Edito :
juin 2007 : A propos
de la “TVA sociale”
Asseoir la contribution sociale sur les revenus et la consommation ? Une réforme pertinente consisterait à libérer le coût
du travail des charges sociales qui pèsent sur lui et à les remplacer par des
prélèvements effectués sur une autre base, une autre assiette fiscale, qui ne
pénalise pas l’emploi.
- On pourrait donc transférer tout ou partie de ces
prélèvements sur les revenus, c’est-à-dire les affecter sur l’impôt sur le
revenu ou sur la contribution sociale généralisée (CSG) dont l’objectif était
initialement de compléter le financement de la protection sociale, ou sur la
consommation des ménages par un impôt qui s’apparenterait à la TVA. Lors de l’instauration de la CSG, en 1991, il fut
constaté qu’en Europe, les pays où les
cotisations sociales étaient très élevées (19,6 % du PIB en France en 1992)
étaient ceux dont l'impôt sur le revenu avait le plus faible rendement (5,9 %
du PIB en France), alors que ceux où les cotisations sociales étaient faibles
(1,6 % du PIB au Danemark) avaient l'impôt sur le revenu le plus important
(28 % du PIB au Danemark). Mais un transfert des cotisations sur l’impôt sur
le revenu n’apparut pas pertinent en France, notamment en raison du nombre de
ménages non imposables qui y échappent et des multiples minorations et niches
fiscales dont il est l’objet. C’est
donc un nouvel impôt, la CSG, dont l’assiette couvrait l'ensemble des
revenus, y compris les revenus de transfert et du patrimoine, qui eut pour objectif
de financer une partie des dépenses de Sécurité Sociale. - On pourrait également transférer une partie de ces
cotisations sur une contribution ou taxe sociale sur la valeur ajoutée (TVA
sociale) dont le principe s’apparente à celui de la taxe sur la valeur
ajoutée (TVA), comme d’ailleurs le fit le Danemark en 1989. Ceci permettrait
de surcroît de favoriser les entreprises de main d’oeuvre et de faire
participer les importations au financement de la protection sociale : Comme la TVA, la TVA sociale s’applique sur chaque
valeur ajoutée au bien ou service mis en vente et collectée par les
fournisseurs. Elle élargit ainsi considérablement l’assiette du recouvrement
de la dépense de protection sociale puisque la consommation est une assiette
de prélèvement beaucoup plus large et partagée que l’emploi. Elle n’alourdit
pas le budget des entreprises, ne diminue pas ses revenus, ne pénalise pas
l’investissement, mais couvre tous les facteurs de production sans causer
d’effet dissuasif sur l’activité. Elle ne constituerait pas une charge pour
l’entreprise, apparaissant comme la
TVA dans les comptes de tiers du plan comptable général, à la différence des
autres impôts et charges qui apparaissent dans les comptes de charges. En
revanche, à la différence des charges sociales, la TVA sociale est exigée sur
la vente des produits nationaux ou importés, mais ne s’applique pas aux
produits importés vendus hors taxes. Elle permet de réduire de moitié le coût du travail,
de baisser les prix des produits
nationaux relativement à ceux des produits étrangers. Elle diminue les prix
des biens nécessitant de la main d’œuvre, c’est-à-dire des produits
manufacturiers, mais augmente celui des produits des entreprises de haute
technologie ou délocalisées. Elle protége donc l’emploi [2]. Il est évident que les
charges sociales appliquées sur les salaires
pénalisent les entreprises de main d’œuvre et les emplois à faible productivité par rapport aux
entreprises de haute technologie. En effet, une entreprise de services dont
les salaires déterminent la quasi totalité du coût des prestations, répercute le coût des
charges sociales (salariales et patronales) sur ses prix de vente. A
l’inverse, une société de haute technologie ou peu manufacturière pratiquera
des prix quasiment exempts de charges sociales. Mais après le transfert des
charges sur la TVA sociale les produits de ces deux types d’entreprise
supportent à égalité le coût de la
protection sociale. De la même façon, elle
réduit la différence de prix entre un produit national et un produit importé.
Le transfert des charges sur la TVA
sociale augmente le prix des produits importés puisque les taxes sur la
consommation y sont appliquées, mais il diminue les prix à l’exportation
puisque les taxes sur la consommation n’y sont pas répercutées. La TVA sociale peut ainsi
freiner les importations et soutenir les exportations, réduire le mouvement
des délocalisations industrielles effectuées par les entreprises pour
échapper aux poids des charges sociales pesant sur les salaires. De surcroît,
en dépliant les cotisations sociales effectives du salaire, les augmentations
salariales péseront moins sur le coût du travail.
La TVA sociale est cependant dénoncée pour des
raisons souvent divergentes. - Pour les uns, elle occulte la croissance du budget
social, notamment depuis les dernières décennies du XXe
siècle, qui tend à détourner la
ressource financière du secteur marchand. Ceux-là proposent la suppression
du système de Sécurité sociale et son
remplacement « par un système d’assurance où les cotisations seraient
proportionnelles aux risques et non aux revenus[3].»
- Pour d’autres, elle pénalisera des secteurs qui,
parce qu’ils connaissent une forte productivité, entraînent la croissance
économique qui engendre à son tour des emplois nouveaux. - Certains soulignent que les hausses d’imposition
sur la consommation se répercutent davantage sur les prix que les cotisations
sociales et seraient donc des facteurs d’inflation, notamment si les
entreprises ne jouent pas le jeu et ne répercutent pas les baisses du coût du
travail. - Pour d’autres enfin, comme tout impôt indirect,
c’est-à-dire qui repose in fine sur la consommation, elle pénalise les
personnes qui ayant de faibles revenus en consacrent la totalité à consommer.
Ils sont en conséquence taxés à hauteur de l’ensemble de leurs revenus alors
que ceux qui en épargnent ou peuvent en épargner ne sont taxés qu’à hauteur
de la partie de leurs revenus consacrés à la consommation. Ainsi, plus la
propension à épargner se réduit, plus le revenu est taxé. Ces critiques ne sont pas sans fondement mais
n’invalident pas pour autant la pertinence de la TVA sociale. Il conviendrait
sans doute de sortir du cadre de référence fiscale pour dépasser ces
critiques en autorisant un régime d’assurances, sans doute obligatoire, lié
au risques et aux revenus, tout en dotant chacun d’un revenu indépendant des
aléas économiques et sociaux, partiellement dédié à la protection
sociale. Ainsi, par manque d’audace, les effets attendus de
la TVA sociale demeurent limités. On sait en effet qu’une réduction de 1 % du coût du
travail représente environ 1,1 % de TVA supplémentaire[4].
Nous constatons d’ailleurs la constance de ces données dans le tableau
ci-dessous sur les « Equivalences des cotisations sociales effectives,
taxe sur la valeur ajoutée et coût du travail ».
1 : en milliards d’euros. Sources :
TEF INSEE Indépendamment des recettes des cotisations sociales
effectives et de celles de la TVA, un pour cent (1 %) supplémentaire de TVA
permettrait de réduire les charges sociales
de 2,22 % à 2,29 % dans les
années considérées. Ce qui revient à dire, si l’on admet que les charges
sociales salariales et patronales couvrent en moyenne 38,5 % du coût du
travail, qu’une augmentation de 1 % de
TVA affecté au financement des cotisations sociales effectives reviendrait à
réduire le coût du travail français d’environ 0,85 % à 0,88 %. En admettant ces équivalences, on s’aperçoit qu’il
existe de grandes différences entre le transfert d’une simple fraction des
cotisations du risque santé et le transfert intégral de l’ensemble des
cotisations sur la TVA sociale. Par exemple, transférer environ la moitié des
cotisations de santé (soit 15 % de l’ensemble des cotisations sociales
effectives) revient à réduire le coût du travail de 5,77 %. En prenant comme
référence les « coûts du travail dans le monde » des tableaux
suivants, cette réduction porterait à 94,2 % de sa valeur le coût du travail
français (indice 94,2), ce qui le
placerait encore au dessus du niveau des coûts du travail des pays
européens du sud et des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), et
bien- des coûts du travail des pays émergents de l’Asie du sud-est.
Si, en revanche, nous transférons la totalité des charges
sociales sur une TVA sociale, le coût du travail français se réduirait d’au
moins 38,5 % et atteindrait l’indice 61,5 dans les tableaux précédents, soit,
dans la première partie de la décennie 2000, encore au dessus des pays
asiatiques et émergents. Cependant, l’instauration d’une TVA sociale
finançant la totalité des cotisations sociales effectives aurait pour
conséquence de créer de graves distorsions redistributives. En effet, c’est
un principe de proportionnalité qui détermine notamment les droits aux
allocations de chômage et aux pensions de retraite. Les droits à une pension
de retraite, dégressifs en fonction du nombre de trimestres travaillés, sont
égaux à une fraction du revenu salarial. Les droits aux allocations chômage
sont également une fraction du revenu salarial. Or, des cotisations sociales
prélevées sur les revenus affectés à la consommation ne peuvent être
proportionnelles aux revenus du
travail, puisque que chaque agent ne consomme pas un part égale de ces
derniers. On sait que si la propension
à consommer les revenus du travail diffère d’un agent à l’autre, cette
propension est d’autant plus élevée que les revenus sont bas (en revanche, la
propension à épargner s’élève avec les revenus). Ainsi 1 % prélevé sur les
revenus consommés représentera 1 % des revenus du travail d’un agent qui en
consomme la totalité mais 0,5 % d’un agent qui n’en consomme que la moitié.
Le premier agent sera ici deux fois plus taxé que le second. La rupture du
lien de proportionnalité entre les revenus du travail et les droits qui y
sont attachés (allocations chômage et
pension de retraite) crée donc des
distorsions sociales illégitimes. Corriger ses distorsions par un système de
pondération fiscale reposant sur d’autres assiettes risque cependant d’un altérer
l’efficacité. En fait, il faut distinguer les deux logiques qui
président au transfert des charges sociales finançant les cotisations
sociales effectives sur une fiscalité sur la consommation ou TVA sociale.
L’une est sociale, l’autre économique, l’une s’attache à pérenniser le système de protection
sociale par répartition, l’autre cherche à réduire le coût du travail pour
augmenter la compétitivité de la production. · Le système de protection sociale par répartition
repose sur une solidarité entre les populations actives et les populations
inactives. Les sommes notamment prélevées sur les revenus du travail sont
dirigées vers des caisses de répartition et redistribuées aux ayant-droits,
chômeurs, malades et retraités. On sait que ce système est menacé par la
croissance de la charge sociale rapportée à la croissance des revenus du
travail. Cette distorsion, qui a notamment pour origine la dénatalité
française, mais également européenne, corrélative à l’allongement de la durée
de vie, dégrade considérablement les qualités de ce système. Rappelons que le
seul maintien du niveau des retraites implique une augmentation de la charge
de 176 % à l’horizon 2040. Pour le compléter, voire le remplacer, des
systèmes sociaux par capitalisation sont envisagés. Il s’agirait là de
systèmes d’assurance privée qui permettraient de capitaliser les sommes
épargnées. C’est le principe des fonds de pension et fonds de capitalisation
à long terme. Ces fonds peuvent être alimentés par des cotisations
d’employeurs et de salariés que leurs gestionnaires gèrent et placent sur les
marchés financiers. Ces épargnes procureront à terme une rente viagère,
c’est-à-dire un revenu versé périodiquement et à vie - aux salariés. Ces systèmes de protection sociale par
capitalisation répondent à une logique individualiste qui ignore le principe
de péréquation solidaire entre membres. Pour atténuer les risques de ces
systèmes de capitalisation (risques d’exclusion sociale, risque de krach ou
de dépréciation des placements), la Banque mondiale a proposé d'instaurer un
système de retraite reposant sur trois piliers, tout d’abord un système
d’assistance obligatoire financé par l’impôt
en faveur des plus démunis, puis un régime obligatoire de capitalisation
privée, et enfin une épargne retraite facultative reposant sur la
capitalisation privée.
Les premiers relèvent d’une démarche personnelle, même
s’il semble raisonnable que la collectivité puisse ici fournir une base et
imposer une assurance minimale obligatoire, attendu que la capacité à se
comporter en agent économique rationnel n’est ni universelle ni également
partagée. Le principe assurantiel garantit aux agents une proportionnalité
entre la couverture du risque et la prestation reçue. En revanche, les seconds doivent relever d’un
financement collectif dans lequel chacun peut participer à hauteur de ses
revenus sans pour autant que la prestation reçue soit proportionnelle à la
couverture risque. · La logique économique s’attache, dans un monde
concurrentiel, à dissocier le coût de la protection sociale des revenus du
travail, afin de réduire le coût du travail. Il reste que ce dernier, après
déduction des charges sociales patronales et salariales, reste bien supérieur
à celui de pays émergents. La question peut dès lors se poser de savoir
jusqu’où cette logique du moindre coût du travail peut aller. De surcroit, il
semble, en la matière, plus conséquent et juste de dénoncer les distorsions
commerciales occasionnées par le
flottement du dollar, monnaie internationale, qui constitue le plus puissant
protectionnisme qui soit. Ainsi, tous les biens et services importés libellés
en dollars ont bénéficié d’une réduction de prix de près de 40 % en février
2005 par rapport à octobre 2000, comme l’expose le tableau suivant.
Si nous admettons l’hypothèse d’un transfert de la
totalité des charges sociales sur une assiette fiscale, nous obtiendrons, en 2006,
une réduction du coût du travail d’environ 38,5 % comme il fut dit plus haut.
Valeur que nous retrouvons dans les distorsions monétaires génératrices de
rentes commerciales. En conclusion, on soulignera que : - l’augmentation des prélèvements obligatoires par
rapport au PIB résulte essentiellement, depuis 1970, de la croissance du
budget social ; - le budget social, pénalise le pouvoir d’achat des
actifs - dont il détourne une part croissante des revenus - au bénéfice des
inactifs âgés ; il favorise ainsi l’inversion de la pyramide des âges et
l’implosion démographique qui ruinent les pays européens ; - enfin, dans un contexte de libre échange
international, le budget social financé par les cotisations sociales,
renchérit le coût du travail. Un nouveau modèle de budget social reste à inventer. Il devra notamment
ne pas pénaliser les populations actives afin de rétablir un équilibre
démographique sain et ne pas renchérir le coût du travail. ------------------------------------ 1] - Cette réforme fut notamment présentée chez Pierre Aunac, Une économie au service de l’homme, (L’Harmattan 2000) et par Philippe Marini, Rapport d’information n°55 (2003-2004), Sénat 2003. [2] - Pascal Salin, Le Figaro
du 23 novembre 2004. [3]
- En retenant 38,5 % de charges sociales sur le coût du travail (dont 28,71 %
patronales et 9,79 % salariales) selon notre estimation précédente (cf.
Chapitre 14, Tableau :
Composantes du coût du travail), on peut estimer, en 2005, une réduction de 1
% du coût du travail égale à 1/38,5 des
cotisations sociales effectives, soit 7,26 milliards d’euros qui équivalent à 1,13 % de TVA
(soit 7,26/6,41). Janpier Dutrieux, juin 2007 janpier.dutrieux@worldonline.fr
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[1] : J’ai obtenu cette
estimation en reprenant les cotisations sociales obligatoires sur salaire au 1er
janvier 2006 (source Chambre du Commerce et de l’Industrie de Seine
Saint-Denis) avec, dans la part patronale : assurance maladie invalidité
décés 12,80 %, assurance vieillesse plafonnée 8,30 %, assurance vieillesse
déplafonnée 1,60 %, contribution de solidarité autonome 0,30 %, allocations
familiales 5,40 %, accident du travail : taux variable apprécié ici pour
1,50 %, reversées aux URSAFF, construction logement FNAL 0,50 %, chômage emploi
4,19 % (dont Fonds garantie salaires AGS 0,15 % et assurance chômage 4,04 %),
reversées aux ASSEDIC, retraite complémentaire 4,50 %, AGFF cadre et non cadre
1,20 %, reversées aux caisses de retraite, et dans la part salariale :
assurance maladie invalidité décés 0,75 %, assurance vieillesse plafonnée 6,65 %, assurance vieillesse déplafonnée 0,10
%, (URSAFF), chômage emploi 2,44 % (ASSEDIC), retraite complémentaire 3 %, AGFF
cadre et non cadre 0,80 % (caisses de retraite). Il s’agit donc de la charge
minimale des cotisations sociales qui pèse sur un salaire supérieur à 1,6 SMIC
au 1er janvier 2006. Les salaires inférieurs à ce seuil bénéficient
de mesures d’allégement de cotisations sociales patronales depuis 1993
(ristournes Juppé, allégement Aubry, etc).
[2] - Cette réforme fut notamment présentée chez Pierre Aunac, Une économie au service de l’homme, (L’Harmattan 2000) et par Philippe Marini, Rapport d’information n°55 (2003-2004), Sénat 2003.
[3] - Pascal Salin, Le Figaro du
23 novembre 2004.
[4] - En retenant 38,5 % de
charges sociales sur le coût du travail (dont 28,71 % patronales et 9,79 %
salariales) selon notre estimation précédente (cf. Chapitre 14, Tableau : Composantes du coût du
travail), on peut estimer, en 2005, une réduction de 1 % du coût du travail
égale à 1/38,5 des cotisations sociales effectives,
soit 7,26 milliards d’euros qui
équivalent à 1,13 % de TVA (soit 7,26/6,41).