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aux dividendes familiaux |
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La croissance de la productivité, le coût du travail, salaires nets et charges inclus, l’essor de la concurrence et les ambitions des actionnaires, favorisent et développent depuis la fin de la décennie 1970 des phénomènes de précarité, d’exclusion et de pauvreté. Le seuil de pauvreté est fixé, conventionnellement, à la moitié du niveau de vie médian, soit environ 3650 francs pour l’année 2001 [1]. La notion de pauvreté recouvre, selon l’Union européenne, les individus, les familles et les groupes dont les ressources matérielles, culturelles, sociales, sont si faibles qu’ils sont exclus des modes de vie minimaux. Cette notion dépasse ainsi la seule dimension matérielle pour s’inscrire dans une optique plus globale se rapprochant du concept de développement humain mis en place par Amartya Sen [2]. La reconnaissance par l’Etat de cette multiplication des situations de pauvreté qui atteignait, en fin 1995, environ 3,3 millions de ménages, soit 6 millions de personnes ou un français sur dix, dont certains ne bénéficiaient d’aucun secours, fut à l’origine de la création des minima sociaux palliatifs. Il s’agissait d’assurer un revenu minimal aux personnes n’ayant pas ou trop peu de droits à percevoir des prestations sociales d’allocations de chômage ou de pension de retraite, par exemple. L’attribution de ces revenus fut, dès l’origine, conditionnée par la situation des bénéficiaires Il y avait, en fin 2000, huit minima sociaux en France, alloués par conséquent aux exclus de la protection sociale, dont quatre dispensés à 90 % des bénéficiaires. Il s’agissait du revenu minimum garanti (RMI) limité aux agents de plus de 25 ans, du minimum vieillesse (MV) réservé aux personnes de plus de 65 ans, de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) réservée aux personnes souffrant d’un handicap, et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) destinée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits, sous réserve d’activité antérieure. Ces minima sociaux évoluaient entre 2200 francs et 3433 francs en 1997 [3]. Ce dispositif social était complété par le minimum invalidité (MI), l’allocation de parent isolé (API), l’allocation d’assurance veuvage (AV) et l’allocation d’insertion (AI). Jusqu’en 1979 environ, le nombre des bénéficiaires de ces minima sociaux resta stable. Il augmenta ensuite, en partie, avec la mise en place de nouveaux minima pour atteindre 2,65 millions de personnes en début 1985. Avec la création du RMI en 1989, ce nombre fut porté à 3 millions dès fin 1990.
Minima sociaux et travailleurs pauvres
Cependant, cette progression de 43 % des bénéficiaires de minima sociaux de 1980 à 1995 ne couvre que très partiellement la réalité de la pauvreté en France. Celle-ci s’étend également parmi les populations actives occupées, c’est-à-dire ayant un emploi. Ces travailleurs actifs occupés ont des ressources issues du travail inférieures de moitié au revenu médian du travail. Recensés dans les pays anglo-saxons sous le qualificatif de « working poors », ces travailleurs pauvres représentaient 6 % de la population active occupée en 1996, soit 1,35 million de personnes dont environ un tiers en alternance entre emploi et inactivité, et deux tiers ayant exercé une activité en continu, notamment à durée déterminée ou à temps partiel. En France, un travailleur est reconnu pauvre si, d’une part, ses revenus du travail sont inférieurs au seuil de pauvreté, et d’autre part, s’il vit au sein d’un ménage pauvre. Les trois quarts de ces travailleurs avaient, en 1996, des revenus d’activité annuels inférieurs à 42.000 francs, soit 3500 francs par mois, soit 70 % du SMIC annuel en données de 1996 Mais tous les travailleurs gagnant moins que ce seuil n’étaient pas considérés comme pauvres car ils vivaient dans des types de ménages ou connaissaient une situation familiale qui ne les exposaient pas à la pauvreté [4]. L’apparition de cette nouvelle catégorie de travailleurs, ultime conséquence de l’évolution salariale de la société marchande, révèle cependant les limites des minima sociaux traditionnels. Ainsi, en France, à situation familiale équivalente, le taux d’imposition sur le revenu est plus conséquent sur les salaires élevés que sur les bas salaires ; les plus bas en sont, par exemple, exemptés. Par contre, quand un bénéficiaire de minima sociaux, du RMI par exemple, retrouvait un emploi, il en perdait le bénéfice puisque l'attribution de ceux-ci est conditionnée par l’absence de revenus du travail, ce qui, d’un certaine façon, imposait son salaire dans son intégralité. Laurent Fabius soulignait en février 2001 que « dans un foyer allocataire du RMI dont l’un des membres reprend une activité à plein temps rémunérée au SMIC, le gain réel n’est que de 4 francs par heure travaillée [5] . » Pour combattre ces distorsions et inciter les agents à rechercher et à accepter les offres d’emploi, quelque soit la nature, la durée et la rémunération du travail proposé, de nombreux Etats ont mis en place des palliatifs sous la forme de revenus de transfert qui viennent s’ajouter aux revenus du travail perçus, sous condition de ressources. Ces substituts sont inspirés de l’impôt négatif formulé en 1962 par Milton Friedman dans son ouvrage Capitalism and Fredom, et proposé en France par Lionel Stoléru en 1974. Il fut appliqué aux Etats-Unis dès 1975 avec l’Earned Income Taxe Credit. Il s’agissait d’un allocation différentielle périodique financée par l’Etat, redistribuée à toute personne résidente et majeure, qu’elle soit active ou non active, dont les revenus étaient inférieurs au seuil de pauvreté en vigueur,. En Grande Bretagne, une version communautaire de l’impôt négatif fut instaurée en 1999 avec le Working Families Tax Credit (WFTC) en faveur des familles avec enfants, aux revenus modestes et dont le temps d’activité minimale est de 16 heures par semaine. Un modèle proche fut adopté en France avec la prime pour l’emploi qui repose sur la notion de revenu familial du travail. Son attribution dépend du niveau et de la structure des rémunérations du ménage, en tenant compte des contraintes matérielles et financières qu’impose l’emploi, par exemple de transport, de garde des enfants, d’autant plus importantes que l’offre de travail est grande, notamment quand le revenu familial du travail provient de l’activité des deux actifs. Il reste qu’en privilégiant les familles disposant de deux revenus du travail au détriment de celles n’ayant qu’un seul revenu, à pouvoir d’achat égal, et celles dont les durées de travail cumulées sont les plus longues, cette prime exclut les populations les plus pauvres. En effet, celles-ci sont davantage caractérisées par la possession d’un seul emploi par famille, et très souvent discontinu ou à temps partiel. De surcroît, l’impôt négatif conçu, à l’origine, comme un moyen de supprimer et de simplifier toute une série de programmes sociaux, vient, a contrario, les accroître et en alourdir la gestion.
Les limites de la redistribution conditionnelle.
En définitive, il convient de remarquer que ces revenus présentent tous, qu’il s’agisse de minima sociaux attribués aux agents inactifs ou d’allocations différentielles versées aux actifs, les mêmes caractéristiques conditionnelles et redistributives, source de nouveaux déséquilibres. Tout d’abord, ces revenus sont tous supplétifs. Ils remplacent les revenus du travail mais ne les prolongent pas. L’impôt négatif, ou les formules s’en inspirant, est certes attribué en supplément de revenus du travail, mais il supplée le manque ou l’absence de productivité du travailleur ou la précarité du travail. Au demeurant, la réduction du coût de travail en dispensant l’employeur de paiement de tout ou partie des charges sociales permet d’atteindre le même résultat. Ainsi, ces revenus sont tous conditionnés à la présence de situations de handicaps de santé, d’épuisement des droits, d’insertion, de faible productivité, et à un plafond de ressources des agents. En second lieu, cette conditionnalité peut susciter et entraîner des distorsions de comportement qui en altèrent l’opportunité et la pertinence, ce qui nécessite des contrôles administratifs, augmente le coût des frais de gestion et en réduit l’efficacité. Par exemple, les aides aux parents isolés peuvent dissuader les couples de se déclarer ; les allocations destinées aux invalides et handicapés peuvent faire monter de façon anormale leur pourcentage dans la population ; les soutiens financiers aux étudiants peuvent retarder l’entrée dans la vie active de populations jeunes dont l’attrait pour les disciplines enseignées n’est pas probant. Mais surtout les aides apportées aux bas salaires, à productivité réduite, et aux emplois précaires, peuvent inciter les entreprises à répandre ces modèles d’emplois considérés du point de vue micro économique comme l’optimum de la gestion des ressources humaines. Les entreprises privilégieront ainsi des emplois précaires et à bas salaires pour bénéficier de subventions au détriment de celles utilisant davantage d’emplois stables ou à salaires plus élevés. Ces politiques de soutien fiscal aux bas salaires constitueront alors des subventions implicites au développement de la précarité de l’emploi. Enfin, les qualités conditionnelles et redistributives de ces revenus ne leur permettent pas d’être neutres relativement au marché de l’emploi et de l’allocation des ressources. L’offre de ces revenus conditionnels n’encourage pas à développer une plus grande productivité puisqu’elle reste conditionnée à la délivrance, par le travail, de faibles revenus, ou par l’occupation d’un emploi à faible productivité. Elle incite également l’entreprise à reporter sur un tiers, privé ou public, le coût et la charge de l’apprentissage et de la formation de l’agent. La mobilité professionnelle, présentée comme un signe de dynamisme, s’identifie alors à la précarité de l’emploi. Ce travail salarié, discontinu, et ces emplois instables, discontinus, ne permettent pas aux bénéficiaires de réaliser des investissements et des projets à plus ou moins long terme. C’est afin de compenser cette instabilité de l’emploi que Jean Boissonnat avait proposé la création de contrats d’activité liant entre les salariés et des collectifs d’employeurs. Ces contrats permettraient d’assurer aux salariés un revenu continu indépendamment de l’emploi et des droits à la formation et offrirait, en contrepartie, aux employeurs davantage de possibilités de mobilité et de flexibilité [6].
L'élargissement des écarts de productivité et la décroissance de l’emploi.
En fait, comme avait déjà souligné Philippe Van Parijs [7] , c’est, en partie, parce que le coût du travail, c’est-à-dire les revenus nets et les charges sociales dont patronales, peu ou non qualifié, est trop élevé par rapport aux gains de productivité qu’il engendre, que l’emploi devient rare. Par ailleurs, le coût des périodes d’insertion et de formation de certains agents sans ou avec peu de compétence et d’expérience, peut apparaître également trop important relativement aux bénéfices attendus. L’emploi décroît parce que le coût du travail et celui de la formation sont identiques ou excèdent le prix de vente des biens et des services créés. L’emploi peu ou non qualifié ne décroît pas parce que la quantité de travail est limitée, comme dans l’exemple cité de P.J. Proudhon du chapitre précédent. Il décroît parce que les écarts de productivité du travail offert, dans les branches et secteurs de production, se sont élargis au delà des possibilités offertes par la dispersion salariale, limitée à sa base par les minima salariaux légaux, comme le SMIC, mais contournés par les emplois aidés, les emplois solidarité, le temps partiel contraint et le travail non déclaré, et à son sommet, par la concurrence, également contournée par la distribution de rémunérations non salariales comme les options d’actions, ou stock options. C’est ainsi qu’il n’est plus guère concevable d’augmenter, relativement aux salaires média, les minima salariaux légaux, notamment des travailleurs employés à temps partiel, afin qu’ils échappent au seuil de pauvreté. Ces augmentations rendraient en effet l’emploi peu ou non qualifié encore plus rare parce que les conditions de productivité deviendraient encore plus sévères, ce qui éliminerait chaque fois de nouvelles tranches de population. La répartition des différentes productivités du travail requis par les branches de production fut pendant de nombreux siècles relativement concentrée. Mais l’essor continu des techniques depuis plus d’un siècle, et particulièrement marqué ces dernières décennies, a eu pour effet d’en favoriser la dispersion et d’en accroître les écarts. Ainsi, les productivités extrêmes ne peuvent plus s’exprimer à l’intérieur des limites des revenus minimum, légal ou moral, et maximum, contractuel et marchand. A défaut de limiter de façon légale la durée du travail à forte productivité et d’en libérer celle à faible productivité, la dispersion des revenus du travail continuera à produire des travailleurs pauvres, des emplois précaires et les manifestations d’exclusion qui en découlent. En France, afin d’en atténuer les effets, la loi contre l’exclusion du 29 juillet 1998 soulignait dans son article 9 que « les personnes bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (…) peuvent cumuler cette allocation avec les revenus tirés d’une activité professionnelle salariée ou non salariée ». Puis le cumul d’un salaire et d’un minimum social fut admis pendant trois mois, puis six à partir de septembre 2001. Ultime conséquence de la précarisation des emplois et du développement du travail intermittent, les délimitations traditionnelles des droits aux allocations de chômage et de l’aide sociale deviennent imprécises et fluctuantes.
Les
déséquilibres sociaux que les revenus conditionnels, redistributifs et
supplétifs, peuvent engendrer, justifient la pertinence de la distribution
d’un revenu inconditionnel et additionnel. Ce revenu inconditionnel, servi à
tous, de façon uniforme, indépendamment des autres revenus issus du travail
et de l’épargne, apporterait beaucoup à ceux qui ont peu et peu à ceux qui
ont beaucoup, relativement à leurs autres revenus. Il permettrait ainsi
l’élimination progressive de la pauvreté monétaire en resserrant
progressivement la dispersion des revenus. En effet, sa distribution
permettrait de réduire mécaniquement les écarts de revenus comme le Tableau
suivant sur « La réduction de la pauvreté monétaire par la distribution
inconditionnelle d’un revenu uniforme » l’expose.
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Avec RU : revenu unitaire, P = population, S = somme, x = moyenne arithmétique, m = médiane, RU+ : revenu unitaire auquel est ajouté un revenu uniforme de 1. Pour simplifier l’exposé, nous considérons une équirépartition des revenus à l’intérieur de chaque décile. Dans hypothèse de détermination du taux de pauvreté monétaire (I), le revenu médian qui divise la population en deux parties égales est de 3. Le seuil de pauvreté (moitié du revenu médian) sera estimé à 1,5 et concernera 25 agents [ 10 ³ à 1 + (50 % x 30) ³ à 2 ] pour un taux de pauvreté monétaire de 30 %. Dans l’hypothèse de réduction du taux de pauvreté monétaire (II), un revenu uniforme égal à 1 est distribué à tous les agents, le revenu médian sera de 4. Le seuil de pauvreté sera alors estimé à 2 et concernera 10 agents [10 ³ à 20] pour un taux de pauvreté monétaire de 26 %. Dans la seconde hypothèse, l’ensemble des revenus a globalement bénéficié d’une croissance de 24,8 %, ce qui est accessible en une petite décennie avec un taux de croissance de 2,5 %. La dispersion uniforme des revenus additionnels augmente les revenus du premier décile de 100 %, ceux du dernier décile de 10 %, et le revenu médian de 33 %.
Ces revenus uniformes, inconditionnels, qui peuvent être interprétés comme des dividendes de l’accroissement de la production collective et de la productivité des agents, auront de surcroît, pour conséquence, de supprimer tous les minima sociaux existants et les dispositifs et coûts administratifs que leur attribution exige Ils garantiront à tous l’assurance d’un revenu permanent, quelque soit l’intermittence du travail et la discontinuité de l’emploi qu’ils pourront permettre d’encourager au lieu de les freiner. Comme par ailleurs, nous avons pu observer dans nos précédents chapitres que l’interpénétration et le décloisonnement des marchés développent tout d’abord la gamme des prix, des salaires comme des systèmes sociaux, disponibles pour un même bien ou service, les écarts de revenus dans le monde s’accroîtront également, intensifiant les inégalités sociales et territoriales, même si à terme la répartition se nivelle. Les écarts de productivité provoqués par les innovations techniques inégalement réparties, l’interpénétration des marchés, augmentent tendanciellement la dispersion des revenus. Leur redistribution freine la croissance de la production. Par contre, l’allocation universelle d’un revenu uniforme réduit cette dispersion, dans un espace donné, reste neutre et ne pénalise pas le dynamisme économique.
[1] - Le seuil de pauvreté monétaire retenu par la Commission européenne est de 50 % du revenu moyen des ménages, celui de l’INSEE de 50 % du revenu médian, soit inférieur d’environ 15 % au seuil européen, puisque le revenu médian qui partage la population en deux groupes d’égale importance est inférieur au revenu moyen. [2] - Cf. chapitre 20. [3] - Rapport de Connaissance de l’emploi, des revenus et des coûts, CERC 1999, anciennement Centre d’études des Revenus et des coûts. [4] - Enquête Revenus fiscaux 1996, INSEE, et INSEE n° 745, octobre 2000. [5] - Laurent Fabius, Première lecture devant l’Assemblée Nationale du Projet de loi portant création d’une prime pour l’emploi, 6 février 2001. [6] - Le travail dans vingt ans, Rapport du Commissariat au Plan présidé par Jean Boissonnat, Odile Jacob 1995. [7] - Philippe Van Parijs, Qu’est-ce qu’une société juste ?, Refonder la solidarité, éd. du Cerf 1996
Janpier Dutrieux janpier.dutrieux@worldonline.fr
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