Edito 01.2004 :

Le dollar est leur monnaie, mais c’est notre problème.

 

Le titre de cet article parodie le  propos, devenu célèbre, du secrétaire d’Etat au Trésor américain du président Nixon, John Connaly, qui parlant des autres pays, soulignait que « le dollar est notre monnaie, mais il est leur problème ». L ‘actualité comme l’Histoire démontre cette évidence.

 

1- Un peu d’histoire.

En 1944, à Bretton Woods, un système de changes fixes est instauré dans lequel chaque monnaie a une parité définie en or et en dollar. Dans ce système, le dollar est indexé sur l’or à hauteur de 35 dollars  l’once, valeur qu’il détient depuis janvier 1934. Il devient la seule monnaie internationale. Chaque Banque centrale était tenue d’intervenir pour maintenir le taux de change de sa monnaie. Mais cette convertibilité du dollar en or fut supprimée le 15 août 1971 par le Président Nixon afin de limiter la fuite de l’or consécutive au financement de la balance des paiements des Etats-Unis.  Ce fut la fin de ce système de taux de change fixe qui fut entérinée par les accords de la Jamaïque de 1976 au profit d’un système de taux de changes flottants. Depuis l’or est démonétisé, mais le dollar demeure toujours prépondérant dans les échanges mondiaux, bien que l’euro naissant puisse le concurrencer à terme.Depuis la fin de la parité fixe entre le dollar et l’or, le 15 août 1971, les Etats-Unis peuvent faire financer leurs déficits par le reste du monde en pratiquant  « un déficit sans larmes » dénoncé par Jacques Rueff  en son temps.

Mais en acceptant que la monnaie nationale des Etats-Unis, le dollar, devienne la monnaie internationale, les Etats du reste du monde acceptaient que la balance des paiements américaine soit déficitaire. En effet, afin de satisfaire les besoins mondiaux du commerce extérieur en monnaie internationale, les places étrangères devaient posséder, en or et en dollars, une valeur supérieure à celle que détenaient les Etats-Unis en devises étrangères. Ils évitaient que le commerce international ne se rétracte par réduction des importations des places étrangères ou par des dévaluations successives de leur devise. Dès lors, les réserves aurifères de change des Etats-Unis qui s’élevaient à 80 % du stock d’or total des Banques centrales en 1944 ne cessèrent de décliner pour n’atteindre que 26 % en 1973. Dans ces conditions, le dollar ne pouvait plus être considéré comme en 1944  comme « aussi bon que l’or ». Que l’on se souvienne, en juillet 1973, le dollar était tombé à 3,84 francs, ce qui correspondrait aujourd’hui à un cours de à 0,59 euro pour un dollar. Mais, en 1981, après l’élection du président Reagan, La FED, craignant des risques inflationnistes, augmenta ses taux d’intérêt, ce qui fit grimper le dollar jusqu’à 10,61 francs, en février 1985, soit une équivalence actuelle de 1,62 euro pour un dollar, pour retomber à 6 francs au début 1987. Enfin, en avril 1995, le dollar tomba à 4,90 francs, soit 0,75 euro pour un dollar..

 

2- Taux de change, théories et pratiques.

Plusieurs facteurs peuvent influencer le taux de change :

1- Le solde des comptes de  la balance des paiements. Si celui-ci est négatif, ceci implique que la demande de monnaie nationale est inférieure à son offre. Son taux de change baissera. Inversement, si le solde est positif, la demande de monnaie nationale est supérieure à son offre. Son taux de change s’élèvera.  

2- L’inflation. Si la monnaie nationale est inflationniste, les prix s’élèvent, ce qui entraîne une baisse des exportations et une hausse des importations. Cette situation modifie le solde des comptes de la balance des paiements.

3- Les taux d’intérêt. Si la Banque centrale augmente ses taux d’intérêt, elle réduira l’inflation et attirera des capitaux étrangers, ce qui améliorera le solde de la balance des paiements.

4- La théorie du portefeuille. Derrière cette théorie, on place un certain nombre de comportements des agents qui peuvent influencer les placements étrangers. Par exemple, les décisions d’achats de titres en fonction des rendements, les anticipations des paramètres  financiers et diverses spéculations.

Dans la pratique, il en va cependant autrement. On sait que le comportement des intervenants des marchés est souvent mimétique, on sait également que les spéculateurs essayent d’anticiper la valeur qui sera donnée à un actif par le marché indépendamment de la valeur qu’ils lui donnent. De fait, les marchés ont pour habitude de sur-réagir à un mouvement de baisse ou de hausse. 

 

3- L’actualité.  

Les investisseurs préfèrent ainsi, depuis un an, placer leurs capitaux sur des marchés à forte rentabilité en profitant des taux d’intérêt de la Banque Centrale Européenne (BCE) supérieurs à ceux de la FED (Banque centrale américaine),  dont le principal taux  est de 1%.Par exemple, un Américain investissant dans le CAC 40 en 2003 a vu son placement bénéficier d’un  gain de 38 % alors qu’en réalité l’indice boursier de Paris n’a gagné que 16,12 %, soit un gain de 21,88 % réalisé grâce aux effets de change. L’euro qui oscillait autour d’un dollar peu de temps après sa création en janvier 1999  (1,16 dollar le 4 javier 1999, puis 1 dollar en mars 2000) a atteint 1,28 dollar le 6 janvier 2004. Il s’est apprécié de 22 % face à lui en 2003.. Une hausse de 10 % de l’euro ampute la croissance d’un point, aussi l’appréciation du dollar pésera sur la croissance européenne, tandis que la chute du dollar pèsera davantage sur les pays exportateurs et investisseurs que sur les Etats-Unis. Si cette hausse continue, les européens peuvent oublier  l’espoir d’une croissance de 2 % en 2004.

La BCE a pris la décision de laisser son principal taux d’intérêt à 2% en soulignant que malgré l’évolution des taux de change « la croissance des exportations devrait continuer à bénéficier de l’expansion de l’économie mondiale ». Cependant, de nombreux experts estiment qu’une baisse de ses taux pourraient avoir lieu si l’euro grimpait entre 1,35 et 1,40 dollar. Le commissaire européen Pascal Lamy estime de son côté que le seuil d’inquiétude pour la compétitivité européenne n’est pas loin. Selon le nobel d’économie Joseph Stiglitz, la BCE devrait baisser ses taux pour stabiliser les taux de change et aider l’économie européenne. Mais la BCE n’est pas au service de l’économie, elle est au service d’une idéologie libérale elle même au service des rentiers de la Bourse, de la Banque et de la finance.

Ce contexte de stagnation économique ne pourra cependant pas servir la BCE dont l’unité de pensée du conseil des gouverneurs a reçu quelques atteintes, ni les souhaits du gouvernement français de lutter contre le chômage. Il reste que la revalorisation de l’euro pénalise l’économie de tous les pays européens, même si pour certains « l’économie exportatrice allemande est extraordinairement concurrentielle » (Théo Steg, porte parole du gouvernement allemand), ou si « les avantages de la hausse dépassent ses inconvénients » (Noélle Lenoir, ministre aux affaires européennes), mais d’une façon générale, toutes les exportations européennes sont pénalisées. Malgré les réunions européennes, les marchés risquent davantage de suivre les directions du G7, avec le cas échéant des interventions concertées des banques centrales, en février prochaiN.    

Mais la question que soulève ces réactions est celle de la responsabilité des taux de change dans l’espace européen.

Aux  Etats-Unis, c’est le Trésor qui détermine la politique de change du dollar qui sera mis en œuvre par la FED. Seul le secrétaire du Trésor peut commenter l’évolution du dollar, alors que le président de la FED reste muet. Dans l’Union européenne, en principe, le conseil des ministres détermine la politique du change qui est mise en œuvre par la BCE. Pour le moins, c’est que dit l’article 109.2 du traité de Maastricht qui indique que «  le Conseil, statuant à majorité qualifiée, soit sur recommandation de la Commission, soit après consultation de la BCE, peut formuler des orientations de changes » dans la mesure où elles n’affectent pas la stabilité des prix, disposition précisée par le Conseil européen de Luxembourg de décembre 1997. Mais dans les faits, c’est la BCE qui en assure la décision. Dans les faits, depuis la création de l’euro en 1999, par manque d’unité des ministres. Il conviendrait que les textes, notamment la Constitution européenne, permette de créer les conditions d’un réel dialogue entre BCE et gouvernements en qualifiant un seul ministre des finances responsable du taux des changes Ceci suppose sans doute la création d’une Etat européen.

Si personne aujourd’hui n’a la responsabilité du taux de change de l’euro, cette carence ne peut profiter qu’aux Etats-Unis, à la Chine et au Japon, qui tous les trois ont des politiques de change bien affirmée. John Sonw, secrétaire d’Etat au Trésor américain, donc responsable du taux de change du dollar, laisse faire le marché et filer le dollar. La Chine laisse sa monnaie, le yuan, résolument rivé au dollar, et le Japon mène une politique du yen bas.  Les avoirs internationaux en devise sont couverts par 68,5 % en dollars et par 13 % en euros.

 Reste à savoir quelle sera la réaction des Banques centrales ? Elles pourront, soit, entamer un processus de coopération internationale, soit, au contraire, de guerre monétaire. Si l’entrée de capitaux se tarit aux Etats-Unis, la Bourse de New-York comme les déficits américains ne pourront plus être financés. Ils le sont pour l’instant en quasi exclusivité grâce aux capitaux asiatiques, et notamment chinois, qui s’investissent en dollars à hauteur de …..  Quelles en seront les conséquences ? Un krach du dollar réduira bien sûr le pouvoir d’achat des Américains, mais surtout « ceux des travailleurs dont les produits sont exportés vers les Etats-Unis et les investisseurs dont les placements sont faits en dollars », explique J. Bradford Delong (Université de Berkeley). Dans ce contexte, la Chine, premier investisseur, et l’Union européenne, première exportatrice, seront les premières victimes.

D’autres économistes comme Stephan Roach (Morgan Stanley) estime que la baisse du dollar est indispensable si le monde entend se défaire de sa dépendance économique vis à vis des Etats-Unis. Depuis 10 ans, les Européens, comme les Japonais, ayant été incapables de stimuler leur demande intérieure, le rééquilibrage de la croissance mondiale passerait selon lui, par la résorption du déficit américain et par le réalignement du taux de change du dollar »..

 4- Nos conclusions.

Comme la dette des Etats-Unis croît au rythme de 500 milliards de dollars par an, la question est de savoir, si le reste du monde arrêtait de le financer, quelles en seraient les retombées  Or, sur les 10 derniers mois, 76 milliards seulement furent investis aux Etats Unis. Au regard du déficit américain de 500 milliards de dollars en 2003, ce montant est ridicule et pourrait indiquer le début d’un mouvement de chute du dollar. Cependant, les Etats-Unis pourraient connaître une croissance de leur PIB de 4 % en 2004 alors que celle de l’Union européenne est encore estimée à 1,5 %. Mais cette croissance économique américaine creuse le déficit commercial, car si les Américains achètent des produits importés, ils exportent moins, faute de demande du reste du monde, et notamment de l’Union européenne. C’est donc pour eux la stagnation économique européenne qui précipite la chute du dollar. Mais cet argument ne s’applique pas à la Chine dont la monnaie, le yuang, est rivé au dollar et est largement sous évalué. Aussi, les Etats-Unis envisageraient de mener une politique protectionniste à son égard en imposant des quotas sur les importations de textile chinois. Pourtant, notent les économistes, comme les Européens et les Japonais ont été incapables de stimuler leur demande intérieure depuis 10 ans, la croissance passe par la résorption du déficit américain. Le montant des réserves de change mondiales des Banques centrales était estimé, en fin 2003, à 2000 milliards de dollars alors que le montant quotidien des transactions sur le marché des changes s’élevaient à 1200 milliards de dollars. Les réserves en dollars des Banques mondiales se répartissent entre la Banque du Japon pour 645 milliards, la Banque de Chine pour 384 milliards (soit avec les autres Banques asiatiques 1600 milliards), la BCE pour 230 milliards, la Banque de Russie pour 66 milliards, la FED pour 40 milliards et la Banque d’Angleterre pour 17 milliards. Cependant, dans l’ensemble des flux commerciaux mondiaux, la place de l’euro demeure modeste, de l’ordre de 10 % à 15 % contre environ 40 % pour le dollar, selon un document du Parlement européen de mars 2003. La part dans les réserves en devises des Banques centrales de l’euro a augmenté, passant de 12,7 % fin 1999 à 18,7 % fin 2002, ce qui le laisse cependant très loin du dollar avec 64,5 % (FMI, 4e trimestre 2003).Les américains peuvent se permettre d’avoir la plus forte capitalisation boursière par citoyen puisqu’ils épargent à crédit sur le reste du monde. Comme certains observateurs le déplorent, l’Union européenne n’a pas été capable de générer une croissance économique en interne, et parie toujours sur ses exportations alors que subrepticement, des signes protectionnismes apparaissent. Or seul, une modification de l’actif du bilan de la BCE, autrement dit un changement des contreparties monétaires de l’euro, peut entraîner cette croissance. Comme nous ne cessons de le répéter, l’euro a environ 90 % de créances sur l’économie en contrepartie, c’est-à-dire des reconnaissances de dettes achetées aux banques commerciales (secondaires) par la BCE moyennant un escompte. L’émission de cette monnaie a donc un coût qui en réduit la demande.       

 Enfin , la baisse du dollar profite, certes, au placements en euros et en yens, mais c’est surtout les placements en or qui sont gagnants. L’or retrouve ainsi son rôle de valeur refuge. Ainsi, sur ces quelques trente dernières années, l’évolution du cours de l’or et celle du cours  du dollar soient diamétralement opposés. Après la suspension de la convertibilité du dollar en or en 1971, l’or passa de 100 dollars l’once en 1976 à 850 dollars en 1980. Entre 1976 et 1980, un mouvement quotidien de 1 % du dollar entraîne un mouvement contraire de l’or de 1,29 %. Entre 1991 et le 11 septembre 2001, un mouvement de 1 % du dollar n’entraînera plus qu’un mouvement contraire de 0,13 % de l’or. Cependant, la valeur de l’or face au dollar depuis 1971 a été multiplié par 5 en fin 2002, par 8 en fin 2003. Une dépréciation du dollar de 1 % conduit actuellement à une appréciation de 1, 04 % de l’or. L’once d’or pourrait aini prochainement atteindre les 450 dollars.

 

Janpier Dutrieux, janvier 2004

janpier.dutrieux@worldonline.fr

   

revenir à : Les éditoriaux de Fragments-diffusion

 

revenir à la page d'accueil