56- août 2002

 

Critique du libéralisme ou réforme du capitalisme

 

 

 

La crise de confiance qui secoue les institutions boursières et financières a suscité deux types de réactions : 1- L’évolution du libéralisme n’est pas viable ; 2- Il faut réformer le capitalisme.

 

1- Critique du libéralisme.

 

La crise que traverse le capitalisme n’a pas engendré de critique profonde de son système de financement.

Peu de voix osèrent dénoncer l’abandon du Glass Steagle act de 1933 que nous avons présenté dans nos lettres 54 et 55. Raison de plus de les citer. C’est le cas du sociologue Jean-Marc Salmon, qui, dans une virulente critique du libéralisme contemporain, dénonce à son tour cet abandon 1.

Pour Jean-Marc Salmon, la crise actuelle du libéralisme a plusieurs origines, notamment  la vitesse, la dérégulation, le culte du profit dans la société, l’abandon de l’économie politique.

 

§ La vitesse . La durée de possession des actions a baissé en une dizaine d’années afin de réaliser plus rapidement un gain. Cette réduction de la durée de possession des titres a entraîné une modification du comportement des entreprises, notamment dans la présentation des comptes.

 

§ La dérégulation et la suppression du Glass Steagle act.. La suppression du Glass Steagle act a supprimé la plupart des instances de contrôle. « En 1999, les Etats-Unis ont supprimé la réglementation interdisant à un établissement d’être à la fois une banque de détail et une banque d’affaires. Les grands établissements sont venus sur le terrain des banques d’affaires et se sont engouffrés sur le marché très rentable des mises en Bourse des sociétés non encore cotées. Ils ont pris des positions sur ces marchés. Cette abolition des barrières a entraîné un mélange des activités provoquant des conflits d’intérêt ».

 

 

7 mois de scandales financiers

aux Etats-Unis

Enron, courtier en énergie, Andersen, cabinet d’audit, Merrill Lynch, analyste financier, Global crossing, opérateur de réseaux de fibre optique, Adelphia Communications, cablo opérateur, Dynergy, courtier en énergie, Imdone, biotechnologie, Worldcom, télécommunications, Xéros, photocopieurs, aucun secteur ne semble épargné par la crise de confiance et et les scandales financiers depuis l’abolition du Glass Steagle act en 1999.

Le Glass Steagle act, adopté en 1933 sur l’initiative du sénateur Carter Glass et du représentant Henry Steagle, séparait les métiers des banques commerciales des banques d’affaires pour limiter les risques d’un nouveau krach boursier, après la crise 1929. Ce cloisonnement strict permettait d’éviter qu’un analyste financier ne conseille plus particulièrement les titres d’une entreprise. Cette loi fut notamment abrogée sous la pression des banques de dépôt et de crédit, tentées par les marges du courtage et des rachats d’entreprises.

 

§ Le culte du profit de l’ultra-libéralisme . La recherche du profit individuel est devenu un courant de pensée que Gary Becker, nobel d’économie 92 2, a formalisé avec la notion d’ultra libéralisme. Selon cette théorie, l’égoïsme guide les gens. Cette théorie fut critiquée par Paul Volker, ex président de la FED, qui dénonçait « la devise ambiante « greed is good », littéralement, l’avidité est une bonne chose.

Pourtant, la théorie néoclassique ne repose pas uniquement sur un comportement individuel. Adam Smith, rappelle l’économiste libéral F. Fukuyama (La confiance et la puissance, 1997), a aussi écrit une théorie morale des sentiments.

 

§ L’abandon de l’économie politique. Pour Fukuyama, cité par Salmon, l’un des problèmes de l’économie néoclassique est l’abandon de l’économie politique. « Il faut revenir à cette notion. Une grande partie de l’activité humaine n’est pas réductible à la seule motivation de la recherche du profit individuel ». Le nobel 2000 Amartya Sen soutient que d’autres motivations diverses et mélangées, d’ordre éthique ou collectif, participent de l’activité humaine.

Pour conclure, Jean-Marc Salmon souligne que des réformes techniques ne permettront pas de changer l’idéologie fondamentale du système.. Or, c’est sans doute celle-ci qu’il faut changer, car « le marché ne peut pas s’autoréguler ».

Peut-être entrons nous dans un nouveau cycle économique. Après une première phase libérale achevée avec la crise de 1929, une seconde commencée dans les années 1980 débouche sur l’ultra libéralisme. « Actuellement, nous sommes à un nouveau tournant ».

 

2- Il faut  réformer le capitalisme.

 

Le développement rapide du libéralisme dans le monde ne s’est pas accompagné d’une normalisation des instruments du capitalisme. Plusieurs redéfinitions permettraient de le réformer :

 

§ En améliorant le gouvernement d’entreprise. Les Conseils d’administration ne jouent pas suffisamment leur rôle de contre-pouvoir, mais se limitent trop à celui, passif, d’une chambre d’enregistrement. Les administrateurs devraient davantage être indépendants des activités contrôlées.

 

§ En instituant des normes comptables mondiales. L’Europe doit en 2005 adopter les normes de l’IASB alors que les Etats-Unis utilisent les normes du FASB. Cette différence de traitement des informations comptables a permis aux financiers de créer des outils d’analyse échappant à toute transparence.

 

Normes comptables et lobbying

Les entreprises n’emploient pas toutes les mêmes règles comptables. Deux systèmes régulés par des organismes privés et contrôlés a posteriori par les Etats se partagent les places financières :

- l’USGAPP (Generally Accepted Accounting Principles). émanant du Financial Accounting Standards Board (FASB) s’applique aux entreprises américaines,

- l’IAS ou IFRS, normes définies par l’International Accounting Standard Committee (IASG), à vocation internationale, et dont le président est Paul Volker (ex Pres. de la FED) s’applique aux entreprises européennes et dans une centaine de pays, via le conseil des normes comptables IASB.

Le 12 mars 2002, le Parlement européen a rendu obligatoire l’adoption des normes IASB pour les sociétés européennes cotées en Bourse, à partir de 2005.

Dans le contexte mondial actuel, les relations entre ces 2 systèmes sont devenues un mélange de mimétisme et de rivalité. En effet, note G. Gérard, membre de l’IASG, les normes comptables sont trop évolutives dans un contexte économique mouvant pour pouvoir être régulées par la loi, fut-elle internationale. « Le sujet est beaucoup trop complexe pour être confiée aux politiques. »  Ainsi, l’Union européenne peut rejeter les normes de l’IASB si elles sont contraires à l’intérêt public. Il reste que la divergence entre ces deux normes comptables internationales révèle de dangereux risques économiques.

 

La divergence d’interprétation

des normes FASB et IASB

§ Stock-options : Après un lobbying des entreprises, les normes FASB n’intègrent plus les stock-options dans les résultats.

Par contre les normes IASB prévoient d’intégrer les stock-options dans les charges à la valeur du jour où elles furent accordées.

§Evaluation des actifs ou créances bancaires : Traditionnellement, les actifs sont évalués sur une base historique, en fonction, pour les créances, du montant consenti, et des remboursements du capital.

Mais l’IASB suggère d’adopter la méthode de la « fair value » (juste valeur) en prenant en compte la valeur de l’actif ou créance à la date de bouclage des comptes de l’entreprise.

Mais « comment évaluer chaque année, au jour de la clôture des comptes, la valeur des actifs d’une entreprise, comme un immeuble du XVIIIe  siècle, qui puisse être significative si l’on garde l’actif sur une longue période ? » , s’interroge M. Pébereau, (Féd. Bancaire Française). Il en est de même de la valeur d’un portefeuille d’actions géré dans une perspective de long terme.

Cette technique introduirait ainsi autant de volatilité dans les comptes des entreprises que sur les marchés, mais refléterait davantage la valeur marchande des actifs.

§ Amortissement des acquisitions. Lors d’une fusion acquisition, la société cible est achetée à un prix supérieur à sa valeur présente. L’acheteur et le vendeur intègrent dans le prix les bénéfices que  la société cible achetée tirera de la fusion-acquisition. Cette survaleur (goddwill) est intégrée à l’actif de l’entreprise.

Jusque dans les années 1970, les sociétés américaines n’amortissaient pas cette survaleur, puis elles l’amortirent sur longue période (40 ans). Les entreprises françaises en firent autant.

Depuis 2001, les sociétés américaines aux normes FASB n’amortissent plus cette survaleur, mais seulement « des dépréciations éventuelles au cas par cas », ce qui explique les importantes pertes annoncées par les sociétés qui avaient fusionné précédemment (AOL, Time Warner, France Télécom).

 

§ En maîtrisant les incidences des stock-options. Les revenus provenant des stock options couvraient 80 % de la rémunération des cadres dirigeants américains à la fin du XXe siècle. Il devint alors pertinent pour eux de faire monter ces titres à court terme au détriment des stratégies à long terme de l’entreprise. Par ailleurs, les stock options ne sont pas comptabilisés aux Etats-Unis dans les dépenses des sociétés.

 

Le coût des stock-options.

Les stock-options sont des droits accordés à un salarié d’acheter à terme des actions de son entreprise à un prix fixé par avance.

En 1981, les revenus des 10 PDG les plus payés des Etats-Unis oscillaient entre 2,3 et 5,7 millions de dollars. Ils oscillaient en 2001 entre 64 et 706 millions de dollars, selon Business Week. Les jetons de présence des administrateurs d’Enron se montaient à 350.000 $ par an, pour l’essentiel sous forme de stock-options, le double de la rémunération versée en moyenne aux Etats-Unis par les 200 premières entreprises aux membres de leurs conseils.

Selon Paul Volker (ancien président de la FED), les stock-options avaient vocation à aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des investisseurs ; mais en fait, ils servent surtout à aligner les intérêts des actionnaires sur ceux des dirigeants. Ainsi, en fin 1990, les revenus provenant des stock-options couvraient près de 80 % des rémunérations des cadres dirigeants

Enfin, d’après la FED, le taux de croissance moyen des profits des 500 premières entreprises cotées, membres de l’indice Standar & Poor’500 aurait été réduit de près de 25 % si les groupes avaient inscrit les charges liées aux stocks options dans leurs comptes. Les firmes ont ainsi diminué de 56,4 milliards de dollars leurs impôts en 2000, grâce aux stock-options.

 

§ En maîtrisant l’influence des analystes financiers. De nombreux analystes financiers sont liés ou dépendent des entreprises. Il en est de même pour les cabinets d’audit jugés peu performants vis à vis des sociétés audités.

Soulignons à ce propos que la charge de travail de la Securites and exchange commission (SEC), créée en 1933 pour contrôler l’intégrité des marchés financiers, les opérations de Bourse, examiner les rapports et documents relatifs à l’entreprise,. a bondi depuis 6 ans alors que son personnel n’a guère augmenté.

 

§ En réduisant l’importance des agences de notation. Ces agences tentent de juger la solvabilité des entreprises mais ne peuvent garantir leur avenir. De surcroît, elles vivent souvent des subventions que leur délivrent les entreprises qu’elles notent.

 

§ En renforçant les autorités boursières de contrôle. Le renforcement des instruments de régulation (transparence commerciale, respect des actionnaires minoritaires) permettrait de renouer avec un code de déontologie.

 

§ Enfin, en combattant la dictature du court terme. La pression boursière et financière favorise la dictature du court terme, notamment avec les cotations trimestrielles, le fameux ratio de solvabilité de 15 %..

Janpier Dutrieux

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1- Le Monde du 09/07/02. Jean-Marc Salmon est l’auteur de « Un monde à grande vitesse, globalisation, mode d’emploi ».

2- Gary Stanley Becker, prix nobel d’économie 1992, pour « avoir étendu le domaine de l’analyse micro-économique à un grand nombre de comportements humains et à leur interaction, y compris à des comportements non-marchands ».

 

 

 

 

 

La monnaie, un fait social total de nature auto-référencielle

 

Michel Aglietta et André Orléan, fondateurs de la théorie de la régulation et  spécialistes des questions monétaires, ont publié fin avril 2002  (Odile Jacob)« La monnaie entre violence et confiance » 1, ouvrage qui s’inscrit dans la continuité de leurs travaux pluridisciplinaires, dans le prolongement de « La violence de la monnaie »  (1982) et de « La monnaie souveraine » (2000). Les deux auteurs hétérodoxes reprennent ainsi l’hypothèse mimétique girardienne par laquelle ils développent la thèse de la monnaie, objet d’expression de la souveraineté de la société d’appartenance. La monnaie est un fait social total qui précède la société marchande.

Nous présentons ici les conceptions monétaires et financières qui procèdent de cette hypothèse et alimentent des travaux susceptibles de nourrir un débat toujours actuel. Nous donnerons ultérieurement d’autres études sur ces approches encore minoritaires.

 

L’hypothèse mimétique girardienne : entre violence et confiance.

Le processus monétaire est analysé par M. Aglietta et A. Orléan à travers la réflexion du philosophe René Girard sur le mimétisme originel. « Pour Girard, le mimétisme est une donnée première de la psychologie humaine : l’homme souffre d’un manque d’être qui le pousse à chercher en autrui des réponses à ses questions. Il est en quête du désirable absolu dont la détention lui apporterait la plénitude, mais il ne sait pas de quoi cette chose est faite. Parce qu’il l’ignore, il cherche un modèle lui permettant d’identifier cette « chose » que tous convoitent également avec avidité.

Ce mimétisme conduit à une ambivalence comportementale entre violence et confiance qui se reportera sur la monnaie. Le fait que de nombreuses personnes désirent le même objet n'a pas d'effet pacifiant. La violence se nourrit d’elle-même. C’est une situation de violence maximale. Mais dans un groupe de personnes, la dynamique mimétique installera finalement une unanimité. René Girard voit dans cette unanimité l’expression de la violence sociale, celle de la foule coalisée contre une même victime..

La force de la pensée girardienne est de comprendre qu’entre l’ordre et la violence extrême et indifférenciée, telle que l’unanimité la produit, la différence est infime. Ainsi la polarisation de tous les désirs violents sur une même victime (le bouc émissaire) rend possible la paix sociale en désignant un responsable à tous les maux que la cité a connus. Son sacrifice, c’est l’occasion d’une réconciliation générale. En l’immolant, on éradique le mal, c’est la violence fondatrice. Le meurtre sacrificiel permet à la société de s’instaurer et de gérer rituellement sa violence.

 

L’élection- exclusion.

Il en sera de même en matière monétaire : l’unanimité, produite par le mimétisme originel, autour d’un même objet, créera l’ordre, le système de valeurs, et la reconnaissance commune de la richesse. « Autrement dit, tous finissent par partager la même vision de la richesse. »

Mais après avoir créé de la violence, la rivalité et le conflit vont se transformer par la reconnaissance unanime de son objet. «  Cette mutation est d’autant plus impressionnante pour les agents qui la vivent que l’unanimité, une fois obtenue, se reproduit mécaniquement et perdure. » Puisque les agents ont reconnu la richesse, ils n’ont plus à user de mimétisme. Ils n’imitent plus. Ils vont solidement croire en l’objet qu’ils ont élu comme richesse.

« Dans cette transformation, l’objet élu acquiert le statut d’institution socialement reconnue, et de ce fait, transitoirement détachée du mimétisme. » C’est évidemment la phase de confiance dans la monnaie qui est décrite ici.

En fait, dans le processus girardien, l’objet est élu puis exclu du champ mimétique. C’est le processus d’élection-exclusion qui fonde la théorie monétaire d’Aglietta et Orléan. Quand l’objet est élu par le groupe, puis exclu du champ mimétique, il permet d’exorciser la violence et d’autoriser la vie sociale. M. Aglietta et A. Orléan vont en tirer de premières remarques.

 

La monnaie, un fait social total de nature autoréférencielle

·        La monnaie est un bien autoréférenciel : Ce qui fait qu’un objet est monnaie, ce ne sont en rien ses propriétés naturelles, c’est son acceptation par tous comme forme reconnue de la richesse. La monnaie est l’objet qui apparaît, aux yeux des échangistes, doté d’une nature radicalement différente des autres marchandises. La monnaie a une nature auto-référencielle. Est monnaie ce que tout le monde considère comme monnaie.

·        La monnaie est intrinsèquement issue du mimétisme social. La monnaie ne procède ni du contrat, ni de l’Etat, mais de la polarisation mimétique spontanée des individus marchands en quête de protection. La monnaie ne procède pas de l’Etat mais d’une confiance diffuse et prégnante qui trouve son fondement originel dans l’adhésion mimétique. L’Etat peut, certes, être une source de légitimité monétaire mais il ne peut faire de la monnaie un simple instrument entre ses mains.

La richesse est ce qui est désiré par les autres de telle sorte que la rechercher, c’est rechercher la reconnaissance des autres. C’est cette logique autoréférencielle qu’on trouve à l’œuvre sur les marchés financiers. Il s’agit toujours d’acquérir ce que la communauté financière décidera d’acquérir.

La monnaie, comme bien élu, puis exclu du champ mimétique représente la société « hiérarchiquement supérieure à l’ensemble des sujets rivaux qui constituent ce qu’on peut appeler  le « privé ». La monnaie est ainsi un fait collectif, social et éminemment public. Elle n’est qu’une assignation sur la société qui donne un droit sur la société à son détenteur.

La monnaie n’est pas un fait contractuel, elle ne peut être neutre..

« Il n’y a pas de monnaie sans un ordre transcendant qui lui donne cette qualité d’être une matérialisation de la totalité. »

Mais si la monnaie, fait social total, procède d’une souveraineté, toutes les théories individuelles, classiques, libérales ou orthodoxes, s’effondrent.

En effet, le libéralisme est une philosophie de dénonciation de l’univers holiste, (ou communautaire), soulignent M. Aglietta et A. Orléan. Milton Friedman a ainsi écrit : « Pour l’homme libre, la nation ne propose aucun but propre, sinon celui qui résulte de l’addition des buts que les citoyens, chacun de leur côté, cherchent à atteindre », et il ne reconnaît d’autre dessein national que la somme des desseins individuels » (Capitalisme et liberté). Ce déni de la  société et des appartenances particulières, en l’occurrence nationales, par lequel elle s’exprime, est au fondement de l’universalisme libéral.

 

Une conception institutionnaliste.

M. Aglietta et A. Orléan classifient les conceptions monétaires en deux groupes, l’un métalliste, l’autre chartaliste.

§ Conception métalliste ou réaliste :

 la monnaie tire sa valeur de sa garantie métallique ou de la production marchande dans son ensemble. La monnaie est née de l’initiative privée pour dépasser le troc.

§ Conception chartaliste ou institutionniste :

la monnaie tire sa valeur de la garantie d’une autorité collective, d’un regroupement d’agents privés ou de l’Etat. La valeur résulte des échanges que la monnaie organise.  

C’est à cette approche chartaliste que M. Agletta et A. Orléan se rattachent.

Ils partent de l’hypothèse que la monnaie précède l’économie marchande, mais que celle-ci, comme la division du travail, appelle « nécessairement » sa manifestation.

Leur analyse ne doit donc pas se comprendre comme un processus historique mais plutôt dans un ordre stricto sensu plus abstrait.

Cette hypothèse reste « ultra minoritaire » chez les économistes contemporains, bien que certains auteurs hétérodoxes, commencent à la prendre en considération.

Pour démontrer cette préexistence ontologique de la monnaie à la société marchande, les auteurs dépassent le domaine économique pour mobiliser à son intention l’anthropologie, la philosophie, la sociologique et la psychologie. Ces matériaux permettent à M. Aglietta et A. Orléan de développer l’idée que la monnaie n’est pas un prolongement de la société marchande, mais que, en quelque sorte, elle la fonde.

 

La monnaie fondatrice.

Tous les matériaux anthropologiques et historiques s’opposent en effet à l’idée de la monnaie comme mesure de valeur de l’échange qui résulte de son utilisation comme moyen d’échange.

La monnaie fut ainsi créée par l’institution des étalons de valeurs qui résulte d’un acte de souveraineté de la collectivité. Des fouilles archéologiques permirent de retrouver des unités de compte en orge et bétail estimées à 3000 avant J-C dans le sous-sol mésopotamien sans qu’il n’y ait eu alors de monnaie circulante dans les empires assyrien et babylonien.

« Dans ces empires centralisés, l’unité de compte institué était l’unité de mesure des créances et des dettes qui étaient entrées sur des registres tenues par les hauts dignitaires du Palais, « les maîtres des nombres ». L’invention de l’unité de compte comme expression de la souveraineté de la société sur ses membres paraît associée à celle de l’écriture. Elle existait bien avant que les échanges marchands n’aient apparus, mais cette monnaie, appelée « idéale », ne circulait pas comme moyen de paiement,

A la fin du IIe  millénaire pourtant, la complexité de ces sociétés a pu engendrer des marchés locaux. Des morceaux de métal brut ont sans doute pu être utilisés comme moyens de paiement. Leur poids et titres étaient contrôlés « par des temples hautement révérés dans les empires néo-assyriens (704-612) et néo babyloniens (609-539). » Il n’y avait ni poinçon, ni marque, ni symbole exprimant la souveraineté, mais celle-ci s’exerçait « par la garantie des peuples qui réglaient les litiges entre les parties » 2. La Mésopotamie n’avait pas abandonné ce système de paiement bien après que la monnaie frappée soit inventée en Lydie (environ 580 avant JC).

Cependant, oubliant quelque peu l’ordre des intentions, c’est en s’appuyant sur la monnaie de la monnaie frappée et circulante qu’une large majorité d’historiens affirme que l’économie marchande précède la monnaie.

 

J.D

 

 

FRAGMENTELLES

 

§ Autour des crises : bulles boursières et escroqueries - Les banqueroutes de la Compagnie des Indes du XVIIIe siècle, des multiples sociétés de chemin de fer en France, Angleterre et Etats-Unis, des banques à Wall Street en 1920, des sociétés immobilières au Japon en 1990, des sociétés de la nouvelle économie, ont toutes la même origine : excès d’investissement, de dettes, de capacités de production, de valorisation des actifs, etc.

Certaines sociétés réalisent ou veulent réaliser à grande échelle « l’arnaque Ponzi », référence à un escroc des années 20 qui avait fait de la cavalerie un art. Selon « Irrationnal Exuberance » de Robert Schiller : « L’auteur de l’escroquerie promet aux épargnants de réaliser de considérables profits. Mais il n’investit qu’une petite partie des sommes avancées pour acheter des actifs. Il rémunère les premiers épargnants en réalisant la même opération avec une deuxième vague d’investisseurs, et ainsi de suite.

Un moyen plus moderne pour le faire consiste à multiplier les acquisitions de sociétés existantes en échange de nouvelles actions créées à chaque occasion. » Tout le monde est gagnant tant que l’édifice continue à s’élever.

Selon Patrick Artus, pour cacher la chute de rentabilité, les entreprises ont racheté leurs propres actions, multiplié les opérations de fusions-acquisitions, les plus-values de cession. Les fusions-acquisitions sont ainsi passées aux Etats-Unis de 495 milliards de dollars en 1996 à 1740 en 2000 pour redescendre à 819 milliards en 2001.

 

§ Conglomérat et alliances : Gouvernement d’entreprise et réseaux d’influence - Par le jeu des cumuls de mandats dans les conseils d’administration, un petit cercle d’administrateurs se partage en France le contrôle de la plupart des banques et des entreprises du CAC 40. Sous la pression des échanges internationaux, le capitalisme français a changé la plupart de ses habitudes, mais a maintenu les formes invisibles de ses liens capitalistiques.

Les sphères d’influence se sont constituées autour de 3 grandes banques BNP Paribas, Société Générale, Crédit Lyonnais.

« Il y a les conseils proches de la Générale (Alcatel, Vivendi Universal, TotalFina Elf), ceux marqués BNP Paribas (St Gobain - Axa), cexu sous l’influence du Lyonnais (Lagardère, PPR ou Bouygues) ».

Des rapports, notamment Vienot, sur le gouvernement d’entreprise furent établis. Ils étaient supposés en finir avec ces pratiques « endogamiques ».  Des administrateurs indépendants furent donc élus afin de ne pas laisser les grands actionnaires et les banques dicter leur loi, mais à l’usage, il s’avère que les mesures prises sont inefficaces.

 

 

Cumul et concentration de pouvoirs - En 2001, une trentaine de patrons cumulaient plus de 160 mandats d’administrateurs dans les conseils de grandes entreprises, notamment Bernard Arnault (LVMH), Patricia Barbizet (Atémis), Claude Bébéar (Axa), J.-Louis Baffa (St Gobain), Daniel Bernard (Carrefour), Michel Non (France Télécom), Bernard Collomb (Laforge), Thierry Desmarest (TotalFina Elf), Michel François-Poncet (ex Paribas), Jacques Friedman (ex UAP), Henri Lachman (Schneider), J-Marie Messier (Vivendi Universal), Gérard Mestrallet (Suez), Lindsay Owen-Jones (L’Oréal), Michel Pebereau (BNP Paribas), Jean Peyrelevade (C. Lyonnais), Didier Pineau-Valenciennes (ex-Schneider), Baudouin Prot (BNP Paribas), Buno Roger (Lazard), Edouard de Royère (Air Liquide), E. Antoine Seillière (Wendel invest. Medef), S. Tchuruk (Alcatel), Marc Vienot (ex Soc. Générale).

 

§ Capitalisme familial - L’Oréal (famille Bettencourt), Auchan (famille Mulliez), Lagardère, Michelin, LVMH, sont considérées comme des entreprises familiales. En France, plus de la moitié des plus grosses sociétés cotées en Bourse sont des entreprises familiales.

Ainsi, malgré la mondialisation, le capitalisme familial français maintient ses droits selon une étude de Christine Blondel (Inst. euro. d’administration des affaires du 4 juin 2001).

Une entreprise familiale se définit comme une société dont un individu ou une famille est identifié comme son plus gros actionnaire, et détient au moins 10 % de son  capital.

Sur les 250 sociétés cotées qui forment l’indice 250 SBF de la Bourse de Paris, 57 % sont des entreprises familiales. Elles ne couvrent cependant que 35 % de la capitalisation totale contre 48 % en 1993.

En 1998, 32 % du SBF 250 étaient détenus par des actionnaires familiaux ou individuels. Il semblerait que les entreprises familiales aient une longévité supérieure aux sociétés non familiales. Par ailleurs, leurs actions progresseraient plus rapidement que celles de l’ensemble du SBF 250. Ainsi, entre 1991 et 2001, l’indice actionnarial des entreprises familiales progresse de 446 % contre 233 % pour celui des entreprises du SBF 250.

 

§ Règles comptables trimestrielles - Aux Etats-Unis, un mouvement en faveur de la réglementation commence à séduire de nombreux économistes, notamment derrière le prix nobel 2002 Jo Stiglitz. En Europe, le Cercle des économistes a élaboré lors de sa seconde session d’été un manifeste dans lequel il émet trois propositions concernant directement les entreprises :

1- représentation des salariés au sein d’organes de décision existant ou à créer,

2- abandon des références comptables trimestrielles pour redonner la priorité à une gestion à long terme,

3- mise en place  d’organismes de régulation au niveau européen dans les secteurs de l’énergie, des télécommunications, des transports et des services financiers.

 

§ Répartition des entreprises par nombre de salariés (hors agricoles et financières)-

 

Entreprises  et  nombre de salariés en 2001

Total entreprises

  2.352.740

moins de 20 salariés

  2.271.740   (96,5 %)

moins de 50 salariés

  2.325.540   (98,8 %)

plus de 50 salariés

       27.200   (  1,2 %)

de 0 à 9 salariés

  2.189.610

de 10 à 499 salariés

     137.930

de plus de 500 salariés

         1.930

Total salariés

secteur marchand

14.000.000

 

§ Investissements étrangers porteurs d’emplois - Le nombre d’emplois créés par les investissements étrangers a atteint 25.480 en 2001, en baisse de 28 % sur un an. Les investissements internationaux créateurs de 500 emplois et plus ont diminué de 82 % alors que ceux porteurs de 10 à 20 emplois ont progressé de 30 % en un an.

Les projets manufacturiers ont dominé les investissements étrangers porteurs d’emploi avec 14.800 emplois créés. Les lieux d’implantation restent l’Ile de France, le Nord PDC, Rhône Alpes, Alsace, Midi Pyrénées et PACA. Les Américains restent les premiers investisseurs avec 8000 emplois (11.700 en 2001). Par contre, les investissements allemands, italiens, canadiens, belges, régressent, alors que les néerlandais suisses et surtout espagnols augmentent mais restent moins importants (950 pour l’Espagne). Cependant, la concurrence des pays de l’est, notamment Tchécoslovaquie et Hongrie, commence à s’affirmer, l’Allemagne y aurait effectué de nombreux investissements.

 

§ Croissance du chômage - Après plusieurs années de légère baisse, le chômage continue de croître avec 2.262.100 sans emploi en fin juillet 2002. Le chômage dit de première catégorie (ayant travaillé moins de 78 h. dans le mois, et à la recherche d’un plein temps) a augmenté de 8,1 % sur un an.

Le chômage, au sens du BIP, couvre 9 % de la population active, à l’avant dernier rang européen avant la Finlande.

Les licenciements économiques (21.400) ont augmenté de 37,2 % sur un an.

 

§ Croissance du PIB - La croissance en volume du PIB fut de 1,8 % en 2001 contre 3,8 % en 2000 et 3,2 % en 1999. Ce ralentissement de l’activité nationale est cependant consécutif au ralentissement de la croissance mondiale qui entraîna un important recul des exportations françaises. L’activité nationale est soutenue par la demande intérieure, avec la baisse de l’importation directe qui contribua à accroître le revenu des ménages (hausse de 4,9 %) alors que les entreprises réduisent leurs investissements.

 

Comptes de la nation

 

en milliards d’euros

PIB

dont Valeurs ajoutées

 et impôts sur les produits (TVA, TIPP.)

   1463,7

   1310,5

     153,2

Importations

Exportations

Solde

     385,6

     408,6

    + 23

Total impôts     

    414,6

Cotisations Sociales effectives

    240,9

 

 

 

55- juin 2002

 

La confiance, le marché et la spéculation.

 

 

Les récentes découvertes d’irrégularités pratiquées par l’opérateur américain Woldcom, puis l’annonce d’un plan de restructuration chez l’équipementier français Alcatel (10..000 suppressions d’emplois qui viennent s’ajouter aux 34.500 déjà programmées) ont provoqué, en juin,  d’importantes baisses des valeurs et indices boursiers et une remise en cause des stratégies suivies par les principaux groupes avec les audits et les démissions qui s’en suivirent.

Sur les places financières, le 25 juin 2002, baisse des indices boursiers de Tokyo (- 4 %), de Francfort (- 5 %), de Paris (- 4,7 %) sur une seule séance. En cumulé, depuis plusieurs mois le mouvement de baisse est continu. Depuis le début de l’année, les titres des entreprises de nouvelles technologies et communication (NTC), télécom, informatique, média, sont principalement touchés, Alcatel (- 60 %), France Télécom (- 70 %),  Vivendi Universal (- 60 %), puis Axa (-25 %), Pinault Printemps (-15 %).

 

3,85 milliards de dollars d’irrégularités furent découvertes chez Worldcom. Des coûts ordinaires furent comptabilisés comme des investissements. Sans ces transferts, ce groupe aurait accusé des pertes en 2001 et 2002.  17.000 suppressions d’emploi sont prévues. Enron, Global Crossig, Dynergie, Alcatel, Vivendi Universal, France Télécom, Cap Gémini, les entreprises suspectes de surévaluations financières, frauduleuses ou non, ne se comptent plus.

La crainte des irrégularités comptables, des dissimulations de dette, des délits d’initiés, notamment dans le secteur des NTC, explique partiellement cette déprime boursière.

 

Les Fonds de retraite, un exemple de dette sans amortissement.

La crise des caisses de retraite n’est pas spécifique aux systèmes par répartition, mais elle concerne également les systèmes de fonds de retraite par capitalisation. C’est la conclusion d’une étude de la banque Morgan Stanley selon laquelle les départs massifs en retraite à partir de 2005 et le sous-provisionnement des fonds de retraite représentent des bombes financières. Ces fonds obéissent à des normes comptables mal définies alors qu’en considérant les obligations de retraite comme une dette égale aux autres, on atteint des ratio de dettes sur fonds propres inquiétants. La détérioration de ce ratio (qui passe, par exemple, de 202 % à 374 % chez ABB) ferait chuter les marges de profitabilité de bon nombre d’entreprises, par exemple de 85 % pour SMS, de 60 % pour Philips, de 29 % pour BP Group, alors que d’autres entreprises resteraient à l’abri des remous démographiques (Royal Dutch Schell, Alcatel).

 

 

Les techniques frauduleuses.

Les présentations des comptes des entreprises ont pris l’habitude de pratiquer :

·        le dopage des chiffres. Un simple contact est comptabilisé dans le chiffre d’affaires.

·        la minoration des dettes. Des dépenses de marketing ou des frais de recherche sont inscrits au bilan au lieu d’être enregistrés en charges.

·        la variation subjective des provisions. Selon les cas, les provisions peuvent être surévaluées ou occultées, inscrites en charges ou en produits. LVMH a ainsi placé ses titres Bouygues en titre de participation et non en placement pour éviter une moins value.

·        la transformation du bilan. Les entreprises se déconsolident de leurs filiales. Enron avait créé 800 filiales aux Iles Caïman pour y transférer ses dettes.

·          Enfin, le maquillage des fonds propres. Les banques excellent dans cet exercice. « Elles sont allées jusqu’à inventer des produits qui peuvent, selon les circonstances, être analysées soit comme des crédits, soit comme des fonds propres 1.

 

La fiabilité des prix du marché.

Mais surtout, cette crise de confiance s’étend sur les autres valeurs. Les équipementiers comme Alcatel dépendent des investissements des opérateurs, et ainsi de suite. Cette méfiance irradie sur les anticipations de croissance et sur la confiance des agents économiques dans l’avenir.  Il est une nouvelle fois à craindre une rétraction de la consommation et des investissements.

« A 3750 points, l’indice CAC 40 anticipe une baisse du PIB de 0,8 % sur les 12 mois à venir », commente une note du CIC, en concluant que cette baisse semble irréaliste avec l’acquis de croissance sur le premier semestre.

Le baromètre de conjoncture allemand (IFO) s’affiche en baisse en juin, l’indice de confiance des consommateurs américains (Conference board) chute également. Cette perte de confiance des agents dans l’avenir ne permet pas d’anticiper une forte croissance, elle provient des doutes des marchés sur la fiabilité des pratiques comptables des industriels. Traditionnellement, lorsque les actifs, notamment les actions, des ménages, surtout aux Etats-Unis, baissent, ces derniers réduisent leur consommation.

 

Les grands investisseurs et les épargnants auraient découvert que ces irrégularités et autres indélicatesses ont été commises avec la complicité des « garants de la finance », cabinets d’audit, commissaires aux comptes, banques et autorités de tutelle. Andersen, cabinet d’audit d’Enron et de Worldcom, Merril Lynch, Crédit Suisse First Burton, sont cités alors que les soupçons s’étendent à toutes les sociétés cotées de la planète.

« Il faut deux ans pour définir une norme comptable et deux heures à une banque d’affaires pour la contourner » résume un universitaire texan 2 ».

 

Pourquoi maquiller le bilan d’une entreprise ?

Maquiller le bilan d’une entreprise cotée peut profiter à de nombreux intervenants : à l’entreprise en recherche de financement, à ses dirigeants pour solliciter des avantages financiers, aux opérateurs, aux courtiers en titrer boursiers, aux spéculateurs qui peuvent réaliser d’importantes plus values, aux banques d’affaires, et à une foule de parties prenantes parmi lesquelles les banques commerciales.

Les grandes banques d’affaires (Goldman Sachs, Morgan Stanley), spécialistes des fusions-acquisitions, des introductions en bourse et des émissions de titres, participent évidemment à cette valorisation des titres en gonflant artificiellement les bilans par l’usage inconsidéré de ratios et d’indicateurs de gestion dont l’objectif est de mesurer la capacité d’accroissement de la valeur financière à court terme.

 

Quelques outils de valorisation financière :

- La valeur ajoutée sur le marché (MVA ou « Market Value Added »), ou richesse créée et accumulée par la capitalisation de l’entreprise, depuis sa création, pour ses actionnaires. La MVA s’obtient en calculant la différence entre le capital, moins les dettes, investi et ce que pourrait en retirer les actionnaires en vendant l’entreprise.

- La valeur ajoutée par l’économie (EVA ou « Economic Value Added »), soit la valeur créée par la différence entre la rentabilité des capitaux investis et le coût des capitaux engagés, fonds propres et dette inclus. Il est égal au résultat de l’entreprise après l’impôt, déduction faite du capital employé pour son activité.

Le Return On Equity  (ROE) évalue le rapport entre le résultat net et les fonds propres. Le norme exigée pour ce ROE était sur un plus ou moins court terme, de un à deux ans,  de l’ordre de 15 % l'an des fonds propres, avec présentation trimestrielle des résultats.

- Enfin, l’Ebitda qui présente le résultat brut d’exploitation et ne prend en compte ni frais financiers, ni provisions, ni amortissements, ni impôts (cf. Fragments n°50).

 

Mais à coté des banques d’affaires, les banques commerciales participèrent également à cette surévaluation des titres, d’abord en prêtant massivement aux firmes, ensuite en ne conservant que le minimum de risques dans leur bilan, et en revendant les crédits à risques aux fonds de pension de retraite. Enfin, les places off-shore permettent aux montages suspects de se réaliser.

 

Les voies conseillées de la stabilisation.

Plusieurs voies sont proposées pour stabiliser les marchés financiers et contribuer au développement de l’économie réelle. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la BDF en présente trois pour éviter les comportements mimétiques :

·        la fiabilité et la transparence des informations. Il conviendrait que les investisseurs aient sur chaque signature, pays émergents ou entreprises des pays industrialisés, des informations complètes et fiables.

·        la prise en compte du moyen et du long terme.  La présence d’investissement à court, à moyen et à long termes est essentielle au bon fonctionnement du marché.

·        la consolidation des règles prudentielles. C’est l’objet des travaux du Comité des gouverneurs de Bâle dirigé par Mac Donough depuis 2001, et qui édicte des règles de surveillance et de couverture des engagements auprès des Banques, des marchés d’actions et des compagnies d’assurances 3

Ces louables intentions ne sont pas nouvelles, la dictature du court terme, l’opacité des informations, le manque de règles prudentielles et de couverture des crédits sont périodiquement dénoncés à chaque approche. d’un risque systémique

Dans notre précédente parution, j’ai évoqué le développement du concept de la Banque universelle en Europe et l’abrogation du Glass Steagle act en 1999 aux Etats-Unis 4 qui autorisent une coalition, voire la fusion, entre l’industrie bancaire, toutes institutions financières confondues, et les sociétés commerciales. Je n’y reviendrai pas, mais je rappellerai ici les axes fondateurs du Glass Steagle act de 1933 qui, après la crise de 1929, vint réglementer l’activité des banques secondaires :

Le Glass Steagle act :

·        autorisa la monnaie à avoir pour contrepartie des créances publiques, obligations d’Etat et bons du Trésor,

·        accorda la garantie du Gouvernement américain d’une couverture des pertes en dépôts dans l’hypothèse d’une banqueroute bancaire,

·        prescrivit la séparation des sociétés commerciales et industrielles et des banques secondaires, notamment parce que ces conglomérats entre banques et sociétés commerciales  possédaient une influence politique considérable,

·        imposa le cloisonnement des activités bancaires par la distinction des banques de dépôts et des banques d’investissement. Cette mesure avait pour objectif de limiter le risque systémique en cas de crise financière d’un ou de plusieurs établissements.

 

Il fut, notamment ces dernières années, reproché à cette loi d’empêcher, bien qu’elle ait subi de nombreux aménagements, « les prises de participation croisées entre les banques commerciales, les banques d’affaires, les sociétés de courtage et les entreprises d’assurances » de sorte que les lobbies affairistes eurent raison de ce texte définitivement abrogé le 11 mars 2000. Peu après, Citigroup est né en 1998 de Citycorp et de Travelers Group, courtage et assurances, via la banque d’affaires Salomon Smith Bernay alors que la maison de titres Merrill Lynch propose chéquiers et cartes bancaires 5». Depuis, les alliances et les participations croisées entre les maisons de courtage, les gérants de capitaux, les banques d’affaires et commerciales, n’ont fait que s’amplifier. Elles permettent de contourner les règles prudentielles, de favoriser les logiques financières du court terme et de rendre opaques les mouvements de capitaux.

 

Des conglomérats bancaires à la gouvernance d’entreprise.

Par le biais de ces subventions, prises de participations croisées, échanges ou swaps d’actions, d’obligations et autres dettes et créances, elles peuvent se constituer en gouvernement des actionnaires majoritaires également appelé gouvernance d’entreprise ou « corporate governance » et privilégier la rentabilité à court terme au détriment des investissements à plus long terme. Ces gouvernances d’entreprise ne se conduisent plus comme de véritables propriétaires, mais comme des prêteurs qui peuvent se dégager de l'entreprise aussi vite qu’ils y sont entrés, bien que l’action soit un titre de propriété. Ces gouvernances imposent ainsi aux entreprises leurs conditions de direction, de gestion et de rémunération.  Conseillées ou unies aux grandes banques d’affaires, elles identifient et utilisent alors les principaux leviers de création de valeur financière pour l’actionnaire.

·        Une réglementation de ces gouvernances  d’entreprise apparaît salutaire pour protéger les investissements à long terme et les logiques industrielles malmenés par les logiques de la rentabilité financière.      

Ces alliances et ententes se réalisent entre personnes physiques et morales, banques, actionnaires principaux et dirigeants, dans un réseau de relations commerciales et financières complexes. Cette complexité rend opaque la lisibilité des différents contractants, intervenants, techniques et produits utilisés. Georges Soros dont le talent de prédateur financier n’est plus à démontrer, a maintes fois dénoncé ces méthodes et techniques de transactions dont aucune trace n’apparaît dans les bilans. Il en dénonce la capacité à accroître les instabilités naturelles des marchés. C’est pourquoi il propose que tous les organismes financiers même non bancaires qui aujourd’hui échappent encore à la réglementation soient « aussi sévèrement réglementés que le furent les banques aux Etats-Unis après l’effondrement du système bancaire américain lors de la panique dont fut victime ce secteur en 1933. »

·        Autrement dit, il faudrait activer une version adaptée aux techniques contemporaines du Glass Steagle act

 

Dans la réponse qu’il dédie aux propositions de G. Soros, l’économiste libertarien Henri Lepage dénonce évidemment de telles réglementations, mais constate toutefois : « Fondamentalement, c’est cette faculté de création artificielle de monnaie et de crédit non fondée sur l’épargne qui, en maintenant les taux d’intérêt du marché en dessous du taux naturel, et en encourageant ainsi un processus de mauvaise allocation des investissements, entretient une dynamique d’alternance de périodes d’expansion et de récession. 6».

Nous en sommes bien d’accord ! C’est d’ailleurs pour cela qu’il convient de ne pas abandonner aux prétendues régulations du marché le pouvoir d’émettre la monnaie.

·        La première mesure à prendre devrait être, comme le demande Maurice Allais,  une séparation effective des activités de dépôt et de prêt des banques secondaires.

Ainsi, les banques de dépôt ne pourraient plus procéder à quelque activité de prêt que ce soit. Elles devront respecter une couverture intégrale de leurs dépôts en monnaie centrale.

Les banques de prêt devront, quant à elles, avoir l’obligation de publier la distribution des éléments de leurs actifs suivant leur maturité. Ces dispositions seront à appliquer intégralement aux filiales des banques étrangères situées en France 7.

Cette première mesure permettrait de réduire le risque systémique lors des crises financières, contribuerait à la stabilité des marchés, notamment en supprimant les déséquilibres résultant du financement d’investissements à long terme par des emprunts à court terme, et garantirait une meilleure fiabilité des informations.

 

Janpier Dutrieux

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1- « Trucs et astuces pour présenter ses comptes »,  Le Monde du 14 mars 2002 .

2- « Une crise de confiance sans précédent », Le Monde du 28 juin 2002.

3- « Nous avons à faire face à des comportements moutonniers, donc dangereux », Le Monde du 2 juillet 2002

4- « Le capital financier d’hier et d’aujourd’hui », Fragments Diffusion n°54.

5- « Une nouvelle loi bancaire », Problèmes économiques n° 2682, 4 octobre 2000

6- « Réponse à Georges Soros », Henri Lepage in Politique internationale n° 2000 en réponse à « La crise du capitalisme mondial » de Georges Soros.

7- Maurice Allais, « La réforme monétaire », 1976.

 

 

 

 

  Le dollar,  instrument du  protectionnisme américain

 

L’appréciation de l’euro face au dollar est continue depuis plusieurs semaines. Le 4 juin 2002, l'euro atteignait 0,9445 dollar, son plus haut cours depuis janvier 2001, + 5,7 % depuis le début de l'année 2002. Le 7 juin, il atteignit 0,9484 dollar et le 18 juin 0,94675 dollar.

Cette appréciation de l'euro face au dollar permet, d’une part, à la Banque Centrale Européenne (BCE) de laisser son taux d’appel d’offre inchangé à 3,25 %, et d’autre part, avec le recul des tarifs pétroliers, d’alléger les factures énergétiques européennes libellées en dollars. Un euro plus fort « induit de la désinflation importée ». « Un euro plus fort avec un taux d’intérêt bas est plus sain qu’un euro faible avec un taux d’intérêt élevé » soulignent conjointement le ministre des finances allemand Hans Eichel et le Président de la BCE, Wim Duisenberg. Satisfecit européen.

Cependant, des tensions inflationnistes existent en Europe, notamment du fait de la hausse des tarifs des services, et après l’accord obtenu par le syndicat IG Metall, en Allemagne, de 4 % d’augmentation des salaires. Mais, en Europe,   la croissance du PIB fut obtenue sans recours à des déséquilibres majeurs, souligne le président de la BCE, W. Duisenberg, dans une implicite allusion aux comptes déficitaires américains.

Les déficits des comptes extérieurs américains sont, en effet, connus depuis longtemps. La balance courante des Etats-Unis a enregistré en 2001 un solde négatif de 417 milliards de dollars, soit 4,1 % du PIB. Les Etats-Unis vivent au dessus de leurs moyens. Le PIB américain a néanmoins progressé de plus de 5 % en rythme annuel, au premier trimestre, assurément mieux que le PIB européen. Les américains consomment beaucoup  et épargnent peu, ils importent plus qu’ils n’exportent. Mais même avec des déficits colossaux, le dollar s’appréciait au détriment de l’euro.

Les Etats-Unis attiraient les capitaux au rythme de un milliard de dollars par jour, l’envolée de l’indice boursier des valeurs technologiques du « Nasdaq » symbolisait la puissance de l’économie américaine. Cet indice a perdu sa valeur alors que  les capitaux se placent moins généreusement aux Etats-Unis. Le déficit courant n’est plus couvert par des placements de capitaux étrangers, alors, le dollar plonge. Mais ce recul du dollar n’est pas perçu par les exportateurs américains comme un handicap. Au contraire, sa vigueur pénalisait davantage les chefs d’entreprise qu’elle ne les aidait. Des groupes de pression d’industriels et d’exportateurs le signalèrent à l’administration américaine qui ne serait pas restée insensible à leurs appels.

C’est pourquoi il conviendrait de ne pas expliquer ces variations du cours de l’euro face au dollar comme le résultat de la confiance des investisseurs dans l’économie et la gestion politique des européens.

En effet, ce n’est pas l’euro qui s’apprécie sur les marchés, mais c’est le dollar qui se déprécie.  Car si ce dernier est à son  plus bas niveau face à l’euro depuis 16 mois, il est revenu à son cours de janvier 2000 face au franc suisse, et il a perdu 7 % depuis avril face au yen.

Deux interprétations peuvent être données à ces variations monétaires :

·        Soit l’euro s’apprécie parce que les marchés permettent une concurrence pure, parfaite et transparente, et offrent toute l’information nécessaire à chacun et l’égalité d’accès à tous les agents par une symétrie d’entrée.

·        Soit ce n’est pas l’euro qui s’apprécie mais c’est le dollar qui se déprécie parce que la réalité du processus de formation des prix  est bien davantage issue des pouvoirs des institutions, des réseaux, des groupes de pression, même informels, qui contrôlent, régulent, encadrent l’offre et la demande et en fixent le point de rencontre. Il   en est de même sur le marché des devises, ce qui explique la dépréciation du dollar.

N’est-ce point aujourd’hui les entreprises qui se livrent à une bataille derrière les banquiers centraux et les politiques pour vendre leurs produits au reste du monde le plus facilement possible 1 ? N’y-a-t-il pas d’ailleurs arme plus violente que la monnaie pour mettre en place des barrières protectionnistes, ou inversement, et ce qui revient au même, du dumping à l’exportation ? Arme bien plus redoutable que les décisions américaines de protection de l’acier et de l’agriculture. Ces deux secteurs ne couvrent que 5 % des échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Europe. Le taux de change, par contre, concerne, tous les biens et services.

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1- Pierre-Antoine Delhommais, La guerre monétaire, Le Monde du 6 juin 2002.

 

 

 Fragmentelles

 

§ Reprise américaine - Après la crainte d’une longue récession en 2001, les Etats-Unis devraient, selon l’OCDE, connaître en 2002 une croissance de l’ordre de 3 % à 3,5 % qui permettrait d’entraîner celle du reste du monde entre 1,5 % et 3 % en 2003. « Les Etats-Unis seront une nouvelle fois la locomotive de la reprise », a estimé le secrétaire général de l’OCDE Donald Johnston. 15 mai 2002).

Ce regain d’activité des Etats-Unis fut autorisé et amplifié par la politique mixte monétaire et budgétaire qu’elle a suivie ces derniers mois avec la baisse du taux directeur de la FED à 1,75 %, son plus bas niveau depuis 40 ans, et l’accroissement des dépenses publiques malgré des remboursements d’impôts, portés par un déficit budgétaire notamment couvert par une dette sur le reste du monde.

Cette baisse de l’intérêt ne fut pas sans provoquer le reflux de capitaux étrangers et la baisse du dollar sur le marché des changes.  Après avoir utilisé les 120 milliards de dollars d’excédents budgétaires 2001 à des dépenses de sécurité, l’exercice 2002 devrait se solder avec un déficit supérieur à 30 milliards de dollars. La FED devrait donc être amené à relever ses taux d’intérêt afin d’attirer de nouveaux capitaux, notamment asiatiques, pour financer ses déficits sans pénaliser la reprise.

 

§ Développement 2002 - Le rapport 2002 de la Conférence des Nations Unis sur le Développement (CNUCED) d’avril 2002 constate le ralentissement de la croissance mondiale, passant de 3,8 % en 2000 à 1,3 % en 2001.

Cette chute a eu des conséquences prononcées sur les exportations des pays en développement (PED) qui stagnent en 2001 alors qu’elles s’accroissaient de 14 % en 2000.  La croissance des PED de 5,4 % en 2000 n’atteint plus que 3,1 % en 2001.

Selon le CNUCED, une croissance de 3,1 % de l’économie des pays industrialisés est nécessaire pour soutenir celle des PED. De surcroît, les PED ne tireraient pas les mêmes avantages que les pays riches de la croissance des exportations des produits manufacturés. En effet, « les PED ne sont pas associés aux activités les plus rémunératrices dans les secteurs de haute technologie, mais à des opérations à forte intensité de main d’œuvre comme l’assemblage ». Enfin, le CNUCED craint qu’une libéralisation trop rapide de l’économie chinoise « ne mette en difficulté les entreprises d’Etat qui employaient à la fin de l’année 1990 plus de 83 millions de personnes en Chine. »

 

§ Les dépenses publiques en 2001 - Les prélèvements obligatoires se sont élevés à 658,8 milliards d’euros, soit 45 % du PIB en 2001. Les recettes publiques progressent peu relativement aux dépenses par suite de moindres rentrées de cotisations sociales et d’allégements fiscaux. Le déficit public, au sens du traité de Maastricht s’accroit , il s’élève à 20,3 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB (contre 1,3 % en 2000, ou 1,5 % hors vente de licences UMTS).

 

Prélévements obligatoires 2001

Dépenses des  Institutions

milliards d’euros

 %  PIB

Etat

244,2

16,7

Org. d’Adm. central.

13,1

0,9

Adm. Publiq. locales

75,1

5,1

Adm. Séc. Sociale

317,4

21,7

Institution U. Europ.

8,9

0,6

Total

658,8

45,0

Répartition sur principaux impôts

TVA

105,0

   7,2

TIP

 22,8

   1,6

Impôt sur le  revenu

 47,9

   3,3

CSG

 62,6

   4,3

Impôt sur les sociétés

 44,3

   3,0

Taxe Professionnelle

 19,0

   1,3

Taxe  foncière

 16,2

   1,1

Taxe habitation

   8,9

   0,6

Cotis. Sociales effectives

240,9

  16,5

source Insee première n° 849

 

§ Impôts et déficits - Le gouvernement  français s’est engagé le 20 juin à réduire le déficit public de façon à atteindre en 2004 une position proche de l’équilibre. Selon le CEPAP (Collectif économiste pour l’action politique), cet objectif ne peut être atteint « sans remise en cause du nombre de fonctionnaires et sans modification de la dynamique des dépenses sociales », ou, à défaut, sans augmentation des impôts.

Avec une hypothèse de croissance de 3 % l’an jusqu’en 2004, les déficits publics pourraient pouvoir être ramenés à 2 %, et en maintenant une croissance à 2,5 % l’an jusqu’en 2007, ils pourront y être maintenus. Mais pour ramener le budget à l’équilibre, le gouvernement devra trouver 30 milliards d’euros sous forme de baisse des dépenses ou d’augmentation des impôts. Or, 30 milliards d’euros, c’est le montant des baisses d’impôts promis par le Président J. Chirac d’ici 2005.

 

§ Croissance, secteur tertiaire, TVA - Dans une étude publiée en 1997, Thomas Piketty estimait que si l’hôtellerie-restauration comptait le même nombre d’emplois par habitant en France qu’aux Etats-Unis, il y aurait un million d’emplois supplémentaires dans ce secteur, soit 1,8 au lieu de 0,8 million actuellement. Selon lui, la baisse de 14 points de la TVA de 19,6 % à 5,5 % dans la restauration, comme dans la vente à emporter permettrait de relancer ce secteur dont l’élasticité de la demande face aux prix permet d’accroître la consommation. Ainsi la part du budget consacrée à ce poste ne se réduira pas dans les mêmes proportions.

Tiketty souligne que la différence de TVA entre la restauration sur place et la vente à emporter revient à taxer davantage le restaurateur qui emploie de la main d’œuvre. Cette analyse n’est pas sans rappeler celle de Jacques Méraud qui constatait que l’augmentation du poids du tertiaire dans l’économie doit changer radicalement notre analyse de la croissance 1. Ce secteur a cependant connu un très fort développement du temps partiel contraint, conséquence des subventions accordées sur le travail à temps partiel. Des allégements de charge sur des emplois à temps plein, et non limité aux bas salaires, seraient également de nature à développer l’emploi dans ce secteur.

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1- Jacques Méraud, « Le poids dominant du tertiaire dans l’économie doit changer notre politique de croissance »,  (Le Monde du 02/09/97) et Fragments Diffusion n°27.

Les services marchands représentent aujourd’hui près de 50 % du PIB. Or, la productivité de nombreux services marchands dépend de la demande. Ainsi, si un coiffeur reçoit 3 clients au lieu de 2, sa productivité s’améliorera de 50 %. Pour augmenter la productivité des services dont l’élasticité de la demande face aux prix peut accroître la consommation, il faut donner aux consommateurs du pouvoir d’achat.

 

§ Insécurités sociales - Près de 75 % des embauches effectuées en 2002 sont des contrats courts de moins de 18 mois.

En 1997, la France comptait 330.000 intérimaires, en 2001, elle en comptait 605.000. L’emploi à temps partiel représentait 4,6 %  de l’ensemble des salariés en 1976, il en couvrait 17,6 % en 2000. Les contrats à durée déterminée en représentaient 0,7 % en 1980 et 4,7 % en 2000, l’intérim 0,7 % en 1980 et 2,6 % en 2000.

En 1995, la France découvrait « la fracture sociale ». En 1997, Henri Guaino, commissaire au Plan, démontrait dans son rapport « Chômage, le cas français » que le sous emploi touchait la population par cercles concentriques jusqu’à 7 millions de personnes, bien au-delà des 12,5 % de chômeurs recensés.

 

Nous distinguons ainsi 3 cercles du chômage :

- Dans le premier cercle, selon les nouvelles statistiques officielles, le nombre de demandeurs d’emplois atteignait  2,232 millions de personnes en mars 2002 contre 2,084 un an plus tôt.. Sur ces 2,232 millions 0,6526 sont au chômage depuis plus d’un an, 0,140 depuis plus de trois ans, 0,3897 ont moins de 25 ans et 1,028 ont bénéficié du RMI.

- Dans les deuxième et troisième cercles, nous trouvons les bas et les très bas salaires. Les bas salaires (entre le 1/2 et les 2/3 du salaire médian annuel net, soit 16520 euros l’an en 2000) sont passés de 5 % à 10 % entre 1983 et 1997 pour redescendre à 7,1 % en 2000. Les très bas salaires (ou travailleurs pauvres, en dessous de 1/2 du salaire médian) sont pour 83,2 % d’entre eux des emplois à temps partiel contraint. Ceux-ci couvraient  7,7 % da la population active en 1983 contre 14,7 % en 2000. Les bas et les très bas salaires sont notamment employés dans le commerce, l’éducation, la santé, l’action sociale, la construction et le nettoyage, sous forme de CDD, de contrat aidé, notamment dans les petites villes et communes rurales.

 

Les insécurités sociales des années qui suivirent ont pour cause la concurrence exacerbée, la sous-traitance, le développement du stress, le marché des incertitudes, l’éclatement des communautés du travail, les externalisations, les changements permanents (« l’adaptabilité »), et le peu de crédibilité des entreprises au dela du court terme, c’est-à-dire à deux ans. Aucun Etat de l’Union européenne n’échappe à cette tendance à l’éphémère et à l’instabilité, alors que les inégalités s’accroissent entre les salariés des grands groupes et ceux des PME, et que les statuts se précarisent toujours davantage.

Plusieurs axes de réflexion et de garde fous ont été présentés ces derniers mois, dans l’euphorie des promesses électorales, avec le contrat dans la vie sociale, la création d’un impôt sur les sociétés proportionnel aux taux de rentabilité sur fonds propres, l’insertion de clauses sociales lors de la passation de marchés publics et privés et même l’interdiction du temps partiel.

Pour la période 2000-2006, 247 contrats de ville ont été signé entre l’Etat et les collectivités locales pour prévenir les risques d’exclusion pour 5 millions de personnes repérées résidant dans 1500 quartiers prioritaires, autour de sous dispositifs de contrats locaux de sécurité, d’éducation.

Des décrets d’application de la loi de modernisation sociale (JO du 5 mai 2001) ont doublé l’indemnité de licenciement qui passe de 20 % du salaire mensuel par année d’ancienneté.

 

§ SMIC à vitesse multiple - En marge de l’augmentation légale du SMIC, le Conseil Economique et Social a été chargé le 5 juin par le premier ministre de « dresser un inventaire des solutions après la revalorisation légale du SMIC », pour sortir du dispositif mis en place au moment de la loi sur les 35 heures. Afin de niveler le SMIC mensuel, quelque soit la date de mise en place des 35 heures semaine dans l’entreprise, un complément salarial dit « garantie mensuelle de rémunération » fut instauré avec la loi Aubry du 19 janvier 2000.

En effet, si les augmentations du SMIC restent identiques rapportées à l’heure du travail, elles diffèrent selon que le salarié est employé 35 h. ou 39 h. Plus un salarié est passé tôt aux 35 h. et plus le manque à gagner s’accroît. Le SMIC à temps plein oscille ainsi avant le 1er juillet 02 entre 1081 euros et 1125 euros, suivant le passage aux 35 h. dans l’entreprise (cf. Fragments n°44 et 49).

Avant le 1er juillet 2002, hors garantie mensuelle de rémunération, 5 taux de SMIC mensuels étaient en vigueur selon les périodes de passage de l’entreprise aux 35 heures. Ils seront 6 après le 1er juillet.

 

39 h

1127,23

Passage aux 35 heures :

entre 1/07/01 et 30/06/02

1127,23

entre 1/07/00 et 30/06/01

1113,45

entre 1/07/99 et 30/06/00

1094,65

entre 1/07/98  et 30/06/99

1081,21

35 h payées 35 h.

1011,64

 

Le 1er juillet 2002, la hausse légale est de 2,4 %, soit 25 euros de plus par mois. Le SMIC brut s’élève ainsi à 1154,27 euros pour 39 h./semaine, soit 1036 euros pour 35 h/semaine que vient compléter la garantie mensuelle de rémunération.