Edito : janvier 2008

 

La crise des crédits immobiliers subprimes

 

 

1. L’étincelle

Nous sommes à la fin des années 1990. Le marché immobilier américain est tendanciellement à la hausse. Les taux d’intérêt de la FED (Réserve fédérale) sont  alors peu élevés. Assurées de la hausse progressive de l’immobilier et conscientes de la faiblesse des taux d’intérêt, les banques et les sociétés de prêts immobiliers se lancent dans la distribution de crédits immobiliers hypothécaires (ou mortage), à taux variables, et  à hauts risques (subprimes) auprès d’une clientèle à bas revenus, et en situation précaire. Avec la hausse, chacun espérait revendre plus cher. Pour se procurer des liquidités et conforter leur bilan, ces banques et sociétés de prêt revendirent leurs créances à risque auprès d’autres banques et de fonds spéculatifs 1 sur les marchés boursiers internationaux en les titrisant 2. Par exemple, la Banque de Chine détenait 10 milliards de dollars en titre « subprime » en fin août 2007.

Cependant, la FED commença à relever ses taux d’intérêt dans le courant de l’année 2004. Les banques qui avaient consenti les prêts immobiliers commencèrent alors à solliciter très agressivement tous les propriétaires (par courrier, téléphone, etc.) pour les inciter à monétiser leur plus value immobilière, c’est-à-dire à reprendre un crédit pour financer la hausse du crédit en cours souscrit à taux variable. Aux Etats-Unis, en effet, le bien acheté à crédit est hypothéqué et permet de garantir de nouveaux crédits.

Malgré ces nouveaux crédits, de nombreux ménages ne purent plus financer leurs crédits. Leurs biens immobiliers furent mis en vente.

 

Taux d'intérêt américains

Le graphique ci-dessous montre (courbe en escalier inférieure) les taux d'intérêt de référence de la Réserve fédérale (la « FED »), qui sont restés à 2 % ou en dessous jusqu'à l'automne 2004.

 

Source : danielmartin.eu/Economie/deficitsUS.htm

 

Mais, conséquence de la hausse des taux d’intérêt, la valeur de l’immobilier baissa alors que les taux d’intérêt s’élevaient. Avec des prêts à taux variables, les ménages ne purent plus rembourser une valeur immobilière achetée au plus haut prix. Les banques qui avaient prêté ne purent plus recouvrer leurs créances puisque la valeur du bien  baissait sur le marché. Il en fut de même des autres banques et fonds qui avaient racheté ses créances titrisées.

Les premières difficultés du crédit hypothécaire américain apparurent en fin 2006.

Les procédures de saisie s’élevèrent aux Etats-Unis et dépassèrent le million dans les 6 premiers mois de 2007, soit une procédure sur 112 foyers, notamment en Californie, en Floride, au Michigan, en Ohio et en Géorgie. Les emprunteurs se retrouvèrent à la rue, les prêteurs en faillite, les titres subprimes se négociaient de moins en moins sur les marchés financiers, les banques manquaient de liquidités, les clients perdaient confiance, le crédit allait manquer, l’activité économique se réduire, les marchés s’étioler et les bourses des valeurs s’effondrer.

 

2. Le vent incendiaire

La titrisation des créances à risque (supprime) a permis aux banques qui avaient accordé ces crédits immobiliers à des ménages américains de s’en débarrasser et de transférer le risque de non recouvrement aux institutions financières acquéreuses (banques et fonds spéculatifs notamment) sur un marché international.   

« La mondialisation financière fait qu’il est bien difficile, si le feu n’est pas circonscrit au départ, de l’arrêter ensuite. Il explique que les difficultés d’un compartiment très étroit du crédit immobilier américain se transforment en une crise bancaire puis monétaire et financière sur toute la planète. Tout le monde est aujourd’hui concerné par ce qui se passe chez son voisin 3. »

 

La création monétaire : Le banquier joue entre les flux entrants (dépôts nouveaux et retour de crédits consentis) et sortants (crédits consentis) en créant de la monnaie (de crédit bancaire ex nihilo) par duplication monétaire (en accordant des crédits de plus long terme que les dépôts qui les couvrent). Autrement dit, il prête de l’argent qu’il ne possède pas dans ses caisses. Il prête en anticipant la rentrée de dépôts : ce sont les crédits qui font les dépôts.

Banque centrale : Quand une banque (secondaire) manque de dépôts pour couvrir les retraits, elle se refinance auprès d’autres banques (marché interbancaire) ou, à défaut, auprès de la Banque centrale, préteur en dernier ressort. La Banque centrale dispose de plusieurs instruments de régulation monétaire (taux d’intérêt, appel d’offres, prise en pension, réserves obligatoires, open market).

 

 

Création et destruction monétaires : « (...) C’est le principe fondamental de la création monétaire : si je fais un crédit papier de 100 et si je sais qu’une grande partie de ce crédit reviendra chez moi banquier, je peux multiplier le crédit bien au-delà du stock d’or dont je dispose. (...) Le mécanisme est décrit dans l’adage : « les prêts font les dépôts ». Le crédit fait les dépôts, il fait l’argent. Et non l’inverse ! Avis à ceux qui croient que l’épargne fait l’argent. Quel contresens économique !

(...) Mais la vraie garantie de la création monétaire, c’est l’anticipation de l’activité économique, du cycle production consommation. Encore faut-il que cette anticipation soit saine : toute création monétaire saine débouche sur une destruction monétaire équivalente.

(...) Nous percevons mieux la nature de la monnaie : des dettes (des créances sur la banque émettrice) qui circulent. Des dettes qui, si elles sont saines, doivent, par l’activité économique, provoquer leur remboursement.

Aujourd’hui, la monnaie est détachée de tout support matériel, on peut en créer à l’infini. »

Bernard Maris, Anti-manuel d’économie, éd. Bréal, oct. 2003, p. 219

 

Les banques n’osèrent plus se prêter mutuellement des liquidités contre des titres. La crise immobilière dégénéra ainsi en crise des marchés, puis en crise du crédit. Quelques conséquences :  BNP Paribas annonça le gel de 3 SICAV monétaires investies dans des titres adossés à des crédits subprimes américains le jeudi 9 août,  le lendemain les Bourses mondiales enregistraient le risque : - 3,71 % à Londres, - 3,13 à Paris, - 1,48 % à Frankfort, - 3,05 à Amsterdam, - 4,20 % à Séoul. Le 16 septembre, la clientèle de la banque britannique Northern rock commença à former de longues files d’attente pour retirer leurs dépôts. Plus de 8 % de ses dépôts totaux, soit plus de trois milliards d’euros,  furent  retirés 4.  Les Banques centrales, prêteurs en dernier ressort, prirent conscience du risque d’assèchement monétaire (credit crunch), et des conséquences systémiques (effet domino, effet papillon, contagion et récession) de la crise. La BCE fut la première à injecter des liquidités à court terme (148 milliards d’euros le 9 août) suivie par la FED (59 milliards de dollars le 10 août), qui baissa fin 2007 ses taux de 0,75 % en les ramenant à 3,50 %. En fin janvier 2008, son principal taux était raméné à 3 % contre 5,25 % en août 2007. Conséquence, le dollar baissa encore,  élevant mécaniquement l’euro. Un euro valait 1,4905 dollar le 31 janvier 2008. Les Européens apprécient.  

 

Enfin, ce furent les fonds souverains 5 qui vinrent investir dans les banques et les sociétés qui accusaient des dépréciations de capital consécutives à la crise des  titres subprimes en les privant d’une partie de leur indépendance. De nombreuses banques, ébranlées par cette crise, autorisèrent l’arrivée dans leur capital de fonds souverains (Citygroup, Barclays, Fortis). Ainsi, le 11 décembre 2007, UBS, première banque suisse, qui annonçait des pertes capitalistiques de 10 milliards de dollars (6,8 milliards d’euros). fit appel à l’Agence d’investissement du gouvernement de Singapour, qui y investit 6,6 milliards d’euros, soit 9 % du capital.

Mais ces actions ne semblent pas suffire  pour ramener la confiance. L’action des Banques centrales devient toujours plus délicate. Une baisse des taux d’intérêt peut être mal interprétée par les marchés ou ne profiter qu’à des opérations spéculatives avec effet de levier (LBO) 6 sans entraîner la production. Les craintes que cette crise affecte l’économie réelle,  et en premier lieu, les Etats-Unis, locomotive (à crédit)  du  monde, et dégénère en récession mondiale, sont d’actualité.

 

3. Boucs émissaires et critiques

Comme dans chaque crise ou krach, on recherche des coupables. En  1929, ce furent les ventes à découvert, en 1987, les programmes automatiques d’achats et de ventes, en 2007, on accusa l’opacité des bilans des banques qui ne font pas apparaitre les crédits à risques, les agences de notation 7 accusées d’apprécier la rentabilité au détriment de la sécurité, et les fonds d’investissements et spéculatifs « hedge funds ».

Cette crise résulte de deux facteurs :

1- elle fut généré parce que l’on a prêté à des gens peu solvables lorsque les taux d’intérêt étaient bas.

2- elle s’intensifia car les prix de l’immobilier baissèrent. Baisse consécutive à la remontée des taux d’intérêt de la FED.

C’est une conséquence de la baisse des prix de l’immobilier et des facilités monétaires.

 

La crise des subprimes est la première grande crise systémique bancaire qui trouve son origine dans les crédits des ménages.

 

On notera que la BCE fut a priori « la plus active, en injectant plus de 250 milliards d’euros, une opération qui a eu pour effet de provoquer un gonflement de la masse monétaire, donc en totale contradiction avec son discours de vigilance anti-inflationniste.»

Inversement, on peut se demander pourquoi dès la fin 2006, « la FED n’a rien entrepris pour tenter d’éteindre l’incendie avant qu’il ne se propage. Les Banques centrales censées veiller à la stabilité financière mondiale ne viennent pas seulement de démontrer leur impuissance à prévenir les crises, mais aussi leur incapacité à les gérer en douceur » 8.

 

On oublie trop souvent l’analyse de Clément Juglar : « Qu’est-ce que le crédit », soulignait-il, c’est « le simple pouvoir d’acheter en échange d’une promesse de payer », mais comme « la fonction d’une banque ou d’un banquier est d’acheter des dettes avec des promesses de payer, (....) la pratique seule du crédit amène ainsi, par l’abus qu’on est porté à en faire, aux crises commerciales » 9. 

 

« Les banques créent de la monnaie très simplement. Lorsque le titulaire d’un compte obtient un prêt à court terme (moins d’un an), par exemple une avance sur salaire : dans ce cas, la banque inscrit au crédit du bénéficiaire la somme demandée (d’où le terme de crédit). Elle a créé de la monnaie scripturale à partir de rien. Une inscription sur un compte lui a suffit. »

Denis Clerc, Déchiffrer l’économie, La découverte, Poche, 15 édit. 2004, chapitre 4 La monnaie et le crédit, p. 163.

 

On se permettra également de critiquer in fine le dogme monétariste de la BCE et d’une façon générale  l’incapacité des Banques centrales (c’est-à-dire du politique) à discipliner les marchés.

On sait ainsi que pour garantir la stabilité des prix en dessous de 2 %, la BCE a défini une norme de progression de M3  (agrégat monétaire de référence) de 4,5 %, soit 2,5 % au titre de la croissance et 2 % d’inflation tolérée. Mais, pendant le 1er semestre 2007, la progression fut de 10,9 %.

M3 est l’agrégat monétaire de référence et incorpore la monnaie stricto sensu, c’est-à-à-dire les billets et les dépôts à vue (M1), les placements à court terme (M2-M1) et les placements à plus long terme (M3-M2). Le tableau ci-dessous récapitule la part de chaque agrégat incorporé dans M3. Puis, il note la contribution de chacun de ces agrégats intermédiaires la croissance de M3.

 

Part de la croissance de M3 dévolue à ses agrégats intermédiaires pendant le 1er semestre 2007. 10

 

Structure  de M3

Contribution à la croissance de la masse monétaire

M1 (billets, DAV)

47 %

31 %

M2-M1 (placements)

38 %

44 %

M3 –M2 (actifs financiers négociables)

15 %

25 %

Total M3

100 %

100 %

 

On constate ainsi que seuls 31 % de la création monétaire vinrent abonder M1, agrégat de la monnaie stricto sensu qui alimente les échanges dans le circuit économique de la production et de la consommation des biens et services. En revanche, 69 % de cette création monétaire se sont transformés en placements et actifs financiers et vinrent ainsi alimenter les marchés financiers.

Autrement dit, la BCE nourrit l’inflation des marchés financiers, les opérations de levier, la spéculation sur les marchés immobiliers mais s’avère incapable de rendre à la monnaie sa fonction initiale de faciliter l’activité économique. 

 

4. Notre conclusion

Les crises commerciales, bancaires et financières ne datent pas d’aujourd’hui. Cependant, la responsabilité individuelle restait circonscrite aux seuls preneurs de risques (banques, épargnants trop avides, entrepreneurs). Au XIXe siècle, la discipline de l’étalon or qui exigeait la couverture intégrale de tous les crédits par des dépôts, et des dépôts par des encaisses 11, limitait, voire supprimait, le refinancement aujourd’hui contraint par le risque systémique de la Banque centrale « prêteur en dernier ressort ».

Mais cette exigence de couverture intégrale de tous les crédits par des dépôts de terme aussi long qui était à l’origine de la théorie bancaire fut progressivement abandonnée. Elle n’est plus imposée aux établissements bancaires dont la fonction s’avère commerciale que d’intérêt public et social. Nombreux sont les observateurs qui déplorent que les Banques centrales si réservées pour injecter de nouvelles liquidités afin de soutenir l’activité  économique et les investissements à long terme, souvent publics car peu rentables à court terme, soient en revanche d’une obséquieuse générosité pour renflouer les pertes des banques secondaires et de quelques spéculateurs. Mais pour comprendre cette immorale servilité, il convient certainement de rappeler qu’à l’origine  du débat sur la fonction du prêteur en dernier ressort, au XIXe siècle en Grande Bretagne, « le comité parlementaire de 1858 avait décrit la Banque d’Angleterre comme « la banque en dernier ressort en cas de panique »12. Autrement dit, la fonction d’émission monétaire de la Banque centrale se limitait à la sauvegarde d’un système frauduleux (prêter ce que l’on ne possède pas) et au maintien des privilèges de la caste des rentiers au détriment de celle des entrepreneurs. Les choses n’ont guère changées depuis. La chrématistique est toujours bien servie.

 

Il faut rendre aux Etats et à leurs Banques centrales le monopole naturel et historique de création monétaire au service de l’humanité, du bien commun et de la pérennité planétaire. Il faut revenir à une couverture intégrale des crédits pas les dépôts, et des dépôts par des encaisses en monnaie de base (ou centrale).

Il reste que l’accumulation des dettes dans les pays développés, aux Etats-Unis comme en Europe, provoquera encore demain d’autres chocs, crises et krachs conséquences des premiers ou totalement indépendants. De surcroît, la baisse des taux d’intérêt américains enchérira mécaniquement l’euro et pénalisera l’économie européenne. Stagnation, récession, crises bancaires et boursières, ainsi s’ouvre 2008.

 

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 1- On distinguera les fonds de pension, les fonds d’investissement, les fonds spéculatifs « hedge funds » et les fonds souverains.

2- La tiirisation consiste à «  substituer à des formules de crédit bancaire des formules de titres négociables ou de contrats portant sur ces titres, émis dans le public » (arrêté du 11 janvier 1990, JO du 31 janvier 1990). C’est une technique qui consiste à vendre la dette que l’on possède sur un tiers à un autre agent financier. On crée par exemple un fonds de créance, on peut également créer des titres mêlant des produits hauts risques et très rentables et des produits plus stables. Ces produits sont devenus de moins en moins transparents et de plus en plus complexes pour le commun des investisseurs.

3 - Pierre-Antoine Delhommais, Les leçons de la crise financière, Le Monde du 23 août 2007.

4] - Pourtant, cette banque n’était pas la plus exposée à la crise et n’avait seulement que 0,47 % de dettes à risque dans le total de ses prêts. Mais  elle s’est retrouvée à court de liquidités car les autres banques ne voulurent plus lui prêter. Pour éviter la faillite, la Banque d’Angleterre vint à son secours. C’est le risque du système lié à la création monétaire  bancaire ex nihilo qui  explosa ici.

5 - Les fonds souverains sont des fonds d’investissement d’Etat ou publics chargés de gérer l’épargne nationale dans des placements financiers ou immobiliers divers, puis l’instauration de la libre circulation des capitaux, les fonds souverains tendent à se développer et à être potentiellement déstabilisateurs, compte tenu de leur capacité d’acquisition d’entreprises stratégiques.

6 - Pour mémoire, l’endettement des ménages a beaucoup augmenté aux Etats-Unis et en Europe depuis 2002 et celui des entreprises depuis 2005. Mais il a  surtout servi à financer les rachats par les sociétés de leurs propres actions. On note aussi l’importance de la part croissante des rachats par endettement opérés par les fonds de « leverage buy-out » (LBO) et les entreprises, ainsi que par les   fonds spéculatifs (hedge funds), et  à l’inverse, la part devenue marginale des investissements productifs, en raison des taux élevé d’autofinancement des entreprises. (Patrick Artus, directeur de recherche économique chez Natixis, (note de Juillet 2007) Le Monde du 28 août 2007).

7 - Les agences de notation (dont les 3 principales sont Standard & Poor’s, Moody’s et Fisch) sont chargés de noter la solidité des établissements financiers et le risque des produits qu’ils proposent.

8 - Pierre Antoine Delhommais, Le Monde du 17 et 23 août 2007.

9  - Clément Juglar, (1919-1905) Les crises commerciales et leur retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, 1862.

10 - Selon les données de Jean-Marie Harribey,  Banques centrales irresponsables, Le Monde du 15/09/07.

11 - Ainsi, jusqu’en 1914, chaque déposant pouvait exiger le remboursement de son billet de banque dans le poids or garanti qu’il représentait..

12 - Jérome de Boyer, Ricardo Solis Rosales, Les approches classiques du prêteur en dernier ressort : de Baring à Hawtrey. Qu’a-t-on appris sur le prêteur en dernier essort depuis Thornton ? Cahier d’économie n°45, automne 2003, L’Harmattan., p. 80

 

 

Janpier Dutrieux, janvier 2008

janpier.dutrieux@worldonline.fr

   

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