entier, et la condamna
sans réserve. Cependant, au seizième siècle commença à prévaloir, autorisé
par la loi civile et la coutume, l'usage d'accepter un intérêt modéré pour
l'argent prêté. Le 1er novembre 1745, le pape Benoît XIV, dans son encyclique
Vix pervenit, se proposa de formuler « sur l'usure, une doctrine
certaine » sans vouloir rien décerner au sujet de ces autres
contrats « où les
théologiens et les canonistes se partagent en des avis différents ».
Pourtant, en ce qui concerne le processus de
comptabilisation des intérêts dans le temps, le R.P. Spicq
rappela que « le temps n'est pas
vénal », ce qui revenait à condamner les intérêts composés. Au
demeurant, déjà Saint Thomas refusait
à voir dans la perte du temps la source d'un droit à intérêt, car, pour lui,
le temps n'appartenait pas au prêteur et ne pouvait se vendre. Il n'est
d'ailleurs qu'une condition nécessaire à toute entreprise. Aussi, alors que
les théories plus modernes de l'intérêt définissent l'intérêt comme le prix
du temps, les scolastiques ne pouvaient admettre que la durée ait une
influence économique pouvant fonder une différence de prix. « Dans la morale thomiste, les prix
varient dans, et même d'après, le temps et l'espace sans que ce double
élément soit la cause déterminante de cette variation ». Il reste cependant, selon le Père Thomas Pèques
(Du péché de l'usure dans les prêts)., que « le prêt sous sa première forme ou le prêt-assistance qui
n'est, comme tel, qu'un des modes de subvenir à la nécessité d'autrui,
devrait garder, dans la vie ordinaire des hommes, une plus grande place. Nous
devons expliquer ici les règles données plus haut au sujet de l'aumône et au
sujet du droit d'usage tel que nous l'a expliqué saint Thomas dans la
question de la propriété. Ceux qui
ayant plus que le nécessaire ne savent point subvenir à la nécessité des
petits, en leur prêtant gratuitement et sans autre charge que de rendre l'argent prêté quand ils
pourront vraiment le rendre, mais se montrent en toute circonstance d'une
absolue rigueur dans l'exigence de l'intérêt, s'agirait-il même du simple
intérêt ordinaire ou légal, n'échapperont point, devant Dieu, à la
responsabilité du péché de l'usure. Et l'on peut bien dire qu'une des grandes
causes du malaise social aujourd'hui est dans la méconnaissance ou l'oubli de
ce devoir sacré » Selon le Père, dans ses commentaires, la doctrine
de Benoît XIV peut se résumer en ces trois points: «1er - Tout gain, si minime soit-il, voulu pour le
prêt en tant que tel, est absolument illicite, et oblige à la restitution. 2 e - Mais l'usage d'exiger quelque chose en plus
de l'argent fourni peut être légitimé, s'il se trouve quelque chose ajouté à
la raison du prêt, ou si le mode de livrer son argent est lui-même distinct
du prêt proprement dit. 3 e - Toutefois, il est des cas où l'homme est
tenu de prêter son argent purement et simplement, sans rien exiger au delà de
ce qu'il a prêté » (P. Thomas Pègres, Commentaire de la Somme
théologique T.XI.). En fait, pour Saint Thomas, comme pour Aristote et
les Pères de l'Eglise, souligne le R.P. Spicq
(Renseignements techniques accompagnant la traduction de la Somme
théologique, « La justice »).,
« le travail est le titre lucratif essentiel ». C'est « une fausse conception (de penser)
que l'argent doit rapporter quelque soit son placement, qu'il est de soi
lucratif; c'est ce qu’appelle sa rentabilité, sa vertu propre de
productivité. A quoi il faut opposer le principe aristotélicien toujours
vrai: « l'argent ne fait pas de petits, de soi il est improductif
(...). L'argent n'a pas d'autre
utilité réelle que de constituer un intermédiaire des échanges; son usage est
d'être dépensé. En ce sens, l'argent est stérile, il n'est pas par lui-même
productif, il ne fait pas des « petits » comme un champ ou un
troupeau (...). Il y aura usure au sens large du terme dès lors que l'on
tirera profit d'une chose improductive, sans y avoir mis aucun travail, aucun
frais, aucun risque; ou encore lorsqu'on s'enrichira d'une façon disproportionnée
en regard du travail et de la responsabilité engagée » Il semble bien, néanmoins, que l'actualisation par
le Saint Siège de la doctrine traditionnelle sur l'usure n'ait pas été faite
jusqu'ici. Et elle ne le sera pas tant que les discussions entre théologiens
n'auront pas été assez profondes et précises pour bien déterminer la ligne de
séparation, exposée par Benoît XIV dans Vix Pervenit, entre « le
profit tiré de l'argent à bon droit et qui peut donc être conservé aussi bien
du point de vue de la loi que de celui de la conscience; et cet autre profit,
tiré de l'argent de façon illégitime et qui, selon la loi et selon la
conscience, doit être considéré comme à restituer » L'histoire de l'usure, nous le savons, est vieille
comme le monde. Nous trouvons dans l'Ancien Testament des règlements sur
l'abolition de l'intérêt de telle manière que tous les sept ans il puisse y
avoir ce que l'on appelait une « année de jubilé », c'est-à-dire
d'abolition annoncée par trompettes pendant laquelle toutes les dettes des
citoyens étaient effacées. En 594 avant Jésus-Christ, Solon abolit, à l'aide
d'une loi, la servitude des dettes, puis dans la Rome antique, la loi de 332
avant Jésus-Christ interdit à tous les citoyens romains toute prise
d'intérêt. En 443, le Pape Léon I e le Grand promulgua une interdiction
totale d'exiger des intérêts. De son côté, la législation civile adhéra peu à
peu aux conceptions canoniques. Selon Gottfried Feder,
la peine de mort pour prise d'intérêt était notifiée dans la réglementation
des Etats Allemands de 1500, 1530 et 1577. Malgré ces interdits, souvent
subordonnés aux différentes conjonctures politiques que les Etats
traversèrent, l'intérêt se perpétua à travers les siècles. C'est en remontant les siècles que Silvio Gesell
s'aperçut, grâce au travaux de Gustav Billeter dans
son « Histoire du taux d'intérêt dans l'antiquité gréco-romaine jusqu'à
Justinien » que l'intérêt, ne fût-ce qu'un moment, un jour par an, un an
par siècle, en l'espace de deux millénaires, ne baissa jamais jusqu'à zéro.
Gesell calculait, bien sur, l'intérêt réel sur des périodes de stabilité
monétaire. Avec les périodes de dépréciation monétaire traversées depuis la
première guerre mondiale, on sait que l'intérêt peut être inférieur à zéro et
négatif si le taux d'inflation, durant le même terme, excède sa valeur
réelle. Il est, là aussi, usuraire, puisqu'inversement, c'est l'emprunteur
qui jouit d'un revenu non gagné. Quoiqu'il en soit, il ressort de ses travaux que
le taux historique de l'intérêt serait de l'ordre de 3 à 4 %, comme ce fut le
cas du temps de Sylla (82-79 avant J-C) jusqu'à Justinien (527-565) dans
l'antiquité, soit sur une période de 650 ans. Adam Smith notait, par
ailleurs, dans ses « Recherches sur la nature de la richesse des nations »,
(1776) que sous le règne de la reine Anne (1703-1714), en Angleterre, l'Etat
empruntait à 3 % et que le taux de 5 % semblait être au dessus du taux du
marché. Cependant, en 1546, la limite légale du taux d'intérêt était de 10 %. LA « RIBA » ISLAMIQUE La civilisation islamique condamna également
l'intérêt. La principale règle coranique dans le domaine économique stipule
que Dieu a rendu licite l'achat et la vente, le commerce, et illicite
l'intérêt ou usure, ou « riba » (du verbe
arabe rabâ: accroître et augmenter) [59]. Selon J. Schacht, dans son Encyclopédie de
l'Islam, l'usure est « d'une façon générale, tout avantage
précaire illégitime sans équivalent du service rendu ». Déjà, le
prophète Mahomed condamnait l'intérêt à faible taux
tout comme celui à taux élevé. Cependant, M. Arkour
note dans « Islam, Religion et Société » que « l'enseignement religieux chrétien comme celui du Coran
interdit l'usure et condamne l'enrichissement continu, égoïste et personnel,
ainsi que la concentration des richesses dans les mains de quelques-uns aux
dépens de larges couches de la population ». Le problème posé par l'usure ou « riba » a soulevé de nombreuses controverses au fil
des siècles, et plus encore ces dernières décennies qui ont littéralement vu
exploser les flux financiers entre les pays islamiques et non islamiques. En
droit musulman, il convenait de déterminer ce qui est « halal » (ou
licite) et ce qui est « haram » (ou
illicite), chose d'autant moins aisée que l'emploi des capitaux épargnés ou
prêtés n'est plus maîtrisé, dans l'internationalisation des flux financiers
par les épargnants. De nombreuses « Fatwa », ou règles de
loi coranique, sont venues, au XX e siècle, enrichir la jurisprudence
islamique sur ce sujet. Aujourd'hui le gain que retire l'argent est légal (halal)
lorsqu'il ne lèse aucune des parties contractantes. Il peut être alors
qualifié d'encouragement à l'épargne et à la coopération et accepté par la
« Shari’a ». A contrario, est illégal (haram)
le gain demandé à l'argent alors que le débiteur ne réalise pas ou ne peut
réaliser suffisamment de bénéfice pour le dégager. La majoration de la dette
après l'échéance, et la multiplication des intérêts qui renouvelle sans cesse
la dette sera également « haram ». En
tout état de cause, le gain que procure un capital épargné ne peut être
fonction de la durée de cette épargne ni même être déterminé à l'avance, il
ne peut être que le résultat d'une association dans un commerce, dont le
bénéfice effectif ne peut être connu qu'au terme de son activité. Dès lors, exiger
un intérêt, quelqu'il soit, d'un prêt consenti à un
tiers, commerçant, industriel ou particulier, sans participer aux risques et
aux pertes éventuels de celui-ci sera prohibé. Par contre, prêter le même
capital en participant aux gains et aux pertes éventuels de l'emprunteur sera
licite, puisqu'il s'agit d'une association où le risque est bilatéral, et par
conséquent partagé. Cependant, afin de respecter les règles
coraniques, les autorités musulmanes invitent les fidèles qui déposent des
capitaux dans des entreprises bancaires non musulmanes à retirer les intérêts
en les donnant aux musulmans pauvres conformément à une « fatwa »
répondant à la révélation du Coran : « Tout
ce que vous donnerez à usure pour augmenter vos biens ne vous produira rien auprès
de Dieu. Mais tout ce que vous donnerez en aumône pour obtenir les regards
bienveillants de Dieu vous sera porté au double ». Certains pays
musulmans s’attachent à respecter le principe de l'association aux profits et
pertes dans le maniement de l'argent, et dans l'union du capital et du
travail. Cette association est appelée « Mudarãba »
ou société de spéculation islamique (expression qu'il ne convient pas ici de
prendre dans le sens péjoratif qui nous est connu, mais dans son sens etymologique d’observer et de compter sur. Dans la Shari’a, la Mudarãba
est définie comme un contrat associant le capital de l'un au commerce exercé
par l'autre. C'est une forme de coopération qui unit les deux facteurs de la
production, le capital et le travail. La société de « spéculation islamique »
autorise l'investissement des capitaux dans des projets utiles à la nation et
estime que le capital ne représente qu'un dépôt entre les mains de l'ouvrier.
Enfin, elle exige que les bénéfices ne soient pas fixés d'avance en volume ou
en priorité, mais selon des quote-parts du profit
indivis. Cette spéculation peut aboutir soit à des gains, soit à des pertes,
sans que rien ne soit garanti à l'avance. La notion de risque est ici
mutualisée La principale différence entre la spéculation islamique sur
laquelle la Banque Islamique est fondée et le prêt à intérêt, moteur de notre
système financier, réside dans le fait que notre système bancaire détermine a
priori l'intérêt, qu'il soit prêteur ou emprunteur; alors que la spéculation
islamique (qui observe) ne le détermine qu'en fin de période, a posteriori. Par exemple: « en
ce qui concerne les déposants de fond à la banque, à qui on annoncerait
préalablement qu'à la fin de l'année ils percevront, disons 3 % que la banque
ait réalisé ou non un bénéfice suffisant pour remplir cette promesse, cela
l'Islam l'interdit; par contre, si la banque dit à la fin de l'année: nous
avons réalisé des bénéfices; après déductions des réserves contre les
éventualités, nous sommes en mesure de vous payer disons les mêmes 3 %, à
titre de participation proportionnelle aux gains, l'Islam l'admet
volontiers ». La spéculation islamique peut donc s'analyser,
quant au fond, comme un contrat associant les spéculateurs, l'épargnant qui
apporte le capital et l'ouvrier qui emploie celui-ci, aux profits et pertes
résultant de l'opération. LE DIVIDENDE PARTICIPATIF La société de spéculation islamique distingue donc
l'intérêt qui reste toujours condamnable de la participation aux gains ou
pertes d'une affaire. La participation aux profits et pertes d’une entreprise
procure un dividende participatif qui peut être positif ou négatif, prélevé
sur le bénéfice ou la perte de l’exercice, en fonction d’un pourcentage
mutuellement établi au préalable. Cette distinction entre l'intérêt et le dividende
fut également celle de Louis Even. Il expliquait
ainsi : « Si mon voisin me prête
5000 $ que je consacre à l'achat d'une
ferme, ou d'animaux, ou d'arbres ou de machines avec lesquels je produirai
d'autres choses, ce prêt a été un placement qui m'a permis de produire
d'autres choses. Je crois qu'il serait convenable pour moi de lui marquer ma
reconnaissance en lui passant une petite partie des produits que j'obtiens
grâce au capital producteur que j'ai ainsi pu me procurer... C'est mon
travail qui a rendu son capital profitable. Mais ce capital lui-même
représente du travail accumulé. Nous sommes donc deux, dont les activités,
passées pour lui, présentes pour moi, font surgir de la production. Nous pouvons donc nous diviser les fruits
de cette collaboration. La production due au capital est à déterminer, par
entente et équité. Ce que mon prêteur va retirer dans ce cas est, à
proprement parler, un dividende (nous avons divisé les fruits) ». Nous constatons, qu’à
l’inverse de l’intérêt, avec le dividende participatif, les profits sont
divisés, après entente, et avec équité par l'association et la coopération.
Ces profits de la coopération ne sont pas fixés d'avance en volume, mais
selon le principe des quote-parts. Ceux-ci ne sont
plus déterminés unilatéralement mais par contrat mutuel. L'intérêt que demande un banquier sur le prêt
qu’il accorde ou l'obligation sont de nature différente. C’est une
réclamation faite par l'argent, en fonction du temps seulement, et
indépendamment des profits et pertes que peut enregistrer le capital. Si nous plaçons 5000 F dans des Bons du Trésor,
obligations d’Etat. S'il s'agit d'obligations à 10 %, nous toucherons 500 F tous les ans, même si
le capital ne génère aucun profit. C'est cela l'intérêt. « Nous ne voyons rien qui justifie cette
réclamation », écrit Louis Even, « sauf l'habitude reçue. Elle ne repose
sur aucun principe. Donc, dividende, oui, parce que subordonné à une
croissance de la production. Intérêt, non, car dissocié des réalités, et basé
sur la fausse idée d'une gestation naturelle et périodique de
l'argent ». C'est naturellement la condamnation sans équivoque
de la multiplication des intérêts qui aboutit à perpétuer la dette qui est
formulée ici. Comme cet intérêt est la base même de notre système financier usurocratique, il n'y a pas lieu de s'étonner outre
mesure de voir s'accroître démesurement le capital
financier alors que le capital productif stagne. C’est pourquoi Even conclua comme les jurisconsultes musulmans, en écrivant
que « le petit intérêt que le
banquier inscrit au crédit du déposant de temps en temps, même à taux fixe,
est en réalité un dividende, une partie des revenus que le banquier, avec le
concours d'emprunteurs, a obtenu d'activités productrices ». Mais si ce dividende est le résultat de la
division des gains de la collaboration du capital et du travail, il implique
que le prêteur a également une part de responsabilité à préserver et à
respecter dans l'emploi qui est fait de son capital. En ce sens, Even émettait le voeu de voir
l'organisation économique future permettre à l'apporteur de capitaux d'être
parfaitement responsable de l'usage qui est fait de son épargne. « Il
serait d'ailleurs bien préférable que le bailleur de fonds et l'entrepreneur
fussent moins dissociés. L'industrie moins grosse d'autrefois était beaucoup
plus saine: le financier et l'entrepreneur étaient la même personne. Le
marchand du coin est encore dans le même cas. Pas de magasin à chaînes. La
coopérative, l'association de personnes, gardent la relation entre l'usage de
l'argent et son propriétaire, et ont l'avantage de permettre des entreprises
qui dépassent les ressources d'une seule personne. Dans le cas
des compagnies qui émettent des actions sur le marché, l'argent vient sans son
propriétaire. C'est un mal généralisé. Nous avons déjà expliqué en octobre
1942 comment on pourrait graduellement y remédier, en introduisant la
propriété corporative de la grande industrie. Les membres de l'industrie en
deviendraient graduellement les propriétaires, sans nuire aux intérêts
acquis. Mais cela demanderait d'abord un système créditiste ». Il deviendrait alors possible d'assainir le marché
financier en responsabilisant dans l'association coopérative l'apporteur de
capitaux, épargnant, à l'agent
économique, emprunteur. La valeur estimée de la participation serait
alors déterminée par contrat mutuel en quotité, et non pas en volume, et
exigée en fonction des profits et pertes dégagés par l'opération, de façon à
ne léser aucune des parties contractantes [60]. CHAPITRE VI : LE DESENDETTEMENT « La taxation est un dividende
négatif. Il existe
un chemin de traverse, simple
et direct, pour passer du système
actuel d'un esclavage modifié à
un régime de confort, de sécurité et
de liberté: abolir le dividende négatif et lui substituer un dividende
positif ». Clifford Hugh
Douglas « No proposal to redistribute the National Debt
has ever received the slightest encouragement from socialist
leader ». (« L'idée d'une
redistribution de la dette nationale n'a jamais reçu le moindre
encouragement de la part des dirigeants socialistes ».) Clifford Hugh
Douglas (Social Credit) Le passage d'une économie d'endettement à une
économie de crédit social suppose au préalable la conversion de la dette en
crédit. Pour ce faire, il importe que les différents agents économiques,
collectifs ou individuels, publics ou privés, qu'il s'agisse de l'Etat, des
collectivités territoriales, des entreprises ou des simples particuliers,
retrouvent une situation financière assainie, seule capable de promouvoir les
conditions d'équité et de dynamisme indispensables à l'optimum social et
économique recherché. Tovy Grjebine
avait, dans cet esprit, mené des travaux [61] qui devaient donner
lieu au dépôt d'une Proposition de loi organique, n° 157, enregistrée le 22
juillet 1981. Cette étude présentait une technique de financement obtenu par
le changement des contreparties monétaires. Cette technique n'est pas sans
rappeler le procédé des « effets Méfo »
appliqué par le Dr. Schacht, d'après le plan de l'économiste Ernst Wagemann, dans l'Allemagne de 1933 qui comptait alors six
millions de chômeurs. Nous reprenons
dans ce chapitre des extraits significatifs de l'exposé des motifs précédant
la proposition de loi organique n° 157 [62], que nous analyserons
dans le cadre d'une hypothèse de préfinancement créditiste. PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE Tendant à limiter le rôle de l'endettement dans la
création de la monnaie et à permettre une nouvelle politique économique
assurant la résorption du chômage et l'indépendance énergétique. EXPOSE DES MOTIFS « (...)
Il nous a semblé logique de tester tout d'abord la politique qui était
décrite dans l'exposé des motifs. Nous avons obtenu un résultat extrêmement
prometteur: - le chômage
diminuerait de 500.000 en trois ans; -
l'équilibre extérieur ne se trouverait pratiquement pas affecté (baisse du
franc de 1 % en trois ans); - le taux
d'inflation resterait voisin de la valeur prise comme valeur de base : la
valeur actuelle plus 0,5 % par an (...) ». Nous rappellerons que dans les années 1980-81,
époque de l'étude et de la présentation de cette proposition de loi, le taux
d'inflation était de l'ordre de 13,1% (fin 1980) et 12,5 % (fin 1981); le
taux de base bancaire atteignit 17 % en mai 1981, record historique; le
chômage touchait 2.129.995 personnes recensées (janvier 1981) et le solde du
commerce extérieur accusait des déficits de 101,91 Mds. de frs. (1980) et de
104,7 Mds. (1981). « La
politique de reprise qui résulte de nos propositions n'est pas faite avec une
monnaie supplémentaire obtenue par la voie du crédit, comme il était d'usage
de faire jusqu'à présent. La reprise est déterminée en remplaçant une monnaie
par une autre dont l'origine est différente. Le remplacement de la monnaie
actuelle due à l'endettement des agents économiques par une monnaie à
contrepartie d'Etat, provoque un désendettement de ceux-ci sans pour autant
augmenter la quantité de monnaie - d'où l'effet de reprise sans inflation que
le modèle économétrique a noté. La reprise ne provoque pas de déséquilibre de
la balance commerciale parce que cette reprise est dirigée entièrement vers
la suppression des importations de pétrole. Cette reconversion énergétique
étant notamment organisée en utilisant une énergie abondante dans le pays :
l'eau chaude obtenue à la place des rejets actuels des centrales électriques,
et de l'eau géothermique. (...) ». La technique de relance présentée ici n’utilisait
pas les déficits, au sens conventionnel du terme, du budget comme proposé
dans les modèles keynésiens. En fait, de
1974 à 1981, ces déficits
budgétaires, le financement par crédit ex-nihilo et les manipulations monétaires
qui les accompagnaient, engendrèrent une persistante poussée de l'inflation
qui ne résorba aucunement le chômage, comme certains économistes l’avaient
soutenu. Situation nouvelle, inconnue chez Keynes, que l'on appela alors
« stagnation ». Il s'agissait donc dans cette proposition : - d'augmenter la masse monétaire d'une monnaie à
contrepartie d'Etat à mesure que les agents économiques remboursent leurs
dettes ou investissent. - de réduire la dépendance énergétique de façon à
rééquilibrer la balance commerciale et de garantir la stabilité du franc. La nouvelle monnaie émise à contrepartie d'Etat
n'aurait pas été inflationniste puisque son émission devait correspondre à
l’extinction, à l'annulation des dettes des agents économiques, ou à la
transformation des moyens de paiement immédiat en épargne. Ainsi, à la
transformation des moyens de paiement, soit par annulation avec le
désendettement, soit par placement avec l'investissement, aurait correspondu
une émission de monnaie définitive, saine, non gagée par une promesse à
payer, de même équivalence. Cette idée selon laquelle à toute épargne nouvelle
doit correspondre une émission nouvelle suppose par conséquent que la
création monétaire ne soit plus anticipée, mais soit simultanée à la
renonciation d'un pouvoir d'achat correspondant. A L'ORIGINE ETAIT LA DETTE « (...)
La cause de l'inflation doit être recherchée dans la récession ou plus
précisément dans la situation que nous avons créée pour lutter contre la
récession : nos gouvernements successifs ont cru qu'il était plus sage
d'augmenter la masse monétaire à partir du crédit, de l'endettement, que de
l'augmenter en contrepartie de créances sur l'Etat, ou de créances
internationales. Ainsi 85 % de la monnaie française ont été créés à partir du
crédit, principalement du crédit aux entreprises. Les dettes ne sont pas
également réparties entre tous les Français et ce sont surtout les
entreprises qui supportent les endettements les plus élevés. Les agents
économiques qui fixent les prix sont ainsi ceux qui ont intérêt à la hausse
des prix. Ils espèrent voir leur endettement diminuer grâce à l'inflation. Là aussi les
courbes statistiques viennent à l'appui de cette analyse : Les
augmentations de prix apparaissent bien corrélées
avec les augmentations du taux d'intérêt. Les entreprises devaient répercuter
leurs frais financiers sur leurs coûts, chaque hausse du taux d'intérêt
apparaît donc sur la courbe des hausses de prix. Pour
certaines entreprises, l'inflation est vitale. En effet, si celle-ci venait à
s'arrêter, les intérêts de leurs dettes deviendraient réels, leur bénéfice
devrait doubler pour pouvoir payer des intérêts aussi lourds. L'endettement
de la sidérurgie française représenterait deux fois et demi son chiffre
d'affaires annuel, or, il lui était impossible d'accroître ses bénéfices de
la manière, tout arrêt de l'inflation est donc impossible tant que les modes
de création de la monnaie ne sont pas révisés ». Nous ne devons cependant pas oublier que l’un des
principaux intéressés par une politique de l'inflation était l'Etat, qui, si
le taux d'intérêt réel excèdait trop celui de
l'inflation, devrait multiplier l'impôt pour pouvoir payer l'accumulation de
ses déficits. D’autre part, il en hélas fréquent que les
entreprises placent à court-terme leur marge d'auto-financement
et empruntent quand les commandes de production l'exigent. Situation
paradoxale qui a toujours entretenu la création monétaire bancaire. (...) On
comprend alors l'échec des gouvernements des pays en crise dans leur lutte
contre l'inflation: ils n'ont pas pensé à s'attaquer à l'endettement d'une
manière globale en créant de la monnaie par une autre voie. (...). La
croissance de l'inflation a obligé le Gouvernement et la Banque Centrale à
augmenter progressivement le taux de l'escompte de la Banque Centrale. Les
statistiques montrent ainsi une lente montée de ses deux taux et cela depuis
le moment où le gouvernement a pratiquement cessé de créer de la monnaie au
nom de l'Etat, c'est-à-dire depuis les années soixante. Comme la masse
monétaire ne croissait que par la voie du crédit, les entreprises devaient
emprunter pour investir. Le rapport fond propres/fonds empruntés a commencé à
fléchir. Avec la montée des taux d'intérêts, il devenait dangereux
d'emprunter pour investir à long terme, car si jamais l'inflation baissait,
les entreprises auraient été liées par des dettes à fort taux d'intérêt réel.
Même les plus solides n'investissaient plus que pour des projets
super-rentables. Cette baisse des investissements a constitué donc une
deuxième raison pour le développement du chômage ». Cette constatation m’amène à souligner que s'il
est de bon ton de dénoncer le « productivisme » exigé aujourd’hui
des agents, une certaine idéologie réductrice suppose que le capital en soit
le responsable. On s'aperçoit à la lecture de cette analyse que seule la
méconnaissance de la nature de la monnaie peut autoriser le maniement des
foules et les amener à croire que le capital s’oppose résolument au travail.. « (...)
Le précédent gouvernement avait souhaité que les entreprises assainissent
leur situation et, dès lors, recommencent à investir. Cette proposition est
incompatible avec l'origine de la masse monétaire actuelle de la France. En
effet, si les entreprises remboursent leurs dettes, la masse monétaire va
diminuer de plus de 25 % et, dès lors, le pays connaîtra une récession encore
plus grave. Même aujourd'hui le rapport masse monétaire/PNB est très près du
minimum tolérable ». Ce qui signifie bien que les investissements mais
également le pouvoir d'achat étaient et sont toujours proches du minimum
tolérable ! Ce rapport ne s’est pas
amélioré depuis. A l’inverse, comme nous l’avons vu (cf. Tableaux VII supra),
la monnaie à contrepartie d’endettement n’a fait que croître. « Une
entreprise peut rembourser ses dettes, la majorité des entreprises ne peut
pas le faire, du moins tant qu'aucune action n'est entreprise par l'Etat. Si,
en revanche, le gouvernement introduisait de la monnaie sur contrepartie
d'Etat, les entreprises pourraient rembourser leurs dettes. La masse
monétaire augmenterait à cause de l'action du gouvernement et diminuerait à
cause du remboursement des dettes. On entrevoit le mécanisme d'une nouvelle
politique que nous appellerons la politique du changement des contreparties
de la monnaie ». En effet, comme les dettes constituées par le
recours au crédit bancaire ne sont que de la duplication de pouvoir d'achat,
si les agents économiques les remboursent, il n'y aura plus duplication du
pouvoir d'achat puisqu'il y aura annulation de la masse monétaire ex-nihilo.
Quand une banque accorde des crédits, elle remplace, dans son portefeuille,
les dépôts à vue qu'elle prête par des promesses à payer, traites, effets
commerciaux, papiers commerciaux non échus, ce qui implique une duplication
monétaire. Elle peut, si la Banque centrale les accepte,
échanger ces promesses à payer contre des moyens de paiement (billets de
banque). Dans ce cas, la Banque centrale a ratifié la création monétaire. Si
la Banque Centrale n'accepte pas ces promesses à payer, elles se détruisent à
l'échéance avec leur remboursement. A l'origine de la création monétaire, il
y a donc une dette. Mais, si, à présent, les agents économiques remboursent
leurs dettes alors qu’aucun autre groupe d’agents ne s’endettent, il n'y aura
plus suffisamment de signes monétaires ;
de sorte que sans l'introduction d'une nouvelle monnaie, sainement
créée, en contrepartie d'une richesse non consommée et dont la production fut
financée grâce à la constitution d'investissements; les agents économiques
devront toujours et encore avoir recours à la monnaie bancaire de duplication
pour autoriser l'échange. « (...)
Toute croissance nécessite une croissance parallèle de la masse monétaire. Si
cette monnaie n'est pas introduite par l'Etat, elle sera demandée aux autres
sources possibles et en premier lieu au crédit. On peut expliquer ainsi
pourquoi les crises étaient cycliques au XIX e siècle et pourquoi cette
périodicité rapide a disparu au XX e siècle. On peut montrer finalement
comment la carence de la création de la monnaie par l'Etat a obligé
l'économie a avoir recours au crédit, pourquoi aujourd'hui les 85 % de la
monnaie sont dus à celui-ci. Ainsi c'est bien « l'écart récessionniste », écart entre la production et les
possibilités des consommateurs, qui a créé une demande supplémentaire de
monnaie ». Nous retrouvons ici l’écart récessionniste
qu’expliqua Douglas avec son Théorème A + B, en 1930. « Mais
c'est l’abstention du gouvernement qui a obligé de créer cette monnaie par la
voie du crédit; une fonction essentielle n'a pas été assurée. Or, nous avons vu que c'est aussi
le crédit qui apparaît comme la cause principale de l'inflation. (...) La
création de la monnaie par voie du crédit a été un palliatif mais pas une
méthode définitive pour éviter les crises de récession. (...). Puisque la
quantité de monnaie doit augmenter comme le PNB, l'Etat doit pouvoir créer et
introduire cette monnaie dans l'économie. Pour introduire plus de monnaie que
les impôts n'en retirent, le budget de l'Etat doit être
« déséquilibré ». Ce déséquilibre est indépendant de l'importance
du budget par rapport au PNB. Cette politique n'implique pas une économie
dirigiste, puisque ce déséquilibre peut apparaître simplement en réduisant
les impôts sans réduire les dépenses de l'Etat. Une telle différence
s'appelle présentement un « déficit » et ce terme à lui seul
condamne une fonction mal comprise et qui, dès lors, ne peut être assumée. En
fait, il n'y a pas de déficit: l'Etat n'est pas une entreprise; En revanche,
il y a des tâches que lui seul peut assumer: c'est ainsi que dans une
économie en expansion il doit augmenter les moyens d'échanges. (...) Le fait
de créer davantage de moyens d'échanges monétaires ne doit pas être appelé un
« déficit » mais devrait être appelé par un nom qui donne une image
plus correcte de la situation ». En réduisant les impôts sans diminuer les
dépenses, voire même en les augmentant parallèlement à l'accroissement
monétaire, l'Etat ppurrait introduire une nouvelle
monnaie qui, pour ne pas être inflationniste, devra être émise en proportion
de l'accroissement du PNB. C'est donc dire que toute nouvelle émission
monétaire, par le canal bancaire, serait inflationniste. Ce procédé nécessite
alors le retour à un taux de couverture intégral de tous les dépôts bancaires
par de la monnaie de base (ou centrale), condition sine qua non qui
interdirait toute création monétaire ex-nihilo. Les auteurs de cette
proposition de loi abordent ce point plus loin avec quelques nuances sans
pour autant émettre de règle stricte sur ce sujet. En effet, si l'Etat est seul habilité à introduire
les nouveaux moyens de paiement, il les utilisera au financement de son
budget, puisqu'il ne diminue pas ses dépenses, et à des travaux d'intérêt
général qu'il commandera à l'économie. C'est donc dire que l'Etat, au fil des
ans, en accaparant les nouveaux moyens de paiement, deviendra l’unique client
des entreprises, et donc pourra déterminer unilatéralement les besoins
socialement utiles. « Par
ailleurs, il ne faut pas mettre à la disposition du gouvernement une monnaie déjà
existante, car cette technique ne ferait que déplacer une monnaie sans en
créer de nouvelle. Il ne faut donc pas vendre des bons du Trésor aux agents
économiques mais donner des ordres d'émission à la Banque Centrale. La
monnaie ainsi créée ne peut apparaître que sur le compte du Trésor. Il n'y
aura donc pas augmentation de la dette nationale. Cette création monétaire
doit être définitive et elle ne doit faire intervenir qu'un service et une
institution d'Etat: le Trésor et la Banque Centrale. Il faut en somme élargir
« le droit régalien de battre monnaie », qui existe toujours pour
les pièces, en un droit d'émission de billets mais en instituant un mode de
contrôle et un cadre légal. Ce contrôle peut-être beaucoup plus strict que
les règles arbitraires qui limitent aujourd'hui la création de la monnaie par
la voie du crédit ». Cette proposition de loi posait les jalons d’une
réforme de la création monétaire bancaire, encore qu'il ne s'agisse pas
« de rendre » mais « d'élargir » le droit régalien de battre
monnaie, ce qui ne suppose pas l'interdiction de création monétaire par le
jeu du crédit. Il s'agissait de permettre aux particuliers,
familles et entreprises, de financer leurs propres travaux, acquisition ou
investissement, sans désépargner, par la voie du crédit bancaire, fut-il
réduit, mais également de laisser quelque souplesse au système d’émission. « (...) La
législation du « déficit » du budget ne suffit pas. Avec la
législation actuelle toute création de pièces de monnaie peut-être définitive
alors que toute émission de billets ou de monnaie scripturale ne peut être
que temporaire. Il résulte de cette situation qu'il faut sans cesse augmenter
« le déficit ». Si l'économie croît par exemple de 3 % par an, la
masse monétaire doit croître au même rythme. Si l'introduction de monnaie se
fait en vendant des bons du Trésor à échéance d'un an, l'année suivante il
faudrait réintroduire non plus 3 % mais 6 % puisque la moitié de ce
« déficit » servira à maintenir « en vie » la monnaie
créée l'an passé. Cette situation est évidemment absurde. Elle n'apparaît pas
avec autant de clarté parce que les créances sur l'Etat peuvent avoir des
vies plus longues, mais il n'en reste pas moins qu'un dispositif de création
définitive doit être créé. Le budget de
croissance qui introduit le supplément de monnaie nécessaire à la croissance
doit être financé par des bons spéciaux sans intérêt et sans échéance, vendus
directement à la Banque de France (arts. 2 et 3 de la présente loi). On peut
les appeler aussi des ordres d'émission. Une fois la monnaie émise par le
Banque centrale, elle ne peut aller que sur le compte de l'Etat ». Il est précisé ici que « ces ordres
d'émission » ou « bons du Trésor spéciaux » sont vendus
« sans intérêt et sans échéance » à la Banque Centrale, preuve s'il
en est que l'intérêt ne se justifie plus dès lors qu'il ne rémunère pas une
privation de pouvoir d'achat à la condition implicite qu'il y ait
impossibilité de duplication du pouvoir d'achat. « L'augmentation
de monnaie nationale peut se faire par la réduction fiscale. Il n'y a aucune
raison d'augmenter indéfiniment le rôle de l'Etat, tout donne à penser qu'il
faut même le réduire dans bien des cas. En période normale, l'introduction de
la monnaie nouvelle se ferait donc en diminuant les prélèvements fiscaux. Pendant les
périodes exceptionnelles (périodes de guerre, de sous emploi ...)
l'introduction de monnaie nouvelle pourrait ainsi se faire à l'aide d'un
budget de dépenses supplémentaires. Dans la conjoncture actuelle ce troisième
budget pourrait servir à financer une reconversion énergétique
accélérée ». Sans réduction d'impôt, en période exceptionnelle,
l'Etat pourrait alors financer, avec la nouvelle monnaie, les dépenses
supplémentaires. Bien évidemment, dans l'esprit de Tovy
Grjebine, il s'agissait de financer la recherche et
l'exploitation d'énergies nouvelles et nationales afin d'assurer
parallèlement à cette relance notre indépendance énergétique et l'équilibre
de la balance commerciale. Ces propositions ne sont pas sans rappeler le plan
d’Ernst Wagemann, mis en oeuvre
par le Dr. Schacht. Wagemann écrivait ainsi : « en 1933, l'Allemagne aussi a ouvert
les écluses de la monnaie, mais elle a veillé, en même temps, par un
programme de travaux largement conçus, à canaliser soigneusement les moyens
de paiement. (...) A notre époque, au contraire, on
prélève depuis des années en Allemagne, à des fins d'intérêt public, jusqu'à
40 % du revenu du peuple par voie d'impôts, de contributions sociales, de
taxes administratives, etc. Ajoutons à cela que, par la voie du crédit, une
partie de l'épargne est drainée pour les besoins de l'Etat. De sorte que,
tout compté, depuis des années, la moitié environ, en chiffre rond, du
travail du peuple allemand, va aux besoins publics » [63]. Nous nous apercevons
ainsi, qu'en laissant la monnaie nouvelle aller sur le compte de l'Etat, à
toute période exceptionnelle le risque d’une dérive étatique
centralement planifiée peut exister, avec les contraintes et sujétions que
cela comporte puisque cela previendrait à enlever
aux particuliers, pour les transférer à l'Etat, les fonctions qu'ils sont en
mesure de remplir eux-mêmes. Fonctions parmi lesquelles s'expriment les
besoins sociaux, si tant est que l'homme ne soit pas dépossédé de son
autonomie, de son libre arbitre, par l'Etat qui les exprimerait à sa place. LE CHANGEMENT DES CONTREPARTIES MONETAIRES « (...)
Ainsi depuis 1971 nous avons appris que la monnaie est définie par ce qu'il y
a devant elle et pas derrière elle, par son pouvoir d'achat. Les monnaies fortes
sont les monnaies des pays où il n'y a pas d'inflation. Le yen, monnaie
forte, n'a que des papiers comme contrepartie ». C’est en effet par l'annonce du président Nixon,
qui le 15 août 1971 déclara que le dollar cessait désormais d'être
convertible en or, que le système monétaire international de changes fixes
fut abandonné. Devant la monnaie, il y a l’échange. C’est pourquoi. la
monnaie doit être définie par la valeur que tous les échanges nécessitent
pour que la production atteigne la consommation. « Nous
avons dit que la récession, le chômage et l'inflation pouvaient être
expliqués par l'endettement des agents économiques. Une technique de
désendettement, « de remplacement des contreparties de la
monnaie », peut donc permettre la résorption du chômage et la diminution
de l'inflation. Mais il ne faut pas que la reprise qui va suivre provoque un
déséquilibre de la balance commerciale. La politique
économique que cette proposition de loi permettra doit donc faire face aux
trois problèmes simultanément. (...) Les
opérations de désendettement sont vieilles comme le monde car les crises de
récession son apparues parallèlement à la monétisation des échanges. Solon,
le législateur, a organisé une opération de désendettement de la Grèce
antique. Les romains ont pratiqué de la même manière plusieurs opérations de
désendettement. Aujourd'hui, avec la monnaie papier, ces opérations sont plus
faciles à organiser: c'est la politique du changement des contreparties de la
monnaie. Les actions
politiques peuvent différer mais le principe reste le même. On introduit une monnaie à contrepartie d'Etat et on détruit la monnaie qui avait été
créée par les dettes. On modifie
parallèlement les coefficients des réserves obligatoires et d'encadrement du
crédit. Par exemple,
chaque français recevrait du Trésor un crédit de 1000 F qui ne serait
utilisable que pour payer des dettes régulièrement contractées ou pour
acheter des actions. Le contribuable recevant cet avoir indiquerait les
actions qu'il souhaite acquérir. Dans les deux cas la somme transite entre
ses mains sans qu'il puisse la dépenser, il n'y a donc pas d'augmentation
brutale de la consommation bien que l'opération porte sur 50 milliards de
francs. En fait, toute l'opération serait faite par les bureaux des percepteurs
avec des fonctionnaires supplémentaires embauchés temporairement. Les
entreprises qui accepteraient d'émettre des actions pour payer leurs dettes
se verraient exemptées de l'impôt sur les sociétés, pour le même montant. Le
désendettement des entreprises se ferait donc par deux voies: une
augmentation de l'actionnariat et un remboursement égal au montant de l'impôt
sur les sociétés. La participation capital-travail progresserait de 50
milliards alors que l'endettement des agents économiques diminuerait de 50
milliards. Rien ne s'oppose à fixer un montant plus important à cette
opération ou à la renouveler plusieurs années de suite ou plusieurs fois dans
l'année. En supposant
que l'on se limite à une mesure par an, l'endettement diminuerait donc de 100
milliards de francs par an, alors que la monnaie émise par l'Etat
augmenterait du même chiffre. Cependant la nouvelle monnaie sera une monnaie
« Banque de France » alors que la monnaie qui disparaîtra n'était
qu'une monnaie de compte bancaire et nous savons que toute introduction de
monnaie « Banque de France » peut permettre la création d'une
quantité supérieure de monnaie bancaire. Pour éviter cet effet
multiplicateur, le coefficient de réserves obligatoires devra être modifié en
conséquence ainsi que le coefficient d'encadrement du crédit. La masse
monétaire en circulation restera donc identique alors que des milliards de
dettes auront disparu, sans que personne ne soit lésé ». L'intitulé de cette proposition de loi est
explicite: Il s'agit de « limiter la monnaie d'endettement », en
aucune façon il n'est question de l'éliminer. Cette proposition suppose la
coexistence de deux sources distinctes d'émission monétaire. Les coefficients de réserves obligatoires, s'ils n'assureront
pas une couverture à 100% de tous les dépôts, seront modifiés dès lors que la
monnaie d'origine bancaire excédera le seuil de 10 % de la masse monétaire.
Cette monnaie devra permettre aux agents économiques de financer leurs
besoins puisque l'Etat monopolisera 85% de la nouvelle monnaie. Celle-ci, monnaie à contrepartie de bons du Trésor
spéciaux, émise par des ordres d'émission à la Banque Centrale financera une
partie du budget de l'Etat et des travaux d'intérêt général que l'Etat
commandera aux entreprises afin de relancer l'emploi. Nous répartirons
approximativement les 5% restants sur les créances détenues par la Banque de
France sur l'étranger, excédent résultant des opérations d'import-export des
entreprises et aux opérations de la BDF sur le marché des changes. Parallèlement, les agents économiques qui se
désendetteront permettant ainsi l'élimination de la monnaie d'endettement,
ou/et acquerront des actions, bénéficieront d'une remise de l'impôt ou d'un
crédit du Trésor de même équivalence. En conséquence, ne seront bénéficiaires
de cet accroissement monétaire que les agents qui se désendettent ou
effectuent des placements, leur pouvoir d'achat effectif restant égal par
ailleurs. PREALABLE A UNE REFORME FINANCIERE L’introduction de ce plan de relance économique,
par changement des contreparties monétaires, dans le cadre de nos
propositions de réforme financière et institutionnelle exigera cependant
quelques modifications. A l’exemple, le mode de répartition et la
distribution proprement dite de cette nouvelle masse monétaire n'emprunteront
pas les mêmes circuits. Ils doivent s'inscrire, selon nous, dans une optique
associative et coopérative de la société, qui aboutit à un nouveau partage de
la valeur ajoutée, alors que, chez Grjebine, ils
impliquent l’émergence d’un monopsone ou d’un seul client privilégié au
détriment des besoins particuliers. En outre, ils ne remettent aucunement en
cause l'actuel partage de la valeur ajoutée dont la concentration s’accroît..
Ainsi, dans cette proposition de loi, l'allocation
de la monnaie nouvelle passe par une remise fiscale, sur l’impôt sur le
revenu, l’impôt sur les sociétés, ou par un crédit du Trésor, en admettant
que l'agent économique ne soit pas assujetti à l'impôt. Cette allocation est
individualisée. Elle est proportionnelle aux placements (ou désendettement)
de chaque agent économique. Individuellement et globalement, aucun pouvoir
d'achat n'a évolué puisque ces nouveaux moyens de paiement viennent remplacer
ceux que l'argent a immobilisés par son placement, ou annulés par son
désendettement. L'évolution du pouvoir d'achat est donc toujours dépendante
du rapport de force issu de la situation salariale puisque c'est uniquement
et toujours autour du salaire que se discute le partage de la valeur ajoutée.
Mode de partage qui entretient le principe de la lutte des classes par
l'opposition du salariat au patronat. Par contrecoup, la constitution d'un
portefeuille d'actions, et par suite l'évolution des revenus, seront
dépendants du salaire. En effet, bien que le texte n'évoque pas de règlement
à ce sujet, il est probable que la remise d'impôt ou le crédit que le Trésor
allouera aux agents économiques devra respecter un certain seuil, de la même
façon qu'une ligne de crédit bancaire est consentie en fonction de la quotité
d'amortissement disponible prélevé sur le pouvoir d'achat de l'emprunteur. On
en déduit alors que la monnaie nouvelle sera répartie en proportion du
salaire ou des revenus indexés sur celui-ci. LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTEE Nous nous sommes
précédemment aperçus que le circuit de distribution et de la répartition de
la nouvelle monnaie peuvent ne pas être forcement liés ou proportionnels au
salaire ou à une quelconque activité rémunérée. Quels seraient alors les
modèles répartitifs, si nous appliquions les principes de notre réforme
financière ? Economiquement, le résultat sera le même puisque
nous retrouvons la même constitution d'épargne et le même pouvoir d'achat.
Les agents économiques sont tout aussi bénéficiaires dans l'opération puisque
la privation momentanée d'une partie de leur pouvoir d'achat leur permet
d'accroître leurs revenus. Si les revenus s'améliorent également sans que
l'inflation n'apparaisse, ce sont les agents économiques, par contre, qui
relancent la production par l'épargne qu'ils engrangent et les besoins qu'ils
expriment. Mais socialement, le résultat n'est plus le même,
un nouveau partage de la valeur ajoutée est apparu. En effet, dans la proposition de loi étudiée, un
agent disposant de 5000 F de revenu, dont 1000 F redevables à l'impôt, et
4000 F de pouvoir d'achat, achète une action à 1000 F et reçoit une remise
d'impôt du Trésor de 1000 F. Son revenu est toujours de 5000 F dont 4000 F de
pouvoir d'achat et 1000 de placement. Il est exempté d'impôt. Un second agent disposant de 10.000 F dont 2000
redevables à l'impôt et 8000 F de pouvoir d'achat, achète deux actions à 1000
F et reçoit une remise d'impôt de 2000 F. Son revenu est toujours de 10.000 F
dont 8000 F de pouvoir d'achat et 2000 F de placement. Il est exempté
d'impôt. L'Etat a émis 3000 F de bons du Trésor spéciaux,
sans intérêt, ni échéance, afin de financer son budget, que la Banque de
France lui a acheté en créant 3000 F de monnaie nouvelle. Les précédents
moyens de paiement comprenaient 3000 F de rentrées fiscales et 12.000 F de
pouvoir d'achat collectif, soit 15.000 F. Ils sont toujours de 15.000 F. En reprenant le même exemple, nous allons nous
apercevoir que la répartition issue d’une réforme financière créditiste va
s’écrire différemment. Les deux agents sont crédités chacun d'un
dividende de 1500 F, indépendamment de l'impôt auquel ils sont toujours
assujettis, et ceci afin que l'évolution du budget de l'Etat ne soit ni liée
ni proportionnelle à leurs placements. Le premier agent disposant d'un revenu de 5000 F
dont 1000 redevables à l'impôt, et 4000 de pouvoir d'achat, achète une action
à 1000 F, reçoit un dividende de 1500 F et paye 1000 F d'impôt. Son revenu
est de 6500 F dont 4500 F de pouvoir d'achat, 1000 F de placement et 1000 d'impôt.
Le dividende n'est pas imposable. Le second agent disposant d'un revenu de 10.000 F
dont 2000 F dus à l’impôt, et 8000 F de pouvoir d'achat, achète 2 actions à
1000 F, reçoit un dividende de 1500 F et paye 2000 F d'impôt. Son revenu est
de 11.500 F dont 7500 F de pouvoir d'achat, 2000 de placement et 2000 F
d'impôt. Le dividende n'est pas imposable. DIVIDENDE ET ESCOMPTE COMPENSE Pour exprimer plus complètement cette nouvelle répartition,
intégrons à présent dans ce modèle le second mode d’émission monétaire du
crédit social, l'escompte compensé. Nous supposons alors que les (ou
certaines) entreprises escomptent leurs produits à la clientèle pour un
montant équivalent à 10% de la
nouvelle monnaie émise, égal dans notre exemple à 300 F, soit une baisse de
l'indice des prix de 2%. Nous prenons 15.000 F, montant des moyens de paiement égal aux prix collectifs à
payer comme référence). Cet escompte de 300 F sera compensé aux différentes
entreprises par la Banque Centrale. Comme l'émission de monnaie nouvelle doit être de
3000 F, nos deux agents seront crédités chacun d'un dividende de 1350 F, soit
2 x 1350 F + 300 F de compensation aux entreprises. Le premier agent disposera d'un revenu de 6350 F
dont 4350 F de pouvoir d'achat, 1000 F de placement et 1000 F d'impôt. Le second agent disposera d'un revenu de 11.350 F
dont 7350 F de pouvoir d'achat, 2000 F de placement et 2000 F d'impôt. Dans cet exemple, nous nous apercevons que sur
chaque modèle proposé, le montant global des moyens de paiement est identique
à celui de la situation initiale. L'émission de la monnaie nouvelle ne fut
donc pas inflationniste parce que sa répartition entre les moyens de paiement
et les placements fut équilibrée à la production disponible. Par contre, dans le modèle issu de la
réforme créditiste, l'Etat n'a pas à intervenir dans le mécanisme de relance,
en accroissant son budget, si les agents augmentent leurs placements. Comme
le dividende n'est pas dépendant des précédents revenus, salaires ou pensions
ou allocations diverses des agents, mais répond à une philosophie
coopérative, il assure à tous et chacun un pouvoir d'achat indépendant du
salaire et atténue les écarts de niveau de vie sans léser qui que ce
soit. Mais, détail psychologiquement
important, en valeur constante, le pouvoir d'achat a augmenté et l'indice des
prix a baissé. Chaque partie prenante, famille comme entreprise, est alors à
même de mesurer l'intérêt de la coopération créditiste. Henri Moreau appelait
la technique de l'escompte compensé un « prixomètre ».
Il est, en effet, un excellent indicateur de production selon qu'il soit
positif ou négatif. Nous verrons dans les chapitres suivants que ces
deux techniques d’émission monétaires créditistes, l’escompte compensé et le
dividende familial, pourraient être définies et cogérées par des sénats intercorporatifs décentralisés représentatifs des
collèges communaux, régionaux et nationaux, des producteurs et des familles. De plus, si les agents économiques tirent
globalement le même bénéfice dans l'opération, nous nous apercevons que la
répartition, dans la proposition de loi étudiée, aboutit au même partage de
la valeur ajoutée que dans la situation vécue sous la dette. Partage qui, comme
nous venons de le voir, engendre et entretient les antagonismes de classes. A
contrario, le modèle créditiste va les inciter à coopérer en les associant
mutuellement. Ainsi, si nous introduisons un mouvement de
mobilisation de l'épargne, ou un flux
de placements, sans que pour autant la production n'ait augmenté en quantité,
nous observons toujours cette propension à la concentration capitalistique
dans le partage de la valeur ajoutée quand la répartition est individualisée,
ce qui ne se produit pas dans le modèle créditiste. Ainsi, dans le modèle issu de la proposition de
loi étudiée, si le premier agent revend son action au second, aucune action
n'ayant été émise, chacun paiera son dû à l'impôt. Le premier agent disposant
d'un pouvoir d'achat de 4000 F en paiera 1000 à l'impôt et en touchera 1000
de la vente de son action. Son pouvoir d'achat sera toujours de 4000 F. Son
patrimoine sera nul. Le second agent disposant de 8000 F de pouvoir
d'achat en paiera 2000 à l'impôt et 1000 pour le rachat de l'action. Son
pouvoir d'achat sera de 5000 F. Son patrimoine atteindra 3000 F. On note un
écart de 1000 F dans les pouvoirs d'achat. A l’inverse, dans le modèle créditiste que nous
proposons, le premier agent disposant d'un pouvoir d'achat de 4350 F en
paiera 1000 à l'impôt et en touchera 1000 de la vente de son action. Son
pouvoir d'achat sera de 4350 F. Son patrimoine sera nul. Le second agent
disposant d'un pouvoir d'achat de 7350 F en paiera 2000 à l'impôt et 1000
pour le rachat de l'action. Son pouvoir d'achat sera maintenant de 4350 F et
son patrimoine atteindra 3000 F. L'écart des pouvoirs d'achat est nul. Dans cet exemple, sans nouvelle émission
monétaire, la différence de pouvoir d'achat de 1000 F constatée dans le
modèle issu de la proposition de loi s’estompe dans le modèle créditiste. Cette différence se répartit entre le premier
agent (350 F), le second (350 F) et les prix (300 F). Il n'y a plus de
processus accumulatif. Dans le modèle créditiste, la répartition coopérative
incite les bas revenus à épargner pour favoriser l'accroissement des revenus
du dividende, et les plus hauts à tirer les plus humbles vers l'abondance. On
peut écrire que l'épargne est placée au service de toute la collectivité sans
que l'économie ne soit socialisée et l'Etat hypertrophié. Chacun reçoit sa
part de progrès, de l'épargne, du travail, et de l'échange, quelque soit sa
position sociale, son âge, son talent, sa richesse. Chacun participe à
l'effort d'épargne collectif, selon ses moyens et ses charges, et de cette
coopération pourra naître la prospérité. Mais n’est-ce pas là le juste usage
de la propriété ? Les auteurs de cette proposition de loi
concluaient par ces mots prémonitoires: « Les
novations sont aussi difficiles à introduire dans le monde pratique. Je suis
donc sûr qu'il y aura des levées de boucliers de tous les doctes professeurs,
il en a été de même pour Ernst Wagemann ainsi que
pour J.M. Keynes (...) ». Tout reste encore à accomplir.
DEUXIÈME PARTIE LA SYMBIOTIQUE « Politica est ars homines ad vitam socialem
inter se constituandam, colendam
conservandam consociandi.
Unde sumbiôtike vocatur ». (La politique est
la science qui consiste à unir les hommes entre eux pour
les amener à la vie sociale, de sorte que celle-ci soit plus effective et
mieux conservée entre les associés. C'est pourquoi nous l'appelons la
symbiotique.) Johannes Althaus dit Althusius (Politique 1, 1603) CHAPITRE VII : LE CADRE FEDERAL « La liberté est de deux sortes: - simple, c'est celle du
barbare, du civilisé même, tant qu'il ne reconnaît pas d'autre loi que celle du chacun chez soi,
chacun pour soi; - composée, lorsqu'elle
suppose, pour son
existence, le concours
de deux ou
plusieurs libertés. Au point de vue barbare, liberté est
synonyme d'isolement, celui-là
est le plus libre dont l'action est la moins limitée par celles des autres ;
l'existence d'un seul individu sur toute la face du globe donnerait ainsi
l'idée de la plus haute liberté possible. Au point de vue social, liberté et solidarité sont termes identiques:
la liberté de chacun rencontrant dans la liberté d'autrui, non plus une limite, comme dans
la Déclaration des Droits
de l'homme et du citoyen de 1793,
mais un auxiliaire,
l'homme le plus libre est celui
qui a le plus de
relations avec ses
semblables. Ces deux manières de concevoir la liberté s'excluent l'une l'autre. Il en résulte que la liberté du sauvage ne peut pas être rationnellement et justement revendiquée par l'homme vivant en société, il faut choisir ». Pierre Joseph Proudhon (Confession d'un révolutionnaire, 1849) « Les deux raisons contraires.
Il faut commencer par là: sans
cela, on n'entend rien, et tout est hérétique; et même, à la fin de chaque vérité,
il faut ajouter qu'on se souvient de la vérité opposée ». Blaise Pascal (Pensées) La réforme financière créditiste, que nous venons
de présenter, s'inscrit dans une optique coopérative qu'il convient
d'enrichir et de prolonger, comme le notait la Commission de religieux
chargée de son étude (cf. supra), d'une réforme des institutions par
l'organisation corporative. Il s'agit de concevoir un modèle sociétal,
contractuel, qui puisse inverser, comme le soulignait Douglas (Economic democracy) « la poursuite du pouvoir et la
remplacer par la poursuite de la liberté, et cela implique une modification
du système de redistribution », afin que ce contrat, d'essence
commutative, « non seulement
laisse le contractant libre, mais ajoute à sa liberté; non seulement lui
laisse l'intégralité de ses biens, mais ajoute à sa propriété... » (P.J.Proudhon,
Idée générale de la révolution au XIX e siècle, 1951), et se lise comme le
lien d'équilibre apportant plus qu'il ne prend aux différentes parties qui le
nouent. Il ne s'agit donc pas d'institutionnaliser un
droit à la paresse mais d'instaurer, grâce au dividende familial, ce que le
professeur Henri Guitton a pu appeler « un revenu de dignité »,
comme garantie de l'autonomie économique. Sur ce point, C.H. Douglas et Louis
Even sont très clairs et ne laissent planer aucun
doute. Chez Douglas par exemple, tout individu qui refuse un emploi dans
lequel il est qualifié, sauf exception médicale, se voyait supprimer le droit
au dividende. En effet, ce refus se comprend comme une rupture de contrat qui
entraîne, en conséquence, l’extinction des droits. La réforme institutionnelle qui doit prolonger la
réforme créditiste ne peut donc reposer que sur la participation citoyenne.
Elle exige que les citoyens soient associés à la vie économique de la nation
et qu'ils en partagent, en conséquence, ses pertes et ses profits. Si dès
lors l'un d'entre eux rompait ce contrat d'association, il ne pourrait, en
conséquence, en recevoir les avantages. C'est le fondement de la solidarité.
Le même principe s'applique pour le fournisseur. Si celui-ci refusait
d'appliquer un escompte sur les produits qu'il met en vente, aucune
compensation ne pourrait lui être accordée par l'Institut d'émission
monétaire, d'autant que les dividendes et escomptes compensés sont dépendants
de l'activité économique collective. Comme la croissance économique est une
variable, les dividendes et les escomptes compensés ne peuvent être que des
coefficients, variables, de la richesse globalement produite grâce au travail
et à l'investissement collectifs. RESPONSABILISER LES CITOYENS La responsabilité s’analyse comme le corollaire de
la solidarité. Elle est au centre de la philosophie associative et
coopérative de notre réforme institutionnelle. L’objectif qu’elle s’assigne
est de responsabiliser les citoyens. Aussi, pour Louis Even,
le dividende n'était pas une aumône publique, mais une répartition des
revenus aux sociétaires. Il voyait très bien qu'actuellement, « les fonds servant aux secours
directs sont prélevés sur les revenus actuels ou futurs d'autres membres de
la société. Pour donner un peu de pouvoir d'achat à des crève-faim, le
secours direct enlève du pouvoir d'achat à des gens qui ne sont pas encore
nés. A l'inverse, le dividende du crédit social n'a aucun de ces caractères
malfaisants. C'est un revenu distribué par tous, parce qu'il appartient à
tous. Il ne crée de charge pour personne, ne prive personne. Il ne crée pas
d'inflation, parce qu"il est conditionné par
la présence actuelle ou immédiatement possible de produits ». Il ne
s’agit donc pas de léser qui que ce soit, mais de constater que le surplus de
production crée un surplus monétaire qu'il convient de répartir entre les
dividendes familiaux et les escomptes compensés. LES CORPS INTERMEDIAIRES, LIEUX
D’EXPRESSION DES BESOINS C'est donc ici que le principe de subsidiarité
doit s'exercer contractuellement. Car ce pouvoir d'achat additionnel revenant
à la famille doit lui permettre de répondre par elle-même aux besoins de tous
les membres qui la composent. Ainsi c’est à ce corps intermédiaire, le plus
proche de la personne dans l'ordre de la hiérarchie sociale, et le plus
conforme à l'ordre naturel, qu’il revient la tâche d’organiser la
socialisation de ses membres et de décider de ses besoins temporels, tant de
consommation que d'épargne. En
matière d'investissement comme de protection sociale, nous devons nous
souvenir, comme nous le demandait Hyacinthe Dubreuil [64] que « l'initiative populaire avait
autrefois, et depuis longtemps, créé des mutuelles qui constituaient des
institutions libres et autonomes, dont l'administration était assurée par les
intéressés eux-mêmes. Eux-mêmes déterminaient les taux des cotisations,
fixaient l'importance des secours accordés et exerçaient sur ces secours un
contrôle direct, rendu possible par le peu d'étendue des groupements, dans
lesquels la plupart des membres étaient autant de témoins de la vie
quotidienne des sociétaires. Il est évident qu'en administrant ces sociétés
autonomes, les sociétaires avaient les moyens de prendre conscience de leurs
responsabilités mutuelles et, par conséquent, d'y acquérir une éducation
formée au contact des réalités... Mais, tout ce que l'on fait aujourd'hui
semble, au contraire, dicté par une volonté systématique de supprimer tout exercice
de la liberté, sur l'un des terrains où son bénéfice moral serait le plus
précieux, tant pour la vie privée des individus que pour la vie publique » (Réflexions
sur le progrès social). C’est pourquoi, dans le même ordre d'idées, il
convient d’envisager et de susciter des associations locales d'investissement
qui auraient pour objectif de diriger l'épargne vers des besoins ressentis,
qu'il s'agisse d'une école, d'une entreprise ou d'une quelconque nouvelle
richesse commune [65] ? Cependant, afin que les fonds d'une région,
voire d'une commune servent d'abord aux entreprises, et aux familles de cette
région ou de cette commune, encore faudrait-il assujettir l'émission et la
distribution monétaires aux besoins fédérés de ces corps sociétaux, corps
intermédiaires. Autrement dit, de leur rendre toute leur souveraineté
financière. A cette fin, il importe que ni l'individu, ni la famille ne puissent être absorbés par
l'Etat, car « il est juste que
l'un et l'autre aient la faculté d'agir avec
liberté aussi longtemps que cela n'atteint pas le bien général et ne
fait tort à personne » (Léon XIII, Rerum Novarum). Pour rendre cette souveraineté financière aux
corps sociaux, le dividende familial va organiser l'ordre économique de façon
à ce que la distribution du crédit social soit tout d’abord subordonnée à la
composition du premier corps social, la famille, et qu'il vienne compléter la
rémunération d'un travail libre (et nous verrons dans le chapitre suivant ce
que nous entendons par ce qualificatif). Le premier des objectifs que nous
devons atteindre est de rendre aux familles ce droit à l'autonomie de gestion
de leurs affaires, alors « plus
parfaitement sera réalisé l'ordre hiérarchique des divers groupements selon
le principe de la fonction supplétive de toute collectivité, plus grandes
seront l'autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère
l'état des affaires publiques » (Pie XI, Quadragesimo
Anno). Mais cette autonomie ne signifie nullement
individualisme, ni indépendance. C’est même le contraire. En effet, un corps
ne peut être autonome que par rapport à un ensemble dans lequel il s’intègre mais ne se confond pas. « Il est curieux de constater que
tant de personnes attribuent un sens inexact au mot « autonomie »
qu'ils confondent avec indépendance » soulignait Hyacinthe Dubreuil
(L’équipe et le ballon, 1948).
« Il y a, pourtant, entre ces deux termes, une nuance importante
puisque, si l'indépendance signifie absence de toute autorité extérieure,
l'autonomie sous-entend, au contraire, que l'organisme qui en jouit est
solidaire d'un ensemble plus important. C'est pourquoi le terme
d'interdépendance est inséparable de celui d'autonomie ». Cette
interdépendance s'affirme fondamentalement, en la matière, entre les familles
et leurs fournisseurs, les deux parties de l'échange, dans une coopération
qui accroît plus qu’elle ne prend et
tend inexorablement vers le mieux être. Ici, une authentique solidarité peut
s'exercer dans le choix des investissements à réaliser qui, si l'épargne
n'est pas suffisante, seront complétés par les escomptes compensés. Nous savons en effet que pour préserver la
stabilité de la monnaie, la masse monétaire ne peut croître qu'en fonction de
l'accroissement de la production, et que la production ne peut croître qu'en
raison de la croissance de l'investissement productif. En conséquence, si
l'investissement productif chute, la croissance sera nulle ou négative. Il
s'en suivra une période de stagnation ou de récession pendant laquelle le
volume monétaire en circulation va s’enfler alors que la production stagne.
Dans notre système monétaire actuel, l'investissement est maintenu
artificiellement au niveau souhaité par le biais d'une duplication du pouvoir
d'achat, c'est-à-dire par une création monétaire ex-nihilo que l'emprunteur
doit rembourser capital et intérêt. Ce cas de figure implique que
l'investissement ne peut croître qu'avec l'inflation, inflation qui en
dépréciant les épargnes effectives, répartit les richesses arbitrairement et,
de fait, affecte le bien commun et l'ordre de la répartition au bénéfice
d'une foule de parties prenantes et notamment de l'Etat. Mais, avec
la réforme financière créditiste que nous proposons, la création
monétaire ex-nihilo est rendue impossible par le retour à un taux de
couverture à 100 % de tous les dépôts, de sorte que l'investissement ne peut
plus excéder la hauteur de l'autofinancement propre aux entreprises (bénéfice
non distribué aux actionnaires, et réinvesti), et de l'épargne des familles
sauf à supposer de faire appel aux capitaux étrangers [66]. En conséquence, il
convient de s'assurer que l'investissement souhaité est atteint avec
l'autofinancement des entreprises et l'épargne disponible des familles. Dans
le cas de figure contraire, seul l'escompte compensé pourra venir combler l'écart
existant entre l'investissement recherché et la trésorerie disponible. En
effet, dans le modèle d’émission monétaire créditiste, le volume de monnaie
temporaire, additionnel, aujourd'hui vendue au plus offrant par le système
bancaire, est dorénavant émise de deux façons complémentaires: par le
dividende familial qui crédite les
familles d'un revenu en fonction de leur population; et par l'escompte
compensé qui crédite les fournisseurs en fonction de la baisse des prix
qu'ils compensent sur leurs marchandises. Ce dernier mode d'émission
monétaire permet de moduler le montant des dividendes familiaux, et d'en
affecter la différence sur les escomptes compensés. Ainsi, les entreprises
qui escompteront leur prix de vente, écouleront plus aisément leur production,
et recevront une compensation égale au montant de l'escompte qui viendra
combler l'écart existant entre l'investissement recherché et la trésorerie
existante. Mais là encore, nous nous apercevons que la répartition du crédit
social entre les dividendes familiaux et les escomptes compensés est fonction
de différentes variables que seules les familles et leurs fournisseurs sont
en mesure de percevoir directement. Il en est de même des besoins
d'investissement des entreprises, des possibilités effectives d'emploi que
ces investissements pourront couvrir, selon la population des familles, du
pouvoir d'achat que leur offre le travail disponible, de la nouvelle division
du travail qu'engendrera l'apport additionnel des dividendes familiaux, et
des besoins qu'expriment les familles de telle ou telle production de biens
et services. Ces besoins ne s’expriment donc plus uniquement par la
confrontation de l’offre et de la demande sur un marché limité aux seuls
agents économiques solvables. Ce choix ne peut donc être déterminé que dans
le cadre de contrats commutatifs établis par les agents économiques eux-mêmes
au plus bas niveau possible d'élaboration de l'équilibre à atteindre entre la
production et la consommation. En effet, ces besoins ne sont pas identiques
d'un espace à l’autre, d’une région à l'autre. Des graphiques de
concentration salariale, par régions, nous démontreraient, si l'on en doutait, que le volume de production, la
densité de la population et la
division du travail qui en découle, sont variables dans l'espace. Par
exemple, 15 % d'une population peuvent concentrer l'emploi disponible dans
une région donnée là où celui-ci se répartit sur 60 % de la population dans
une autre région. Il importe donc que ces contrats soient démultipliés et
établis par chaque corps intermédiaire et autonome, organique et spatial, de
la base jusqu’au sommet de l’édifice social. LE CREDIT, LIEN FEDERATIF DES CORPS INTERMEDIAIRES Ceci implique par conséquent que le crédit social,
masse monétaire additionnelle, soit cogéré au sein de Chambres fédérales par
les familles et leurs fournisseurs, ou leurs représentants, qui détermineront
par contrat, son affectation vers la demande, avec les dividendes familiaux,
et vers l’offre, avec les escomptes compensés, en fonction de l’optimum
social mutuellement souhaité pour les
corps intermédiaires de leur ressort territorial. Dans tous les cas de
figure, ce pouvoir d'achat additionnel ne pourrait pas être inflationniste
puisqu'il existe déjà, socialement mal employé il est vrai, puisque
vendu moyennant intérêt par le système de « faux-monnayeurs »
du crédit bancaire, ou encore redistribué quasiment immédiatement aux
assistés de notre société sous forme de retraites (assistance intergénérative), d'assistance chômage, maladie ... sans
pour autant que les citoyens n'aient eu le loisir de faire fructifier le
capital dont ils furent privés. A l'inverse, le créditisme mutualise les risques -
puisque si la production de l'ensemble de la nation baisse, le pouvoir
d'achat additionnel de chacun baisse -, et ainsi responsabilise chaque agent
économique et les rend tous solidaires. La solidarité ne peut-être que le contraire de
l'assistanat. Elle ne peut être qu’interactive et synallagmatique, nous
l’oublions trop souvent. A la différence de l’assistanat qui exige un certain
assujettissement à l'interventionnisme étatique, la responsabilité ne peut
exister qu’avec le respect de la subsidiarité qui lui permet de s’exprimer.
Aussi dans le modèle contractuel et mutualiste du crédit social, ce sont les entités, les
organismes situés au niveau le plus bas de l'organisation sociale qui
assurent la répartition et la distribution de la richesse créée, qui
déterminent la production nécessaire à leurs
besoins. Le dividende familial et l'escompte compensé permettent à la
société de s'organiser par le bas et non plus par le haut. Ce sont les
citoyens qui interviennent et régulent les échanges. Ils assurent donc tout
leur rôle économique, puis, par mandat, les communautés intermédiaires,
locales, régionales et ainsi de suite jusqu'à l'Etat dont les fonctions ne
sont plus d'intervenir ni de diriger mais de conseiller et de coordonner. « Et ceci s'applique à tous les
paliers de la hiérarchie sociale, selon les juridictions respectives »
soulignait Even.
« Qu'il s'agisse de l'économie de la famille, de l'économie provinciale,
de l'économie fédérale, une bonne organisation de la société veille à ce que
cette satisfaction des besoins temporels de tous soit opérée le plus concrètement
possible dans le cercles des organismes inférieurs, des organismes en contact
le plus immédiatement avec les individus ».C'est d'ailleurs cet
attachement au principe de subsidiarité, à une conception organique,
décentralisée, autonome et responsable de la société qui différencie
essentiellement la conception mutualiste du crédit social des pensées
contemporaines socialiste ou étatique.
Louis Even écrivait ainsi: « C'est cela même qui fait la grande
différence, la différence énorme entre le crédit social et les différentes
formes du socialisme. Les deux veulent une réforme qui assure la sécurité
économique, la satisfaction des besoins temporels; mais le crédit social veut
que chaque personne conserve le droit de disposer d'elle-même, tandis que le
socialisme fait des plans pour que l'Etat dispose des personnes ». Notre réforme institutionnelle est organique. Elle
ne peut donc s'inscrire que dans un cadre fédéral, corporé, garant de l'autonomie des corps sociaux qui
participent à l'échange, et mutualiste, afin que ces corps sociaux puissent
déterminer de façon commutative, l’optimum souhaité de la consommation, par
le dividende familial, et de l'investissement, par l'épargne dégagée et
l'escompte compensé. Ainsi cette réforme organique permettra de réguler la
production par le bas, par les tous premiers corps sociaux concernés,
autonomes et interdépendants, sans que l'Etat puisse dicter à chacun ce qu'il
doit avoir et à la production ce qu'elle doit faire. La solution humaine sera
alors de faire venir l'argent là où est le besoin et non pas de faire naître
le besoin là où est l'argent. Il ne s’agit rien de moins que de rendre le
pouvoir « aux peuples ». Mais non pas à une entité abstraite
s’exprimant au nom du peuple, mais à toutes ces composantes, c’est pourquoi
j’écrit ce mot au pluriel. En effet, « le peuple », écrivait
Proudhon, « n'est autre chose que
l'union organique de volontés individuellement libres et souveraines, qui
peuvent et doivent se concerter, mais n'abdiquer jamais ». Il faudrait donc en tirer les conséquences
afin que tous et chacun, chaque famille, chaque atelier comme chaque
commune, puissent s’élever à la
dimension d’acteur responsable de la vie économique et sociale. LE PRINCIPE FEDERATIF ET INTERCORPORATIF « Pour
que la République soit autre chose qu'un vain symbole à l'échelle nationale,
il faut qu'elle soit constituée par une série et une superposition de petites
républiques qu'il est possible d'établir dans tous les compartiments de la
vie économique et sociale » écrivait Hyacinthe Dubreuil (La fin des monstres,
1938). Encore faudrait-il que le gouvernement supérieur n'absorbe pas les
pouvoirs des gouvernements de moindre importance et enlève les obstacles qui
interdisent la constitution de ces républiques fédérées. Cet obstacle est
d'abord financier puisque la réalité du pouvoir ne peut se mesurer, en fait,
qu’au crédit réel de chacune de ces républiques, c’est-à-dire des corps
intermédiaires dans leurs fonctions et compétences respectives, qu'il
s'agisse des familles, des entreprises, des régions et des communes. Enlever
les obstacles qui interdisent la constitution de ces républiques revient
alors à rendre à chacune d'entre elles le crédit financier qui correspond au
crédit réel qu'elles développent, crédit financier aujourd'hui monopolisé par
quelques uns qui le dispensent aux plus offrants. Tant que le crédit
financier ne sera pas distribué en fonction du crédit réel de chacune de ces
républiques, nous n'aurons qu'une alternative: ou le socialisme accapareur et
l'Etat redistributeur ou l'individualisme libéral
et l'accroissement des disparités sociales par accumulation des profits non
gagnés. « Il faut se garder d'une
double erreur », écrivait le cardinal Verdier, « de l'individualisme qui nie ou atténue à l'excès l'aspect
social et public du droit de propriété; et du collectivisme qui nie ou
atténue trop l'aspect individuel de la propriété ». Si cet obstacle
se lève, alors les libres responsabilités pourront élever l'homme jusqu'à la
symbiotique. Jacques Duboin avait, me semble-t-il, pressenti la chose dans sa
critique de la Charte précorporative de 1941. Dans
un courrier au Chef de l'Etat français, il envisageait alors « de créer une quarante et unième
corporation, celle des consommateurs, dont tous les français, de leur
naissance à leur mort, feraient partie. Elle prendrait en charge la
production des quarante premières, et la répartirait équitablement aux
français sans intervention d'une pompe aspirante et refoulante.
A ce moment là, tout risque de surproduction aurait disparu, comme par
enchantement. Au contraire, chacun s'enquerrait, avec le plus vif intérêt, de
l'importance de la production possible le jour où toutes les entreprises
corporatives travailleraient à plein collier. On pourrait même augmenter leur
nombre et faire appel à tous les perfectionnements techniques que la science
tient encore en réserve. Quel chiffre de production atteindrait-on ? Pour
avoir un ordre de grandeur, chaque comité d'organisation devrait faire une
enquête auprès de ses ressortissants, en précisant bien qu'ils sont dispensés
de jouer le troisième acte de la pièce, puisque c'est la corporation des
consommateurs qui s'en chargerait ». Il s'agissait, comme le nota H.
du Moulin, directeur du Cabinet civil du Maréchal Pétain, dans l'accusé de
réception qu'il adressa à Jacques Duboin, « d'intégrer dans le régime
corporatif l'élément consommateur et
de résoudre le complexe problème de prix en évitant la stagnation d'une
production cristallisée au profit de la défense des intérêts professionnels
des Corporations reconnues » [67]. En mettant l'accent
sur l'indispensable coopération des agents de la consommation et de la
production, Jacques Duboin voyait bien qu'ainsi
s'équilibraient les pouvoirs des uns sur ceux des autres, de telle façon que
le droit d'abuser soit annulé par l'établissement d'une liberté composée [68]. Il ne saurait être question cependant que les
professions et plus encore leurs unions se constituent en milieu clos et se
substituent à toutes les organisations des familles et des communes. Il ne
saurait êgalement être question que l'Etat puisse
diriger toute vie sociale par corps constitués interposés. Il s'agira ici, de
rendre aux Républiques fédérées des régions et des communes, le crédit social
qui leur revient en fonction de leur composition démographique et de laisser
aux organismes autonomes familiaux et professionnels la liberté de la
répartir entre les dividendes familiaux et les escomptes compensés. Ainsi
renaîtrait l'harmonie dans la cité, solidaire et fédérée, dans le respect de
son organicité. CHAPITRE VIII : L'ATELIER « Si donc le contrat que je fais
avec quelques uns, je pouvais le faire avec
tous; si tous pouvaient le
renouveler entre eux; si
chaque groupe de
citoyens, commune, canton,
département, corporation,
compagnie, etc, formé
par un semblable contrat et considéré comme personne morale, pouvaient ensuite, et toujours dans les mêmes termes, traiter avec chacun des autres groupes et
avec tous, ce serait exactement comme
si ma volonté se répétait à l'infini. (...)
Ainsi le principe
contractuel, beaucoup mieux que le
principe d'autorité, fonderait l'union
des producteurs, centraliserait leurs forces, assurerait l'unité et la
solidarité de leurs intérêts ». Pierre Joseph Proudhon (Idée générale de la Révolution au XIX e siècle, 1851) « On ne saurait trop le redire,
c'est la bourgeoisie qui a commencé à saboter, et tout le sabotage a
pris naissance dans la bourgeoisie. C'est
parce que la bourgeoisie
s'est mise à traiter comme une valeur de Bourse le travail
de l'homme que le travailleur
s'est mis, lui aussi, à traiter comme une valeur de Bourse son propre
travail. C'est parce que la
bourgeoisie s'est mise
à exercer un chantage perpétuel
sur le travail de l'homme que nous vivons sous ce régime de coups de Bourse
et de chantage perpétuel que sont notamment les grèves ». Charles Péguy (L'argent) Nous ne pouvons bien évidemment pas ignorer la
difficulté de mise en place d'une authentique organisation fédérative, en France,
où la tradition centralisatrice est très forte et ancienne, compte-tenu des
apports successifs du colbertisme, du jacobinisme et du socialisme étatique.
Pourtant, la décentralisation pose un problème qui n'appartient à aucun
parti, à aucune autorité prétendument représentative de l'intérêt général,
mais aux peuples français, dans les organismes multiséculaires et naturels,
fonctionnels et géographiques, que sont la famille, l'atelier, la commune et
la région. Ce n'est donc pas en confiant à un parti, quelqu'il
soit, le soin de les représenter que les peuples retrouveront cette
élémentaire substance de la liberté. Mais c'est en leur faisant prendre
conscience qu'avec toutes les responsabilités dont on les dispense, c'est
toujours un peu plus d'autonomie et de libre arbitre qu'on leur retire, les
amenant ainsi à se déshumaniser lentement et inexorablement. Il s'agit donc,
pour nous, de cerner un mode d'organisation sociale capable de servir et de
valoriser l'homme en libérant ses forces créatrices de l'esclavage de
l'argent. LE CONTRAT SYMBIOTIQUE Le productivisme et le consumérisme sont des
déformations de la vie sociale qui
posent comme finalité à l’activité humaine la production et la consommation
de biens et services. Pour y satisfaire, les oligarchies financières et les
firmes capitalistes, confrontées, par le jeu de la concurrence, à la baisse
de leur taux de profit, anticipent des politiques de développement en
suscitant de nouveaux comportements générant à leur tour des nouveaux et
souvent faux besoins dont la demande assure la rentabilité de leurs capitaux
au détriment des besoins réels des populations. Le nomadisme et le mobilisme
qui caractérisent ces faux besoins créent des messianismes virtuels qui en
détachant les sociétés du réel peuvent les préparer au plus subtil des
asservissements. « Il est un aspect de la vie du passé », écrivait H. Dubreuil [69], « qui a pour nous beaucoup plus d'importance que le côté
pittoresque que l'on imagine,
c'est le cadre économique et social dans lequel nos ancêtres ont
vécu... Au contraire de la situation d'aujourd'hui, où des millions de
travailleurs ignorent la destination de ce qu'ils font et le prix auquel ce
produit atteindra le client, la plupart pouvait venir faire sa commande dans
l'atelier même; et en discuter le prix avec le « maître » devant
ses « compagnons ». A ce point de vue, il semble que la vie
corporative du Moyen-âge offrait le spectacle d'une communauté relative, dans
laquelle régnait certainement une sensation d'unité sociale plus complète que
celle de la société d'aujourd'hui ». Bien que ce mode d’organisation
ne soit pas transposable tel quel, nous estimons toujours conforme à la
nature des choses, et nécessaire à l'ordre social, que soit garantie aux
personnes et aux collectivités, à tous les niveaux, la part d'autonomie que
réclame le plein exercice de leurs responsabilités tant dans l'échange que
dans le cadre du contrat de société. Nous considérons légitime et
souhaitable, que chaque personne, et chaque institution ou groupement, dans
le domaine politique, économique ou social, puisse disposer d'un pouvoir
correspondant à la portion du bien commun dont il a la charge. Notre proposition de distribution du crédit
social, par le canal des dividendes familiaux et des escomptes compensés, aux
différents corps intermédiaires fédérés, à chaque niveau de leur pouvoir
d'intervention dans les domaines économiques et sociaux, comme communaux et
régionaux, répond à ce souhait. En établissant des contrats mutuels,
elle respecte le principe
d’interdépendance de la justice sociale et de la liberté. Ainsi, le contrat
de crédit social, fondé en droit, peut
devenir réalisable dans les faits. C’était là également le souhait de Louis Even qui demandait un ajustement monétaire permettant aux
familles, aux entreprises et aux régions de s'administrer de façon autonome: « Si le gouvernement fédéral
n'intervenait dans les provinces que pour leur donner de l'argent, sans leur
imposer la manière de l'employer, dirait-on qu'il empiète sur l'autonomie
provinciale ? Et si les gouvernements provinciaux distribuaient de l'argent
aux familles selon les besoins en face des biens, sans imposer des conditions
à la famille pour l'usage de cet argent, est-ce que la famille ne pourrait
pas commencer à goûter l'autonomie ? Si nous avions un gouvernement
créditiste, il distribuerait les émissions d'argent aux gouvernements
provinciaux proportionnellement aux populations des provinces, laissant les
gouvernements provinciaux libres d'en disposer à leur gré (...). La
principale fonction d'un gouvernement supérieur, c'est d'enlever les
obstacles, pour que les administrations inférieures puissent elles-mêmes voir
à leurs affaires ». Ce contrat symbiotique [70] peut d’ailleurs
s'expliquer simplement. Il s’agit de concevoir l'organisation sociale comme
un ensemble organique dans lequel chaque élément autonome, décentralisé,
coopère à l’harmonie sociale. Ce contrat s’applique dans les faits par la
rétrocession du crédit social aux différents corps intermédiaires spatiaux et
organiques qui rend à tous et à chacun, fournisseurs et consommateurs, les
pouvoirs et les moyens financiers de participer et de commander à l'économie,
et par là de gouverner et de réenraciner le
comportement sociétal. L’ABOLITION DU SALARIAT Si cette remarque s’impose pour l'organisation des
espaces économique et politique, elle peut également s’appliquer dans les
microcosmes qui s’y intègrent, comme c’est le cas pour l'organisation sociale du travail. En
effet, il est vrai que tant que les
familles n'auront pas les moyens d'intervenir dans la production de la multitude d’entreprises
qui constitue le tissu économique national, et plus précisément dans sa
distribution, la production ne remplira pas son rôle et il sera vain
d'attendre une quelconque paix sociale. Mais il est également vrai, comme le
soulignait Dubreuil, que « tant
que le personnel n'aura pas les moyens d'intervenir dans la gestion, mais
précisons plus particulièrement dans l'organisation du travail, le malaise
interne et permanent de l'entreprise continuera, avec ou sans dialogue, et il
sera vain d'attendre la collaboration totale que l'on recherche ». S'il faut, comme nous le verrons, comprendre la
division qui sépare l'employé de l'employeur, pour mieux la supprimer, dans
ce qu'il est convenu d'appeler le marché du travail; il faut également
pouvoir appréhender la division qui sépare aujourd'hui les consommateurs des
fournisseurs. Supprimer cette division
entre l'employé et l'employeur, s'inscrit tout naturellement dans l’esprit de
la réforme institutionnelle de responsabilisation que nous proposons. H. Dubreuil nous a montré les errements de la
pensée sociale de la révolution industrielle à l'ère postindustrielle, il en
a dénoncé les tares et démontré que la nature de l'homme était incompatible à
une organisation sociale centralisée qui le déresponsabilise. Au terme de ses
études et de ses expériences, il conclut à la nécessité de sortir du système
salarial où l'homme ne fait que louer son temps alors qu'il aspire, en
l’échangeant et en la négociant, à la reconnaissance de sa participation à l’oeuvre commune. « Il faudrait donc », écrit
Dubreuil, « passer une sorte de
Rubicon (...) si l'on veut faire sauter le verrou qui symbolise la division
de l'entreprise en deux camps » [71]. Il faut également se
souvenir, rappelle Dubreuil (La fin des monstres), que le salaire moderne, étant basé sur un
calcul arbitraire du coût de la vie, consiste essentiellement à ne point
rendre au travailleur l'équivalent de ce qu'il a produit. « Autrement dit, comme le salaire
est, par définition, une quantité inférieure à la production qu'il est censé
payer, on peut affirmer qu'il organise littéralement le déséquilibre
économique ». Curieusement, à sa façon de sociologue, Dubreuil
constate comme Douglas la persistance d’un écart récessionniste.
Mais, alors que ce dernier propose de résorber cet écart récessionniste
en introduisant, avec le crédit social, un revenu additionnel indépendant de
l'activité rémunérée, Dubreuil étudiera les frustrations et les rigidités
sociales qu’engendre la conception du travail perçu comme l’unique source de
distribution des revenus. A l’inverse pourtant, « le
travail », écrit-il, « c'est
l'action, l'action utile, celle qui continue la création. Aussi vaudrait-il
mieux toujours substituer « action » à « travail »,
puisqu'hélas le mot « travail » traîne avec lui si péniblement tant
de préjugés et tant de mauvais souvenirs à cause des souffrances dont la
méchanceté et la bêtise des hommes l'ont entouré ». Le « travail », en effet, tel qu’il est
communément compris aujourd'hui, est perçu comme un emploi, c’est-à-dire
comme un temps employé contre une rémunération, contre un salaire. Il est
possible que la tournure d'esprit capitaliste protestant ne soit pas étranger
à cette réduction conceptuelle du sens du travail, engendrée par la
sanctification du capital et du profit. Il s'agissait déjà pour le sociologue
Max Weber, du résultat d'un long processus d'éducation qui a, en
fait, dénaturé le message de Saint Paul. Le commentaire qu’en fit Pie
XI, dans Quadragesimo
anno, remet à cet égard, le travail à sa juste
place : « Observons à cet égard
combien c’est hors de propos et sans fondement que certains en appellent ici
au témoignage de l’Apôtre : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne
doit pas manger non plus » (St. Paul, II, Thess.
III 10). L’Apôtre, en effet, condamne par ces paroles ceux qui se dérobent au
travail qu’ils peuvent et doivent fournir ; il nous presse de mettre
soigneusement à profit notre temps et nos forces d’esprit et de corps, et de
ne pas nous rendre à charge d’autrui, alors qu’il nous est loisible de
pourvoir nous-mêmes à nos propres
nécessités. En aucune manière, il ne présente ici le travail comme l’unique
titre à recevoir notre subsistance ». Dubreuil, reprenant à son compte cette pensée de
Le Play: « Le but suprême de tout
travail est la vertu, non la richesse ». affectait souvent le
qualificatif « utile » au mot « travail ». Nous en
déduisons qu'il existe un travail inutile, celui que l'on improvise, au
demeurant de plus en plus, pour donner un pouvoir d'achat, toujours
redistribué, aux « privé d’emploi », mais non point de
travail. La dissociation du revenu et
du travail autorisée par le principe du dividende familial, éviterait le
recours au travail inutile, précaire ou aux autres procédés d'assistanat pour
assurer ce revenu. Ce dividende rend
ainsi la liberté et la responsabilité aux citoyens de définir, par eux mêmes,
le travail utile, c'est-à-dire l’avantage qu’ils peuvent trouver à participer
aux oeuvres communes et la production utiles. Il ne
s'agit donc plus aujourd’hui de penser le travail comme une contrainte
d'ordre matériel imposée par une répartition des revenus uniquement gagée sur
le temps loué à l'employeur, mais de le concevoir comme l'apport créatif de
chacun à l'oeuvre collective de la civilisation.
Révolution conceptuelle d’un monde en mutation. Il s'agit ici de libérer le
travail de la contrainte du matériel et du financier dans laquelle
l'organisation financière l'a aliéné. Il s'agit donc de faire disparaître les
systèmes de travail basés sur le salaire. Qu'est-ce que le salaire ? Chez Hyacinthe
Dubreuil, c'est le paiement de ce que les juristes appellent « le louage
d'ouvrage ». Quelles que soient les apparences créées par les divers
« systèmes » en usage pour le fixer, sa base principale est à la
disposition de celui qui l'emploie. Le salaire est-il une norme rigide ? « Waldeck Rousseau, sans aller
jusqu'aux détails de l'organisation du travail, avait suffisamment compris la
nature intime du problème pour déclarer que « le travail arrivera
progressivement à demander sa rémunération de moins en moins au louage
d'ouvrage et de plus en plus à l'association »[72]. Dubreuil constatait alors que ce louage d'ouvrage
est effectué en faisant usage de deux unités: unités de temps, heure ou mois,
contre monnaie. « Ainsi, l'argent
ne paie directement que du temps, autrement dit la présence directement
constatée et mesurée de la pendule ». En conséquence, le salarié
discutera pour obtenir un meilleur monnayage du temps qu'il loue à son
employeur; tandis que l'employeur prendra en compte le prix des objets qu'il
fabrique, prix dont il a également à rendre compte devant le client. « Littéralement, les deux antagonistes
ne parlent pas la même langue, puisqu'ils discutent d'une matière qu'ils ne
mesurent pas avec la même unité. Car on sait bien que l'employeur discute du
point de vue du prix des objets qu'il fabrique tandis que son personnel se
base sur le temps qu'il passe à l'usine. Cette absence d'unité commune aux
deux parties entraîne des conséquences sociales considérables. Car c'est elle
qui implique, en fait, la division absolue qui existe entre les deux parties
en présence. C'est elle qui sépare absolument les travailleurs de
l'entreprise qui les emploie. Disons plus, elle les sépare de la
nation » [73]. En effet, cette
absence d'unité dans le calcul de la rémunération implique qu'en demandant
une augmentation salariale à l’employeur, les salariés vont pénaliser l'optimum
de vente des produits créés par l'entreprise et l'optimum de distribution
dans le pays. Pourtant, le seul contrat qui engage l'entreprise
est, en fait, celui qui le lie à son client. Ainsi, la juste rémunération est
celle qui est strictement calculée sur la base de la valeur du service rendu
et négocié sur le marché. Mais cet idéal de justice ne peut être atteint si
la valeur des biens et services produits excède le pouvoir d’achat contenu
dans les salaires. L’augmentation artificielle des salaires n’aura pour effet
que d’accroître la valeur de la production, sans pour autant que celle ci
puisse rencontrer la consommation. C’est pourquoi un pouvoir d’achat
additionnel émis sous forme de crédit social doit venir équilibrer la valeur
de la consommation à celle de la production. En effet, la valeur monétaire d’une production est
égale au prix à laquelle elle est négociée sur un marché. Elle n’est donc pas
systématiquement égale au coût qu’elle engendra. On sait qu'il se passe un certain délai entre le moment
où la production sort de l'usine et celui où elle est négociée sur le marché;
de sorte que l'on ne peut connaître d'avance sa valeur marchande, le profit
ou la perte que l'on va en tirer. Or, le salaire mensualisé anticipe cette
valeur avec les risques économiques que cela comporte. D’autres modes de
rémunération nous sont cependant connus. Ainsi, les entreprises japonaises
délivrent, durant le mois oeuvré, deux acomptes
fixes représentant chacun environ un tiers de la rémunération globale et ne
délivrent le solde qu'en fonction du résultat de la négociation marchande, à
terme. Ainsi, aucune inflation par les coûts salariaux ne peut apparaître et,
de plus, les fonds, gérés par l'entreprise durant ce laps de temps, lui
permettent d'équilibrer sa trésorerie dans l'attente du verdict des marchés. Comment alors déterminer la juste rémunération ?
Et plus exactement, comment organiser le travail de telle façon que l'on
puisse mesurer la valeur du service rendu ? Hyacinthe Dubreuil a développé et
défini, à partir des modèles passés et contemporains, un modèle
organisationnel du travail qu'il nomma « le fédéralisme
industriel », que nous appelons d'une façon plus générique,
l'organisation fédérale du travail, ou, en hommage à P.J. Proudhon, l'ateliérisme. « Il
est bien connu », souligne Dubreuil, « qu'en beaucoup d'entreprises on a souvent de la peine à
localiser l'origine des pertes ou des
inconvénients divers qui s'y produisent, et qu'il faut alors faire tomber
dans le vague dépotoir des « frais généraux ». Or, l'application de la méthode des
budgets séparés, qui doivent être tenus
chacun en équilibre, permet au contraire de fixer avec certitude
les endroits suspects, et d’y exercer un contrôle difficile à réaliser autrement.
On sait qu'une entreprise considérable s'est assurée un succès spectaculaire,
en plaçant son fonctionnement inférieur sur cette base, et qu'elle est allé
jusqu'à donner une telle individualité à ses groupes de production que, d'un
groupe à l'autre, l'acheminement du travail qui est en cours est accompli de
la même manière qu'une opération commerciale. Quand un objet passe d'un
groupe à l'autre, le second l'achète au premier dans l'état où il est. Ce qui
permet de comprendre avec quelle attention il contrôle cet état, puisqu'à ce
moment il prend la responsabilité des conséquences qui pourraient s'ensuivre
pour lui quand à son tour, il le transmettra au groupe suivant »[74]. Dubreuil va alors envisager ici, tout comme il
concevait une organisation politique décentralisée, une organisation du
travail entièrement articulée sur le modèle fédéral. Puisqu’au sein d'une
entreprise la répartition des tâches est effectuée en fonction de
subdivisions techniques, il est ainsi possible de déterminer des unités de
gestion autonomes, ateliers ou équipes, qui d'amont en aval, coopèrent au
même ouvrage et participent à la prospérité commune. Chaque unité, selon le
type d'entreprise, s'organise avec son propre budget, passe des commandes, en
amont, et vend sa production, en aval, aux autres unités constituées dans
l'entreprise. C’est ainsi que la rémunération de l'ouvrier n’est plus le
salaire « mais le résultat d'un
équilibre normal entre deux forces discutant ensemble sur un pied d'égalité,
sous la seule loi des exigences de la concurrence ». Dubreuil
exprima cette idée force dans « L’équipe et le ballon » : « S'ils vendaient du travail au lieu
de louer simplement leur personne et leur temps, les ouvriers ne seraient
plus des salariés, c'est-à-dire des êtres passifs, mais ils deviendraient des
entrepreneurs ». Il s'agirait
alors d'un contrat de même nature que celui qui lie le vendeur au client,
chez les indépendants, artisans et commerçants. Ainsi, exprime-t-il dans
« Promotion », « si l'on
étudiait les raisons profondes de l'attitude des artisans et petits
commerçants, on y trouverait certainement la clé de la plupart des problèmes
qui troublent la vie du travail industriel. Car leur attitude psychologique
est déterminée par la nature dont leur activité est payée. Pour eux, pas de
systèmes compliqués et obscurs, dans
lesquels l'intéressé ne peut voir clairement si ce qu'il reçoit correspond
exactement à la valeur de ce qu'il fait. Comme leur activité revêt en même
temps un caractère commercial et qu'elle apparaît toujours comme un échange
où tout est visible et compréhensible, on peut voir avec quel intérêt ils s'y
livrent. On peut voir aussi comment la fameuse question de la durée du
travail se pose d'une façon tout à fait inverse de celle qui règne dans les
ateliers où l'ouvrier trouve toujours le temps long. Si nous comprenions bien
cette réflexion, nous verrions qu'il n'y a qu'un moyen de transformer
profondément la vie de l'ouvrier industriel, c'est de découvrir pour lui un
mode de paiement qui s'apparente à celui qui fait régner la paix chez les
gens de petits métiers. C'est vers cette sorte de problèmes qu'il faudrait
orienter les esprits » . L'ORGANISATION FEDERALE DU TRAVAIL : L'ATELIERISME Le salarié, aujourd'hui, n’est que le maillon d'une chaîne de
production ou de services. Il ne peut être conscient de la valeur du service
qu'il rend à la société, ce qui n'était pas le cas dans les petites unités
productives du Moyen-âge (cf. supra). Il ne peut suivre les différentes
modifications, valeurs ajoutées qu'a subi et que subira, après sa propre
intervention, le produit auquel il travaille. Il ne peut donc déterminer la
valeur de son travail. Tout au plus, est-il conscient du coût de sa propre
intervention dans le processus de création. L'idée de Dubreuil est alors de
permettre, à nouveau, à l'ouvrier de vendre son travail au lieu de louer son
temps. Pour que l'ouvrier soit en mesure de déterminer le prix de son oeuvre, il doit pouvoir bénéficier d'une organisation
sociale, au sein de l'entreprise, qui le laisse libre de fixer, par contrat, la
valeur du service rendu. Autrement dit, à la notion de salaire quantité
vague et arbitraire, source de
conflits toujours renaissants, il faudrait substituer celle d'une valeur
fixée par contrat. Le principe de ce contrat, c'est le contrat
d'équipe préconisé par H. Dubreuil (cf. note 74): « C'est
ce qui serait possible si l'on basait le contrat sur chaque groupe de travail
techniquement isolable, sur le milieu dont la gestion puisse être directement
compréhensible, et dans lequel il serait, dès maintenant, capable de
« s'organiser ». C'est ce milieu qu'il faudrait prendre pour point
de départ et pour base, afin d'y introduire cette même loi de l'échange
normal qui gouverne et détermine l'activité du chef d'entreprise. C'est à cet
endroit qu'il faut le faire entrer dans le domaine de la gestion. Et si l'on
a parlé de partager avec lui des responsabilités par une méthode de
« cogestion », c'est-à-dire de gestion partielle, on pourrait au
contraire, dans son groupe, lui confier la gestion totale des responsabilités
qui existent dans ce champ particulier. (...) Pour arriver à ce résultat, il suffirait de
considérer chaque groupe élémentaire de travail, chaque unité irréductible de
l'entreprise comme une entreprise indépendante, ou plutôt autonome en lui accordant
le budget particulier qui pourrait résulter de la subdivision du budget
général de l'entreprise. C'est sur la base de ce budget qu'il serait possible
d'établir un véritable contrat de travail, qui deviendrait alors entièrement
analogue aux multiples contrats d'entreprise que nous voyons fonctionner
autour de nous, en y déterminant cette activité spontanée que le régime du
salarié n'excitera jamais (...). Ce
contrat, réduit à la dimension des groupes élémentaires que l'on trouve dans
n'importe quelle entreprise, placerait leurs membres devant des
responsabilités auxquelles ils sont généralement capables de faire face dès
maintenant, et sans autre préparation. Car n'oublions pas qu'il ne s'agit là
que d'une fraction du travail de l'entreprise, c'est-à-dire n'impliquant pas
des éléments de comptabilité aussi compliqués que ceux qui figurent dans les
« postes » divers d'un bien général ». Il deviendrait alors possible d'appliquer le
principe du contrat mutuel, réciproquement profitable à toutes les parties
prenantes, qui apporte plus à chacun qu'il ne leur prend. Comme au sein d'une
entreprise la répartition des tâches est effectuée en fonction des
subdivisions techniques. Il suffirait de déterminer des unités de gestion
autonomes, ateliers ou équipes, en fait, des petits groupes de travail
techniquement isolables, qui d’amont en aval, participent au même ouvrage et
à la même prospérité. Chaque unité, selon le type d’entreprise,
s’organiserait avec son propre budget, passerait des commandes en amont, vendrait
sa production en aval, aux autres unités constituées dans l’entreprise.
Ainsi, les ouvriers vendraient du travail au lieu de louer simplement leur
personne et leur temps, les ouvriers ne seraient plus des salariés,
assujettis et passifs, mais ils deviendraient des entrepreneurs responsables. Il est bien évident que cette approche de
l’organisation fédérale du travail par la constitution de plusieurs unités de
gestion autonomes et coopératives, ne peut pas s’appliquer de la même façon à
toutes les entreprises. Cependant, il reste, comme le soulignait Maurice
Allais que « le véritable
intéressement et la participation réelle des agents à une bonne gestion
doivent être cherchés dans une décomposition aussi grande que possible de
l’entreprise en unité de gestion distinctes et d’une décentralisation aussi
grande que possible des décisions, l’intéressement des agents se faisant dans
chaque unité élémentaire. Cette recherche comporte naturellement des
difficultés d’application, elle est complexe... Mais elle seule offre
vraiment des possibilités de participation et d’intéressement efficaces et
directes à la gestion »[75].
L’ateliérisme ou organisation fédérale du travail
n’est cependant qu’un principe générique dont l’application ne peut être
uniforme. Elle doit s’adapter à la taille de l’entreprise, à son activité
principale afin de concevoir sa
décomposition en plusieurs unités de gestion, autonomes et coopératives de la
façon la plus optimale possible. Cette organisation fédérale du travail exige par
ailleurs de considérer les deux aspects psychologique et technique du
problème,. Le premier aspect demande la mise en place d’une éducation sociale
et civique, éducation citoyenne que Proudhon appelait démopédie, qui puisse faire
naître et susciter les propositions d’organisation de la base de la
hiérarchie sociale. Il y a là sans doute tout un discours de participation à
tenir, qui ne peut supporter les arrières pensées politiques et idéologiques,
par nature centralisatrices et réductrices. Le deuxième aspect implique de résoudre, au cas
par cas, les données techniques inhérentes à chaque type d’entreprises,
d’industrie ou de commerce, et d’avancer prudemment et par paliers, sur la
voie de la décentralisation des décisions. Pour sa part, Dubreuil proposait
une méthode, « que l’on pourrait
appeler la silencieuse méthode de la tâche d’huile, par l’extension graduelle
et sans tapage d’une nouvelle méthode de règlement des problèmes quotidiens
du travail (...) . C’est dans la mesure où le personnel fera la preuve
qu’il est capable de prendre des responsabilités de plus en plus grandes
qu’on lui en confiera de nouvelles... Pourquoi ne pas considérer l’atelier
comme ce qu’il pourrait être, c’est-à-dire, après la famille naturelle, le
second milieu où chaque être humain pourrait faire l’apprentissage de sa
sociabilité ? Le centre du problème est
dans la question de l’organisation du travail »[76].
« Si nous voulons créer l’esprit de communauté et de coopération, il
faut savoir que les conditions de cette coopération ne peuvent être
considérées utilement que par échelons successifs, et à l’intérieur de cadres
assez restreints pour que les participants les plus humbles puissent en
concevoir aisément l’ensemble » [77]. Cet idéal d’organisation autonome et fédérale du
travail, appliqué à l’intérieur de l’entreprise, pourra être atteint quand
les entreprises pourront se subdiviser en autant d’unités de gestion,
autonomes et coopératives, techniquement viables dans lesquelles les rapports
humains ne seront plus à sens unique. Nous savons aujourd’hui que la technicité demandée
par la majorité des opérations effectuées dans une entreprise n’autorise pas
la compréhension de la multitude d’apports qui la précède ou la suit. Ainsi,
l’opérateur ne perçoit pas directement la valeur qu’il ajoute au produit semi
fini. Pourtant, l’identité de chaque acte de travail peut être retrouvée.
Pour Dubreuil, « si le coup d’oeil d’un homme ordinaire ne peut embrasser l’ensemble de
l’entreprise et apercevoir en même temps la place qu’y prend
proportionnellement sa personne, il est incontestable que cette vision lui
deviendra beaucoup plus facile si les limites en sont ramenées au champ
restreint d’un « département ». Il n’est même pas interdit de
songer, en suivant la même ligne de décomposition, et si les limites d’un tel
département restent trop grandes à quelque autre subdivision destinée à
grouper un nombre d’hommes plus restreint encore (...). Il ne nous reste plus
alors qu’à examiner ce que pourra être la rémunération et non plus le
salaire. Le salaire est en effet un solde de paiement qui sous-entend
essentiellement la subordination de la personne de l’ouvrier. Mais à partir
du moment où l’homme est rémunéré d’après la valeur de son travail, et non
plus du seul fait que sa personne est à la disposition de celui qui
l’emploie, il n’est plus un salarié, pas plus que le tailleur qui se charge
de faire un vêtement avec l’étoffe que lui apporte un client n’est le salarié
de ce client ». Si l’organisation fédérale du travail peut
s’appliquer à l’intérieur de l’entreprise, elle doit se prolonger au dessus d’elle. En effet, l’entreprise ne
constitue pas un circuit fermé à toutes interactions, imperméable aux milieux
extérieurs. Son modèle d’organisation agit sur les sociétés civiles. Ainsi,
chez Dubreuil, l’idée fédérale et coopérative ne s’appliquait pas seulement à
l’organisation du travail. « Si
l’on entend développer l’idée d’une communauté d’intérêts, cette communauté
doit s’incarner dans une autre forme d’association, d’une autre nature que
celle que les ouvriers ont due constituer, au siècle passé, pour se défendre
contre les abus de l’industrialisme. L’idée de base du groupement nouveau
devra être celle de l’unité considérée dans ses diverses formes, c’est-à-dire
: unité de l’entreprise, unité de la profession, unité de l’industrie ».
Ce principe d’organisation subsidiaire étant
acquis, il nous reste également à le transposer dans l’ordre domestique et
civil, en l’appliquant à l’unité de la
famille, à l’unité de la cité, à l’unité de la région, pour arriver, par
étapes, au sommet de la pyramide sociale, à la fédération des fédérations, à
la confédération intercorporative. Cette dernière,
enrichie par la diversité d’origine de ses membres, sera compétente pour
arbitrer les différents conflits d’intérêt qui pourraient surgir, tant du
coté de la consommation que de la production, et pour étendre le principe
fédéral jusqu’à la coordination mutuelle des différentes organisations
fédérales, professionnelles, civiles et territoriales. L’application de cette organisation fédérale et
coopérative aux différents corps territoriaux constituant des communautés
d’intérêt, naturelles et historiques, comme la région, le pays, la commune,
va donc exiger qu’ils puissent organiser leur économie de façon autonome et
régler leur production en fonction des besoins exprimés par leur population.
Il conviendra donc de mettre à leur disposition une partie, ou une
subdivision, du crédit social corrélative à leur représentation
démographique, et de laisser ces corps territoriaux libres de déterminer, par
eux-mêmes, la répartition de cette monnaie additionnelle entre les
fournisseurs et les familles, sous la forme d’une aide à l’investissement
d’un montant équivalent aux escomptes consentis par les entreprises sur leurs
produits, en application de la technique de l’escompte compensé, et d’un
pouvoir d’achat additionnel, sous la forme de dividendes familiaux attribués
aux populations de leur ressort. Cette répartition sociale du crédit social
permettra alors à la population de suivre l’usage qui en est fait, d’en
bénéficier individuellement et collectivement, et de régler la production en
fonction de ses propres besoins. Il ne s’agit pas seulement, en effet,
d’attribuer un revenu additionnel à chacun, mais d’enraciner l’économie en
dotant les corps territoriaux d’un financement capable de contrebalancer
l’économie de marché, par définition volatile, puis d’en orienter et d’en
suivre l’usage afin de le rendre collectivement utile. C’est avec clarivoyance
que, dans un article écrit dans la « Revue syndicale suisse »,
(1938), H. Dubreuil écrivait que « l’économie
antérieure à la production industrielle était surtout une économie localisée,
dans laquelle la production se réglait spontanément selon les besoins. Alors,
les besoins, c’est-à-dire la consommation, jouaient leur rôle naturel de
moteur de l’activité productrice... Du fait de la proximité de ces deux
éléments, le besoin et le travail, et la consommation se réglaient l’une sur
l’autre de façon naturelle... La révolution industrielle a détruit graduellement
cet ancien équilibre lorsqu’elle est parvenue à organiser le travail et les
échanges de façon à pouvoir répandre ses produits à travers les contrées les
moins avancées du globe... A partir de ce moment, le caractère du salaire a
commencé à se modifier, pour ne prendre l’aspect que de la ration d’entretien
nécessaire au travailleur pour qu’il puisse continuer à assumer la
production. Car ce travailleur n’était plus un client indispensable, ce qu’il
ne pouvait acheter pouvait être vendu au loin... C’est la révolution
industrielle qui a créé le salaire moderne ». Il y a une espèce de prémonition dans ce texte de
Dubreuil, à une époque où la globalisation financière, et le mobilisme
économique qu’elle implique, engendre la renaissance d’économies locales, de
proximité, sous diverses formes, enracinées, et au fond plus proches de la
pensée économique des canonistes que des libéraux, fussent-ils sociaux, de
cette fin de siècle. Comme le souligne Dubreuil, dans l’économie
antérieure, notamment médiévale, la production se réglait spontanément sur la
consommation, ce qui permettait aux consommateurs de jouer pleinement leur
rôle naturel de moteur de l'activité productrice. Or, de nos jours,
l'investissement ne répond plus aux besoins de la production locale, et par
suite, la production ne répond plus aux besoins des populations (cf. chapitre
précédent). L'investissement, qu'il soit le fait de l'épargne ou du crédit
bancaire, ne sert plus les intérêts humains du travail et de la consommation,
il obéit à la loi unilatérale du possesseur du capital et s'inscrit ainsi
dans une logique spéculative, qui bien qu'immorale n'en est pas moins dans
l'ordre des choses. Montesquieu, déjà, avait remarqué que tout homme qui a du
pouvoir a tendance à en abuser. Mais il serait vain ici de croire que l'Etat soit
en mesure de corriger ces abus par des mesures coercitives; qu'elles soient
fiscales ou de contrôle des changes, celles-ci n'interdirent jamais la fuite
des capitaux, ni le chômage massif que connaît l'Europe, ni l'importance des
mouvements spéculatifs. Aujourd’hui, dans le monde, les flux financiers sont
supérieurs aux flux commerciaux et productifs dans un rapport qui dépasse
30/1. Demain, la société du Net ne connaîtra plus les frontières des Etats. On ne peut réformer la société par l'initiative de
l'Etat, corriger l'abus par un autre abus. La concentration du pouvoir
étatique accompagne la concentration du capital. « Cette fascination dominant les intelligences, la société
tourne dans un cercle de déceptions, poussant le capital à une agglomération
toujours plus écrasante, l'Etat à une extension toujours plus tyrannique de
ses prérogatives, la classe travailleuse à une déchéance physique, morale et
intellectuelle, irréparable » [78]. C'est pourquoi seuls les corps intermédiaires, parce que
proches, sont capables de jouer le rôle d’amortisseurs naturels entre
l’autorité de l'Etat, trop éloigné, ne fut-il qu'une simple agrégation intercorporative et confédérée de ceux-ci, et la liberté
des personnes. Aussi, là où la répartition du crédit social va apporter à
chacun la part d'autonomie et de pouvoir financier qui lui revient, c'est au
sein des corps intermédiaires spatiaux et fonctionnels que seront négociées,
contractuellement déterminées et mises en oeuvre les
compensations d'interdépendance sociale que cette autonomie induit. CHAPITRE IX : DE LA SOUVERAINETE ORGANIQUE ET POPULAIRE « ...
Souveraineté du peuple partout
et toujours; souveraineté de
l'homme pour tout ce qui est et qui
peut-être de l'individu; souveraineté de la commune pour toutes les
choses de la commune; souveraineté des
pères et mères pour tout ce qui est de la famille, souveraineté du producteur
pour tout ce qui est du travail, du commerce et de l'industrie, (...). La grande
majorité des républicains, mêmes démocrates, même socialistes,
n'entendent point ainsi la souveraineté (...). Les uns, et je suis du nombre,
demandent la sincérité des institutions
démocratiques, c'est-à-dire la distribution à l'infini de la
souveraineté ». Pierre
Joseph Proudhon (Carnets III, 1848-1850) « Le
crédit social, lui, distribuerait le pouvoir
le plus largement possible
entre tous les membres de la
société. Le pouvoir économique, par un
pouvoir d'achat garanti à
chaque individu. Le pouvoir politique, en faisant des
députés les représentants réels de
leurs électeurs, et non plus les domestiques d'un parti ». Louis Even (Qu'est-ce que le vrai
crédit social, 1965) « La
souveraineté du peuple, c'est-à-dire son aptitude effective à donner des ordres, croîtrait avec son unanimité; et si tout le peuple demandait le même
résultat, il n'y aurait aucune possibilité de partis, et
il serait également impossible de résister à sa demande ». Clifford
Hugh Douglas (Liverpool, le 30 octobre 1936) La distribution de pouvoirs, autonomes et
responsables, qu'engendrera l'instauration une réforme institutionnelle dont
la clef de voûte serait les corps intermédiaires, et d'une économie de crédit
social, devra s'équilibrer et s'harmoniser autour de contrats mutuels
qu’établiront les espaces et les fonctions sociales dans et par lesquels
s'exercent les libertés. Que doit-on entendre ici par contrat mutuel ? Il
s'agit d'établir une alliance, un « lien juré », entre les
différents corps territoriaux et organiques de la société civile par laquelle
ceux-ci garantissent la réciprocité de l'échange, du droit et de
l'obligation, et qui, en tout état de cause, leur accorde plus qu'elle ne
leur prend. Nous devons envisager ici une véritable inversion sociale
qui permettrait par une subdivision des pouvoirs, financier, économique,
social et politique, de rendre à chaque personne et à chaque institution, à
tous les niveaux, la portion du Bien collectif dont elle a la charge, à
travers deux pôles de solidarité, l'un horizontal et fédéral, l'autre
vertical et corporatif. Cette ambition ne s'apparente cependant aucunement à
une vue de l'esprit, ni à un sophisme abstrait que l'on aurait poussé au bout
de sa logique, elle fut, en effet, à l'origine de nos sociétés
médiévales. Dans son ouvrage sur
« L'autonomie communale et la reconstruction de l'Europe », A.
Gasser rappelait ainsi que « les
bourgeoisies médiévales armées ont lutté pour une morale collective plus
haute que celle du monde antique. Influencées par le christianisme, elles ne
tolèrent pas l'esclavage dans leurs murailles. Elles apprécièrent et
favorisèrent le travail artisanal, elles eurent de la vie une conception
nouvelle, qui reconnaissait la dignité du peuple travailleur et le mérite des
métiers. En général, elles ne firent pas usage de leur force militaire pour
la conquête mais se bornèrent à se défendre. Les tendances libertaires de la
politique intérieure ne furent plus menacées par la volonté de puissance
extérieure. Ainsi s'accomplit, en principe, la fusion de la morale chrétienne
et du civisme communalisme.. ». Ce qui faisait alors proprement la commune,
c'était l'engagement solennel de former un seul corps, au sein duquel tous
les participants se considéraient comme égaux. Ce mouvement des communes
était fondé à l'intérieur sur un rassemblement fédératif des familles et des
corps de métiers. Pour Bernard Voyenne, cela
signifie « que la vie sociale
s'organise au sein de sphères distinctes mais complémentaires: l'une est
particulière et limitée, l'autre générale et englobante.
Les activités locales et professionnelles s'exercent dans leur domaine
propre, fondé sur la propriété familiale ou la finalité corporative, elles
disposent pour cela de quelques libertés, sans qu'elles puissent toutefois
les étendre hors de leur champ propre, en s'unissant avec d'autres pour
former des ensembles plus vastes » [79]. Il ne s'agit donc pas
d'un modèle abstrait mais tout simplement d'une organisation empirique de la
société qui ne fut dévoyée que par l'avidité des intérêts particuliers qui
soutenaient la croissance du pouvoir central. « Mais, l'âme de toute fédération ou confédération »,
continue B. Voyenne, « exige à la fois la pleine autonomie des constituants et leur
union sur un pied d'égalité. Des hommes ou des groupements qui ne seraient
pas libres ne pourraient se fédérer; mais ceux qui abandonneraient cette
liberté en s'unissant ne le seraient pas davantage. De sorte que le pacte
fédératif, loin de commencer avec l'alliance
des cités, doit être d'abord au sein de la cité elle-même. Le vouloir vivre
ensemble n'est que le corollaire de la possibilité d'exister séparément. Si
légitime ou utile qu'en soit l'objet, l'essentiel de l'alliance ne réside pas
tant dans ses finalités - qui seront, en quelque sorte, données par surcroît
- que dans la reconnaissance mutuelle par les contractants de leurs droits
réciproquement garantis. C'est cette confiance, exprimée dans le pacte ou
serment, qui fonde proprement la fédération, et est sa raison d'être ».
Cette approche suppose alors la prise de responsabilités et de libertés par
les différents groupes et personnes constituant les cités, c'est-à-dire la
restauration des droits communaux, des droits fondés sur la propriété
familiale et la finalité corporative de leurs groupements spécifiques,
autonomes et autogérés. LA CONSUBSTANTIALITE CONTRACTUELLE FEDERATIVE ET CORPORATIVE Dans la formation de l'éthique fédérative, la
place qu'occupa Johan Althaus, dit Althusius, né
vers 1557, est primordiale. Althusius s'inspira des traditions communalistes
et corporatives pour en faire un imposant corps de doctrine qui fut le
premier monument de la pensée fédéraliste. Pour Althusius, nous dit Bernard Voyenne, « l'essentiel,
c'est d'établir la genèse et par conséquent la finalité du pouvoir: il vient
du peuple et il est fait pour le peuple. De plus, au sein de cette tradition,
dont notre auteur n'est pas seul à se réclamer, lui appartient en propre une
conception organique de
la souveraineté populaire, qui n'est le fait ni d'une addition
d'individus, ni d'une masse indistincte, mais d'une coalescence de
communautés imbriquées et étagées. En cela, il est bien le premier théoricien
fédéraliste, tout en annonçant d'ailleurs d'autres écoles de pensée de type
corporatiste, dont le « fédéralisme ne se distinguera qu'avec
Proudhon ». Le mot de corporation n'est apparu d’ailleurs, selon Luc
Benoist, ( Le compagnonnage et les métiers, PUF Que sais-je), qu'en
1776, et très paradoxalement, dans l'édit de Turgot qui les supprima mais qui
ne fut pas appliqué de suite. Le mot de compagnonnage lui même ne date que du
XIX e siècle. Chez Althusius, « l’Etat est déjà beaucoup plus nettement que ne l'était la cité
antique, de nature fédérale, puisqu'il est fait d'un ensemble très diversifié
de cellules familiales et professionnelles, de collèges de fonctions et de
communes territoriales qui, tous, sont dotés de la personnalité morale,
possèdent leurs biens propres et se gouvernent eux-mêmes. Chaque communauté
particulière est régie, sauf cas particulier, par un Sénat élu suivant le
principe majoritaire, déléguant lui-même un exécutif permanent. La communauté
générale, ou Etat, est gouvernée suivant le même principe par des
représentants des communautés constituantes, formant un Sénat de compétence
générale dont les décisions ont force de loi dans toutes les affaires
ordinaires de la cité. ».. Nous nous apercevons
ici, qu'à l'origine, le fédéralisme et le corporatisme découlaient du même
principe organisateur et que leur dissociation plus récente ne repose en fait
que sur l'atrophie de la conception des corps intermédiaires et de leurs
droits naturels. Atrophie qui s'est écrit sur plusieurs siècles et qui, dans
sa phase révolutionnaire progressa rapidement. Ainsi, avant même l'édit
d'août 1762, préparé par Pontchartrain, qui supprimait les magistratures
élues pour les remplacer par des offices héréditaires, les commissaires puis
les intendants du roi étaient devenus les maîtres véritables des
collectivités locales. A cette centralisation de la souveraineté territoriale
devait suivre le décret d'Allarde du 17 mars 1791
qui supprimait les corporations, et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 qui
interdisait la reconstitution d'associations professionnelles, centralisant
ainsi la souveraineté organique. C'est aussi Mirabeau qui déclara : « Il faut changer la division
actuelle des provinces parce que, après avoir aboli les prétentions et les
privilèges, il serait imprudent de laisser subsister une administration qui
pourrait offrir des moyens de les réclamer et de les reprendre ». Et
La Fayette de surenchérir:
« Surtout ne faîtes pas des provinces qui puissent devenir des
républiques ». C'est ainsi
que le 22 décembre 1789 donna naissance à la départementalisation du royaume
d'après le plan de l'abbé Siéyés [80] dont le but essentiel
était de dissiper la crainte de voir se constituer des républiques
fédératives [81].
Ceci fit écrire à Edmund Burke (Réflexions sur la Révolution française): « On s'est vanté d'avoir adopté une
disposition géométrique au moyen de laquelle toutes les idées locales
seraient éteintes... Ce qui arrivera vraisemblablement, c'est qu'au lieu
d'être français, les habitants de ce pays ne tarderont pas à n'avoir plus de
patrie ». Il ne restait plus alors, pour couronner cette nouvelle
organisation des pouvoirs, qu’à introduire le principe de « souveraineté
nationale » qui apparaît pour la première fois dans la Constitution du 3
septembre 1791. En effet, il faut comprendre ici que c'est la même
logique centripète qui présida à l'atténuation puis à la disparition des
franchises spatiales, tant régionales que communales, et organiques, qu'il
s'agisse des confréries, des Ordres ou
des corporations qui se
dressaient sur tout le territoire. Le fondement de la Souveraineté Nationale
supposa que le pouvoir vienne de la
nation, non pas comme une agrégation, une coordination de ses parties, mais
comme un tout indivisible. Elire un représentant n'est pas alors un droit mais une fonction.
Ce représentant n'a pas à se justifier devant ses électeurs, son mandat n'est
pas impératif, il n'est que représentatif. Il s'en suit qu'il ne représente
pas une partie de la population déterminée de façon territoriale ou
organique, mais l'intérêt général exprimé par l'ensemble de la nation. Ce
principe ne peut donc être qu'éminemment centraliste puisqu'il repose sur une
entité indivisible, distincte des individus qui n'ont aucun droit personnel à
faire valoir. Au contraire, le fondement de la souveraineté, chez Althusius,
est populaire et fonctionnel. Il implique que le mandat accordé au
représentant d'une partie, territoriale ou organique, de la population, soit
impératif ; c'est-à-dire que le mandataire exécute impérativement son mandat
conformément à la volonté de ceux qui lui en ont confié la charge. Cette
souveraineté est alors spatialement et fonctionnellement fractionnée. La réforme institutionnelle que nous proposons ici
doit donc reposer sur la consubstantialité fédérale et corporative. Elle ne
peut par contre, reconnaître le principe du suffrage universel qui étouffe, au
nom d’un prétendu et abstrait intérêt général, les libertés et solidarités
des corps et communautés de la nation. LE POUVOIR MONETAIRE COMME ATTRIBUT DE LA SOUVERAINETE Si la notion de souveraineté nationale est, somme
toute, assez récente, nous pouvons nous interroger sur les effets que cette
conception provoqua sur le mode d'émission monétaire et sur le pouvoir dont
s'octroya l'Etat pour étouffer tout reliquat de souveraineté populaire. En ce
sens, si nous ne pouvons pas dire, comme les auteurs hayekiens
(cf. chapitre II) que « l'Etat a usurpé le pouvoir monétaire »,
nous devons admettre, par contre, que la souveraineté nationale a confisqué
et monopolisé ce pouvoir. En fait, la souveraineté, selon Loyseau,
dans son « Traité des Seigneuries » (1609) se limitait à « faire loix,
créer officiers, et forger monnoye ».
Cette souveraineté pouvait avoir un sixième droit: « lever deniers sur le peuple ». En conséquence de
quoi, il apparaît historiquement que le pouvoir monétaire est bel et bien un
attribut de la souveraineté. Mais ceci n'a pas interdit aux tenants de la
souveraineté de déléguer cette attribution à leurs vassaux. Ainsi, après que
Charlemagne eut créé un nouveau système monétaire unitaire dans son royaume,
ses successeurs déléguèrent aux grands féodaux le droit de battre monnaie, de
sorte que l'on assista bien vite à une différence de valeur des différentes
unités monétaires territoriales. M. Dauphin Meunier, dans son « Histoire
de la Banque », notait également que « les
villes libres d'Allemagne, les cités italiennes, les principautés enclavés
dans l'empire ou dans les royaumes occidentaux avaient leur système monétaire
particulier ». En France même, ce n’est qu’à partir de 1715 que les
empreintes locales qui avaient continué à se produire concurremment avec le
numéraire frappé par la Couronne, disparaîtront pour faire place à la seule
monnaie émise par les hôtels royaux [82]. Ces monnaies locales
assuraient, en fait, l’essentiel des transactions dans un monde moins mobile
et ouvert que le notre. Elles permettaient de contrebalancer déjà le pouvoir
naissant de l’économie de marché. Mais ce qu’il faut retenir de ceci, qu’il s’agisse
du droit régalien ou du droit seigneurial de battre monnaie, c’est la
ponction que le seigneur, ou le roi, ou les pouvoirs publics, s’octroyaient,
à l’occasion de la frappe monétaire. « Pour
ce qui est des ponctions, chaque fois que des métallurgistes fournissent de
l'or ou de l'argent aux ateliers monétaires, ils reçoivent en paiement une
quantité de monnaie contenant moins de métal qu'ils n'en ont apporté. La
différence couvre les frais de frappe et le « seigneuriage »,
c'est-à-dire le profit que s'octroient les pouvoirs publics et qui
constituent, dans certains cas, une part importante de leurs recettes »
[83]. Cet ancien droit
seigneurial se perpétua avec la Caisse d'Escompte, institution financière qui
escomptait les effets de commerce avant la création de la Banque de France. De nos jours, si les frais de frappe ne peuvent
plus justifier l'existence d'une ponction, la nationalisation, c’est-à-dire
le monopole que l’Etat détient sur le capital social de la Banque centrale,
corrélative à la notion même de centralisme étatique, ne peut s'accorder
d'une répartition distributive. En effet, cette répartition distributive
serait, en quelque sorte contraire au principe de la souveraineté nationale
qui suppose l’unité et surtout l’indivisibilité de la République. Elle ne peut reposer, en conséquence, que
sur la loi de l'offre et de la demande pour départager les candidats à la
transformation en liquidités de leurs actifs.
Il lui devient alors nécessaire de choisir un critère de répartition
de ce crédit, et ce critère ne peut être que celui du marché. JUSTICE DISTRIBUTIVE ET LOI DU MARCHE Avec le réforme financière créditiste que nous
avons précédemment exposée, la monnaie n'est plus cédée selon les mécanismes
du marché, en fonction de l’offre et de la demande. Ces mécanismes
réducteurs, puisque la demande doit être solvable, ne sont plus nécessaires.
En effet, la Banque centrale n'a plus à acheter les promesses à payer
détenues par les banques secondaires pour leur délivrer de la monnaie
centrale puisqu’il n'y a plus anticipation de pouvoir d'achat, puisque le
système de couverture fractionnaire des dépôts détenus par les banques n'existe
plus, et qu'un système de couverture intégrale des dépôts par rapport à la
monnaie de base a supprimé la possibilité de création monétaire bancaire à
contrepartie d'endettement. La Banque centrale n'est plus « prêteur en
dernier ressort contraint », mais elle a la charge, en quelque sorte, de
régler les rapport d'un bien commun, c’est-à-dire le crédit social, à chaque
personne particulière participant à l'activité économique de la nation, au
titre de la production, de la consommation et de l'échange. La répartition du
crédit est alors le fait de la justice distributive. La rémunération des épargnes et comptes à terme
déposés dans les banques secondaires nous semble cependant souhaitable et serait
légitime s’il s’agissait de justice commutative qui réglerait, après accord
mutuel, par la participation aux profits et pertes, les rapports d'une partie
(l’épargnant) à une autre partie (l'emprunteur). Les banques secondaire
échangeront toujours entre elles, si le besoin s’en fait sentir, sur le
marché monétaire, des promesses à payer, effets de commerce, effets publics,
et autres actifs financiers, contre de la monnaie centrale. « Pour
ce qui est des banques privées, il n'est pas question de les supprimer, ni de
les étatiser », estimait d’ailleurs Douglas. « elles pourraient continuer à récolter l'épargne ou même effectuer
des placements, mais elles n'interviendraient pas comme créatrices d'un
instrument, la monnaie, le crédit, qui est social par sa nature même. Dans
ces conditions pourraient-elles subsister ?
Ce serait leur propre affaire. Un fait est certain: elles devraient
s'adapter ou disparaître comme le cheval de trait disparaît devant le
tracteur. Accordons leur, cependant, assez d'intelligence (leur technique est
remarquable) pour s'adapter à la démocratie économique » [84]. Par contre, ces banques et institutions
financières ne pourront plus faire réescompter les promesses à payer en leur
possession auprès de la Banque centrale puisqu'elles seront tenues de
respecter la durée de dépôt pour laquelle les fonds d'épargne leur furent
confiés. Elles devront donc être en mesure de rendre ces fonds à terme échu à
leurs propriétaires sans qu'il soit besoin pour cela de recourir à la
création monétaire de la Banque centrale. Elles ne pourront engager sur le
marché monétaire que l'épargne réelle de leurs clients, et ceci pour une
période qui, en tout état de cause, ne pourra être supérieure à celle pour
laquelle le déposant a accepté de se séparer de ce pouvoir d'achat immédiat
afin d'en faire l'avance à un autre agent économique « Selon
Saint Thomas d'Aquin », écrit Jean Madiran, « il existe deux sortes de justice particulière: la justice
commutative qui règle les relations de personne à personne; la justice
distributive qui règle les relations du bien commun à chaque personne
particulière. La justice commutative exige une équivalence arithmétique dans
les échanges individuels; la justice distributive réclame la proportionnalité
dans la répartition d'un bien commun. En résumé,
dans toute société qui est un tout dont les membres sont les parties, la
justice générale règle les rapports des parties au tout; la justice
particulière distributive les rapports du tout aux parties (aux
particuliers); la justice commutative règle les rapports des parties (des
particuliers) entre eux » [85]. La répartition du
crédit social, issu de l’activité collective des corps et communautés
nationales, ne peut donc être qu’un
acte de justice distributive puisqu’elle règle les rapports du tout, le
crédit, aux parties, les corps et
communautés, et ne peut donc être
soumise à la loi du marché, loi d’exclusion, réductrice qui ne peut que
favoriser un eugénisme social
destructeur. Il reste que la Banque centrale n’aura plus à
intervenir sur le marché monétaire et à proposer par monnayage, selon la loi
de l'offre et de la demande, les nouveaux signes monétaires, ou correspondant
à l'accroissement de la masse monétaire, nécessités par la progression de la
production nationale afin d’en irriguer l'économie. Cette progression de la
production nationale ne peut être qu’un bien collectif qui fut mis en oeuvre grâce à la coopération et aux échanges des agents
producteurs, mais également consommateurs, puisque si ceux ci n'avaient pas
consommé, les producteurs auraient cessé de produire. C'est donc cette
coopération de tous et chacun qui permit la croissance et la multiplication
de la richesse. L'enfant qui vient de naître, et qui demande à consommer,
participe déjà à la croissance économique. Comme acteur, il doit être
solvable puisqu’il permet aux producteurs d'augmenter leur production. Les
salariés qui furent remplacés par la machine de l’inventeur, et licenciés,
doivent être solvables, car ce sont eux qui achèteront les biens produits par
cette machine capable d'augmenter la production et d'en réduire le coût [86]. C'est pourquoi,
puisque des hommes ont choisi de vivre ensemble, de s'unir entre eux pour
arriver à la vie sociale afin que celle ci soit conservée et observée entre
tous, l'accroissement de la production, la prospérité ne peuvent être le fait
d'un seul agent économique, c'est une volonté commune, une oeuvre coopérative, un bien commun; et à ce titre, ils ne
peuvent être répartis selon la justice distributive. L’application de la justice distributive ne peut
s'accommoder de la loi de l'offre et de la demande, c'est-à-dire qu'elle ne
peut supposer l'existence d'un intérêt sélectif, d'un droit seigneurial, lors
de la répartition d’un crédit qui tire sa justification de l'activité globale
des consommateurs et des producteurs, de toute la société. Ce crédit doit
être social puisque, comme nous le notions plus haut, la fonction économique
de la ponction de la Banque centrale, prime de liquidité ou intérêt, ne se
justifie plus dans un système de couverture intégrale de tous les dépôts.
C’est pourquoi, ce crédit doit être réparti proportionnellement du tout aux
parties. Quand la Banque centrale aura apprécié la valeur,
en volume, d’accroissement de l’activité productive globale de la nation,
elle aura pour mission de rétrocéder socialement le crédit au plus bas niveau
possible de la pyramide sociale, afin que cette monnaie soit répartie par
contrats mutuels entre ses utilisateurs, fournisseurs et consommateurs.
Ainsi, chaque région, et au sein de
celle-ci, chaque pays ou commune, fédérés, libre et autonome financièrement,
pourront rendre à chacun des corps qui les constituent, c'est-à-dire aux
foyers familiaux et aux différents groupements de production, la part de
crédit qui lui revient. Ce crédit social national réparti en crédits sociaux
régionaux, puis en crédits sociaux communaux sera alors affecté en dividendes
familiaux et dans les mécanismes d’escompte compensé par un Sénat communal où
les différents représentants des familles et des corps de métiers et de
production seront chargés d’établir
les contrats mutuels de crédits sociaux. Il reviendra alors à ce Sénat
communal intercorporatif la tâche de diriger le
crédit communal vers les familles, par les dividendes familiaux, et vers les
groupements de production, par les escomptes compensés dans le respect des
contrats établis. Ainsi pourrait-on parler de souveraineté monétaire des
citoyens, de monnaie affranchie et de plein pouvoir d'achat. CHAPITRE X : UNE NOUVELLE CITOYENNETE « L’ homme vit dans de toutes petites communautés ». Simone Weil « Point de milieu: La Commune sera souveraine ou succursale,
tout ou rien ». Pierre Joseph Proudhon « La future Union de Russie a le
plus besoin de démocratie. Mais étant
donné la complète
impréparation de notre
peuple aux complexités de la
vie démocratique, elle doit peu à peu, patiemment et solidement se construire par en bas, et ne pas être simplement
proclamée par en haut
au son de trompe et précipitamment, d'un seul coup, dans toute son
ampleur et son étendue. (...) Tous
(ces) défauts mentionnés ne s'appliquent quasiment pas à la démocratie des
petits espaces, petite ville, bourg, bourgade cosaque, canton (groupe de
villages) et jusqu'aux
limites d'un district (d'un rayon).
C'est uniquement sur un territoire de cette ampleur que les gens pourront
déterminer sans se tromper leurs élus ». Alexandre Soljenitsyne (« Comment
réaménager notre Russie », 1991) Les principes de la réforme institutionnelle dépeinte
dans ces chapitres reposent sur une conception organique de la Souveraineté
populaire qui implique la reconnaissance de sa divisibilité en autant de
parties - domestiques, productives et civiles - qu'elle en est composée. Il
s'agit là d’un principe de philosophie politique, du profil civique qui
résulte, avec la réforme financière créditiste, de la rétrocession du pouvoir monétaire aux
citoyens. Ces deux volets complémentaires, social et économique, doivent engendrer
l’avènement d'une nouvelle citoyenneté, avec ses droits et ses obligations
contractuels et mutuels. Cette nouvelle citoyenneté rend la personne
héritière d'un droit imprescriptible au dividende familial, de sa naissance à
sa mort, comme garantie de son autonomie financière. L’autonomie est interdépendance. Aussi,
cette autonomie de la sphère familiale a pour corollaire une interdépendance
sociale qui vient la prolonger et l'enrichir dans le cadre d'une liberté
agrégée de plusieurs libertés, qui loin de se réduire, s’accroissent mutuellement.
C’est pour cela que n’appelons liberté
composée (cf. exergue de notre
Chapitre VII), fondement de la Symbiotique,. En affirmant que la société domestique a sur la
société civile, elle-même, une priorité logique et une priorité réelle,
auxquelles participent nécessairement ses droits et ses devoirs, Léon XIII
rappelait que la finalité de toute organisation sociale doit tendre la prééminence de la sphère familiale, mais
il n'en concluait pas pour autant à la prépotence de celle-ci. En effet, si
la société domestique a des droits envers la société civile, elle a également
des obligations envers elle, et, de la même façon, si la société civile est
investie de droits, elle est également chargée d'obligations envers la
société domestique. Il s’en suit que les rapports, les communications et les
échanges qui s'établissent entre les sociétés domestiques et civiles doivent
être de nature contractuelle afin que les droits de l'une viennent
contrebalancer les obligations de l'autre, afin que les libertés et les
devoirs de l'une et de l'autre puissent s'équilibrer, s'harmoniser et se
compléter réciproquement et mutuellement. UNE SOCIETE CIVILE ORGANIQUE ET COMPOSEE Mais si nous pouvons cerner aisément l'espace
d'autorité, de liberté, de pouvoir et d'autonomie de sociétés domestiques
concrétisé par la Famille, il n'en est pas de même de la société civile, qui,
par sa nature même, est fonctionnellement composite, agrégative et corporée, ainsi que le désignait l'ancien droit par des « mesnages
et collèges en un seul corps » (Jean Bodin, De la République, 1576). Le concept de société civile a pu s'identifier au
pays réel, par opposition au pays légal, encore qu'aujourd'hui l'image d'un
pays administratif [87] conviendrait mieux.
Cependant, si le pays administratif, plus encore que le pays légal, est un
tout indivisible, compact et unitaire, il n'en est pas de même de la Société
Civile, concept générique, qui désigne l'ensemble du monde associatif [88]. En conséquence, la
Société Civile ne peut se réduire à une dimension concentrique résultant
d'une vision englobante et centraliste qui ne
pourrait que la dénaturer, et par conséquent en donner une image viciée.
C'est pourquoi nous n’avons pas affaire, à la vérité, quand nous parlons du
pays réel, à des individus additionnés dans une multitude, mais à des
communautés imbriquées et étagées, par espaces et par fonctions, qui jadis
traitaient et contractaient entre elles sur le même pied d'égalité, comme
nous le soulignions précédemment. P.J. Proudhon a ainsi pu écrire que « les fonctions dans la société
doivent être coordonnées, et non subalternisées » (Carnet II). En effet, à l'inverse de la société
administrative, la société civile ne se meut pas selon des critères normatifs
centralement établis et hiérarchisés qu'une jurisprudence viendrait
sanctionner; elle connaît ses propres usages et secrète par elle-même les
conditions d'accord, de respect, et de mutualité, dans l'exercice de sa
compétence et de la solidarité. Elle génère un droit coutumier. Parler de la
société civile comme d'un tout indivisible devient une absurdité et
entretient un dangereux contre sens si l'on ne perçoit pas la diversité, la
multiplicité d'objectifs qu'elle sous-tend, et par suite, les inévitables
antagonismes et contradictions qu'elle induit et qui, de la pesanteur à la
grâce, l'émancipe et l'avance vers le but recherché. L'essence même de la
société civile réside dans sa composition multicellulaire et le mouvement
perpétuel de ses oppositions et de ses complémentarités. C’est pourquoi nous
pouvons dire, reprenant Blaise Pascal, que « c'est un cercle où le centre est partout et la circonférence
nulle part ). Ceci posé, si d'autres interprétations furent
données de ce mouvement sociétal, il faut constater qu'elles concluent à terme,
à la nécrose de la société civile, en ce sens qu'elles en corrompent le libre
arbitre par la mort de ses cellules. Ainsi, la dialectique matérialiste
traduit l'essence antinomique de la société en termes de lutte des classes,
et aboutit à en détruire la substance multicellulaire, source de sa richesse
et de son dynamisme. D'une autre façon, la « catallaxie » hayekienne, sorte de force incitative qui capterait et
mobiliserait les cellules en fonction du profit qu'elles dégagent sur le
marché, repose également sur une vision réductrice et centripète puisqu'elle
n'admet que le profit comme source motrice de la civilisation. En ce sens,
elle s'inscrit également, par une inversion des raisons, dans une démarche
matérialiste qui ne peut concevoir la diversité d'aspirations des membres
d'une même société. Il est donc essentiel de percevoir l'organicité de
la société civile, qui, par l’interactivité qu’elle produit, est la raison
même de son dynamisme, pour apprécier les conflits d'ordre affectif et
psychologique qui animent ses différentes composantes. Cette appréciation
nous permet d’éclairer les rapports que ces différentes composantes
sociétales peuvent entretenir avec la société domestique. Nous avons déterminé dans notre précédent chapitre
les rapports qui règlent les relations du Bien commun à chaque personne
particulière. En l'espèce, il s'agissait de réguler la rétrocession du crédit
social à chaque citoyen. Le problème que nous nous posons maintenant est
différent. Il ne s'agit plus de régler les relations du Bien commun à chacun,
mais les relations d'une multitude de parties, les familles, et d'une autre
multitude de parties, qui sont autant de petites républiques fonctionnelles
et spatiales, imbriquées et étagées, appelées société civile. Société qui ne
peut être que composée, c'est-à-dire multi-cellulaire,
corporée et fédérée, ou ne plus être: là est la
question ! Il nous faut donc, non pas régler les rapports
d'un tout aux parties, mais régler les rapports de parties particulières et
distinctes entre elles. Il ne s'agit pas encore de justice générale qui règle
les rapports des parties au tout et ne peut intervenir qu'en tout dernier
lieu, et après la création d’un ordre sociétal corporé,
mais de justice commutative. La justice commutative ne réclame plus la
proportionnalité dans l'échange du bien commun, du crédit mais exige une
équivalence quasi arithmétique dans les échanges individuels. Cette
équivalence arithmétique implique alors une loi d'équilibre, de réciprocité,
de mutualité et de compensation dans les rapports que les parties
entretiennent entre elles. C'est ici qu'il convient de déterminer l'organe
naturel primaire de la société cellulaire dans lequel pourra s'exercer la
libre coopération des hommes sans qu'ils aient besoin, de délégation de
pouvoirs en transfert de compétences, d'abdiquer la moindre parcelle de leur
souveraineté, dans lequel les participants, si modestes soient-ils, pourront
concevoir aisément et en toute responsabilité l'ensemble des enjeux. « Sur
ce point particulier », écrivait Hyacinthe Dubreuil (Promotion, 1963), « l'atelier peut être comparé à la
commune, qui est aussi la cellule à partir de laquelle s'édifient les divers
étages de la société civile. Il s'en suit que ces deux groupes de base, en
quelque sorte parallèle, peuvent ou pourraient constituer les écoles
élémentaires propres à former l'éducation des citoyens ». Tout comme
chez Proudhon, l’accent est mis sur la démopédie ou apprentissage quotidien de la citoyenneté. Chez ce dernier,
si la famille ne pouvait disposer seule du contrat social puisqu'elle n'en
est qu'une partie et ne peut en conséquence traduire toutes les aspirations
de la société, il crut un temps que l'atelier, parce que la production était
la première fonction de la société, devait constituer le groupe primaire dans
lequel s'élaborerait le contrat commutatif et synallagmatique de base, mais
l'atelier n'est également qu'une partie de la société. Il s'aperçut alors que
la commune était le lieu privilégié, le cadre naturel dans lequel l'homme
domestique et l'homme productif pouvaient affirmer leur liberté composée et
établir leur interdépendance sociale, dans laquelle l'inversion sociale
pouvait se réaliser. Cette inversion
sociale pose le principe selon lequel l'état social actuel, éminemment coercitif,
ne peut améliorer le sort du genre humain - les lois ne peuvent changer les moeurs - et implique que la loi ne soit plus que la
ratification des différents contrats que noueront entre eux les organes corporés de la cité.
La commune devient alors à l’espace de la
symbiotique ce que l'atelier est à la sphère productive et la famille à la
sphère domestique. Elle est le lieu dans lequel les contrats que négocieront
les différents corps de la société apparaît le plus pertinent par sa
proximité, pour établir des relations de réciprocité et de solidarité ; car
l’éloignement distend le lien, rend le
secours approximatif, trop court ou trop long, trop faible ou trop fort. Et
il finit enfin par transformer le soutien mutuel en un droit à sens unique,
et par remplacer l’aide à l’initiative par l’assujettissement et
l’asservissement. L'ALLIANCE COMMUNALISTE Bernard Voyenne
rappelait dans son « Histoire de l'idée fédéraliste », ce qui
faisait proprement la commune. C'était « l'engagement
solennel de ne former qu'un seul corps, au sein duquel tous les participants
se considèrent comme égaux ». Nous retrouvons ainsi, dans un acte de
Louis VII, l'expression d'une synonymie rigoureuse entre les deux termes
« communiam aut
commune juramentum ». L'esprit communal
était fondé sur un rassemblement domestique et corporatif, c'est-à-dire qu'il
s'agissait d'une communauté d'ordres où les tâches étaient réparties,
ordonnées selon les capacités de chacun, et non d'une société de classes.
Tous étaient indistinctement « bourgeois ». Il s'agissait donc,
avec la citoyenneté, d'une alliance entre corps égaux qui unissait les
membres des sphères domestiques et corporatives à un espace géographique et
historique. C'est pourquoi le principe de subsidiarité n'impliquait pas le moins
du monde l'idée d'un inégalitarisme des fonctions
et des ordres. Il ne s'agissait pas d'établir des rapports hiérarchiques
entre groupes humains mais des collaborations et des participations sur la
base d'échanges contractuels librement consentis. C'est Malesherbes qui, en 1775, au nom de
la Cour des Aides, constatait: « (...)
il restait à chaque corps, à chaque communauté de citoyens, le droit
d'administrer ses propres affaires; droit que nous ne disons pas qu'il fasse
partie de la constitution primitive du royaume, car il remonte bien plus
haut; c'est le droit naturel; c'est le droit de la raison. Cependant, il a
été enlevé à vos sujets, Sire, et nous ne craindrons pas de dire que
l’administration est tombée à cet égard dans des excès qu'on peut appeler puérils.
(...) On en est venu de conséquences en conséquences jusqu'à déclarer nulles
les délibérations des habitants d'un village quand elles ne sont pas
autorisées par un intendant; en sorte que, si cette communauté a une dépense
à faire, il faut prendre l'attaché du subdélégué de l'intendant, par
conséquent suivre le plan qu'il a adopté, employer les ouvriers qu'il favorise, les payer suivant son arbitraire.
(...) Voilà, Sire, par quels moyens on a travaillé à étouffer en France tout
esprit municipal, à éteindre, si on le pouvait, jusqu'aux sentiments de
citoyen; on a pour ainsi dire interdit la nation toute entière et on lui a
donné des tuteurs » [89]. Ainsi, aujourd'hui encore, la commune, groupement
naturel et spontané [90] n'est toujours qu'une collectivité
assujettie aux contrôles de l'Etat et ne disposant qu'en apparence des
autonomies administrative et financière. Pourtant, à l'inverse d'autres
constructions étatiques comme le département, les communes ne furent pas
créées par la loi. Elles ne doivent rien à la volonté générale, mais elles
doivent tout à la libre coopération humaine. Elles écrivirent spontanément et
librement le premier lien social, contractuel et réciproque qui « est l'accord et la foi jurée entre
les parties, c'est-à-dire la promesse tacite ou expresse d'une communauté de
biens et de services, d'aide, de conseil, dans le droit commun requis pour
l'utilité et le besoin de la vie sociale intégrale dans l'Etat » (J.
Althusius). Les communes remontent loin dans le temps, du
Moyen-âge au modèle de la cité grecque. Antérieures à l'Etat, les communes
constituent des communautés naturelles, organiques, fondées au fil des
siècles par les besoins et le génie des hommes, tout comme le furent les
provinces qui n'étaient, en fait, que des alliances de cités. Aussi, quand nous opposons une
décentralisation organique des fédérations naturelles aux tentatives
étatiques contemporaines de décentralisation, nous opposons, en fait, la
société civile composée, les corps intermédiaires, véritables organes de la
nation, au pays légal et administratif, conçu de telle sorte qu'il ne peut se
distendre. Car ces organes se créèrent et s'imbriquèrent par eux-mêmes, comme
naturellement, et loin d'exister comme accidentellement, par une volonté
temporelle dite générale, mais en fait conjoncturelle, se façonnèrent comme mûs par un impératif transcendant partagé par tous: les
nécessités communes, la civilisation, le besoin d'union, de solidarité que
leur population ressentait. Population communale qui était elle-même
organisée en autant de fédérations, en autant d'ordres, de fonctions, égaux
en droits, en libertés comme en obligations, ainsi qu'en témoignent les
multiples confréries, corporations et familles qui tissèrent la France. Nous
ne devons jamais oublier que ce sont les familles qui firent les communes,
les communes qui firent les provinces et les provinces qui firent l'Etat. La commune apparaît anthropologiquement, mais
aussi historiquement, comme l'espace de dialogue et de concertation dans
lequel les différentes fédérations
domestiques et productives pourraient nouer le lien social qui les
unit et les prolonge. Ce lien contractuel devrait être proposé, discuté,
adopté et devrait impliquer que les chefs de famille et les agents de la
production s'obligent réciproquement et également les uns envers les autres
pour un ou plusieurs objets particuliers, dont la charge incombera alors aux
mandataires [91]
désignés, qui devront répondre impérativement de leur mandat devant les
parties contractantes, afin que celles-ci
se réservent toujours une part de souveraineté et d'action plus grande
que celle qu'ils abandonnent. Cette
première alliance contractuelle et réciproque entre les différents
intervenants, les différentes cellules de la société civile composée, établie
au plus bas niveau possible de la pyramide sociale, ne doit pas pour autant
nous faire oublier l'autre signification de la subsidiarité. Son étymologie
nous le rappelle d'ailleurs, dans subsidiarité, il y a subside. Le contrat
communaliste doit ainsi pouvoir répondre aux exigences de solidarité et
d'autonomie des communautés primaires cocontractantes, que celle-ci soient
domestiques, productives, culturelles, universitaires, associatives, d'autant
que chaque personne est, à quelque titre que ce soit, productive, quand bien
même elle ne vendrait pas ses services [92]. C'est aussi dans cet esprit de réciprocité
contractuelle et de subsidiarité que nous pourrions envisager, après la
rétrocession du crédit social à la sphère communale, la répartition de celui-ci
entre les sociétaires communaux, c'est-à-dire les citoyens. En effet, comme
nous l'avons vu, les dividendes familiaux et les compensations accordées aux
producteurs en échange d'une baisse du prix de leurs services, ne sont pas
des revenus de redistribution comme les revenus de transferts sociaux que
nous connaissons aujourd'hui; ce sont des revenus de participation que les
citoyens perçoivent au titre de leur coopération, de leur fonction et de leur
rôle dans la société civile composée. Ainsi pourrions nous, comme le suggérait Douglas (Economic Democracy)., permettre
à chaque personne « par le
réajustement de la structure économique et politique, d'obtenir un tel
contrôle de l'initiative que, en l'exerçant, chaque individu puisse profiter
des bienfaits de la science et de la machine: qu'avec leur aide, il soit
placé dans une position avantageuse qui lui permette, en commun avec ses
concitoyens, de choisir avec une liberté croissante et en toute indépendance
s'il acceptera ou refusera de participer à tout projet qui puisse lui être
proposé ». Il serait alors possible de parler d'une nouvelle
citoyenneté si les corps domestiques et productifs s'obligeaient
réciproquement et également les uns envers les autres pour s'assurer
l'autonomie économique et la solidarité sociale au sein de chaque commune, de
façon à ce que cette réciprocité des obligations et des droits soit aisément
identifiable et constante. Cette nouvelle citoyenneté se caractériserait par
la souveraineté spatiale et organique du peuple, c'est-à-dire par son
aptitude effective à donner des ordres ». Souveraineté qui croîtrait
avec la liberté composée de chacun dans la mesure où « si tout le peuple demandait le même résultat, il n'y aurait
aucune possibilité de partis, et il serait également impossible de résister à
sa demande »[93]. LA SOLIDARITE Mais cette subdivision et
cette rétrocession des pouvoirs administratif et financier, à chaque cellule
de la société, à partir de la plus petite et de la plus proche entendent que
les organismes qui jouissent de cette autonomie, la famille, l'atelier et la
commune, soient solidaires d'un ensemble plus grand. C'est pourquoi, comme
l'écrivit H. Dubreuil, « le terme
d'interdépendance est inséparable de celui d'autonomie »,
formule qui traduit différemment les concepts pascalien et proudhonien des
libertés contraires et de la liberté composée. « L'obstacle à vaincre, c'est l'individualisme, ce faux frère de
la liberté, né du protestantisme et de la révolution. Il n'a point entamé la
constitution de l'Eglise, mais il désagrégé l'ordre social fondé par
l'Eglise... si bien que les catholiques, sans y prendre garde, ont perdu le
sens du nom qu'ils portent. Ils ne voient pas, où ils ont oublié que la
notion même de catholique exclut l'individualisme, l'isolement, et appelle le
groupement, l'union, la discipline pour l'action collective » [94]. Pour que cet ordre puisse
s'appliquer et s'exprimer, il convient de susciter une nouvelle agrégation et
coopération des cellules sociétales corporées et
fédérées dans un mouvement d'association progressive ascendant, organique (ou
vertical) et spatial (ou horizontal), afin que cette union synallagmatique et
commutative puisse venir prolonger les libertés de chacun. Alors, dans le cadre de
cette association progressive, pourra pleinement prospérer la liberté
composée de chacun, « alors les
riches et les dirigeants, trop longtemps indifférents au sort de leurs frères
moins fortunés, leur donneront des preuves d'une charité effective,
accueilleront avec une bienveillance sympathique leurs justes revendications,
excuseront et pardonneront à l'occasion leurs erreurs et leurs fautes »
[95]. Nous ne devons pas
oublier que la solidarité n'est que la transposition sociale de
l’interdépendance organique des cellules d’un même corps. C'est pourquoi « ce terme de solidarité, familier
aux ouvriers, n'est en fait que la traduction pratique de la loi: aimez-vous
les uns les autres. (...) Sans avoir lu Saint-Paul, ces ouvriers découvraient
qu'ils étaient tous « membres d'un seul corps ! »[96]. Pie XI constatait dans Divini
Redemptoris, « ...quand
Nous voyons cette foule d'indigents accablés par la misère et pour des causes
dont ils ne sont pas responsables, et à côté d'eux, tant de riches qui se
divertissent sans penser aux autres, qui gaspillent des sommes considérables
pour des choses futiles, Nous ne pouvons Nous empêcher de constater avec
douleur que non seulement la justice n'est pas suffisamment observée, mais
que le commandement de la charité reste encore incompris. (...). Nous voulons
parler de cette charité chrétienne patiente et bonne « qui sait éviter
les airs de protestation humiliante et toute ostentation; charité qui, depuis les débuts du
christianisme, a gagné au Christ les plus pauvres d'entre les pauvres, les
esclaves » Comment ne pas voir alors que la solidarité perd
toute signification et toute pertinence quand elle devient anonyme,
incommensurable, et s'accompagne de dispositions coercitives et obligatoires.
Peut-on croire, soulignait encore H.Dubreuil, (opus
cité). qu'une « bonne mécanique administrative peut très efficacement
remplacer l'amour. On verse à un guichet et on touche à un autre. Qu'est-il
besoin d'amour, cette sotte vieillerie à laquelle il serait imprudent de se
fier ? (...) De sorte que, continuant à vivre dans l'isolement
individualiste, nous seront « libres », libérés de la préoccupation
d'aimer nos frères... » C'est Frédéric Bastiat, qui ne fut pas
toujours aussi bien inspiré, qui écrivait: « Supposez que le gouvernement intervienne, il est aisé de
deviner le rôle qu'il s'attribuera. Son premier soin sera de s'emparer de
toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et pour colorer cette
entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le
contribuable... Quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les
abus, se fera un plaisir de les favoriser, quand aura cessé toute
surveillance mutuelle et que feindre une maladie ce ne sera pas autre chose
que jouer un bon tour au gouvernement . En effet, remarquez comme l’éloignement et
l’anonymat font perdre de vue que la solidarité n’est pas gratuite.
Lointaine, mécanisée, sans lien organique de proximité, ce système rompt
l’équilibre solidaire entre les êtres en présence. Il crée un faux droit, un
faux dû sans contrepartie solidaire. Alors, l'assuré perd totalement de vue
que ce qu'il reçoit a été versé par quelqu'un envers lequel il
s'engage. Or, chacun sait que la grande majorité des protections
sociales, qui fait appel à l'appareil administratif de l'Etat, ne fait pas
apparaître le caractère de réciprocité de l'échange et fond la responsabilité
personnelle dans l'anonymat et l'éloignement de la gestion. Les concepteurs
modernes du mode de financement répartitif des caisses de retraite n'avaient
sans doute pas prévu que la baisse de natalité des générations suivantes
rendrait inefficace le principe centraliste de la solidarité
inter-générative. La solidarité est alors détournée. Elle n'est plus
réciproque, elle n'est plus mutuelle. La personne qui ne fait pas souche
est-elle solidaire de ses contemporains, pères et mères de plusieurs enfants
? La solidarité, ici, exigerait, au contraire, qu'elle finance d'autant plus
la caisse répartitive inter-générative qu'elle ne participe pas au
remplacement des générations [97]. Si nous avons perdu le sens des solidarités
naturelles, c'est sans doute parce qu'elles « furent refusées aux individus au nom d'un individualisme
philosophique et politique » [98] à travers le
centralisme administratif. Aussi, comme le suggère Jean-Yves Naudet, « même dans le cadre d'une solidarité
publique, pourquoi toujours raisonner dans un cadre étatique ? La
subsidiarité, là aussi, doit jouer, et les communes, (...) communautés plus
proches des gens, sont infiniment mieux adaptées » [99]. Nous nous apercevrions aussi que la solidarité est le
prolongement naturel de l'autonomie de chaque corps sociétal, qu'elle vient
unir, afin de promouvoir la souveraineté de chacun. Or, ces autonomies, « ces libertés ne seraient pas
respectées, ni dans leur lettre, ni dans leur esprit, si venait à prévaloir
la tendance à attribuer à l'Etat et aux autres expressions locales du pouvoir
public une fonction centralisatrice et exclusive d'organisation, de gestion
directe ou de contrôle des services. Cela finirait par dénaturer la légitime
fonction qui leur est propre: promouvoir, stimuler, intégrer, et aussi - en
cas de nécessité - suppléer les initiatives des libres formations sociales,
selon le principe de subsidiarité » [100] . L’une des erreurs
historiques des écoles socialistes fut d'avoir oublié ce principe supplétif
permanent et de transférer ces libertés et ces responsabilités sociétales à
l'Etat. La réforme institutionnelle que nous préconisons s’inscrit à l'opposé
de cet assistanat étatique, paralysant, dégradant et économiquement
inefficace. Elle suggère de rétrocèder, à chaque cellule de la société civile, la
part du pouvoir financier qui lui revient, avec le crédit social, afin de
promouvoir une authentique solidarité mutuelle et réciproque, corporée et fédérée, basée sur la libre formation et
association des organes naturels, fonctionnels et spatiaux de la nation. De
sorte que si l'individu tombe, le groupe corporatif ou associatif local
puisse le relever, et si ce groupe primaire tombe à son tour, une fédération intercorporative ou inter-associative locale puisse le
relever, et si celle-ci tombe à son tour, une confédération puisse la
relever. Ce modèle d'association n'est point du domaine de l'utopie,
« c'est la structure
même des Confédérations ouvrières qui le montre » nous rappelle H. Dubreuil.. On voit tout de suite comment la
solidarité pourrait s'établir entre les différentes localités par la
formation, au dessus des caisses locales, d'une caisse fédérale qui pourrait
intervenir pour équilibrer les différences de situation qui peuvent survenir
d'une localité à une autre ». Il s’agira là, en quelque sorte, d’un second niveau de
solidarité, dans lequel la caisse fédérale jouerait un rôle analogue aux
caisses de réassurance. Ainsi, par la coordination des organes
domestiques, civils, productifs, à chaque échelon de la vie sociale, et par
l'extension du principe fédéral, nous arriverions, au niveau supérieur, à
donner à l'Etat une forme confédérale, intercorporative
et composée, qui ne serait que la reproduction au niveau national de
l'organisation contractuelle basique de la Commune. Comment concevoir alors
l'agrégation, la coordination, la coopération et l'équilibre des
souverainetés domestiques, productives et civiles, actives, dans la Cité ? CHAPITRE XI : L'INVERSION SOCIALE « Avec le suffrage ou vote universel, il est évident que la loi n'est ni directe ni personnelle, pas plus que collective. La loi de la majorité n'est pas ma loi, c'est la loi de la force; par conséquent le gouvernement qui en résulte n'est pas mon gouvernement, c'est le gouvernement de la force ». P.J. Proudhon (Idée générale de la Révolution au XIX e siècle, 1851) « Le suffrage universel, tel
qu'il fonctionne encore, ne donne aux citoyens qu'une
illusion de souveraineté. Il
faudrait que tous
les citoyens prennent
eux-mêmes leurs
responsabilités dans l'étendue entière de l'activité sociale ». H. Dubreuil (Lettre aux travailleurs français, 1939) « Les règles essentielles à
l'organisation des ateliers se confondent, à beaucoup
d'égards, avec les
principes généraux de la
constitution des sociétés ». Le Play (cité par La Tour du Pin, Jalons de Route et H. Dubreuil, Le travail et la civilisation) « La première erreur, la
plus funeste, qui ait pesé sur l'humanité, c'est d'avoir mis
le gouvernement au dessus de la société ». P.J. Proudhon (Carnet II, 1845-46) En tout premier lieu, nous ne pourrions prétendre
à l'équilibre des souverainetés de chacun des corps sociaux si l'un d'entre
eux prévalait sur les autres sans en avoir reçu auparavant l'accord, et ceci
quelle que soit la nature ou la dimension de la sphère de formation du
contrat. Si chacun devrait savoir que « l'on ne change pas la société
par décret » [101], nous pouvons
cependant observer qu'au nom de la volonté dite générale, mais en fait
seulement contractuelle et majoritaire, tout est mis en oeuvre
pour favoriser la coercition et amoindrir le consensus social, pour exercer
un contrôle toujours plus étouffant sur les cellules de la société alors
qu'il conviendrait, par le libre exercice du droit associatif, de les
responsabiliser progressivement par la collaboration, la concertation et la
solidarité réciproque. L'ordre n'est plus alors social, il est monarchique et
ne peut se distendre sous peine de se rompre. DU DROIT DE LA FORCE AU CONTRAT COMMUTATIF A l'origine du mal se trouve le mode de
distribution du pouvoir, le suffrage universel. Celui-ci a pour objet de
rechercher une majorité mais ne s'attache pas à établir un contrat consensuel
entre les différents corps sociaux. Cette majorité devenue, par la grâce de
l'urne, le gouvernement, ne peut, pour se maintenir, qu'exercer un contrôle
toujours plus autoritaire, c'est-à-dire étouffer les libertés des minorités
et refuser de donner à chacun la parcelle de souveraineté qui lui revient. Là
où le contrat va rechercher à établir l'équité du rapport des droits et des
obligations entre les parties, afin de les unir dans le respect et la
confiance mutuels, le suffrage universel ne pourra aboutir qu'à l'oppression
de la volonté majoritaire sur les autres. Là où le contrat va travailler à la
convergence des volontés divergentes, à l'établissement de leur agrégation
dans la liberté composée, le suffrage universel va amplifier ces divergences
en abandonnant le pouvoir à la volonté unilatérale d'un seul, personne ou
parti. C'est ce que disait déjà l'ardent défenseur de la
décentralisation que fut Royer-Colard. Il pensait
que « si l'élection, et l'élection
seule, confère la représentation, la chambre élective sera seule
représentative. La représentation de la nation se concentrera sur elle. Or là
où il y a une représentation nationale, là est la toute puissance; il ne
reste devant elle que des pouvoirs subordonnés ou ennemis, destinés à
recevoir la loi, s'ils ne la font eux-mêmes, ou disparaître ». C'est
ainsi que petit à petit, mais inexorablement, le Gouvernement va atrophier et
asphyxier l’agrégation naturelle de la
société civile. « Religion
pour religion, l'urne populaire est encore au dessous de la sainte ampoule
mérovingienne » [102]
écrivait à son tour Proudhon car « la
loi de la majorité n'est rien de plus qu'un expédient, lequel se réduit au
droit de la force » [103]. Ainsi, ce droit de la
force va se focaliser en un centre d'autorité omniprésent et omnipotent. L'histoire abonde de la permanence du
combat des sociétés contre les forces concentriques. C'est à la suite d'une enquête de Guerrier de Dumast, « Le pour et le contre sur la résurrection
des provinces », que des intellectuels de province lancèrent, en 1884,
« Le manifeste de Nancy », dont l'objectif était d'arriver par le
tranquille exercice des libertés locales à la possession innocente et
incontestée de la liberté politique, et de fortifier les communes. Ils affirmaient en conclusion: « Quant à servir l'Etat, comme cela
s'entendait à Sparte, à Rome aussi avant le christianisme, comme le voulait
Platon (...), c'est abdiquer son libre arbitre, c'est adorer un être
imaginaire, c'est se faire idolâtre. Brisons l'idole: décentralisons. C'est
le vrai moyen de clore les révolutions, et en même temps, de nous apprendre à
être libres » Comment inverser cet ordre centripète afin
d'autoriser autant de pouvoirs parcellaires qu'en exige la reconnaissance
d'un authentique espace tissé des libertés composées de chaque cellule
agrégée, corporée et fédérée de la société ? Cette
inversion suppose que les citoyens eux-mêmes s'emploient à régénérer
l'organicité de la société. Il serait alors possible de rendre à chaque
fonction corporée la parcelle de souveraineté qui
lui est due, dans la famille, dans l'atelier, dans la commune, dans le pays
et la région, cadres de pertinence et de compétence sociales. Hyacinthe Dubreuil, en rendant hommage à Proudhon,
reviendra à plusieurs reprises sur cette idée: « Chaque homme, d’après lui (P.J. Proudhon) dispose d'une
fraction de pouvoir dont il doit veiller à ne pas se laisser déposséder sous
prétexte de délégation. Il a pour cela des formules frappantes qui sont restées:
« L'atelier remplacera le gouvernement ». Ce qui veut dire qu'à un gouvernement centralisé, il faut substituer
une sorte de dispersion du pouvoir dans les différents corps sociaux et
particulièrement dans ce qu'il appelle les « armées
industrielles », ce qui, d’après l'idée qu'il nous en donne ne sera pas
autre chose que les groupements corporatifs entre lesquels se partagent le
travail de la nation. Cette dispersion ne signifiera pas incohérence ou
anarchie, car ces diverses forces devront être coordonnées sur la base du
fédéralisme, qui est la seule sauvegarde de l'autonomie et par conséquent de
la liberté, tant au point de vue professionnel qu'au point de vue régional ou
politique. En cela, Proudhon est le plus authentique interprète de la passion
des travailleurs français pour la liberté »[104]
. Ces idées ne sont certes pas nouvelles mais elles
témoignent de l'exigence humaine des libertés et du combat sans cesse
renouvelé contre l'oppression. Le véritable problème posé ici est celui de la
répartition des pouvoirs entre les différents groupes constituant la société,
puis de leur coordination dans les sphères d'intervention sociale dans
lesquelles ils s'insèrent. Ainsi, écrit encore Dubreuil, (La fin des
monstres, 1938), « pour que la
République soit autre chose qu'un vain symbole à l'échelle nationale, il faut
qu'elle soit constituée par une série et une superposition de petites
républiques qu'il est possible d'établir dans tous les compartiments de la
vie économique et sociale ». Cette dispersion du pouvoir n'est pas
incohérence, au contraire, elle demande pour prospérer la coopération
organique de chacune des souverainetés ainsi établies sur une base
contractuelle, de la base au sommet, dans un processus d'agrégation fédérale. « En
effet, lorsque je traite pour un objet quelconque avec un ou plusieurs de mes
concitoyens, il est clair qu'alors c'est ma volonté seule qui est ma loi;
c'est moi même qui, en remplissant mon obligation, suis mon gouvernement. Si
donc le contrat que je fais avec quelqu'un, je pouvais le faire avec tous; si
tous pouvaient le renouveler entre eux; si chaque groupe de citoyens,
communes, cantons, départements, corporations, compagnies, etc, formé par un semblable contrat et considéré comme
personne morale, pouvaient ensuite, et toujours dans les mêmes termes,
traiter avec chacun des autres groupes et avec tous, ce serait exactement
comme si ma volonté se répétait à l'infini. Je serais sûr que la loi ainsi
faite sur tous les points de la République, sous des millions d'initiatives différentes,
ne serait jamais autre chose que ma loi, et, si ce nouvel ordre des choses
était appelé gouvernement, que ce gouvernement serait le mien » [105]. Est-il possible, techniquement et sans amoindrir
l'efficacité des corps ainsi constitués, de remplacer le suffrage universel,
c'est-à-dire le droit de la majorité, et en dernier lieu le droit de la
force, par le contrat commutatif ? Est-il possible, aussi, par paliers et
échelons progressifs, de former un gouvernement qui ne soit qu'une
agrégation, parce que coordonné contractuellement, des corps fonctionnels et
spatiaux de la nation, de reconstruire l'Etat, non plus comme une force
coercitive et étouffante, mais comme une confédération de services supplétifs
qui viendraient accroître la souveraineté de chacun[106]? Il faudrait pour cela
que les différents organes corporés établissent
entre eux des contrats mutuels, non pas par résignation ou par obligation,
mais en retrouvant leur essence originelle. Il faudrait que ces contrats
soient conclus sur une authentique base de réciprocité à tous les niveaux de
la vie sociale. Alors, le contrat serait social et l’autonomie, indispensable
à la dignité, de tous, respectée. « Fédération »,
nous dit Proudhon, « du latin foedus, génétif foederis, c'est-à-dire
pacte, contrat, traité, convention, alliance, etc
..., est une convention par laquelle un ou plusieurs chefs de famille, un ou
plusieurs chefs de famille, une ou plusieurs communes ou Etats, s'obligent
les uns envers les autres pour un ou plusieurs objets particuliers, dont la
charge incombe spécialement alors et exclusivement aux délégués de la
fédération » [107]. C'est donc une union, une alliance basique et circonférencielle entre les différentes cellules sociales
qu'il s'agit d'opposer à l'autorité unilatérale, à la fictive volonté
générale, émanant du suffrage universel. LE SERVICE DE DEPUTATION Cette alliance, cette fédération de base, doit
être en mesure de s'exprimer, d’établir des
contrats et de désigner son ou ses représentants. Mais le mode de
désignation de ses représentants ne peut se faire par le suffrage universel,
sauf à retrouver, en bas de l'édifice social, la même erreur dénoncée au
sommet. Le principe qui devra prévaloir, au sein de chaque
assemblée constituante fédérale, quelle que soit sa nature, ne devra plus
être issu du fait majoritaire mais plutôt du fait contractuel intégral ou
encore collectif. Il ne s'agira plus d'établir une autorité, un pouvoir sur
la base d’une majorité qui forcerait la collectivité mais de rechercher
l'unité organique sur une assise consensuelle et contractuelle dans laquelle
tout droit aurait un devoir en contrepartie. Quand cette union organique sera établie et pourra
garantir la réciprocité des échanges, il sera possible de procéder à la
désignation d'un mandataire chargé de représenter cette fédération à l'échelon supérieur.
Cette députation deviendra alors un devoir civil, ordonné par l'intégralité
du groupe à l'un des siens. Elle ne proviendra plus du fait majoritaire issu
de l'anonyme volonté générale sortie de l'urne et son arbitraire [108]. Mais elle supposera
un mode de désignation faisant appel à des critères techniques,
déontologiques, nominatifs, coutumiers, spécifiques à chaque corps constitué
et à son assemblée constituante. Avec ce principe, l'assemblée de chaque corps
constitué sera souveraine pour tout ce qui est du ressort de son champ
d'intervention. Elle possédera son libre arbitre est demeurera libre
d'édicter ses propres lois et règlements pour s'auto-administrer et
s'autogérer. Elle seule sera compétente pour déterminer le mode de
désignation de ses mandataires et pour les révoquer, si besoin est. Cette
désignation pourra emprunter aux techniques de nomination administrative et
pourra être assimilée à un service, voire s'établir par mobilité. La
rémunération du mandataire pourrait également être déterminée
contractuellement par chaque corps constitué [109]. Mais surtout, elle,
et c'est son essence même qui le dicte, suppose que ce ne soit plus le parti
politique qui propose son candidat au public, mais que ce soit au contraire
une assistance concernée et compétente, nominative et non plus anonyme, qui
ordonne à l'un des siens de la représenter. Là aussi, il convient d'inverser
les rôles afin que la démocratie, et les peuples cessent de se plier devant
la partitocratie et ses alliés. A cette partition idéologique de la société,
il convient avant tout d'opposer une unité organique que nous pouvons
atteindre par l'alliance réciproque, mutuelle, synallagmatique et commutative
des différentes cellules qui la composent. Il serait vain, en effet, de demander
l'application du principe de subsidiarité si l'on s'arrange d'un système dans
lequel, d'une part, les représentants du peuple ne sont pas
désignés directement par celui-ci mais proposés à son suffrage par le biais
d'associations dont le commerce réside justement dans la conquête du pouvoir,
c'est-à-dire, en fait, dans la confiscation de la souveraineté de chacun.
Système réducteur dans lequel les décideurs ne représentent pas
impérativement un espace social, une fonction organique de la société civile,
mais un tout anonyme, qui parce qu'il est indivisible, ne peut qu’étouffer et
renier l'organicité sociale et par conséquent, au lieu de le prolonger, en
détruire l'harmonie. Que ce système se ramifie jusqu’à la base de l’édifice
social n’en atténue pas pour autant la pression puisque les mêmes modalités
de désignation des représentants, les mêmes processus d'élaboration des lois
et des règlements, les mêmes comportements unilatéraux de puissance publique,
mis au service de l'Etat, sont servilement reproduits par les différents
conseils politiques et civils de moindre niveau, notamment municipal, et par
une énorme majorité d'entreprises et d'administrations. Il est, par
conséquent, stérile et illusoire de vouloir diminuer la pression que l’Etat
exerce pour en changer l’esprit et susciter des espaces propices à la mise en
oeuvre de libertés concrètes. Nous ne ferions
ainsi, la nature ayant horreur du vide, que transposer les mêmes modalités,
les mêmes processus et comportements unilatéraux de puissance publique à un
échelon plus proche et plus réduit d’application, sans pour autant en
modifier les principes. Nous en rapprocherions les effets sans en éliminer
les causes. Mais, à l’inverse, c'est à ce niveau de proximité, au plus bas
niveau possible de l'édifice politique, à l'échelon de la démocratie locale,
qu'il est possible d'imaginer et de mettre en oeuvre
de nouvelles modalités de désignation des représentants, de nouveaux
processus d'élaboration des contrats commutatifs et de nouveaux comportements
multilatéraux et mutualistes de puissance publique. « Il serait enfin temps de donner aux élus des collectivités
territoriales la liberté et la responsabilité auxquelles ils ont droit »
déclarait Gaston Deferre lors du débat parlementaire précédant la loi du 2
mars 1982. Certes, depuis la loi du 5 avril 1884, les maires ne sont plus
nommés par le pouvoir central comme ils l’étaient depuis le premier Empire,
il n'en reste pas moins vrai que les conseils municipaux, bien qu'aidés par
des conseils économiques et sociaux locaux, consultatifs, sont constitués et
organisent le pouvoir selon les mêmes critères dénoncés plus haut. Aussi, comme nous avions opposé à l'organisation
actuelle du travail un ordre fédéré dans lequel les ateliers, les équipes,
d'une même entreprise, établiraient des contrats mutuels et
contrebalanceraient leurs pouvoirs sur un pied d'égalité, nous pouvons de
même reproduire ces mêmes principes de contractualisation mutuelle à la
constitution des assemblées politiques, et en tout premier lieu du Conseil
Municipal. C'est en effet, au niveau
de cette assemblée, chargée de gérer un petit espace, que les citoyens
pourront faire la preuve qu'ils sont en mesure de prendre des responsabilités
contractuelles de plus en plus grandes. Une réforme appliquée à ce niveau
pourrait, de contrats municipaux en contrats régionaux, s'étendre jusqu'au
niveau national, et rendre à la personne humaine les libertés et la
souveraineté, pleines et entières, dont on la dispense aujourd'hui par le
biais de l'urne universelle et
majoritaire. Il convient donc de procéder de bas en haut par la fédération
progressive de collèges contractuels inter-associatifs et intercorporatifs. CHAPITRE XII: LE SENAT INTERCORPORATIF « Les individus ne sont vraiment aptes, de même que les groupes sociaux, à se prononcer que sur les questions qui les concernent directement, sur lesquelles ils peuvent disposer d'une information
complète et directe » Jacques Langlois (Défense et actualité de Proudhon, 1976) « Nous voulons la représentation directe, nous voulons donc le
sénat communautaire qui aura pour heureuses conséquences la fin des
agglomérats esclavagistes de droite et de gauche, et l'épanouissement de
la libre entreprise d'autre part ... Le but essentiel du
communautarisme est précisément de stimuler
l'action de la base vers le sommet ». Henri Moreau (Votre Avenir, 1962) « Il
est tout naturel que les instruments d'une production sociale, qui a les deux
caractéristiques d'être parcellaire et collective, soient possédés à l'état
social », estimait le marquis René de la Tour du Pin [110], alors que le Cardinal
Verdier remarquait à son tour « qu'il faut se garder d'une double
erreur: de l'individualisme qui nie ou atténue à l'excès l'aspect social et
public du droit de propriété, du collectivisme qui nie ou atténue trop
l'aspect individuel de la propriété »[111]. Espace privilégié où
pourrait se négocier la répartition des pouvoirs, des rôles et des moyens
correspondants, entre les différentes fonctions sociales constituant la
société, le Sénat intercorporatif aura pour mission
d'institutionnaliser des rapports sociaux consensuels qui, par les lois de
réciprocité et de mutualité, dépassent les situations conflictuelles, et
respectent, et le droit individuel, et le droit commun de propriété. LA COOPERATION INTERCORPORATIVE Il
s'agira ici, après avoir assuré l'autonomie des activités productives et
domestiques, d'organiser leur coordination et leur coopération au sein d'une
assemblée désignée et mandatée selon des normes propres à chacune d'elles
(cf. chapitre précédent), par l'établissement de règles municipales, puis
régionales, et enfin nationales, négociées contractuellement à chaque niveau
de compétence sénatoriale. Le sénat intercorporatif
communal composé des mandataires nommés par les associations et corporations
communales aura pour tâche de négocier les contrats communaux, et de
désigner, selon les mêmes critères contractuels, ses représentants au niveau
d'intervention supplétive, au sein du sénat intercorporatif
régional. Il en sera de même pour atteindre le niveau
suprême de coordination avec le sénat intercorporatif
confédéral. Soulignons et rappelons ici que chaque mandataire, à quelque
niveau que ce soit, ne pourra prendre un engagement contractuel au sein de la
sphère supérieure, qu'après accord préalable tout aussi contractuel de
l'assemblée d'ordre inférieur dont il est issu et qu'il représente
impérativement. Faute de quoi cette assemblée pourrait prononcer sa
révocation et la rupture du contrat pour abus de pouvoir. Face à ces sénats intercorporatifs
fédéraux et territoriaux, chaque corps social, entreprise et association,
fonctionnelle, pourra se fédérer, de façon autonome et complétive dans le
cadre des activités qui ressortissent de sa sphère de compétence, au sein
d'unions locales, régionales et nationale corporatives. Ainsi, à supposer
qu'une crise générale atteigne une industrie à l'échelon local, son union
corporative régionale, voire nationale, pourrait prendre des mesures de compensation
interne capables de la soutenir par le moyen d'une caisse régionale, voire
nationale de forme et de structure fédérales. Si d'aventure cette crise
s'étendait à toute la corporation au niveau national, le sénat national intercorporatif serait alors à même de prendre des
mesures compensatrices de soutien intercorporatif.
Ces interventions, compensations et soutiens entre les spécificités
organiques et territoriales de la nation pourraient dès lors s'appliquer à
toute la population, à quelque degré que ce soit. Une industrie atteinte au
niveau local pourrait ainsi bénéficier d’un contrat d’escompte compensé
accordé par le sénat intercorporatif local si
celui-ci le juge nécessaire, l’industrie comme le sénat restant libres d’en
accepter les clauses. Supposons pour
l'exemple, que des industries locales ne créent pas d'emplois locaux et ne
participent pas à l'amélioration sociale locale. Elles se voient alors
refuser des appuis du sénat intercorporatif
local. Mais cette industrie pourra
toujours, de façon subsidiaire, négocier une aide auprès de son instance
corporative supérieure qui aura, in fine, la faculté de déposer cette demande
devant le sénat intercorporatif. En fait, le schéma architectural social suppose
ici un double niveau de subsidiarité, l'un horizontal, l'autre vertical,
organique et spatial, qui implique, dans la détermination de la décision, de
considérer la fonction et l'espace
pour lequel on se prononce. Cette différenciation des intérêts propres n'est
évidemment pas possible avec le suffrage universel et le principe
d’indivisibilité. La Tour du Pin remarquait que ce ne sont ni les
luttes de la concurrence, ni les prépotences des monopoles, ni les jeux de la
spéculation qui constituent les ressorts de la production dans l’organisation
corporative. Mais il ne pensa pas en étendre le principe aux espaces
politiques territoriaux, et pourtant la consubstantialité des fédérations et des corporations le
demande. C’est l’objet du contrat symbiotique, de l’accord local jusqu'au
consensus national. En effet, en présentant l'idée d'un collège intercorporatif, Hyacinthe Dubreuil soulignait que « sans doute l’égoïsme est une
réalité qui n'est pas niable. Mais dans un collège intercorporatif,
il est évident que ces divers égoïsmes s'annulent en se confrontant. Il y a
des circonstances dans lesquelles cette confrontation a permis de barrer la
route à des prétentions corporatives de nature à léser les autres
corporations qui, dans cette confrontation, sont amenées à changer de point
de vue. En effet, devant une corporation émettant des exigences dont les
membres des autres corporations feraient les frais, le collège des autres
corporations ou industries est
amené à prendre tout simplement
le point de vue ... du consommateur » [112]. C’est pourquoi un sénat intercorporatif,
loin de favoriser la constitution de monopoles de production, par
l'accumulation du capital et l'asphyxie de la concurrence, permettra au
public de définir lui-même les règles du jeu de cette concurrence. Ainsi, toutes les parties, les cellules de la société civile, le public corporé,
pourraient mutuellement réguler, organiser, maîtriser et contrôler les
marchés. Il s'agira ainsi d’établir une réelle démocratie économique,
d’équilibre des pouvoirs, établie à chaque niveau de compétence des corps sociaux intermédiaires fédérés. C'est
le même principe qui présidait à la vision proudhonienne de l'organisation
sociétale. En effet, comme le rappelle Jacques Langlois, « s'il faut remettre aux groupements décentralisés, qu'ils
soient territoriaux ou socio-économiques, les pouvoirs qui les concernent,
c'est aussi que cela permet la limitation réciproque des pouvoirs, car chaque
instance garde une zone d'autonomie inaliénable pour des raisons
organisationnelles »[113]. Les pouvoirs exprimés par les différents groupes
organiques et spatiaux de la société civile se trouveraient alors
réciproquement contrebalancés par l'interdépendance économique de leurs
fonctions respectives, domestique et
productive, et par l'interdépendance politique de leurs espaces territoriaux,
communes, régions et nation. Cette organisation intercorporative
suppose donc l'instauration, au sommet, d'une assemblée agrégative des
différents mandataires des corps économiques et des espaces sociaux, les uns
nommés par leurs corporations, les autres par leurs espaces territoriaux. UNE CHAMBRE DE CONTRACTUALISATION Doit-on ici pour autant concevoir cette assemblée
sous une forme bicamérale ou monocamérale, dans laquelle des sénateurs
territoriaux siégeraient à côté de sénateurs socioprofessionnels
corporatistes ? Il faut rappeler que l'initiative du Général de Gaulle, lors
du référendum du 27 avril 1969, tendait à fondre l'actuel Sénat et le Conseil
Economique et Social dans une assemblée mi politique, mi corporative, mais
consultative. Cette initiative fut désavouée par la nation, non pas tant
parce qu'elle s'inspirait d'une démarche corporative mais principalement
parce qu'elle réduisait les pouvoirs de cette seconde chambre qui perdait
l'initiative des lois, et ne possédait plus qu'un pouvoir consultatif. Ce projet fut, comme le soutint à l'époque
Maurice Duverger, rejeté, parce que l'opinion avait toujours en mémoire le
despotisme que provoqua l'expérience monocamérale de la Première République
en 1793, de la Convention, dans laquelle une seule assemblée dominait
l'exécutif et établissait un régime de confusion des pouvoirs [114]. Cet argument est trop
sérieux pour que nous l'évincions et ne l'expliquions pas. Le monocaméralisme du régime conventionnel jacobin
s'appuyait sur une seule assemblée qui élisait un comité exécutif, le Comité
de Salut Public, à ses ordres, et révocable à tout moment. Dans ce modèle,
l'assemblée était élue au suffrage universel et son autorité n'était
contrebalancée par aucun autre contre pouvoir, les coalitions ouvrières étaient interdites
depuis la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, les départements avaient été
créés par les décrets du 26 février et 4 mars 1791 afin de détruire tout
esprit de résistance au pouvoir central dans le pays [115]. Ce n'est donc pas, en soi, le
monocaméralisme qui est rejeté par l'opinion, mais à travers l'expérience
Conventionnelle, les régimes qui reposent sur une confusion des pouvoirs, ou
régime d'assemblée. Tout autre est notre proposition qui repose sur
une approche fédérale et contractuelle, et dissocie dans les différents
mandats de députation, la représentation organique des unions associatives et
corporatives d'une part, et la représentation territoriale d'autre part. Il
ne peut donc y avoir confusion des pouvoirs puisque chaque corps
intermédiaire établit ses propres règles à l'intérieur de sa sphère de
compétence, au demeurant limitée à son objet,
et négocie par contractualisation mutuelle avec les autres organes corporés, pour les compétences liées ou déléguées. De
plus, les mandataires de cette assemblée ne sont plus responsables que devant
leurs corps respectifs. Dans ce
modèle, à la base, le sénat communal, est composé des mandataires des unions
corporatives et associatives communales. Le sénat régional est composé des mandataires
des unions corporatives et associatives régionales et des sénats communaux
qui viennent contre balancer, synthétiser et coordonner les pouvoirs
individuels détenus par les unions régionales. Puis, au sommet, le sénat intercorporatif confédéral est composé des mandataires
des unions corporatives et associatives nationales et des sénats régionaux. Nous pouvons donc dire, comme l'envisageait
Jacques Langlois (opus cité), qu'ainsi, « le
pouvoir économique, exprimé par les rapports à la fois de conflit, mais aussi
de réciprocité et de mutualité des services entre les différents groupes
fonctionnels constituant la société civile, c'est-à-dire la trame économique
du pays, se trouve être contrebalancé par le pouvoir politique qui s'incarne
dans les rapports de pouvoir instauré entre les groupes territoriaux de la
nation ». Le pouvoir exécutif est, par conséquent, dispersé
entre les différents organes fonctionnels et spatiaux de la nation et se
coordonne au niveau du sénat confédéral, en procédant de bas en haut, et de
la circonférence au centre. Il n'y a donc plus, à proprement parler, de
pouvoir exécutif, mais une coordination, une agrégation de pouvoirs
exécutifs, établis sur trois niveaux. Dans ce modèle, le pouvoir législatif a
fait place à des négociations adaptées à chacun. C'est la contractualisation
des relations entre les collectivités fédérées [116]. Ainsi, «
la multiplicité des sources indépendantes de pouvoir et la hiérarchie de ces
sources entraînent la multiplicité et la hiérarchie des types de lois et de
dispositions normatives »[117]. Au premier degré,
chaque corporation peut élaborer ses dispositions normatives. Au second
degré, les corporations peuvent ensuite élaborer mutuellement des règles
communes. Ce n’est qu’au troisième degré que le sénat intercorporatif
pourra élaborer des contrats d'intérêt commun. Les mandats sont révocables. Nous pouvons définir alors le principe
organisationnel de la société politique. Chaque corps constitué édicte
contractuellement ses propres règlements et dispose pour cela de toute
l'autonomie qui lui est nécessaire. Les ingérences collatérales ou
supérieures, de nature unilatérale, reliques du droit de la force, ne sont
plus juridiquement fondées et font place à des contractualisations bi ou
multilatérales. Ainsi, un contrat intercorporatif
ou associatif régional ne sera exécutif que dans sa sphère territoriale de
négociation. Un contrat corporatif ou associatif régional ne le sera qu'entre
sociétaires de cette corporation ou de cette association régionale, le même
principe s'appliquant à l'échelon local. Par contre, un contrat intercorporatif et associatif multilatéral négocié par le
sénat intercorporatif confédéral sera exécutif pour
tous les citoyens. En d'autres termes, le principe de la
contractualisation repose sur des opérations diamétralement opposées à celles
qui sont imposées aujourd'hui au public par le politique. Ce n'est plus
l'exécutif qui impose la loi aux sociétés. Ce sont les sociétés qui font
remonter les normes de convivialité vers l'exécutif. Les sociétés des hommes
gouvernent l’administration des choses. Il n'y a, sans aucun doute, aucun messianisme dans
cette proposition, d'autant que si la réciprocité des échanges et des
communications est techniquement possible, à quelque niveau ou fonction que
ce soit, elle est certainement plus complexe à atteindre humainement, compte
tenu, sur le fond, des psychologies et des aspirations de chacun, et sur la
forme, de la nécessité de maintenir un état d'effervescence sociale, de
contradictions et même de conflits, seul capable de dynamiser la connaissance
d'une symbiotique de convivialité. Cependant, au delà de ces difficultés, qui
en elles mêmes sont essentielles, car seules capables de nous donner la
mesure de notre perfectibilité sociale, cette proposition s'enracine dans la
personne humaine, se prolonge en elle, et à ce titre, place à la base de
l'architecture sociale, et comme objectif, la dignité de l'homme à laquelle
sont intimement liés le principe de solidarité et le principe de
subsidiarité. En vertu du premier, l'homme doit contribuer, avec ses
semblables, au bien commun de la société, à tous les niveaux. En vertu du
second, ni l'Etat ni aucune société ne doivent jamais se substituer à l'initiative
et à la responsabilité des personnes et des communautés intermédiaires au
niveau où elles peuvent agir, ni détruire l'espace nécessaire à leur liberté[118]. LE SENAT COMMUNAL Le modèle
basique de la contractualisation sociale est assurément le sénat intercorporatif communal. Au sein de celui-ci seront
négociés les contrats, pour tout ce qui concerne la vie communale, par les
mandataires des associations des familles, des groupements professionnels,
civils et sociaux. Ceux-ci auront la charge de définir les normes
administratives propres à leur cité, de déterminer les missions de chacun, et
de répartir mutuellement le crédit social. Supposons ainsi qu'un groupe
professionnel ait quelques difficultés à financer ses investissements. Après
avoir exposé ses raisons et ses objectifs devant le sénat communal, il
appartiendra à ce dernier, s'il le juge utile, et si la chose est possible,
de le soutenir en le faisant participer au mécanisme de l'escompte compensé.
Dans ce cas, l'ensemble de la population qui utilise les services ou la
production de ce groupe bénéficiera d'un escompte sur ses prix ou d’un bon
d’achat équivalent. Les professionnels et fournisseurs seront, quant à eux, compensés d'un montant
identique à l’escompte qu’ils auront appliqué à la vente. Si, par contre, le
Sénat intercorporatif, le groupe professionnel, ou
l’entreprise concernée, ont des objectifs par trop divergents, et de fait,
n’aboutissent pas à établir entre eux un contrat, ce groupe professionnel
pourra faire appel à sa corporation régionale, celle-ci intervenant pour
équilibrer les variations de distribution observées d'une commune à l'autre.
Il appartiendra évidemment à cette corporation de déterminer les
conditions de cette solidarité interne. Le même
principe peut d’ailleurs s'appliquer aux associations domestiques et
civiles dont l’imagination n’a pas à être limitée pour améliorer les normes
et les cadres d’une authentique solidarité organique. L'intérêt de la négociation du contrat de crédit social, au niveau communal, repose
tout d’abord sur la nature humaine de la transaction. En effet, ce crédit
n'est plus offert au plus offrant, ni à celui qui représente le moins de
risques ou s'appuie sur une plus grande surface financière. Il est accordé,
sous forme de compensation, au fournisseur qui se met au service de la
consommation, à celui qui présente le plus de pertinence sociale,
c'est-à-dire d'avantages, du point de vue de l'utilité perçue par les
citoyens, du cadre et de la qualité de la vie sociale. Il en est de même du
dividende familial, premier circuit de distribution du crédit social. Le
sénat communal libère donc ce crédit afin qu'il soit utile à l'ensemble de la
communauté, si celui-ci va permettre de créer de nouveaux emplois, par
exemple, ou élever le niveau du bien être culturel, social et matériel de la
cité. Nous pouvons donc dire que sans retirer à ses
bénéficiaires l’usage et la possession du capiutal
que constitue le crédit social, son utilisation abusive devient impossible
puisque sa répartition est issue d’un contrat mutuel associant et unissant
chacune des parties dans une relation interactive. Le bailleur n’est plus
dissocié de l’entrepreneur mais tous deux sont réciproquement responsables.
C’est pourquoi les sénats intercorporatifs seront
ici, à chaque niveau de régulation de l'interdépendance sociale, communal,
régional, et confédéral, le lien de responsabilité, la garantie associative
entre le bailleur et l'entrepreneur. Ce crédit ne pourra alors plus servir
des actions spéculatives et être utilisé à des fins invisibles où l'argent
n'est plus qu'un instrument de domination, et de puissance; il devra servir
conjointement et réciproquement les intérêts de ceux par qui il fut possible.
Prolongeant l’oeuvre de son père, Marie Louise Duboin n’a eu de cesse de dénoncer l’irresponsabilité et
l'anonymat qui président aux transactions financières dans notre actuel
système financier. Elle remarquait que «
lorsqu'un individu aujourd’hui veut créer une entreprise, il s'adresse à une
banque pour lui emprunter les fonds dont il a besoin. La banque lui prête
contre garanties et ne se préoccupe que d'avoir l'assurance que son client la
remboursera et lui paiera les intérêts », peu lui importe alors
l’utilisation de ces fonds. L’irresponsabilité
sociale issue de cette dissociation entre le bailleur et l’entrepreneur doit
être maîtrisée. A ce titre, elle suggère un autre modèle dans lequel, par
exemple, « ce même individu, ou
plus souvent un groupe d'individus, devra proposer un contrat auprès de la
commune dans laquelle il projettera de s'installer. Un contrat dans lequel il
décrira ce qu'il veut produire afin que l'on puisse juger de l'utilité de son
projet, dans lequel il justifiera de ses capacités pour y parvenir, ainsi que
la production qu'il s'engagera à fournir dans des délais précis. Si son
contrat est accepté par la commune, celle-ci lui fournit les moyens demandés,
pour la durée fixée. Il n'aura pas ensuite à rembourser un prêt, mais il
devra à terme, fournir la preuve que ce qu'il a produit a effectivement
intéressé les consommateurs. Dans de telles conditions, il y a bien un marché
entre l'ensemble du personnel d'une entreprise et le reste de la société
représenté par la commune; les deux parties peuvent discuter le
contrat » [119]. Il existe déjà, avons nous précédemment
observé, dans chaque commune, une
représentation organique des fonctions essentielles de l’activité humaine qui
irrigue, de bas en haut, le tissu social et en constitue la trame économique.
C'est donc, déjà à ce niveau, que cette organicité doit être considérée. Il
convient cependant de convenir que tout ne va pas pour le mieux dans notre
système électoral et parlementaire. Nous pensons généralement que la cause
doit être cherchée dans le mode de scrutin. Or, le principe de proportionnalité
des votes ne peut changer l’indivisibilité du pouvoir. Il convient donc de
remplacer cette idée de proportion des votes par celle d'une division de
chaque vote individuel afin d'y séparer l'économique du politique, puis dans
l'économique, d'offrir à chaque capacité le moyen de l'exprimer par des
organes appropriés, c’est-à-dire au sein de corps intermédiaires souverains [120]. Ceci suppose alors
que chaque personne puisse se
prononcer et prolonger sa souveraineté dans tous les organes sociaux dont il
est, en quelque sorte, le copropriétaire et le sociétaire. Or, il ne le peut
s'il abandonne les multiples facettes de sa souveraineté politique,
économique, civile, et les
contradictions internes qui s'y rapportent, d'une façon indistincte et anonyme,
dans un vote universel qui l'excède, sur lequel il se repose sans doute, mais
qui le prive de toute autonomie, de toute liberté, et lui interdit d'exprimer
son unicité et sa nature intrinsèquement originale dans tous les domaines
d'activité sociale qu'il embrasse. A l'inverse, dans notre proposition, cette même
personne négociera, contractuellement, dans le cadre de chacune des sphères
d'intervention sociale auxquelles elle participe, les règles qui lui sont
propres; et de la même façon elle désignera, dans chacun de ces corps
intermédiaires associatifs, les mandataires chargés de la représenter
fonctionnellement dans les organes à compétence supplétive, c'est-à-dire de
niveau supérieur. Elle devra donc négocier, associer sa souveraineté à
d'autres souverainetés et mandater plusieurs porte-parole en tant que
consommateur, en tant que fournisseur, en tant que citoyen, en autant de fois
que ses fonctions sociales le demandent. L'organicité de sa souveraineté ne
s'exprimera plus en une seule fois, ce qui est un non sens, mais en autant de
fois que ses fonctions sociales l'exigent. Les intérêts souverains de cette même personne
seront ainsi représentés organiquement et non plus de façon indivisible, au
sein du sénat communal intercorporatif. Elle aura
un mandataire, nommé dans le cadre de l'association des familles auxquelles
elle appartient, chargé de représenter ses intérêts domestiques, puis un
mandataire nommé dans le cadre du groupe professionnel auquel elle participe,
chargé de représenter ses intérêts de producteur et fournisseur. Et de même
pour toutes les activités sociales, culturelles et associatives qui
collaborent à la vie de la cité. Nous pouvons donc dire qu'à travers cette
configuration, les contradictions et les dilemmes que ce sénat communal intercorporatif, de premier niveau, aura à trancher,
seront alors les mêmes que cette personne aurait dû résoudre en confrontant
ses propres motivations de consommateur, de producteur, de citoyen et en
définitive d’être social intégré. Cette organicité étant la même dans les sénats
supplétifs de niveau supérieur, régional et confédéral, la loi qui viendra
sanctionner le consensus social final sera introduite dans la vie par
l'initiative spontanée des citoyens. Et ceci implique d'abord que la
contractualisation soit scellée entre, et par, les sphères primaires
elles-mêmes, puis, qu'elles mandatent l'un des leurs auprès de la sphère
d'intervention supplétive afin d'y élaborer de nouveaux contrats mutuels qui
puissent leur ouvrir de nouveaux droits qui ne leur prennent pas plus qu'ils
ne leur apportent. Dans cette proposition, les différents organes corporés et autonomes auront à négocier deux catégories
de contrats, les uns fonctionnels et internes à leur spécificité, les autres
sociaux et intercorporatifs. C'est donc en fonction
des situations sociales, conjoncturelles, propres à chaque espace communal
que seront élaborés mutuellement par les citoyens les différents contrats
sociaux et notamment les contrats de crédits sociaux. Alors, les groupements professionnels et les
associations domestiques et civiles du sénat intercorporatif
détermineront, sur cette base mutuelle, le montant des dividendes familiaux à
affecter à la consommation, en respectant toutefois un seuil minimum
déterminé périodiquement par le sénat intercorporatif
national. Puis ils pourront accorder aux secteurs productifs qui le demandent
et s’engagent à escompter leurs prix de vente, le bénéfice d'une compensation
équivalente au montant de ces escomptes. C’est également à ce niveau primaire d'interdépendance
sociale que devra être mise en oeuvre l’association
mutuelle du créancier et de l’entrepreneur. Ainsi, des plans d'épargne et
d'investissement pourront être négociés entre les producteurs et les
consommateurs, notamment par ceux pour qui l'apport du dividende familial ne
constitue qu'une partie résiduelle du revenu. L'épargne gérée localement
pourra alors s'investir dans des emplois à vocation locale et sociale, voire
d'utilité publique. Cette relocalisation responsabilisera l'épargnant quant à
l'usage qui est fait de son épargne. De cette façon, l'emprunteur n'aura plus
la possibilité d'utiliser celle-ci pour des emplois qui ne lui furent pas
prescrits ou accordés contractuellement, sauf à rendre inexécutif
ce contrat avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne. La
rémunération de cette épargne pourra alors être négociée selon le principe de
la participation aux profits et pertes (cf. Chapitre V), avec ou sans
intermédiation bancaire. Par cette approche contractuelle et de proximité, à ce niveau communal, pourront alors se
développer des espaces de protection sociale gérés mutuellement par les
familles et les sphères de production. C'est, en effet, l'une des hérésies
économiques spécifiques au mythe de l'Etat-providence que d'abandonner la
gestion de la production sociale, et de l'épargne qu'elle induit, à l'Etat au
lieu de la confier aux entreprises, alors que seules les entreprises sont en
mesure de produire de la richesse, donc de faire fructifier cette épargne,
tandis que l"Etat fut toujours, tout au long
de notre histoire, responsable de la dépréciation de celle-ci. Des organismes
mutuels corporatifs, associatifs, gérés localement, seraient par conséquent
mieux à même de garantir cette protection sociale, et, par le mécanisme fédéral,
d'en réduire les risques par des systèmes de compensation et de péréquation
entre leurs caisses. Ainsi l'interdépendance sociale exprimée par
l'organicité sociétale, en contrebalançant les pouvoirs de chacun,
permettrait de limiter les abus de l'individualisme et de développer l'esprit
civique. Quant à la fiscalité, tant locale, régionale que
nationale, c'est-à-dire plus exactement au financement des travaux et des
services publics, il est clair que celle-ci dépendra de la disposition du
public à assurer de façon privative ces travaux et services ou à les laisser
à la collectivité. A ce sujet, Douglas écrivait dans « Warning Democracy » (1934): « Il est bien entendu que la taxation, dans sa forme actuelle,
est un moyen non nécessaire, inefficace et vexatoire d'atteindre le but
ostensiblement proclamé. Mais bien qu'il en soit ainsi, une certaine forme de
taxation est inévitable tant que doivent exister côte à côte les services
publics et la production pour les besoins privés. Les services publics exigent
une certaine quantité de biens et de travail, le mécanisme par lequel ces
biens et ce travail sont transférés du secteur privé au secteur public
constitue, dans son essence, une forme de taxation ». Il est évident ici que si certains travaux ou services,
de dimension communale, régionale ou nationale, n'étaient pas assurés ou mal
assurés par les corporations, les sénats de même niveau auraient pour mission
d'en garantir la réalisation. Pour autant, le financement de ces travaux
devra-t-il prendre obligatoirement la forme vexatoire, inquisitoire et
coercitive de la taxation, alors qu'il pourrait emprunter la voie
contractuelle ? Il est probable que de nombreuses tâches d’utilité
publique devront sans doute encore trouver par l’impôt la source de leur
financement. Aucun impôt n’est incolore mais tous peuvent modifier le
comportement des agents. C’est pourquoi il convient de définir une base
d’imposition qui, au service de la production et de la croissance, ne puisse
annuler les effets du crédit social, mais au contraire les soutenir. Ainsi, nous avons vu que le crédit social peut
s’interpréter comme un volume monétaire périodiquement injecté et annulé. Il
a pour objectif d’équilibrer périodiquement les moyens de la demande à la
valeur de l’offre. A ce titre, ce volume monétaire ne peut être thésaurisé
puisqu’il est périodiquement annulé. Ce qui ne veut pas dire pour autant que
les agents qui n’auraient pour unique ressource que le dividende familial,
financé par le crédit social, ne pourraient pas l’épargner et le prêter. En
effet, le mécanisme d’annulation du crédit social, en fin de cycle, joue sur
le volume monétaire déterminé par le coefficient multiplicateur ayant été
appliqué, indépendamment de l’affectation que les agents ont donné à la
monnaie reçue à ce titre. Ce n’est pas la monnaie de crédit social qui est
identifiée, mais son volume, par le coefficient multiplicateur. Mais la nature ayant horreur du vide, la prime de
liquidité, c’est-à-dire l’intérêt que demandait ce volume monétaire lors de
son émission, se reportera sans doute sur toute une série d’autres biens
physiques, productibles et reproductibles. En d’autres termes, le droit
d’aubaine ou droit d’abuser d’une situation donnée pourra se transporter
sur des capitaux physiques. Il conviendrait
alors de neutraliser les revenus issus de ces droits d’aubaine. A cette fin,
l’impôt sur le capital des biens physiques, que proposait Maurice
Allais, permettrait de mutualiser ces
revenus non gagnés et d’en faire
bénéficier les collectivités. Il ne s’agirait pas, cependant, d’un impôt qui viendrait s’ajouter aux impôts actuels,
mais d’un impôt de substitution aux impôts directs frappant aujourd’hui les
revenus du travail et de l’épargne, et par conséquent économiquement
inefficaces et démotivants. A l’inverse, l’impôt sur le capital serait
un impôt sur l’inertie qui ne pèserait
que sur les biens physiques improductifs et thésaurisés. Cet impôt
n’étranglerait pas le capital investi en bien physiques mais l’obligerait à
créer de la richesse, à produire et à se reproduire. En effet, le
remplacement des impôts sur le revenu et sur les bénéfices par l’impôt sur le
capital incitera les possesseurs de biens physiques à accroître les gains de
productivité attendus de leur capital afin d’en annuler le manque à
gagner. L’une des conséquences de
l’impôt sur le capital physique sera également d’accroître les investissement
productifs. Et, pour clore ce cercle vertueux, rappelons que tout
accroissement de la productivité et des investissements productifs augmente
corrélativement l’assiette du crédit social Avec l’impôt sur le capital des biens physiques,
il s’agira en quelque sorte d’une
prime à la production et d’une pénalité à la passivité. Si l’impôt sur les
revenus et les bénéfices taxent le travail et la production issus de l’outil, l’impôt sur le capital taxera
l’inactivité de l’outil de production. L’assiette de cet impôt pourrait reposer sur le
capital national, reproductible avec les structures, les équipements,
les stocks et biens durables, et non
reproductible avec les terres. Comme le capital reproductible couvre environ
quatre fois le revenu national, et le capital non reproductible environ une
fois, l’ordre de grandeur du capital national est d’environ cinq fois le
revenu national. Maurice Allais estime ainsi qu’un impôt de 2 % sur les biens
physiques possédés par les particuliers et le secteur productif, rapportés au
capital national, rapporterait une recette de l’ordre de 8 % du revenu
national qui permettrait de supprimer
la quasi totalité des impôts indirects perçus par l’Etat [121]. Il reste cependant que d’autres tâches d’utilité
publique pourraient rapidement emprunter une voie contractuelle en utilisant
la gamme offerte par les instruments de la concession. Ainsi, le sénat
pourrait établir des contrats avec une ou plusieurs corporations compétentes
et leur confier ces missions de services ou travaux publics. Leur financement
pourrait alors prendre la forme de compensations, accordées aux maîtres d'oeuvre, et s'inscrirait dans le cadre des services et des
biens escomptés à la clientèle, s'il s'agit d'un service ou de travaux à
finalité non marchande; ou de plan d'investissement et de gestion locale de
l'épargne entre le sénat et la population, rémunérée selon le principe de la
participation aux profits et pertes, s'il s'agit de biens marchands; ou encore d'une
combinaison technique de ces deux procédés, selon la nature du service ou des
travaux [122]. Le principe fondamental, à l'origine de ces
différents types de contractualisation, demeure le même, le sénat ne vient
sanctionner que les besoins et aspirations nés de l'initiative des
populations, il ne prend pas plus qu'il ne donne. Il n'ordonne plus. Il
coordonne. POST - PROPOS Quand l'Homme se libérera du labyrinthe de chaos
et de disgrâce dans lequel il erre, l’ordre ne se déclinera plus sur le mode
impératif mais se conjuguera sur un mode coopératif. Cet objectif est à la
portée de tous les hommes de bonne volonté. Nous savons pourtant des cyniques, des atomistes,
pour qui, ni la destinée, ni encore moins les dynamismes de la foi, de
l'amour, et de la vie, ne peuvent, à proprement parler, revenir aux Hommes.
Ceux-là peuvent sans doute s’accommoder des puissances malignes, statiques,
cataleptiques, qui, étouffant le libre arbitre de la personne, veulent
éteindre sa dignité. Mais il serait vain de croire à leur triomphe, car
l'Homme fut le début et il sera la fin. L’unicité de la personne humaine, qu'elle soit
aujourd'hui égarée ou dernière, est l'avenir et la transcendance de
l'humanité. Le crédit social, instrument de justice
distributive, et sa contractualisation, instrument de justice commutative, ne
sont que des outils de paix, de progrès, laissés à la libre disposition des
Hommes pour émanciper l'humanité et construire, dans l'harmonie, des espaces d'authentique
convivialité. Les prémices de cette émancipation régénératrice
sont visibles à celui qui veut bien voir, quand des peuples affirment leur
organicité et leur droit à disposer d'eux-mêmes, quand la répartition des
biens terrestres ne peut plus reposer sur le droit de la force, du pouvoir ou
du talent, quand enfin, toujours davantage, l'intelligence humaine s'enrichit
de droits et de devoirs nouveaux. C'est pourquoi il nous appartient, aussi, de croire
en notre pouvoir parce que nous croyons en notre devoir. Notes : 1 : Lettre encyclique Rerum Novarum, Léon XIII, 15 mai 1991. 2 : Lettre encyclique Divinis Redemptoris, Pie XI, 1937. 3 : En marge d'un ouvrage étudié de J.B. Say, "Cours complet d'économie
politique", Proudhon avait annoté: « Imbécile, faux savant !
Comment ne voyez vous pas que ce que vous appelez valeur est le résultat d'un
état faux de la société », et plus loin: « L'homme ne peut pas
vendre ses services, ni acheter ceux d'un autre (...). Il y a dans la
société, comme dans la famille, échange de services, mais non pas achat, ce
qui ne se peut sans immoralité, vol ou fraude. Il faut repenser le problème
de la domesticité » (Cahier VII). 4): Cet état faux de la société a pénétré depuis longtemps nos moeurs. Cependant, il me semble, qu'historiquement, ce
fut la loi d'Allarde du 22 mars 1791 qui
institutionnalisa ces moeurs dolosives. Au demeurant, Marat qui en fut
l'adversaire, avait bien compris que cette loi supprimant les corporations,
provoquerait la disparition des produits de qualité par l'abandon d'une
surveillance mutuelle plus vigilante que celle du pouvoir. « Et Marat
avait raison: les marchandises les plus rentables étaient celles qui
disparaissent par l'usage et doivent être journellement renouvelées. Le
commerce exigea alors de l'industrie qu'elle étende ce principe de précarité
à tous les produits manufacturés en dégradant volontairement leur
qualité » (Le compagnonnage et les métiers, Luc Benoist, Que sais-je n¹
1203, PUF 1966). 5 : Ce texte est à comparer avec le discours d'investiture de M.
William Jennings Bryan, repris par Clifford Hugh
Douglas dans la préface à la nouvelle édition de 1924 de « Social Credit »: « The money power preys
upon the nation in times of peace
and conspires againts it
in times of adversity. It is more despotic than
monarchy, more insolent than autocracy, more selfish the bureaucracy. Il
denounces, as public enemies, all who question its methods, or throw light
upon its crimes. It can only be overthrow by the awakened conscience of the
nation ». 6 : Cardinal Verdier, cité par J. Duperray,
« La question sociale », SPES, 1937. 7 Clifford Hugh Douglas
(1879-1952), Major écossais de l'armée
des Indes, ingénieur polytechnicien, fondateur du « Social credit Movement »,
notamment auteur de The monopoly of credit, The nature of democracy,
Social credit, Social credit
principles, Credit power
and Democracy, Economic democracy, Warning Democracy,
etc. 8 « Le contrôle des
changes en France », Librairie du commerce international, 1973, cité par
l'abbé Elie Garnier, « Une monnaie au service des hommes », 1985. 9 : Pie XII, Radio Message du
1er juin 1941. 10 : Conférence à Christchurch, Nouvelle Zélande, le 13 février 1934. 11 : Dans le même temps, une autre analyse était développée, en
France, par Jacques Duboin (1878-1976), ancien
secrétaire au Trésor de Joseph Caillaux, et fondateur du mouvement d'économie
distributive. Duboin proposait l'instauration d'un
revenu social, indépendant du travail, gagé sur la production. En
contrepartie, le travail devenait un service social. Le mensuel « La
Grande Relève » perpétue aujourd'hui sa pensée dans une démarche qui
n'est pas éloignée de la notre. 12
: Louis Even (1885-1974), breton exilé au Québec en
1901, traducteur de C.H. Douglas, fondateur
du journal « Vers Demain », auteur de « Sous le
signe de l'abondance ». 13 : Auteur de « Votre Avenir, pour un vrai socialisme dégagé de
Marx » (1962), « La démocratie économique » (1965), fondateur
du journal belge « Brisons le piège » (1962). 14 : C.H. Douglas, 15
: Conférence du 14 février 1935 devant le roi de Norvège, Oslo. 16: Il faut noter qu'après la conception libérale de l'Etat qui prévalait
au XIX e siècle, puis l'Etat Providence et interventionniste du XX e siècle,
l'Etat tend aujourd'hui à promouvoir un
modèle d’Etat entreprise avec l'autorité que cela comporte. 17 : « Votre
Avenir », 1962. 18
: Il est démontré que l'accroissement des revenus de transferts sociaux,
conjugué à la diminution des revenus nets du travail, entraine un manque
d'incitation à travailler. L'étatisation des charges sociales, en
déresponsabilisant les citoyens, a ainsi provoqué et entretient une foule de
comportements individualistes, économiquement régressifs et fondamentalement égoistes. 19 : P.J. Proudhon,
« Système des contradictions économiques ou Philosophie de la
Misère », 1846. 20 : 21
: P.J. Proudhon, Carnet VIII, (note de 1850) 22
: « L'age
d'or de l'inflation », Payot, 1963. 23 : Auteur de « L’Unité Européenne, au profit de qui ? »,
préfacé par Friedrich Von Hayek, prix Nobel d'économie 1974, ancien
consultant auprès du F.M.I. 24
: Selon Maurice Allais, ce taux
d'intérêt nominal s'établirait à un niveau de l'ordre de 6%, et pour un taux
de hausse de prix de 2%, le taux d'intérêt réel correspondant serait de
l'ordre de 4%. 25
: Actuellement les taux d'intérêt des prises en pension ou appels d'offre de
la BDF sont des réescomptes considérés comme des instruments de la politique
monétaire, en ce sens qu'ils freinent ou favorisent la création monétaire ex
nihilo. Leurs taux sont donc fonction de ceux observés sur le marché
interbancaire. Ils ramènent environ 1,4 % du revenu national de ressources à
l'Etat 26 : Les taux du marché interbancaire peuvent s'expliquer car ils
représentent le coût de la privation de pouvoir d'achat effectif par leur
mobilisation, encore que sur le gain que peut procurer le prêt d'un capital
monétaire, nous nous reporterons à notre chapitre V. A contrario, la fonction régulatrice des taux directeurs
de la BDF ne se justifie plus en revenant à un taux de couverture à 100 % des
dépôts qui interdirait aux banques
d'émettre de la
monnaie ex-nihilo,. Les
intérêts que demanderait la BDF n'auraient plus aucune justification
économique puisqu'il ne s'agirait pas là de rémunérer une épargne mais de
donner les moyens à l'économie de fonctionner en équilibrant, par l'émission
de la nouvelle monnaie, la nouvelle production aux moyens de paiement. 27
: L'Ordre Monétaire Mondial, Librairie Libre-Echange,
PUF, 1982 28
: La meilleure preuve peut en être donnée avec les concours qu'apportaient la
Banque de France au Trésor. Dans ces
cas, l'Institut d'émission accorde des avances à l'Etat, par convention, et
sans intérêt au dessous d'un certain plafond: « les concours directs de
trésorerie que la Banque de France
peut apporter au Trésor Public sont regroupés en un seul poste soumis à un
plafond global. Ils peuvent, selon les accords passés entre la Banque de
France et l'Etat être rémunérés ou non rémunérés » (La Banque de France et la monnaie, éd.83).
D'après
la convention du 17 septembre 1973, l'ensemble des concours au Trésor Public
ne peut dépasser 23,6 Mds. dont 13,4 sans intérêts. Cette convention assure
la neutralité budgétaire et monétaire de l'aide financière apportée par la
Banque de France à l'Etat pour faire face aux décalages entre recettes et
dépenses publiques. Cette bienveillante neutralité ne s'exerçait qu'à l'égard
de l'Etat et non à l'égard de l'économie.
29
: C'est ainsi qu'Alex Salmond, député écossais, se
plaignait en 1988: « Quand le chancelier de l'Echiquier, Nigel Lawson,
relève les taux d'intérêt pour ralentir la croissance de l'économie, il
combat la surchauffe qui existe dans le Sud Est de l'Angleterre, mais ici, en
Ecosse, notre problème est exactement l'inverse. Nous avons besoin de
davantage de croissance économique 30 : Où M = Masse Monétaire et B = Monnaie de base,
c'est-à-dire les pièces et les billets en circulation ainsi que les dépôts à
vue. 31
: Le texte exact de M. Allais, faisant référence aux agrégats monétaires, en
vigueur en 1976, stipulait: « En
admettant le coefficient des 2/3 pour la monétisation effective des
disponibilités quasi-monétaires, on est conduit à une estimation M* de la
masse monétaire M égale à la somme de la masse monétaire M1 au sens strict
(disponibilités monétaires) et des deux tiers 2(M1 - M2)/3 du montant des
disponibilités quasi monétaires. En tout état de cause l'estimation M*
apparaît comme un bon indicateur du volume global des moyens de
paiement ». Or, pour retrouver l'agrégat M* employé par M. Allais en
1976, avant les réformes financières de 1985 et 90, il conviendrait de soustraire
le livret A (702 Mds. en 87) de M2-M1 et de le reporter à M3-M2, ce qui
donnerait en 1987: M2 = 2016,1 Mds. et M* = 3548,23 Mds. d'où une
appréciation différentielle, que nous développerons dans notre note suivante.
Classer la masse monétaire en agrégats monétaires, indicateurs statistiques,
suppose que l'on détermine les moyens de paiement et les placements
financiers. Chez ces derniers, il convient de distinguer ceux qui peuvent
être convertibles en moyens de paiement rapidement et facilement, ceux qui
comportent des risques importants de perte en capital. Les deux principaux
critères sont ainsi la rapidité de liquidité et la sureté du placement. Les
innovations financières (réformes Bérégovoy 1985) ont conduit la BDF à
réformer la structure des agrégats monétaires du fait de l'essor des billets
de trésorerie, des BTN (Bons du Trésor Négociables), du marché des OPCVM, et
des SIVAV qui dépassaient 1000 Mds. en juillet 88 contre 300 Mds. en 1984 32
: Pour mieux comprendre l'importance d'une estimation technique (cf. note
précédente) de l'accroissement du volume global des moyens de paiement, nous
pouvons comparer l'accroissement monétaire calculé sur M* à celui obtenu sur
M2, où seuls sont retenus les placements à vue; et sur M2 - 2(L-M2)3 où les
2/3 de l'ensemble de tous les placements à terme sont retenus, L-M2
englobant, outre M3-M2, les titres du marché monétaire émis par des agents
non bancaires dont la monétisation suppose qu'un autre agent économique
accepte de se priver des moyens de paiement qu'il détient. Nous obtiendrons
alors, appliqué sur M2 et rapporté en pouvoir d'achat additionnel mensuel par
personne: En
1986 : 2605,5 - 2504 = 101,4/55,6 M. d'habitants/12 mois = 151,9
francs. En
1987 : 2713,9 - 2605,5 = 108,4/55,6 M.
d'habitants/12 mois = 162,4 francs. Appliqué
sur M2 + 2(L-M2)3 : En
1986 : 3306,7 - 3112,2 = 194,5/55,6 M. d'habitants/12 mois = 291,5 francs, En
1987 : 3628,3 - 3306,7 ! 321,6/55,6 M. d'habitants/12 mois = 482 francs. La lecture de ces données fait apparaître M* comme un indicateur
pondéré. 33 : Dans le même temps la croissance du PNB fut de 2,1 % en 1986 et
de 2,2 % en 1987 34 : C'est évidemment le mécanisme inflationniste de la création
monétaire ex-nihilo que nous condamnons ici. Ainsi, avec la table des
coefficients de conversion (TABLEAU V), il vous est possible d'apprécier les
bénéfices des emprunteurs institutionnels parmi lesquels il convient de
signaler l'Etat, et la spoliation des épargnants. Quant aux forces sociales,
il suffit qu'un syndicat obtienne une augmentation salariale qui excède les
gains de productivité réels de l'entreprise, au nom d'une revalorisation
sociale quelconque, pour que ses salariés jouissent dans l'immédiat de cette
augmentation de pouvoir d'achat qui, à terme, sera payée par l'ensemble de
l'économie quand les prix grimperont et que la dévalorisation monétaire sera
répercutée sur le marché. C'est la loi de l’égoïsme et de la jungle. Il
conviendrait peut-être d'expliquer qu'une augmentation salariale indue n'est
rien d'autre qu'un découpage de monnaie, c'est-à-dire que l'on multiplie les
moyens de paiement sans que soient multipliées, en face, les offres de la
production, Ainsi se dévalorise une monnaie. 35 : Nous trouvons ici le théorème A + B de C.H. Douglas exposé plus
loin. Globalement, les prix sont
composés des salaires versés, soit A, et des paiements effectués pour l'achat
de matières premières, entretien, soit B. Seul A constitue un pouvoir d'achat
immédiat, B constituant un groupe de pouvoir d'achat différé. Donc A ne peut
pas acheter A + B. A ce sujet, un correspondant distributif me rappelait que
« nous savons depuis les travaux de l'ingénieur Joseph Pastor que la production ne pourra jamais être achetée en
entier d'après sa loi des 5/6 e. En effet, si un produit revient à la
fabrication à 5, le producteur prendra en plus un bénéfice de 1/5 e qui ne
sera jamais couvert par la monnaie reversée aux ouvriers et qui, sans cette
part de monnaie, ne pourront jamais l'acheter, d'où la prolifération des stocks invendables,
destruction, gel de terres, etc ». 36 : Du fait de la dissociation des activités bancaires de prêt et de
dépôts, les banques de prêts pourront lancer des emprunts auprès du public
pour assurer le négoce des promesses à payer. 37 : L'épargne individuelle, considérée comme une privation de pouvoir
d'achat, n'est pas récompensée dans notre actuel système monétaire . Puisque
ce sont davantage les dépôts
qui font les crédits, tout
titulaire d'un compte bancaire à vue est
dans la logique bancaire, considéré comme un épargnant, la véritable épargne
ne bénéficie pas de la rémunération qu'elle devrait être en mesure d'exiger ! 38 : « Les moyens
d'achat entre les mains de la population d'un pays doivent, en tout temps,
être collectivement égaux aux prix collectifs à payer pour les biens
consommables mis en vente dans ce pays; et ces moyens d'achat doivent être
annulés lors de l'achat des biens de consommation » (Clifford Hugh
Douglas). 39 : in « Démocratie Française », V.Giscard
d'Estaing, Fayard 1976. 40 : T.E.F. 1988, INSEE 1988. En 1987, les recettes fiscales nettes
s'élevaient à 19,85 % du Revenu National, l'imposition locale à 2,90 %, soit
avec les cotisations sociales 45,62 % du Revenu national. 41 : Nous avons toujours retenu,
dans nos calculs, les prestations
sociales, c'est-à-dire les dépenses. 42 : En francs constants (cf. Tableau V), la monétisation effective de
l’accroissement de l’agrégat monétaire M*, par personne, était, fin 1987, de 350 frs x 1,23 = 430,5
frs mensuel. Cette diminution de plus de 10 % de l’accroissement de M*
atteste du ralentissement de la croissance. économique 43 : Il s’agit toujours dans
cet exemple des prestations sociales et non des cotisations, c’est-à-dire en
englobant le déficit. 44 : C'est pourquoi nous avons privilégié une estimation basse de
l'accroissement monétaire en 1986 et 1987
comme en 1994 et 1995 sur la base des moyens de paiement immédiat et
non de l'ensemble de la masse monétaire, une partie de cet accroissement
n'ayant pas été liquide immédiatement. 45 : Selon la statistique INSEE de recensement 1982. Ce recensement
général de la population de 1982 nous apprend également que « dans deux
couples sur trois dont la personne de référence a moins de 40 ans, les deux
conjoints sont actifs » (TEF
INSEE 88). L’apport du dividende familial libérerait du temps pour l'un ou
l'autre des conjoints en charge d'éducation. 46
: C'est un fait que « le développement des formes d'organisation
taylorienne, l'absence d'intérêt des tâches, leur hiérarchisation et leur
dépersonnalisation, la fragilité de l'emploi ont largement contribué à
« dévaloriser » le travail
qui pour beaucoup n'a plus qu'une seule vertu, celle de l'apport de revenus;
de manière presque unanime, le travail n'est plus considéré comme une valeur
à défendre, mais comme le moyen de gagner sa vie »... Ainsi, « sur
3 millions de personnes entre 16-18 ans et 65-70 ans, 20 millions travaillent
et 15 pourraient et peut-être voudraient travailler. Si on admet que parmi
ceux qui travaillent, 5 millions bénéficient d'un travail épanouissant, il
reste une absurdité : 15 millions de français travaillent à plein temps
contre leur gré alors que 30 millions pourraient travailler à
mi-temps »... Sur le plan
européen, le retard est certain : « les enquêtes menées par la
Communauté Européenne montrent que le travail à mi-temps concerne 20 % des
actifs au Danemark et en Grande Bretagne, 10 % en Allemagne, contre 7 %
seulement en France. Si nous parvenions à porter ce taux aux plus hauts niveaux
européens, nous aurions pour 1990 une prévision d'emplois supplémentaires de
plus de 1 300 000 » (Yoland Bresson, Le participat 1986). 47: « La Lettre d'information du
Club de l'horloge » n¹35-36:
« Privatiser la sécurité sociale », par Jacques Szmaragd, qui note: « En revanche, la puissance de
l'économie japonaise et, dans une moindre mesure, de l'économie allemande,
repose sur la capacité d'investissement contenue dans les institutions
privées qui gèrent les retraites par capitalisation ». 48
: La sécurité sociale financée par des prélèvements sociaux, mode de
financement actuel en France, ou par les recettes fiscales comme au
Royaume-Uni et en Irlande, voire par cumul de ces deux modes de financement,
apparaît être l'un des débats réactualisés par le contexte européen,
puisqu'il permet de mesurer les incidences sur les prix. Quant à sa finalité,
assurance ou solidarité, le débat sur une gestion par caisses de répartition
ou par caisses de capitalisation est déjà plus idéologique entre les interventionnistes
qui font primer l'égalité du droit et les libertariens
et néo-libéraux qui font primer la liberté de
jouissance du droit. En fait il s'agit là de deux piliers de la conception
économique contemporaine: loi de l'offre et de la demande, économie de marché
pour les uns, lutte des classes, étatisation pour les autres, mais aucun ne
remet en cause le support de ce droit: l'activité rémunérée. L'individu sans
travail, sans capital, reste nu. Yoland
Bresson, dans « l'’Après-Salariat » (Economica,
1984) écrivait à ce sujet : « Mais, que de faux débats soulève
l'inexorable développement de la protection sociale, particulièrement deux
controverses bien inutiles. On oppose d'abord l'assurance relevant des modes
de gestion privée à la protection sociale servie par des organismes étatiques
ou parapublics. Et les doctrinaires campent sur deux positions extrêmes. Pour
les uns, la « demande de sécurité » ne diffère en rien de celle de
tout autre bien ou service. Il faut laisser le marché satisfaire librement ce
besoin singulier sans qu'une intervention publique vienne geler l'imagination
des offreurs d'assurance. Pour les autres, il revient à la collectivité, par
l'intermédiaire de l'Etat de couvrir les risques individuels. Les partisans
d'une gestion privée n'ignorent pas les inégalités qu'elle engendre, mais ils
jugent naturel que les riches se protègent, comme ils s'habillent et se
nourrissent mieux que les pauvres. Au contraire, les adeptes d'une protection
collective posent en principe l'égalité des citoyens devant les risques
involontaires et prônent la gratuité du service public. Pourtant, malgré le
préjugé favorable que rencontre cette attitude, n'oublions jamais que
derrière les apparences, la réalité peut se révéler moins conforme à nos voeux. Pour que l'égalité soit véritablement assurée, il
est indispensable que « l'offre publique de sécurité » ne soit pas
« rationnée ». La dépense sociale doit répondre, sans limitation à
la demande, sinon seuls les plus riches pourront compenser les défaillances
du système en recourant à des services privés et l'inégalité perverse
réapparaîtra. C'est pourquoi, sans prendre parti sur l'efficacité comparée
des deux modes de gestion, il faut seulement
reconnaître qu'à l'échelle de la communauté, ils concourent par le même
processus, à rendre les mêmes services. Ils interposent une création
d'emploi, une activité, du temps échangé, privé ou public, entre le risque et
le protégé ». 49
: « The monopoly of credit ».
Nous avons traduit par « taux » l'expression « rate »
employée par C.H. Douglas. Ce terme impliquant également la notion de
vitesse, on retiendra surtout que c'est la différence de vélocité monétaire
des groupes A et B qui exprime la déficience constante du pouvoir d'achat
immédiat et le recours constant au
crédit ex- nihilo 50 : Dans le cadre d'une Fédération spatiale et organique, l'Etat ne
peut se concevoir que comme l'agrégation des corps intermédiaires,
territoriaux et fonctionnels. En fonction du principe de subsidiarité, l'Etat
confédéral envisagé du dernier niveau, ne se voit plus attribuer que des
missions supplétives que les organismes de plus bas niveau ne peuvent
accomplir par eux-mêmes. Son action devient donc subsidiaire et s'inscrit en
complément et coordination des différents organismes décentralisés. Dès lors,
son budget s’amoindrit d'autant qu'il rétrocède les pouvoirs aux organismes
plus proches des populations. 51 : A cet effet, seuls les
biens de production consommables ont été retenus. Les biens d'équipement
supposant une épargne préalable sont, dans ce schéma, financés par des
capitaux ne constituant pas un pouvoir d'achat immédiat, et donc assimilés au
groupe b. 52
: Dans le système actuel, le
fournisseur n'a pas le choix:
soit il répercute la hausse des prix avec l'inflation qui l’accompagne, soit
il ne la répercute pas, avec la baisse de l'investissement ou la non
distribution des gains de productivité future que cela implique. Il ne lui
reste plus alors qu'une solution si, par la force des choses il refuse ces
contraintes: emprunter. 53
: Silvio Gesell, « L'Ordre économique naturel », 3ème édition,
Besançon, 1948. 54 : Aussi évident que soit ce fait, il n'est pas moins vrai que
jusqu'ici aucun théoricien de l'intérêt n'a remarqué cet avantage, Proudhon
lui-même ne le vit pas (Note de Silvio Gesell). 55
: Tous les biens se déprécient, en dehors peut-être des métaux précieux et
des pierreries que l'on enferme dans des coffres-forts dont on paie la
location (Note de S. Gesell). 56
: Selon la formule Kn =K0.(1+i)n.
Dans notre exemple, le capital à terme de 259.374 francs est égal au capital prêté de départ multiplié par 1,10
élevé à la puissance 10 57
: Pierre Haubtmann, « Proudhon, sa vie et sa
pensée », Ed. Beauchesne, 1982. 58
: Les notes qui suivent sur la doctrine traditionnelle de l'Eglise sur
l'usure reprennent l'étude « Finance et Politique » du 20 juillet
1990 publiée par l'Action Familiale et Scolaire. 59
: Notre documentation sur la « riba »
islamique est tirée de l'ouvrage du Dr. Zouheir Obeidi,
« La Banque Islamique, une nouvelle technique d'investissement »,
Ed. Dar Al Rashad al Islamiya,
Beyrouth, 1988. 60 : Depuis ces dernières
années, des initiatives issues de la société civile s’inscrivent dans cette
démarche ; par exemple les Club
d’Investissement et de Gestion Locale
de l’Epargne (CIGALEs),
l’Association pour le Développement de l’Initiative Economique (ADIE), la
Nouvelle Economie Fraternelle (NEF) et la Caisse Solidaire. La plupart de ces
organismes obtinrent le statut d’établissement de crédit, au sens de la loi bancaire
de 1984, grâce à l’adossement au Crédit Coopératif. 61 : Voir également
"L'Etat d'urgence", André Grjebine,
Flammarion, 1983. 62
: Une première version de cette proposition de loi fut déposée le 14 décembre
1980 sous le n¹ 2111 63
: « D'où vient tout cet argent », Ernst Wagemann 64
: Hyacinthe Dubreuil, (1883-1971), syndicaliste, sociologue, membre du Bureau
International du Travail de 1930 à 1938, et
de l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1967. 65
: A titre d'exemple, citons l'initiative de M. Raymond Barre, le 30 mai 1978,
qui confia à Jacques Mayoux la présidence d'un
groupe de réflexion sur la décentralisation financière. Il s'agissait de
permettre aux acteurs économiques locaux, spécialement les PMI/PME de mieux
trouver à proximité les ressources financières en fonds propres et le crédit
dont ils avaient besoin, de sorte que les décisions en la matière soient
prises de manière décentralisée en pleine connaissance des problèmes des
entreprises concernées. Le but des CIGALEs
précédemment cités est identique. 66
: Affirmer que la stabilité monétaire est la garante des libertés économiques
et sociales implique que l'ordre financier soit subordonné à cette finalité.
Si la libre circulation des capitaux ne pose pas de problèmes s'il y a équilibre de la balance des
paiements, il en va tout autrement lorsque celle-ci accuse un déficit. Dans
le cadre d'accords unilatéraux, le système des caisses de conversion de H.
Schacht qui octroyait des crédits en monnaie nationale aux pays créanciers
peut-être envisagé. Il n'en est pas de même dans le cadre d'accords
multilatéraux où il conviendrait, plus que jamais, de responsabiliser dans
les faits et dans les textes, les organismes prêteurs et emprunteurs. Une
législation à cet effet ne serait pas inutile, comme le demande le Groupe des
quinze pays en développement ou G15 depuis 1989. 67 : Jacques Duboin, Rareté et abondance, éd. Ocia,
1945. 68
: Qui suppose donc « pour son existence le concours de deux ou plusieurs
libertés. La liberté de chacun rencontrant dans la liberté d'autrui, non plus
une limite comme dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1793, mais un auxiliaire... » (P.J.Proudhon,
Confession d'un révolutionnaire, 1865). 69 : « La fin des
monstres. Idée d'une organisation contraire à la centralisation et à
l'étatisme », Grasset, 1938 70
: Dans sa définition,
« Association durable et réciproquement profitable entre deux ou
plusieurs êtres humains. C'est le caractère de réciprocité que nous
soulignons ici. 71
: « J'ai fini ma journée », Paris, Librairie du compagnonnage,
1970. 72 :
« Promotion », Ed. de l'Entreprise moderne. 73
: "L'équipe et le ballon, l'ouvrier libre dans l'entreprise
organisée », Paris 1948. 74
: « Le véritable intéressement des travailleurs à la vie de
l'entreprise ». Ed. de l'entreprise moderne, 1969 75 : « L’impôt
sur le capital et la réforme monétaire », Hermann 1976. 76 : « Le travail
et l’éducation sociale » (Conférence). 77
: « Deux hommes parlent du travail » (Grasset, 1939). 78
: P.J. Proudhon, Idée générale de la
Révolution au XIX e siècle (1851). 79
: « Histoire de l'idée fédéraliste. Les Sources », Bernard Voyenne, Presses de l'Europe. 80 : Le plan initial de Siéyés supposait un
véritable dispositif d’arpenteur afin de que ne subsiste plus aucune trace
des divisions ancestrales. On prenait Paris pour centre et on formait un
carré parfait de 18 lieues sur 18 et ainsi de suite jusqu'à la frontière. 81
: Rabaut Saint Etienne écrivait dans l'Almanach de
la Révolution, 1ère édition:
« Ainsi l'on a pu dire qu'il n'y avait plus de provinces, ce mot a même
disparu de notre langue. Ainsi le royaume fut un, et la crainte des
républiques fédératives fut dissipée ».
82 : « Les
financiers qui mènent le monde », Henry Coston. 83
: « Histoire de la monnaie », Jean Rivière, PUF Que sais-je. 84
: The monopoly of credit. 85 : « De la
justice sociale », Jean Madiran, NEL 1961. 86 : En fin 1995, en France, l’endettement Intérieur Total comprenant
les dettes privées et publique
s’élevait à 10586,4 milliards de francs. Ces dettes sont, d’une façon ou
d’une autre, incorporées dans les coûts de production. C’est-à-dire que
chacun de 58,3 millions de citoyens recensés, même juste né, a une dette de
181 584,9 francs. Le défi de nos propositions de crédit social mutualisé est
de convertir ces dettes en dividendes. 87: Rappelons pour mémoire que la Constitution du 4 octobre 1958 a
limité strictement le domaine de la loi et mis en place tout un arsenal de
dispositions qui rationalise le pouvoir législatif et accroît le pouvoir
exécutif,, article 37 élargissant le pouvoir réglementaire, ordre du jour,
limitation de la durée des sessions parlementaires, article 38 sur les
ordonnances, article 45 sur la faculté de refuser ou de faire adopter une
loi. Bien différente était la
situation sous la III e République où la puissance du pouvoir législatif,
bien qu'inconsistant, était bien réel: 110 ministères de 1871 à 1940. 88
: Monde associatif, qu'il soit économique, domestique, social, universitaire,
mais également les familles, les entreprises, les associations de défense de
l'environnement et du cadre de vie, des parents d'élèves, des contribuables,
des droits de l'homme, de l'enfant, de la femme, des usagers, des amis des
bêtes, sans oublier les sociétés philanthropiques, scientifiques, sportives,
artistiques, culturelles et cultuelles, les fédérations syndicales,
professionnelles, les associations de locataires, les syndics de
copropriétaires, les clubs d'investissements, cette énumération étant
naturellement loin d'être épuisée. 89: « Mémoire
pour servir à l'histoire du droit public de la France en matière
d'impôts », Bruxelles, 1799. 90
: et non pas création de l'esprit, de juristes ou de légistes. 91 : J'insiste ici sur
l'expression mandataire sur laquelle nous reviendrons. 92 : Cf. supra: Avant
propos sur la critique que fit P.J. Proudhon du discours de J.Baptiste Say sur l'économie. 93 : C.H.
Douglas, Discours de Liverpool, le 30 octobre 1936. 93 : Mgr. Landrieux, 1920, cité par M. Duperray,
Docteur en théologie, « La question sociale », 1937. 94 : Pix XI, Quadragesiomo Anno. 95: Hyacinthe
Dubreuil, « J’ai fini ma journée ». 97
: Soulignons, d’une part, que les allocations familiales n’offrent pas un
pouvoir d’achat suffisant dû au respect de l’enfant et de sa prime éducation,
et d’autre part que les arguments anti-natalistes
reposent sur deux principaux sophismes: 1- « La terre est trop
peuplée », ce qui en soit est une ineptie. La terre est mal peuplée
serait plus juste. Bien que ses ressources puissent raisonnablement, sur le
très long terme, répondre aux besoins humains, elles sont mal utilisées et
gaspillées. Après de longues controverses, la FAO (Food and Agriculture Organisation) concluait, dès
1971, dans sa revue: « On ne peut pas
justifier la limitation de la population par l'argument qu'il serait
impossible de nourrir la population mondiale. Il est en effet impossible
maintenant de fixer des limites aux possibilités de production
alimentaire ». Il est acquis aujourd'hui que la terre pourrait nourrir,
en utilisant des méthodes rationnelles, trente fois la population actuelle du
globe. L'accroissement des populations inquiéta de tous temps les chercheurs.
Ce fut l'honneur du pasteur Thomas Malthus de reconnaître, à ce sujet, son
erreur initiale. Cela-dit, la mauvaise utilisation des ressources terrestres
est bien évidemment consécutive à un système financier qui ne répond pas à sa
mission, qui appauvrit plus qu'il n'enrichit l'humanité, et règne en maître
et en tyran. Par ailleurs, dans le contexte actuel, nous ne voyons pas
pourquoi le congé post-natal serait
uniquement attribué aux femmes. Celui-ci incite les employeurs à embaucher de préférence des hommes et à
pratiquer un sexisme hypocrite. Attribué à l'un ou l'autre des conjoints,
l'employeur ne sachant lequel des deux prendra ces congés, les conditions
d'embauche seront plus équitables. 2 - « Un enfant est un futur chômeur » est le second
sophisme utilisé. Diriger une entreprise, c'est prévoir. Prévoir les fluctuations
du marché, de l'offre et de la demande. Si la population d'un espace donné
stagne ou régresse, l'entreprise en tire les conséquences: la demande de
biens et services va diminuer (la demande devient marginale quand le besoin
essentiel, primaire, est satisfait), ce qui implique qu'il va, par suite,
diminuer ses investissements productifs, et de fait, créer du chômage. Dès
lors, la dénatalité favorise la récession. 98 : Robert Aron, Le socialisme français face au marxisme, Grasset,
1971. 99 : Jean-Yves Naudet, L'Eglise et
l'économie de marché face au collectivisme, éd. UNI, 1987. 100
: Jean-Paul II, Allocution aux juristes catholiques italiens, le 25 novembre
1988. 101 : Titre d'un
ouvrage de Michel Crozier, Grasset 1989 102 : De la justice
dans la révolution et dant l'Eglise (1860) 103 : Théorie de
l'impôt (1861) 104 : Le travail et la civilisation, 1946. 105 : P.J. Proudhon, Idée générale de la Révolution au XIX ème siècle, 1851. 106 : Le juriste Léon Duguyt, compagnon du
sociologue Emile Durkeim, n'affirmait-il pas que « L'Etat n'est pas une puissance qui
commande comme on a voulu le faire croire, mais une coopération de services
publics contrôlés par des gouvernements ». 107 : « Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer
le parti de la révolution », 1863. 108 : Rappelons ici pour illustrer notre propos l'ironie du suffrage
universel. Le 5 mai 1946, le premier texte constitutionnel de la IV e
République fut refusé avec 37% de oui par rapport aux inscrits. Mais, par
contre, le second texte constitutionnel, fut, lui, adopté avec seulement 36 %
de oui par rapport aux inscrits, et promulgué le 27 octobre 1946... De nos
jours, le civisme et la politique n'ayant plus que de très lointains et rares
rapports, une majorité peut imposer sa loi avec quelques 10 % des inscrits. 109
: Quand bien même cette désignation se ferait par tirage au sort, elle serait
toujours plus fiable que le mode électif, de surenchère électorale, du fait
majoritaire, qui ne repose que sur la discorde permanente, l'exaltation des
haines, que pour mieux acheter ou faciliter l'abandon des souverainetés
citoyennes1 110 : Cité par Alain Cotta, « Le Corporatisme », PUF Que sais-je, N¹
2208, 1984. 111
: J. Duperray, « La question sociale »,
op. cité. 112 : « J'ai fini
ma journée », Librairie du compagnonnage, 1971. 113
: « Défense et actualité de Proudhon », Payot, 1976. 114 : L'assemblée
nationale élue au suffrage universel direct élisait un conseil exécutif de 25
membres subordonnés. La Constittution de la
Convention inspira la Constitution soviétique. 115
: Dans un discours du 18 floréal an II (7 mai 1794), Robespierre dénonça
également, selon sa propre expression, « le fédéralisme
domestique », c'est-à-dire la tendance qu'avaient les familles à faire
corps dans l'Etat 116 : Toute différente est la loi du 2 mars 1982 sur la
décentralisation qui impose les mêmes pouvoirs statutaires à 36430 communes,
qu'il s'agisse d'une ville de 10.000 ou de 500.000 habitants. Cette
aberration administrative ne peut être qu'inappropriée et inadaptée à la
diversité et à la richesse des espaces communaux. 117 : Mihail Manoilesko« Le
siècle du corporatisme », édition Lacan 1934, cité par « Hommes et
Métiers » n¹164, oct.1967. 118
: Congrégation pour la Doctrine de la Foi, la liberté chrétienne et la
libération, 22 mars 1986. 119 : « La Grande
Relève des hommes par la science », n¹ 889, mai 1990. 120 : Idée énoncée
dans « La fin des monstres. Idée d'une organisation contraire à la
centralisation et à l'étatisme », Hyacinthe Dubreuil, 1938. 121 : A titre d’exemple, en 1995, l’ensemble des impôts indirects,
impôt sur le revenu (303,5 Mds. F), impôts sur les sociétés (155,5 Mds. F) et autres impôts
indirects (117,7 Mds. F) représentait 576,7 Mds. F ou 43,42 % des recettes fiscales nettes (1328 Mds. F) ou 9,1 % du revenu national (6294 Mds. F). 122
: Par exemple, en ce qui concerne l'enseignement, service non marchand, le
sénat inter-corporatif pourrait contracter avec autant de corps
professionnels et associations civiles qu'il est possible. Dans le modèle proudhonnien, c'était la compagnie ouvrière qui assurait
l'apprentissage professionnel des nouveaux venus, gérait les centres de
formation professionnelle, et participait à la définition des programmes
d'enseignement général des écoles |
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Revenir à une économie créditrice |
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3 : En marge d'un ouvrage étudié de J.B. Say,
"Cours complet d'économie politique", Proudhon avait annoté:
« Imbécile, faux savant ! Comment ne voyez vous pas que ce que vous
appelez valeur est le résultat d'un état faux de la société », et plus
loin: « L'homme ne peut pas vendre ses services, ni acheter ceux d'un
autre (...). Il y a dans la société, comme dans la famille, échange de
services, mais non pas achat, ce qui ne se peut sans immoralité, vol ou fraude.
Il faut repenser le problème de la domesticité » (Cahier VII).
4): Cet état faux de la société a pénétré depuis longtemps nos moeurs. Cependant, il me semble, qu'historiquement, ce fut la loi d'Allarde du 22 mars 1791 qui institutionnalisa ces moeurs dolosives. Au demeurant, Marat qui en fut l'adversaire, avait bien compris que cette loi supprimant les corporations, provoquerait la disparition des produits de qualité par l'abandon d'une surveillance mutuelle plus vigilante que celle du pouvoir. « Et Marat avait raison: les marchandises les plus rentables étaient celles qui disparaissent par l'usage et doivent être journellement renouvelées. Le commerce exigea alors de l'industrie qu'elle étende ce principe de précarité à tous les produits manufacturés en dégradant volontairement leur qualité » (Le compagnonnage et les métiers, Luc Benoist, Que sais-je n¹ 1203, PUF 1966).
5 : Ce texte est à comparer avec le discours
d'investiture de M. William Jennings Bryan, repris
par Clifford Hugh Douglas dans la préface à la nouvelle édition de 1924 de
« Social Credit »: « The money power preys upon the nation in times of
peace and conspires againts
it in times of adversity. It is more despotic than monarchy, more insolent than autocracy, more
selfish the bureaucracy. Il denounces, as public enemies, all who question its
methods, or throw light upon its crimes. It can only be overthrow by the
awakened conscience of the nation ».
7 Clifford Hugh Douglas (1879-1952), Major écossais de l'armée des Indes, ingénieur polytechnicien, fondateur du « Social credit Movement », notamment auteur de The monopoly of credit, The nature of democracy, Social credit, Social credit principles, Credit power and Democracy, Economic democracy, Warning Democracy, etc.
8 « Le contrôle des changes en France », Librairie du commerce international, 1973, cité par l'abbé Elie Garnier, « Une monnaie au service des hommes », 1985.
11 : Dans le même temps, une autre analyse
était développée, en France, par Jacques Duboin
(1878-1976), ancien secrétaire au Trésor de Joseph Caillaux, et fondateur du
mouvement d'économie distributive. Duboin proposait
l'instauration d'un revenu social, indépendant du travail, gagé sur la
production. En contrepartie, le travail devenait un service social. Le mensuel
« La Grande Relève » perpétue aujourd'hui sa pensée dans une démarche
qui n'est pas éloignée de la notre.
12 : Louis Even (1885-1974), breton exilé au Québec en 1901, traducteur de C.H. Douglas, fondateur du journal « Vers Demain », auteur de « Sous le signe de l'abondance ».
13 : Auteur de « Votre Avenir, pour un vrai socialisme dégagé de Marx » (1962), « La démocratie économique » (1965), fondateur du journal belge « Brisons le piège » (1962).
16: Il faut noter qu'après la conception libérale de l'Etat qui prévalait au XIX e siècle, puis l'Etat Providence et interventionniste du XX e siècle, l'Etat tend aujourd'hui à promouvoir un modèle d’Etat entreprise avec l'autorité que cela comporte.
18 : Il est démontré que l'accroissement des revenus
de transferts sociaux, conjugué à la diminution des revenus nets du travail,
entraine un manque d'incitation à travailler. L'étatisation des charges
sociales, en déresponsabilisant les citoyens, a ainsi provoqué et entretient
une foule de comportements individualistes, économiquement régressifs et
fondamentalement égoistes.
23 : Auteur de « L’Unité Européenne, au profit de qui ? », préfacé par Friedrich Von Hayek, prix Nobel d'économie 1974, ancien consultant auprès du F.M.I.
24 : Selon
Maurice Allais, ce taux d'intérêt nominal s'établirait à un niveau de l'ordre
de 6%, et pour un taux de hausse de prix de 2%, le taux d'intérêt réel
correspondant serait de l'ordre de 4%.
25 : Actuellement les taux d'intérêt des prises en
pension ou appels d'offre de la BDF sont des réescomptes considérés comme des
instruments de la politique monétaire, en ce sens qu'ils freinent ou favorisent
la création monétaire ex nihilo. Leurs taux sont donc fonction de ceux observés
sur le marché interbancaire. Ils ramènent environ 1,4 % du revenu national de
ressources à l'Etat
26 : Les taux du marché interbancaire peuvent s'expliquer
car ils représentent le coût de la privation de pouvoir d'achat effectif par
leur mobilisation, encore que sur le gain que peut procurer le prêt d'un
capital monétaire, nous nous reporterons à notre chapitre V. A contrario, la fonction régulatrice des taux directeurs
de la BDF ne se justifie plus en revenant à un taux de couverture à 100 % des
dépôts qui interdirait aux banques
d'émettre de la
monnaie ex-nihilo,. Les intérêts
que demanderait la BDF n'auraient plus aucune justification économique
puisqu'il ne s'agirait pas là de rémunérer une épargne mais de donner les
moyens à l'économie de fonctionner en équilibrant, par l'émission de la
nouvelle monnaie, la nouvelle production aux moyens de paiement.
28 : La meilleure preuve peut en être donnée avec
les concours qu'apportaient la Banque de France au Trésor. Dans ces cas, l'Institut d'émission
accorde des avances à l'Etat, par convention, et sans intérêt au dessous d'un certain
plafond: « les concours directs de trésorerie que la Banque de France peut apporter au Trésor Public sont
regroupés en un seul poste soumis à un plafond global. Ils peuvent, selon les
accords passés entre la Banque de France et l'Etat être rémunérés ou non
rémunérés » (La Banque de France et
la monnaie, éd.83).
D'après la convention du 17 septembre 1973, l'ensemble des concours au Trésor Public ne peut dépasser 23,6 Mds. dont 13,4 sans intérêts. Cette convention assure la neutralité budgétaire et monétaire de l'aide financière apportée par la Banque de France à l'Etat pour faire face aux décalages entre recettes et dépenses publiques. Cette bienveillante neutralité ne s'exerçait qu'à l'égard de l'Etat et non à l'égard de l'économie.
29 : C'est ainsi qu'Alex Salmond,
député écossais, se plaignait en 1988: « Quand le chancelier de
l'Echiquier, Nigel Lawson, relève les taux d'intérêt pour ralentir la
croissance de l'économie, il combat la surchauffe qui existe dans le Sud Est de
l'Angleterre, mais ici, en Ecosse, notre problème est exactement l'inverse.
Nous avons besoin de davantage de croissance économique
30 : Où M = Masse Monétaire et B = Monnaie de base, c'est-à-dire les pièces et les billets en circulation ainsi que les dépôts à vue.
31 : Le texte exact de M. Allais, faisant référence aux agrégats monétaires, en vigueur en 1976, stipulait: « En admettant le coefficient des 2/3 pour la monétisation effective des disponibilités quasi-monétaires, on est conduit à une estimation M* de la masse monétaire M égale à la somme de la masse monétaire M1 au sens strict (disponibilités monétaires) et des deux tiers 2(M1 - M2)/3 du montant des disponibilités quasi monétaires. En tout état de cause l'estimation M* apparaît comme un bon indicateur du volume global des moyens de paiement ». Or, pour retrouver l'agrégat M* employé par M. Allais en 1976, avant les réformes financières de 1985 et 90, il conviendrait de soustraire le livret A (702 Mds. en 87) de M2-M1 et de le reporter à M3-M2, ce qui donnerait en 1987: M2 = 2016,1 Mds. et M* = 3548,23 Mds. d'où une appréciation différentielle, que nous développerons dans notre note suivante. Classer la masse monétaire en agrégats monétaires, indicateurs statistiques, suppose que l'on détermine les moyens de paiement et les placements financiers. Chez ces derniers, il convient de distinguer ceux qui peuvent être convertibles en moyens de paiement rapidement et facilement, ceux qui comportent des risques importants de perte en capital. Les deux principaux critères sont ainsi la rapidité de liquidité et la sureté du placement. Les innovations financières (réformes Bérégovoy 1985) ont conduit la BDF à réformer la structure des agrégats monétaires du fait de l'essor des billets de trésorerie, des BTN (Bons du Trésor Négociables), du marché des OPCVM, et des SIVAV qui dépassaient 1000 Mds. en juillet 88 contre 300 Mds. en 1984
32 : Pour mieux comprendre l'importance d'une estimation technique (cf.
note précédente) de l'accroissement du volume global des moyens de paiement,
nous pouvons comparer l'accroissement monétaire calculé sur M* à celui obtenu
sur M2, où seuls sont retenus les placements à vue; et sur M2 - 2(L-M2)3 où les
2/3 de l'ensemble de tous les placements à terme sont retenus, L-M2 englobant,
outre M3-M2, les titres du marché monétaire émis par des agents non bancaires
dont la monétisation suppose qu'un autre agent économique accepte de se priver
des moyens de paiement qu'il détient. Nous obtiendrons alors, appliqué sur M2
et rapporté en pouvoir d'achat additionnel mensuel par personne:
En 1986 : 2605,5 - 2504 =
101,4/55,6 M. d'habitants/12 mois = 151,9 francs.
En 1987 : 2713,9 - 2605,5 = 108,4/55,6 M. d'habitants/12 mois = 162,4
francs.
Appliqué sur M2 + 2(L-M2)3 :
En 1986 : 3306,7 - 3112,2 = 194,5/55,6 M.
d'habitants/12 mois = 291,5 francs,
En 1987 : 3628,3 - 3306,7 ! 321,6/55,6 M.
d'habitants/12 mois = 482 francs.
La lecture de ces données fait apparaître M*
comme un indicateur pondéré.
34 : C'est évidemment le mécanisme inflationniste de la création monétaire ex-nihilo que nous condamnons ici. Ainsi, avec la table des coefficients de conversion (TABLEAU V), il vous est possible d'apprécier les bénéfices des emprunteurs institutionnels parmi lesquels il convient de signaler l'Etat, et la spoliation des épargnants. Quant aux forces sociales, il suffit qu'un syndicat obtienne une augmentation salariale qui excède les gains de productivité réels de l'entreprise, au nom d'une revalorisation sociale quelconque, pour que ses salariés jouissent dans l'immédiat de cette augmentation de pouvoir d'achat qui, à terme, sera payée par l'ensemble de l'économie quand les prix grimperont et que la dévalorisation monétaire sera répercutée sur le marché. C'est la loi de l’égoïsme et de la jungle. Il conviendrait peut-être d'expliquer qu'une augmentation salariale indue n'est rien d'autre qu'un découpage de monnaie, c'est-à-dire que l'on multiplie les moyens de paiement sans que soient multipliées, en face, les offres de la production, Ainsi se dévalorise une monnaie.
35 : Nous trouvons ici le théorème A + B de C.H. Douglas exposé plus loin. Globalement, les prix sont composés des salaires versés, soit A, et des paiements effectués pour l'achat de matières premières, entretien, soit B. Seul A constitue un pouvoir d'achat immédiat, B constituant un groupe de pouvoir d'achat différé. Donc A ne peut pas acheter A + B. A ce sujet, un correspondant distributif me rappelait que « nous savons depuis les travaux de l'ingénieur Joseph Pastor que la production ne pourra jamais être achetée en entier d'après sa loi des 5/6 e. En effet, si un produit revient à la fabrication à 5, le producteur prendra en plus un bénéfice de 1/5 e qui ne sera jamais couvert par la monnaie reversée aux ouvriers et qui, sans cette part de monnaie, ne pourront jamais l'acheter, d'où la prolifération des stocks invendables, destruction, gel de terres, etc ».
36 : Du fait de la dissociation des activités bancaires de prêt et de dépôts, les banques de prêts pourront lancer des emprunts auprès du public pour assurer le négoce des promesses à payer.
37 : L'épargne individuelle, considérée comme une privation de pouvoir d'achat, n'est pas récompensée dans notre actuel système monétaire . Puisque ce sont davantage les dépôts qui font les crédits, tout titulaire d'un compte bancaire à vue
est dans la logique bancaire, considéré comme un
épargnant, la véritable épargne ne bénéficie pas de la rémunération qu'elle
devrait être en mesure d'exiger !
38 : « Les moyens d'achat entre les mains de la population d'un pays doivent, en tout temps, être collectivement égaux aux prix collectifs à payer pour les biens consommables mis en vente dans ce pays; et ces moyens d'achat doivent être annulés lors de l'achat des biens de consommation » (Clifford Hugh Douglas).
40 : T.E.F. 1988, INSEE 1988. En 1987, les recettes fiscales nettes s'élevaient à 19,85 % du Revenu National, l'imposition locale à 2,90 %, soit avec les cotisations sociales 45,62 % du Revenu national.
41 : Nous avons toujours retenu, dans nos calculs, les prestations sociales, c'est-à-dire les dépenses.
42 : En francs constants (cf. Tableau V), la
monétisation effective de l’accroissement de l’agrégat monétaire M*, par
personne, était, fin 1987, de 350 frs x
1,23 = 430,5 frs mensuel. Cette diminution de plus de 10 % de l’accroissement
de M* atteste du ralentissement de la croissance. économique
43 : Il s’agit
toujours dans cet exemple des prestations sociales et non des
cotisations, c’est-à-dire en englobant le déficit.
44 : C'est pourquoi nous avons privilégié une estimation basse de l'accroissement monétaire en 1986 et 1987 comme en 1994 et 1995 sur la base des moyens de paiement immédiat et non de l'ensemble de la masse monétaire, une partie de cet accroissement n'ayant pas été liquide immédiatement.
45 : Selon la statistique INSEE de recensement 1982. Ce recensement général de la population de 1982 nous apprend également que « dans deux couples sur trois dont la personne de référence a moins de 40 ans, les deux conjoints sont actifs » (TEF INSEE 88). L’apport du dividende familial libérerait du temps pour l'un ou l'autre des conjoints en charge d'éducation.
46 : C'est un fait que « le développement des
formes d'organisation taylorienne, l'absence d'intérêt des tâches, leur
hiérarchisation et leur dépersonnalisation, la fragilité de l'emploi ont
largement contribué à « dévaloriser »
le travail qui pour beaucoup n'a plus qu'une seule vertu, celle de
l'apport de revenus; de manière presque unanime, le travail n'est plus
considéré comme une valeur à défendre, mais comme le moyen de gagner sa vie »...
Ainsi, « sur 3 millions de personnes entre 16-18 ans et 65-70 ans, 20
millions travaillent et 15 pourraient et peut-être voudraient travailler. Si on
admet que parmi ceux qui travaillent, 5 millions bénéficient d'un travail
épanouissant, il reste une absurdité : 15 millions de français travaillent à
plein temps contre leur gré alors que 30 millions pourraient travailler à
mi-temps »... Sur le plan européen,
le retard est certain : « les enquêtes menées par la Communauté Européenne
montrent que le travail à mi-temps concerne 20 % des actifs au Danemark et en
Grande Bretagne, 10 % en Allemagne, contre 7 % seulement en France. Si nous
parvenions à porter ce taux aux plus hauts niveaux européens, nous aurions pour
1990 une prévision d'emplois supplémentaires de plus de 1 300 000 » (Yoland Bresson, Le participat
1986).
47: « La Lettre d'information du Club de l'horloge » n¹35-36: « Privatiser la sécurité sociale », par Jacques Szmaragd, qui note: « En revanche, la puissance de l'économie japonaise et, dans une moindre mesure, de l'économie allemande, repose sur la capacité d'investissement contenue dans les institutions privées qui gèrent les retraites par capitalisation ».
48 : La sécurité sociale financée par des
prélèvements sociaux, mode de financement actuel en France, ou par les recettes
fiscales comme au Royaume-Uni et en Irlande, voire par cumul de ces deux modes
de financement, apparaît être l'un des débats réactualisés par le contexte
européen, puisqu'il permet de mesurer les incidences sur les prix. Quant à sa
finalité, assurance ou solidarité, le débat sur une gestion par caisses de
répartition ou par caisses de capitalisation est déjà plus idéologique entre
les interventionnistes qui font primer l'égalité du droit et les libertariens et néo-libéraux qui
font primer la liberté de jouissance du droit. En fait il s'agit là de deux
piliers de la conception économique contemporaine: loi de l'offre et de la
demande, économie de marché pour les uns, lutte des classes, étatisation pour
les autres, mais aucun ne remet en cause le support de ce droit: l'activité
rémunérée. L'individu sans travail, sans capital, reste nu.
Yoland Bresson, dans
« l'’Après-Salariat » (Economica, 1984)
écrivait à ce sujet : « Mais, que de faux débats soulève l'inexorable développement
de la protection sociale, particulièrement deux controverses bien inutiles. On
oppose d'abord l'assurance relevant des modes de gestion privée à la protection
sociale servie par des organismes étatiques ou parapublics. Et les doctrinaires
campent sur deux positions extrêmes. Pour les uns, la « demande de
sécurité » ne diffère en rien de celle de tout autre bien ou service. Il
faut laisser le marché satisfaire librement ce besoin singulier sans qu'une
intervention publique vienne geler l'imagination des offreurs d'assurance. Pour
les autres, il revient à la collectivité, par l'intermédiaire de l'Etat de
couvrir les risques individuels. Les partisans d'une gestion privée n'ignorent
pas les inégalités qu'elle engendre, mais ils jugent naturel que les riches se
protègent, comme ils s'habillent et se nourrissent mieux que les pauvres. Au
contraire, les adeptes d'une protection collective posent en principe l'égalité
des citoyens devant les risques involontaires et prônent la gratuité du service
public. Pourtant, malgré le préjugé favorable que rencontre cette attitude,
n'oublions jamais que derrière les apparences, la réalité peut se révéler moins
conforme à nos voeux. Pour que l'égalité soit
véritablement assurée, il est indispensable que « l'offre publique de
sécurité » ne soit pas « rationnée ». La dépense sociale doit
répondre, sans limitation à la demande, sinon seuls les plus riches pourront
compenser les défaillances du système en recourant à des services privés et
l'inégalité perverse réapparaîtra. C'est pourquoi, sans prendre parti sur
l'efficacité comparée des deux modes de gestion, il faut seulement reconnaître qu'à l'échelle de la communauté,
ils concourent par le même processus, à rendre les mêmes services. Ils
interposent une création d'emploi, une activité, du temps échangé, privé ou
public, entre le risque et le protégé ».
49 : « The monopoly
of credit ». Nous avons traduit par « taux »
l'expression « rate » employée par C.H. Douglas. Ce terme impliquant
également la notion de vitesse, on retiendra surtout que c'est la différence de
vélocité monétaire des groupes A et B qui exprime la déficience constante du
pouvoir d'achat immédiat et le recours
constant au crédit ex- nihilo
50 : Dans le cadre d'une Fédération spatiale et organique, l'Etat ne peut se concevoir que comme l'agrégation des corps intermédiaires, territoriaux et fonctionnels. En fonction du principe de subsidiarité, l'Etat confédéral envisagé du dernier niveau, ne se voit plus attribuer que des missions supplétives que les organismes de plus bas niveau ne peuvent accomplir par eux-mêmes. Son action devient donc subsidiaire et s'inscrit en complément et coordination des différents organismes décentralisés. Dès lors, son budget s’amoindrit d'autant qu'il rétrocède les pouvoirs aux organismes plus proches des populations.
51 : A cet effet, seuls les biens de production consommables ont été retenus. Les biens d'équipement supposant une épargne préalable sont, dans ce schéma, financés par des capitaux ne constituant pas un pouvoir d'achat immédiat, et donc assimilés au groupe b.
52 : Dans le système actuel, le fournisseur
n'a pas le choix: soit il répercute la hausse des prix avec l'inflation
qui l’accompagne, soit il ne la répercute pas, avec la baisse de
l'investissement ou la non distribution des gains de productivité future que
cela implique. Il ne lui reste plus alors qu'une solution si, par la force des
choses il refuse ces contraintes: emprunter.
54 : Aussi évident que soit ce fait, il n'est pas moins vrai que jusqu'ici aucun théoricien de l'intérêt n'a remarqué cet avantage, Proudhon lui-même ne le vit pas (Note de Silvio Gesell).
55 : Tous les biens se déprécient, en dehors
peut-être des métaux précieux et des pierreries que l'on enferme dans des
coffres-forts dont on paie la location (Note de S. Gesell).
56 : Selon la formule Kn
=K0.(1+i)n. Dans notre exemple, le capital à terme de
259.374 francs est égal au capital prêté
de départ multiplié par 1,10 élevé à la puissance 10
58 : Les notes qui suivent sur la doctrine
traditionnelle de l'Eglise sur l'usure reprennent l'étude « Finance et
Politique » du 20 juillet 1990 publiée par l'Action Familiale et Scolaire.
59 : Notre documentation sur la « riba » islamique est tirée de l'ouvrage du Dr. Zouheir
Obeidi, « La Banque Islamique, une nouvelle
technique d'investissement », Ed. Dar Al Rashad
al Islamiya, Beyrouth, 1988.
60 :
Depuis ces dernières années, des initiatives issues de la société civile
s’inscrivent dans cette démarche ; par
exemple les Club d’Investissement et de Gestion
Locale de l’Epargne (CIGALEs), l’Association pour le Développement de
l’Initiative Economique (ADIE), la Nouvelle Economie Fraternelle (NEF) et la
Caisse Solidaire. La plupart de ces organismes obtinrent le statut
d’établissement de crédit, au sens de la loi bancaire de 1984, grâce à
l’adossement au Crédit Coopératif.
62 : Une première version de cette proposition de
loi fut déposée le 14 décembre 1980 sous le n¹ 2111
64 : Hyacinthe Dubreuil, (1883-1971), syndicaliste,
sociologue, membre du Bureau International du Travail de 1930 à 1938, et de l'Académie des Sciences Morales et
Politiques en 1967.
65 : A titre d'exemple, citons l'initiative de M. Raymond Barre, le 30 mai 1978, qui confia à Jacques Mayoux la présidence d'un groupe de réflexion sur la décentralisation financière. Il s'agissait de permettre aux acteurs économiques locaux, spécialement les PMI/PME de mieux trouver à proximité les ressources financières en fonds propres et le crédit dont ils avaient besoin, de sorte que les décisions en la matière soient prises de manière décentralisée en pleine connaissance des problèmes des entreprises concernées. Le but des CIGALEs précédemment cités est identique.
66 : Affirmer que la stabilité monétaire est la
garante des libertés économiques et sociales implique que l'ordre financier
soit subordonné à cette finalité. Si la libre circulation des capitaux ne pose
pas de problèmes s'il y a équilibre de
la balance des paiements, il en va tout autrement lorsque celle-ci accuse un
déficit. Dans le cadre d'accords unilatéraux, le système des caisses de
conversion de H. Schacht qui octroyait des crédits en monnaie nationale aux
pays créanciers peut-être envisagé. Il n'en est pas de même dans le cadre d'accords
multilatéraux où il conviendrait, plus que jamais, de responsabiliser dans les
faits et dans les textes, les organismes prêteurs et emprunteurs. Une
législation à cet effet ne serait pas inutile, comme le demande le Groupe des
quinze pays en développement ou G15 depuis 1989.
68 : Qui suppose donc « pour son existence le
concours de deux ou plusieurs libertés. La liberté de chacun rencontrant dans
la liberté d'autrui, non plus une limite comme dans la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen de 1793, mais un auxiliaire... » (P.J.Proudhon, Confession d'un révolutionnaire, 1865).
69 : « La fin des monstres. Idée d'une organisation contraire à la centralisation et à l'étatisme », Grasset, 1938
70 : Dans
sa définition, « Association durable et réciproquement profitable entre
deux ou plusieurs êtres humains. C'est le caractère de réciprocité que nous
soulignons ici.
74 : « Le véritable intéressement des
travailleurs à la vie de l'entreprise ». Ed. de l'entreprise moderne, 1969
80 : Le plan initial de Siéyés supposait un véritable dispositif d’arpenteur afin de que ne subsiste plus aucune trace des divisions ancestrales. On prenait Paris pour centre et on formait un carré parfait de 18 lieues sur 18 et ainsi de suite jusqu'à la frontière.
81 : Rabaut Saint Etienne
écrivait dans l'Almanach de la Révolution, 1ère édition: « Ainsi l'on a pu dire qu'il n'y avait
plus de provinces, ce mot a même disparu de notre langue. Ainsi le royaume fut
un, et la crainte des républiques fédératives fut dissipée ».
86 : En fin 1995, en France, l’endettement Intérieur Total comprenant les dettes privées et publique s’élevait à 10586,4 milliards de francs. Ces dettes sont, d’une façon ou d’une autre, incorporées dans les coûts de production. C’est-à-dire que chacun de 58,3 millions de citoyens recensés, même juste né, a une dette de 181 584,9 francs. Le défi de nos propositions de crédit social mutualisé est de convertir ces dettes en dividendes.
87: Rappelons pour mémoire que la Constitution du 4 octobre 1958 a limité strictement le domaine de la loi et mis en place tout un arsenal de dispositions qui rationalise le pouvoir législatif et accroît le pouvoir exécutif,, article 37 élargissant le pouvoir réglementaire, ordre du jour, limitation de la durée des sessions parlementaires, article 38 sur les ordonnances, article 45 sur la faculté de refuser ou de faire adopter une loi. Bien différente était la situation sous la III e République où la puissance du pouvoir législatif, bien qu'inconsistant, était bien réel: 110 ministères de 1871 à 1940.
88 : Monde associatif, qu'il soit économique,
domestique, social, universitaire, mais également les familles, les
entreprises, les associations de défense de l'environnement et du cadre de vie,
des parents d'élèves, des contribuables, des droits de l'homme, de l'enfant, de
la femme, des usagers, des amis des bêtes, sans oublier les sociétés
philanthropiques, scientifiques, sportives, artistiques, culturelles et
cultuelles, les fédérations syndicales, professionnelles, les associations de
locataires, les syndics de copropriétaires, les clubs d'investissements, cette
énumération étant naturellement loin d'être épuisée.
89: « Mémoire pour servir à l'histoire du droit public de la France en matière d'impôts », Bruxelles, 1799.
92 : Cf. supra: Avant propos sur la critique que fit P.J. Proudhon du discours de J.Baptiste Say sur l'économie.
93 : Mgr. Landrieux, 1920, cité par M. Duperray, Docteur en théologie, « La question sociale », 1937.
97 : Soulignons, d’une part, que les allocations
familiales n’offrent pas un pouvoir d’achat suffisant dû au respect de l’enfant
et de sa prime éducation, et d’autre part que les arguments anti-natalistes
reposent sur deux principaux sophismes: 1- « La terre est trop
peuplée », ce qui en soit est une ineptie. La terre est mal peuplée serait
plus juste. Bien que ses ressources puissent raisonnablement, sur le très long
terme, répondre aux besoins humains, elles sont mal utilisées et gaspillées.
Après de longues controverses, la FAO (Food and
Agriculture Organisation) concluait, dès 1971, dans sa revue: « On ne
peut pas justifier la limitation
de la population par l'argument qu'il serait impossible de nourrir la
population mondiale. Il est en effet impossible maintenant de fixer des limites
aux possibilités de production alimentaire ». Il est acquis aujourd'hui
que la terre pourrait nourrir, en utilisant des méthodes rationnelles, trente
fois la population actuelle du globe. L'accroissement des populations inquiéta
de tous temps les chercheurs. Ce fut l'honneur du pasteur Thomas Malthus de
reconnaître, à ce sujet, son erreur initiale. Cela-dit, la mauvaise utilisation
des ressources terrestres est bien évidemment consécutive à un système
financier qui ne répond pas à sa mission, qui appauvrit plus qu'il n'enrichit
l'humanité, et règne en maître et en tyran. Par ailleurs, dans le contexte
actuel, nous ne voyons pas pourquoi le congé
post-natal serait uniquement attribué aux femmes. Celui-ci incite
les employeurs à embaucher de préférence des hommes et à
pratiquer un sexisme hypocrite. Attribué à l'un ou l'autre des conjoints,
l'employeur ne sachant lequel des deux prendra ces congés, les conditions
d'embauche seront plus équitables.
2 - « Un enfant est un futur chômeur » est le second sophisme utilisé. Diriger une entreprise, c'est prévoir. Prévoir les fluctuations du marché, de l'offre et de la demande. Si la population d'un espace donné stagne ou régresse, l'entreprise en tire les conséquences: la demande de biens et services va diminuer (la demande devient marginale quand le besoin essentiel, primaire, est satisfait), ce qui implique qu'il va, par suite, diminuer ses investissements productifs, et de fait, créer du chômage. Dès lors, la dénatalité favorise la récession.
106 : Le juriste Léon Duguyt,
compagnon du sociologue Emile Durkeim, n'affirmait-il
pas que « L'Etat n'est pas une
puissance qui commande comme on a voulu le faire croire, mais une coopération
de services publics contrôlés par des gouvernements ».
108 : Rappelons ici pour illustrer notre propos l'ironie du suffrage universel. Le 5 mai 1946, le premier texte constitutionnel de la IV e République fut refusé avec 37% de oui par rapport aux inscrits. Mais, par contre, le second texte constitutionnel, fut, lui, adopté avec seulement 36 % de oui par rapport aux inscrits, et promulgué le 27 octobre 1946... De nos jours, le civisme et la politique n'ayant plus que de très lointains et rares rapports, une majorité peut imposer sa loi avec quelques 10 % des inscrits.
109 : Quand bien même cette désignation se ferait
par tirage au sort, elle serait toujours plus fiable que le mode électif, de
surenchère électorale, du fait majoritaire, qui ne repose que sur la discorde
permanente, l'exaltation des haines, que pour mieux acheter ou faciliter
l'abandon des souverainetés citoyennes1
114 : L'assemblée nationale élue au suffrage universel direct élisait
un conseil exécutif de 25 membres subordonnés. La Constittution
de la Convention inspira la Constitution soviétique.
115 : Dans un discours du 18 floréal an II (7 mai
1794), Robespierre dénonça également, selon sa propre expression, « le
fédéralisme domestique », c'est-à-dire la tendance qu'avaient les familles
à faire corps dans l'Etat
116 : Toute différente est la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation qui impose les mêmes pouvoirs statutaires à 36430 communes, qu'il s'agisse d'une ville de 10.000 ou de 500.000 habitants. Cette aberration administrative ne peut être qu'inappropriée et inadaptée à la diversité et à la richesse des espaces communaux.
117 : Mihail Manoilesko« Le siècle du corporatisme », édition Lacan 1934, cité par « Hommes et Métiers » n¹164, oct.1967.
118 : Congrégation pour la Doctrine de la Foi, la
liberté chrétienne et la libération, 22 mars 1986.
120 : Idée énoncée dans « La fin des monstres. Idée d'une
organisation contraire à la centralisation et à l'étatisme », Hyacinthe
Dubreuil, 1938.
121 : A titre d’exemple, en 1995, l’ensemble des
impôts indirects, impôt sur le revenu (303,5 Mds. F), impôts sur les sociétés (155,5 Mds. F) et autres impôts
indirects (117,7 Mds. F) représentait 576,7 Mds. F ou 43,42 % des recettes fiscales nettes (1328 Mds. F)
ou 9,1 % du revenu national (6294 Mds. F).
122 : Par exemple, en ce qui concerne
l'enseignement, service non marchand, le sénat inter-corporatif pourrait
contracter avec autant de corps professionnels et associations civiles qu'il
est possible. Dans le modèle proudhonnien, c'était la
compagnie ouvrière qui assurait l'apprentissage professionnel des nouveaux
venus, gérait les centres de formation professionnelle, et participait à la
définition des programmes d'enseignement général des écoles