52 – décembre 2001

 

Une idée neuve : La remise jubilaire des dettes et des créances.

 

 

 

 

L’idée jubilaire est issue de la tradition juive, et par suite, biblique, exprimée dans le Lévitique. Le jubilé consistait à organiser un nouveau partage tous les quarante neuf ans, suivi d’une année sans travaux agricoles. Il proclamait la libération des Hébreux qui avaient perdu leur statut d’hommes libres.

En 1994, Jean Paul II souligna que cette tradition jubilaire préfigurait la Doctrine Sociale de l’Eglise Catholique : « Même si les préceptes de l’année jubilaire sont restés en grande partie dans le domaine de l’idéal ; c’était plus une espérance qu’une réalisation concrète, se transformant par ailleurs en une prophétie future, annonce de la vraie libération qui sera accomplie par le Messie à venir ; dans le cadre juridique qui s’en dégageait, se dessine peu à peu une certaine doctrine sociale, qui se développe ensuite plus clairement à partir du Nouveau Testament 1. »

 

25 B- L’année du Jubilé

8 Tu compteras sept semaines d’années, sept fois sept ans, c’est-à-dire le temps de sept semaines d’années, quarante neuf ans. 9 Le septième mois, le dixième jour du mois, tu feras retentir l’appel de la trompe ; le jour des Expiations vous sonnerez de la trompe dans tout le pays. 10 Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé : chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan. 11 Cette cinquantième année sera pour vous une année jubilaire vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas les épis qui n’auront pas été mis en gerbe, vous ne vendangerez pas les ceps qui auront poussé librement. 12 Le jubilé sera pour vous une chose sainte, vous mangerez des produits des champs.

13 En cette année jubilaire vous rentrerez chacun dans votre patrimoine. 14 Si tu vends ou si tu achètes à ton compatriote, que nul ne lèse son frère ! 15 C’est en fonction du nombre d’années écoulées depuis le jubilé que tu achèteras à ton compatriote : c’est en fonction du nombre d’années productives qu’il te fixera le prix de vente. 16 Plus sera grand le nombre d’années, plus tu le réduiras, car c’est un certain nombre de récoltes qu’il te rend. 17 Que nul d’entre vous ne lèse son compatriote, mais aie la crainte de ton Dieu, car c’est moi Yahvé votre Dieu.

Lévitique 25, 10.11

 

Dans leurs travaux sur le jubilé,  H. Dembinski et Jean-Michel Bonvin 2 soulignent que son principe implique une nouvelle approche de l’activité économique.

1- Le jubilé rappelle tout d’abord le droit de Dieu sur la terre et sur les hommes. Ainsi, sa proclamation manifeste la reconnaissance de ce droit du Détenteur initial sur toutes propriétés, due au détenteur initial.

2- Ensuite, en rompant les liens nés des dettes et des créances antérieures, le jubilé fixe à tous une limite à la durée des obligations qui en sont issues.

 

L’analyse du principe jubilaire

Selon le principe jubilaire, pendant quarante neuf ans, des transactions se nouent sur les marchés qui suscitent des dettes et des créances. Elles s’éteignent toutes la cinquantième année. Par conséquent, les créanciers vont anticiper cette échéance afin retrouver leurs créances avant la cinquantième année qui aboli les servitudes économiques.

Ainsi, l’activité économique enfermée dans une période de 50 ans ne peut développer librement les mécanismes d’accumulation, de concentration et de dispersion des revenus qu’elle peut engendrer.

Pour les croyants, le jubilé est un interventionnisme d’inspiration divine ; mais pour tous, il fixe une règle du jeu à l’économie, aux marchés, et par là même à la nature de l’Homme en fixant par avance une date, connue de tous, à laquelle dettes et créances sont déposées.

Une période transitoire annuelle s’ouvre alors pendant laquelle l’activité économique s’efface.

A la fin de l’année jubilaire, l’activité reprend sur de nouvelles bases, épurées des anciennes dettes et créances.

Le rythme économique est déterminé par le cycle jubilaire (Lév. 25B 15 et 16). Ce rythme réduit les anticipations, les soumissions et les spéculations à un espace temporel prédéterminé. Il permet de canaliser les périodes d’expansion et de répression récurrentes observées dans les théories des cycles, notamment de Kitchin, de Juglar et de Kondratief, cycle dont l’amplitude peut s’étendre de quelques semaines à plusieurs décennies.

 

Les cycles économiques, cycles courts et cycles longs.

Les cycles économiques sont théorisés, chez Kitchin  en 1923. Leur durée est de 40 mois environ. Ils sont liés à l’augmentation et à la diminution des stocks qui entraînent des fluctuations de la production.

Chez Clément Juglar 3, l’économie enchaîne des phases de croissance rapide et de récession en des cycles de 7 à 10 ans. Après avoir rejeté comme origine des crises les raisons agricoles et climatiques, retenues par Jevons, il considère qu’elles sont le produit du mécanisme monétaire de l’économie de marché et des variations de la masse monétaire et du crédit.

Les cycles seront observés, chez Kondratief  4 , en 1920. Leur durée est de 50-60 ans en moyenne. Ils reposent sur les mouvements des prix qui engendrent des phases d’expansion et de dépression, voire de récession.

Ainsi, en intégrant les cycles économiques de diverses origines dans le flux d’un cycle préalablement déterminé, le principe jubilaire réduit le champ des incertitudes et des imprévoyances. Il oblige les créanciers et les  emprunteurs à limiter la durée du contrat qui les lie à l’intérieur d’un espace temporel préétabli.

 

Le contrat financier comme fondement  de l’économie marchande. Les risques du créancier, de l’emprunteur, et de la société.

Une dette crée une créance qui lie le créancier à son emprunteur pour un montant et une durée prédéterminés dans un cadre contractuel. Ce contrat précise le volume et la périodicité du remboursement, ou de l’amortissement, de la dette, en principal et de la rémunération ou intérêt servis au créancier. Il  « permet de transformer en temps une variable endogène à l’économie ». En effet, globalement, l’activité économique s’est progressivement émancipée du rythme des saisons et ignore toute référence temporelle. Les seules normes temporelles qu’elle admet sont celles qui sont issues de la multitude de contrats qu’elle noue

Le créancier vend du temps à l’emprunteur qui en achète. Inversement, l’emprunteur vend une hypothèque sur l’avenir au créancier qui la lui achète. Ces relations sont à la base de toutes les pratiques économiques, et en premier lieu, de l’investissement productif.

Le contrat financier porte cependant un triple risque, pour le débiteur, le créancier, et pour la société, qui  repose sur la valeur finale et la condition du remboursement de la dette.

Le risque du débiteur est de ne pas pouvoir faire fructifier le capital prêté davantage ou à hauteur du capital  à rembourser, capital et intérêt. S’il ne peut rembourser, il prend le risque d’être soumis à la pression du créancier. Le Lévitique se référait à la confiscation des terres et à la réduction au servage, en pareil cas.  

Le risque du créancier et de ne pouvoir apprécier avec mesure les qualités de remboursement du débiteur. Le créancier couvrira alors son risque par un gage patrimonial exigé du débiteur. Mais en indexant la valeur du prêt sur celle des biens gagés, le créancier n’offre pas aux emprunteurs des possibilités similaires de développement puisque les plus gagés bénéficient de plus importants prêts, indépendamment des autres éléments de garantie.

En limitant la durée d’existence des dettes et des créances à l’intérieur d’une période prédéterminée, le jubilé  apporte une seconde garantie à l’emprunteur et au créancier.

Il permet à l’emprunteur d’échapper à l’aliénation continuelle que constitue la renégociation des termes du contrat, ou à la saisie de son hypothèque. Il permet au créancier  de se garantir davantage sur les capacités à rembourser de l’emprunteur que sur la valeur de son gage ou de son patrimoine.

En effet, les techniques d’échange et de rééchelonnement  des dettes, actuellement utilisées, ne pourront s’appliquer que dans la limite jubilaire. Cette limitation portera ses ondes de chocs à l’intérieur de l’espace jubilaire et impliquera par conséquent de nouveaux comportements  dans les relations contractuelles commerciales, privées et publiques.

Enfin, le risque social que porte le contrat financier est également atténué, voire supprimé, par l’instauration du cycle jubilaire.

 

Risque social et émission de monnaie

Le financement de l’activité économique repose sur la disparité des termes des contrats que le système financier engendre.

Paul H. Dembinski et J. Michel Bonvin soulignent à ce propos que « le métier des banques consiste à jouer avec les échéances des contrats individuels de façon à être en mesure de prêter plus de moyens de paiement en public qu’elles ne détiennent d’espèces. (…) La variété des temps de contrat de crédit et de dépôt permet à la banque de composer les deux côtés de son bilan de manière à ce que, bloc par bloc, les échéances des créances et des engagements concordent. Ainsi, la banque assure sa liquidité et sa solvabilité en jouant sur son portefeuille d’échéances. »

Ces créations de faux droits monétaires par anticipation des flux de dépôts comportent alors un risque systémique.

« Le risque social apparaît alors quand les échanges de créances et des engagements ne coïncident plus, quand l’un des acteurs est défaillant Il peut entraîner la défaillance d’autres acteurs, quand le débiteur ne rembourse pas sa créance, le banquier ne peut assurer les retraits des dépôts à vue. (…) La pyramide soigneusement construite des crédits et des dépôts menace alors de s’écrouler et d’entraîner dans sa chute l’ensemble de la toile des relations financières. »  Il suffit, par exemple, que les informations relatives aux emprunteurs soient négatives pour que la perte de confiance des contractuels (déposants, titulaires de comptes à vue, à terme, porteurs de titres) engendre des retraits massifs de liquidité et une déflation de l’économie (marché financier, marché monétaire, investissement, production et consommation avec apparition de la thésaurisation ou épargne de précaution). Ce risque se répand sur l’ensemble du système financier dont tous les contrats reposent sur des promesses de payer ultérieurement.

Au demeurant, Clément Juglar 3 avait démontré qu’à l’origine de chaque crise financière se trouve la révélation d’un écart entre la valeur réelle d’une créance (ou d’une promesse de payer) et sa valeur marchande. Le rééquilibrage de ces deux valeurs entraîne des conséquences en série sur les autres actifs et créances qui se fondaient sur l’actif initiateur de la crise. Il en résulte des ajustements imprévisibles qui engendrent une cascade de faillites.

Le principe jubilaire permet donc d’intégrer les phases expansives et dépressives de l’activité économique à l’intérieur d’un cadre temporel prédéterminé et connu de tous. Il limite ainsi le champ des incertitudes et ordonne les échéances des contrats financiers, la durée des créances et des dettes, à l’intérieur de ce cadre.

Autrement dit, il rend, sans exception, les dettes et les créances captifs d'une durée indépendante de la volonté de leurs auteurs. « Le temps du jubilé est exogène à l’économie, et l’économie en est tributaire sans aucune entorse ni exception possibles. »

 

Les conséquences prévisibles des principes jubilaires supposent de nouveaux comportements des agents, de nouvelles réductions contractuelles et de nouveaux modèles d’anticipation. Le marché, c’est-à-dire la confrontation des anticipations des agents, subira, par cette modification des termes des contrats, d’appréciables modifications. Ils obligeront les créanciers de la dette publique à renoncer à leurs créances si l’Etat n’est pas en mesure  de les rembourser à la date annoncée. Nous comprenons ainsi que la gestion de la dette publique aura alors une toute autre dimension !

 

Extrapolation du principe : Et si la simultanéité remplaçait la succession des contrats financiers ?

Paul H. Dembinski et JM Bonvin concluent leur propos en constatant que « pour nous qui sommes assis sur le volcan de la finance mondialisée dont plus personne ni plus aucune institution n’est capable d’appréhender les tenants et les aboutissants, le paradigme jubilaire est séduisant à plus d’un égard. »

Ainsi, l’horizon temporel de 49 ans de la prescription jubilaire qui correspondait à une société agricole dont les servitudes étaient essentiellement foncières mérite peut être de s’accompagner d’horizons plus rapprochés dans le cadre de nos sociétés marchandes post industrielles et mondialisées.

Il serait alors possible d’élargir le champ de notre réflexion à différents modèles d’interprétation et d’application du cycle jubilaire.

Par exemple, le jubilé repose sur le principe de la simultanéité des extinctions des dettes et des créances. Il en détermine par avance leur durée.

Ce principe pourrait, par extrapolation, s’appliquer à la monnaie d’endettement, dans un ou plusieurs cycles, court et de moyen termes, évidemment renouvelables. Il s’agirait d’annuler la monnaie ayant pour contrepartie des titres d’endettement temporaires à court et moyen termes,  ou plus exactement un volume de monnaie qui lui serait égal.

La durée d’existence de cette monnaie d’endettement devrait être limitée à l’intérieur d’un cycle court puisqu’elle a pour objet la consommation et s’éteint avec elle 5. Ce cycle d’un  mois à quelques semaines interdirait par conséquent la formation de phénomènes d’accumulation, de concentration des revenus et de fuites des capitaux vers des circuits spéculatifs n’ayant que peu ou pas de rapports avec l’activité économique réelle de l’espace monétaire considéré.

Des techniques d’extinction simultanée des dettes et de régénération monétaire restent à imaginer.

Janpier Dutrieux

-------------------------

1 - Jean-Paul II, Tertio Millennio Adveniente, 1994, n°13.

2 - Le Jubilé : une idée pour imposer un rythme à l’économie, Paul H. Dembinski et Jean-Michel Bonvin, Observatoire de la Finance, Genève et www.obsfin.ch

3 - Les crises commerciales et leur retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, 1862.

4 - Les cycles de Kondratieff furent analysés par Pierre Bon in Fragments n° 43.

5 - Je rappelle que la consommation représente, selon J.P Betbèze (Crédit Lyonnais)  les 2/3 de la demande à court terme.

 

 

 La crise argentine

 

Historique.

En 1990, le ministre des finances argentin, D. Cavallo, installe un Conseil monétaire (currency board) en Argentine sur les conseils du FMI, afin de stabiliser l’austral, ancien nom du peso argentin avant 1992. Ce conseil monétaire instaura un système d’étalonnage entre l’austral et le dollar. Il exigea que la Banque centrale argentine détienne 80 % de ses réserves en or et en devises.

Cette contrainte permit de compenser la fuite de huit milliards de dollars vers le Mexique, en 1994-95, par une injection de 6 milliards de pesos ayant pour contrepartie des titres nationaux. Cette opération fut appelée le Test Téquila. Sa réussite fut attribuée au fait que la masse monétaire argentine possédait pour 60 % de réserves étrangères en contrepartie.

Mais en juillet 1998, l’Argentine entra en récession. En 2001, son taux de chômage officiel s’éleva à 18,6 % de la population, mais un argentin sur trois vit sous le seuil de pauvreté. 90 % des banques et 40 % de l’industrie argentines sont sous le  contrôle de capitaux étrangers. L’économie informelle s’élèverait à 40 % du PIB.

La dette publique, qui n’a cessé de croître depuis 25 ans, s’élevait à 147 milliards de dollars en fin 2000. Elle consomme 22 % des dépenses publiques pour le paiement des intérêts. Ainsi, entre 1976 et 2001, l’Argentine a remboursé environ 200 milliards de dollars, soit près de 25 fois ce qu’elle devait en 1976.

Sa dette extérieure atteint 132 milliards de dollars.

En début 2000, l’Argentine reçut une aide de 14 milliards de dollars du FMI qui exigea le rétablissement de l’équilibre budgétaire et le maintien de la parité peso dollar.

Mais en 2001, le budget ne put être équilibré. Son déficit budgétaire s’élèverait à 6,5 milliards de dollars dont 1,3 milliard de dollars pour le seul 4e trimestre. Le ministre de l’économie D. Cavallo demanda au FMI une aide de 1,26 milliard de dollars qui refusa puisque l’Argentine n’avait pas respecté ses engagements de réformes économiques et d’équilibre budgétaire. L’Argentine, en cessation de paiement, de payer ses dettes, envisagea alors de laisser flotter sa monnaie, puisque la parité dollar peso n’est plus que théorique, ce qui suppose une dévaluation.

Le 1er décembre 2001 des mesures de contrôle des sorties de capitaux furent prises, la Banque centrale demanda aux banques secondaires de rapatrier leurs avoirs à l’étranger.

Les retraits mensuels furent limités à 1000 dollars, la population fut invitée à payer par chèque ou carte bancaire alors que sur 24 millions d’Argentins, seuls 5,5 millions ont des carnets de chèque.

Avec la dévaluation du peso, le risque inflationniste réapparaît. Il limite l’acceptation de prévisibles moratoires demandés à la communauté internationale.

 

Substituts monétaires.

Ces derniers mois, afin d’atténuer le manque de monnaie, la province de Buenos Aires  avait émis des « patacones », (titres d’échange qui s’apparentent aux assignats français) pour 0,5 milliards de dollars. Puis l’Etat fédéral émit des « lecops » qui devaient se substituer aux patacones ; d’autres bons d’échange furent également recensés. Ces bons d’échange sont des titres de dette théoriquement payables à 36 mois (à partir de juillet 2002), ils sont venus s’ajouter aux dépenses publiques et augmenter le passif du bilan de l’Etat. Dénoncés par le FMI, ces substituts monétaires, émis par les gouvernements régionaux pour compenser  les subventions que le gouvernement national ne pouvait plus leur verser, atteignaient 4,4 mds. de dollars, soit 3 fois le 1,26 milliard bloqué par le FMI.

Leur vitesse de circulation est supérieure à celle du peso. Il s’en suit que les Argentins épargnaient en dollars, et consommaient avec ces bons d’échange. Les pesos sont, par contre, convertis en dollars.

 

Le souvenir de la crise de 1923.

Cette situation n’est pas sans rappeler celle que connût l’Allemagne au lendemain de la première guerre mondiale.  Surendettée par la conséquence des réparations de guerre, l’Allemagne vit le cours de sa monnaie s’effondrer, l’hyperinflation s’installer alors que son économie devenait exsangue.

Des bons et autres substituts monétaires, circulaient dans le pays quand un député, Helfferich, proposa d’émettre une monnaie spéciale couverte par des titres de rente. Cette idée fut intégrée au plan déflationniste proposé par Ernst Wagemann. Ce plan suggérait que :

1e - l'Etat  utilise les rentrées fiscales pour réduire et annuler la dette publique ;

2e - les possibilités de création monétaire par crédit ex nihilo des banques soient réduites, tandis que les agents économiques amortiraient leurs dettes ;

3e - la reconstitution de l’épargne annule l'inflation due à l'accélération de la circulation monétaire.

Hjalmar Schacht mit en œuvre ces propositions en créant le 20 novembre 1923 le rentenmark. Ce jour là, le dollar s'échangeait contre 4 trillions 2 cents milliards de marks, il valait 4,2 marks le 31 juillet 1914.. Le rentenmark n'était qu'une monnaie intérieure, théoriquement, il valait un mark or, mais avait pour garantie une hypothèque sur la propriété foncière allemande.

Avec la création du rentenmark, Schacht interdit tous les substituts monétaires privés et supprima la possibilité de création de crédits bancaires ex nihilo des banques secondaires. A cette fin, il bloqua « sans autre forme de procès tout crédit ultérieur sur effet de commerce. En temps normal, les effets apportés par l'économie étaient le moyen habituel de se procurer du crédit auprès de la Banque du Reich. Il n'était encore jamais arrivé que celle-ci refusât d'escompter des bons du commerce. » Ces mesures draconiennes permirent en quelques mois de rétablir la parité mark-dollar de 1914.

En fait, c’est parce que Schacht supprima totalement la possibilité de monétisation des promesses de payer des banques secondaires que l’inflation fut jugulée et la stabilité monétaire retrouvée aussi rapidement.  

Cet exemple inspirera-t-il les Argentins ?

--------------------

1- Arnaud Zacharie, Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers Monde  techn@transnationale.org

2-  Ernst Wagemann, La réforme de la monnaie et du crédit, 1932.

3 - Hjalmar Schacht, Commissaire du Reich à la monnaie en 1923, Mémoires d'un magicien, 1954.

 

 

 Les asymétries d’information

 

La théorie des salaires d’efficience proposée par les prix Nobel d’économie 2001 G.A. Akerlof et Joseph Stiglitz s’inscrit dans le cadre d’analyse des asymétries d’information observées sur les marchés (cf. Fragments n°51).

Exposé : Lors du recrutement sur le marché du travail, les employeurs ne peuvent discerner le grain de l’ivraie et les véritables caractéristiques des candidats qui enjolivent peu ou prou la réalité. Il y a asymétrie d’information.

Ensuite, après l’embauche, le degré de motivation et de dynamisme des agents n’est pas toujours apprécié avec justesse. Pour Akerlof et Stiglitz, c’est le niveau du salaire qui entraînera la qualité du recrutement et de la motivation des salariés. « La qualité dépend du prix. »

Argumentation :

1- Un salaire plus élevé que celui a priori nécessaire signale aux candidats la qualité de la firme et des emplois.

2- Un salaire plus élevé permet d’attirer de meilleurs travailleurs.

Des salaries indigents peuvent conduire à des catastrophes en abaissant la qualité des recrutements et du travail fourni. Des emplois sous traités à des sociétés privées et à bas salaires génèrent des effets nuisibles, ayant des conséquences sur l’environnement humain, social et écologique.

3 - Des salaires plus élevés limitent les coûts de rotation des effectifs (turn over).

Selon Stiglitz, il faut en finir avec le mythe de l’entreprise qui fonctionnerait même en changeant souvent de travailleur. Offrir des emplois stables, une carrière ou un statut à des employés se révèle en général plus pertinent.

4 - Des salaires plus élevés dissuadent les employés d’être  déloyaux qui, craignant de perdre cet avantage, ont tendance à être plus productifs que les autres.

Akerlof appelle « don partiel » le sur salaire accordé par l’employeur qui est payé de retour par un « contre-don » ou surplus d’effort du salaire. Un cercle vertueux peut alors s’enclencher, fait de gains de productivité et de qualité de service accrue. Ainsi, les hausses salariales peuvent être sources d’efficience. Ces travaux ne s’appuient pas sur une justification sociale, morale, politique mais sur un plan stratégique de bonne gestion.

 

Equité et asymétries d’information.

Dès 1976, Stiglitz montra par ailleurs que la distribution de pouvoir d’achat était un facteur essentiel de l’essor des Pays en Développement.  Il rappelle les missions respectives des grandes Institutions mondiales : la Banque mondiale doit réduire la pauvreté, le FMI assurer la stabilité financière et l’OMC faciliter le commerce international. Or, le FMI et l’OMC ont probablement contribué à accroître la pauvreté. Le FMI a poussé à la libération des mouvements de capitaux alors que peu de preuves démontrent qu’elle favorise la croissance économique mais surtout l'instabilité économique.

« La théorie du commerce international montre que tant que les salariés les moins productifs peuvent évoluer vers des emplois plus productifs, la libéralisation crée de la richesse, mais avec une politique monétaire restrictive, il est impossible de créer des emplois. »

D’un autre côté, Akerlof plaide en faveur d’une atténuation du postulat de base de l’analyse économique, l’homo oeconomicus. Le sentiment d’équité est au moins aussi important, selon lui, pour comprendre les comportements humains que la recherche de la plus grande utilité possible. »

Si les analyses d’Akerlof et Stiglizt s’intègrent intégralement dans un cadre microéconomique, elle apparaissent cependant justifier les théories macro économiques keynésiennes de la demande et l’émergence de l’éthique en économie.

 

 

 Fragmentelles

 

§ Risque de chute des cours - Selon le prix Nobel d ’économie 1999, Robert Mundell, l’impact du surcoût provoqué par les attentats du 11 septembre 2001 s’apparente à une taxe, pas seulement américaine mais mondiale, sur l’économie, qui sera durable.

Les outils de « policy mix », coopération des politiques monétaire et budgétaire, de lutte contre la récession, ne sont pas toujours adaptés. Il constate que la baisse des taux d’intérêt n’a fait que suivre la baisse des perspectives de profit des entreprises : « Or ce n’est que lorsque la baisse des taux est plus prononcée que celle des anticipations de profit qu’il peut y avoir un effet de relance ». Selon lui, les entreprises sont trop valorisées en Bourse tandis que les gestionnaires exigent des perspectives de profits qui ne sont pas tenables. De fait, le risque d’une forte chute des marchés boursiers est important. Pour y remédier, Robert Mundell préconise de diminuer fortement l’impôt sur les sociétés de 35 % à 20 %, ce qui serait plus efficace que la policy mix.

En effet, malgré les baisses des taux d’intérêt, les entreprises ne perçoivent pas d’amélioration de leurs profits, aussi elles n’investissent pas. Sans doute les taux peuvent-ils encore baisser, mais ce n’est pas parce que l’on abaisse le coût du crédit que l’on peut forcer les individus à emprunter : « On peut amener un cheval à la rivière, mais on ne peut l’obliger à boire ».

Si la situation de crise perdurait, il conviendrait « d’injecter du pouvoir d’achat, par une action à l’échelle internationale. » Dans les années 1950 et 1960, le SMI permettait ce genre de régulation, mais abandonné en 1971, on s’est privé de cette possibilité d’injecter des liquidités à l’échelle mondiale. « Pour trouver des solutions, il faut sortir des idées préconçues », en créant un organisme comme une Banque centrale mondiale qui recréera de la liquidité en s’appuyant sur les réserves nationales du Japon, de l’Europe et des Etats-Unis.

Cependant, Mundell se félicite de la réussite de l’euro : « le marché des capitaux est moins fragmenté, les taux d’intérêt plus bas, la monnaie unique a éliminé une certaine forme de spéculation sur la devise, quant à sa faiblesse, elle permet à la récession d’être moins marquée en Europe que si son cours était encore égal à celui de son lancement.

 

§ La structure de la consommation. La consommation représente, selon Jean-Paul Betbèze (Crédit Lyonnais), deux tiers de la demande à court terme. A moyen terme, ce qui n’est pas investi est consommé. L’incertitude de la demande s’appelle la confiance du consommateur, selon qu’il préfère consommer ou épargner en prévision d’un risque ou d’une dépense future.

En ressources, les revenus, leur épargne, leur capacité d’emprunt, le vente de leurs actifs.

En emplois (dépenses), entre la sous-consommation et la surconsommation financée par surendettement, l’éventail est vaste et dessine les incertitudes de la consommation.

Le point d’ancrage qui détermine la confiance côté ressources est assurément le revenu qui détermine le reste. Les banques, leurs actionnaires et, in fine, la Banque centrale, régulent le système de cette demande, ils poussent ou freinent le crédit.

La dépense dépend de plusieurs facteurs, niveaux de subsistance, structure de la consommation (niveau de l’équipement, de la superficie, etc) et parts fixes (impôts, loyers, factures et équivalents) dans le budget. Or, la consommation est de plus en plus une affaire de contrats (EDF, Téléphone, crédits, loyer, etc) qui déterminent la part fixe, elle même davantage liée aux services (tourisme, etc).

Revenus et anticipations de revenus se mesurent ainsi à la part libre des dépenses, le tout réglé par des habitudes, des repères et des filières de consommation, qui évoluent en fonction du climat social et économique.

 

§ Pauvreté et Secours Catholique. Le dernier rapport du Secours Catholique publié le 6 novembre a souligné une baisse de fréquentation de 5 % en 2000 de ses lieux d’accueil après une baisse de 2 % en 1999, qu’il attribua à l’amélioration de la conjoncture économique.

Il note l’augmentation des étrangers en attente de papiers, de 30 % à 39 % de 1999 à 2000, du fait de l’allongement du délai de traitement des demandes. Ces candidats à l’asile doivent patienter entre 12 mois à 18 mois avant de recevoir une réponse, délai pendant lequel il leur est interdit de travailler en attendant une allocation d’insertion de 1800 francs (274,41 euros) par mois versée longtemps après.

Le Secours Catholique note également le piège des prêts à la consommation. Selon ses sources, 13 % des personnes secourues en 2000 avaient des problèmes d’impayés à hauteur de 9000 francs (1372 euros), 13 % présentaient des dettes liées à des crédits à la consommation contre 10 % en 1999, pour une moyenne de 20.000 francs (3048 euros).

 

§ L’éthique en économie. Le « Global Compact », adopté en 2000 par l’ONU réunit 50 multinationales, des syndicats et Amnesty International, autour de l’engagement de respecter la liberté syndicale, de renoncer au travail des enfants et de sauvegarder l’environnement.

En France, l’article 64 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) adopté le 15 mai 2001 impose aux entreprises d’établir un rapport annuel sur « les conséquences sociales et environnementales de leur activité », applicables pour tous en 2002.

Au niveau européen, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (1989), la Charte des droits fondamentaux (Nice 2000), le livre vert sur les responsabilités sociales régissent la responsabilité sociale des entreprises.

En fait, la responsabilité sociale des entreprises est de plus en plus sanctionnée par des cabinets d’audit extérieurs qui décernent des codes de conduite, des labels, des normes, des rapports, des notations. Des labels environnementaux (écolabels) voisinent autour de label sociaux (label Max Havelaar).

Dans le même temps, les fonds de placements éthiques sont apparus en France en 1983. Ils sont 49 « socialement responsables », mais ne représentent que 0,1 % de l’épargne gérée collectivement. Aux Etats-Unis, ils occupent 13 % du marché. Ce marché de fonds éthiques est cependant présenté comme « la norme de demain », mais en France, « il  existe plus dans les discours que dans la réalité ».

En France, des dispositions réglementaires viennent soutenir ce mouvement. Un texte sur l’épargne salariale (360 milliards de francs) et sur le Fonds de réserve des retraites (1000 milliards d’ici 2000) précise que la société de gestion doit respecter des considérations sociales, environnementales ou éthiques dans l’achat ou dans la vente de titres.

 

 

 

 

 

51– septembre 2001

 

La sagesse des hommes

 

 

 

 

 

Malheureusement ce sont les guerres et les grandes catastrophes qui ont toujours su illustrer les modèles de préfinancement de l’économie. Comme ci des cycles naturels pesaient sur le développement de l’humanité. Cycle du marché : Les agents organisent les marchés. Les marchés accentuent les écarts de productivité. Les cohésions s’effondrent. Des ordres communautaires resurgissent : Cycle de l'Etat. Hier encore, les guerres provenaient du protectionnisme des Etats. Les échanges internationaux furent libérés. Vint la mondialisation, et sa première guerre. Il serait, certes, malhonnête, de réduire à cette dimension économique les événements que nous traversons mais il serait tout aussi frauduleux de l’occulter et d’en refuser les conséquences.

 

La dispersion des revenus.

La globalisation a récemment écrit le théologien américain William Cavanaugh : « a exacerbé l’insécurité et les conflits d’intérêts, quand elle ne les a pas suscités, en provoquant à la compétition des régions du monde géographiquement séparées les unes des autres. Le libre échange, par exemple, que l’on présente comme une stratégie bénigne, censée assurer le développement des nations au moyen de la compétition économique, respire la violence et pourrait bien ouvrir la voie à une guerre économique de tous contre tous. Ce qui marquerait la fin des Etats-nations, dont les définitions spatiales ont déjà été largement effacées par l’économie moderne, et leur cohésion minée par l’exploitation des différences même des Etats 1».

La thèse des liens, fussent-ils indirects, entre terrorisme et pauvreté, n’est  guère présentable. Pourtant il devient timidement admis qu’il n’est pas possible, à long terme, de priver des milliards d’hommes de la prospérité sans générer un terreau de violence. »  Le Président de la Banque Mondiale, James Wolfensohn, rappelait récemment que «des études approfondies nous enseignent que les guerres civiles ont souvent été le fruit, non pas tant de la diversité ethnique - le bouc émissaire habituel - que d'une multiplicité de facteurs, au centre desquels, il faut le reconnaître, figure la pauvreté. » Il est impossible, écrit-il, « de prévenir les conflits et d'instaurer la paix sans stratégie de promotion de la cohésion sociale.»

La Banque mondiale estime, par ailleurs, que les événements et les suites des attentats perpétrés le mardi  11 septembre 2001 aux Etats-Unis pèseront sur la croissance des pays en développement (PED) condamnant à la pauvreté jusqu'à 10 millions d'êtres humains supplémentaires, notamment en Afrique, élevant les coûts, et réduisant l'activité économique et le commerce mondial. Les investisseurs risquent de fuir les zones instables  et leur poids dans les PED, déjà faible mais en légère croissance, de diminuer et de se concentrer sur des pays plus sûrs. Depuis le 11 septembre, beaucoup de contrats à terme sur des produits agricoles ont accusé des baisses conséquentes qui risquent de se traduire par une diminution des prix de vente des produits agricoles.

Ensuite, la forte contraction des importations américaines devrait entraîner une partie du monde dans la crise (Asie, Amérique latine). L'Europe, particulièrement ouverte sur l'extérieur (les exportations représentent 17 % du PIB de l'UEM en 2000) est aussi sensible aux fluctuations de la demande internationale qui devrait se rétracter.

Dans ce contexte, la Banque mondiale préconise d'accroître l'aide étrangère mondiale et de continuer à abaisser les barrières commerciales. Cette aide représentait 240 milliards de dollars en 2000 et pourrait chuter à 160 milliards. Elle ne représente que 0,22 % du PIB des pays de l'OCDE bien loin des 0,7 % promis par les pays industrialisés.

Les Etats-Unis jugent cependant sévèrement les recommandations de la Banque Mondiale, également soulignées par le FMI sur les conséquences d’un ralentissement de la crois-sance sur les PED. Ils accusent notamment son président, James Wolfensohn, de trop favoriser la politique de développement au détriment des politiques de croissance, et apprécieraient, sans doute, son départ.

 

Un soutien mondial à l'économie entre la carotte et le bâton

Quoiqu'il en soit, les événements aggravent la discrimination  des aides. Le FMI a ainsi été prié par se principaux Etats actionnaires, notamment les Etats-Unis, de soutenir les Etats alliés. Dès le 26 septembre, le Pakistan a ainsi bénéficié d’un nouveau prêt de 135 millions de dollars et d’un probable rééche-lonnement de sa dette de 38 Milliards de dollars. Le budget américain consacre aussi 50 millions de dollars pour aider ce pays en oubliant les sanctions liées à la reprise de ses essais nucléaires. L'Union européenne (UE) entend également augmenter les exportations de textiles pakistanais d'un milliard d'euros sur les quatre prochaines années. Avec les 135 millions. de dollars du FMI, 50 millions d’euros de l’UE, 40 millions de dollars du Japon, la persistance du président pakistanais, Pervez Moucharref, à rejoindre les alliés se comprend dans un  pays qui consacre 45 % de son budget au service de sa dette extérieure (38 Mds. de dollars), et dont la croissance de 3 % en 2000 est à peine supérieure à l’accrois-sement démographique de 2,5 % l’an 2.

 

La relance américaine : Interventionnisme de l'Etat et politique mixte.

Ceci posé, les Etats-Unis étaient déjà en récession depuis plusieurs mois avant les attentats du 11 septembre. La production industrielle n’utilisait ses capacités qu’à 76 % en août, au terme d’une 11e chute sur un an, enregistrant son taux le plus bas depuis juillet 1983 et sa plus grande période de recul depuis 1960.

Mais, après les attentats, plusieurs mesures d'ordre budgétaire et monétaire typiques d’une politique mixte (policy mix) furent appliquées aux Etats-Unis pour soutenir l'économie.

Dès le 14 septembre, la FED encouragea les banques à accorder des crédits aux emprunteurs solvables et à modifier les termes initiaux des conditions de crédit et autres transactions, notamment l’allongement de la durée de remboursement et la restructuration de la dette.

Le 17 septembre, pour soutenir les marchés financiers, lors de la réouverture de la Bourse de New York,  la FED baissa ses principaux taux d'intérêt de 0,5 % (3 % pour le taux des Federal Funds). Cette baisse était la 8e depuis janvier et fit atteindre aux taux d’intérêt les niveaux planchers observés lors de la récession de 1992-94. Les principales Banques centrales, notamment de le BCE,  suivirent en baissant à leur tour leurs principaux taux.

Après une semaine de fermeture, la Bourse de New York ré-ouvrit le même jour sur une baisse de 0,39 % qui atteignit 7,13 % à la clôture (8921 points Dow Jones). Pour comparatif, la chute fut de 22,61 % le lors du krach du lundi 19 octobre 1987. Mais la destruction de valeur boursière américaine atteint cependant 6600 milliards de dollars (7180 euros), selon l'agence Reuters, soit 5 fois le PIB français 2000 3.

La FED abaissa de nouveau le 2 octobre de 0,5 % à 2,5 % son principal taux de refinancement, inférieur à son niveau le plus bas depuis 1962.Cependant, les effets de ces baisses à répétition ne seront effectifs qu’en fin 2002, voire 2003 et rappellent les baisses répétitives du taux d’intérêt de la Banque du Japon ramené à 0,25 % fin septembre. De surcroît, comme le taux nominal de l'intérêt est aux Etats-Unis supérieur à celui de l'inflation, son taux d'intérêt réel est négatif. Enfin, le Congrès américain autorisa le recours au déficit budgétaire à hauteur de 75 milliards de dollars pour financer une politique de grands travaux et des baisses d’impôt afin de relancer la consommation. 40 milliards. de dollars pour la reconstruction de New York et la lutte entre anti terroriste, 15 milliards d’aide d’urgence aux compagnies aériennes et 3 milliards. pour les pertes d’emploi consécutives aux attentats du 11 septembre.

Ces mesures contra-cycliques de relance, d’inspiration keynésienne, sont naturellement aux antipodes de la pensée libérale qui prévaut dans le monde. La crainte de nouveaux attentats et les menaces de guerre bactériologique réintroduisent l’Etat comme l’agent principal d’amortissement des crises.

En réalité, écrit Roger Boyer, l'un des fondateurs de l'école de la régulation, « depuis Ronald Reagan, les Etats-Unis ont régulièrement pratiqué des politiques keynésiennes sans le dire ». Aujourd’hui, estime-t-il, « l'économie américaine actuelle traverse une crise de régulation puisque sans une intervention massive et multiforme, le marché risque de s’effondrer 4 . »

 

Interventionnisme américain, dogmatisme libéral européen

En Europe, la crainte d’une baisse de l’activité économique de l’ordre de 1,5 % de la croissance est minimisée par celle, non moins grande, de ne pas pouvoir limiter le déficit budgétaire, comme ce fut le cas par le passé. Si 100 milliards de dollars injectés dans l'économie américaine représentent 1 % de son PIB, souligne Henri Guaino, ancien Commissaire Général au Plan, « le Pacte de stabilité adopté à Amsterdam en 1997 qui contraint les Européens à une rigueur budgétaire excessive » leur interdit le même geste .  Or, une situation de quasi stagnation n'est guère compatible avec la stabilisation du taux de chômage et avec le respect du pacte stabilité budgétaire qui vise à une disparition des déficits publics européens.

De surcroît, le respect de la limitation à 3 % du PIB du niveau des déficits publics est incertain puisque la trop timide baisse des taux d'intérêt de la BCE n'offre aux Etats européens que la possibilité de laisser glisser leur déficit budgétaire pour soutenir leur économie, déplore J. Paul Fitoussi.  Il oppose à ce plafond de 3 % du PIB, autorisé pour les déficits budgétaires des Etats européens, par le Pacte de stabilité et de croissance adopté lors du Conseil européen d'Amsterdam de 1997, une approche structurelle du déficit budgétaire. Il s’agirait de définir les déficits autorisés en fonction de la croissance normale de long terme du pays concerné, ce qui permettrait d'en éliminer les variations conjoncturelles. Cette proposition fut  faite en juin 2001 par les Etats membres de l’Union européenne à Göteborg..

En fait, les retombées économiques de ces tragiques événements vont éprouver, dans les mois qui viennent, la pérennité du Pacte de stabilité et de croissance, modèle Amsterdam 1997, et l’indépendance de la BCE. Déjà, réunis à Gand le 19 octobre, les chefs d’Etats de l’Union européenne et les ministres des finances belge et français, D. Reynders et L. Fabius, ont invité prudemment la BCE à réduire ses taux d’intérêt face à un ralentissement économique. Ce communiqué, bien que rédigé en termes indirects, serait-il également un signe du réveil du politique ?

 

Un modèle distributif de politique mixte

Dans cette hypothèse, ne conviendrait-il pas de réactiver, au niveau européen, la proposition de Jean Marcel Jeanneney d’injecter dans le circuit économique une monnaie qui ne soit pas d’origine bancaire et n’ait pas pour contreparties des créances privées ? Monnaie qui serait distribuée directement aux résidents européens, puisque la BCE ne peut remettre de ressources à des organismes publics ni à des personnes privées qui en reçoivent d’ordinaire de l’Etat, et de façon uniforme, afin de ne pas favoriser une catégorie sociale plus qu’une autre, et de ne pas perturber les marchés 7. Cette distribution uniforme de monnaie ne devrait pas interdire, évidemment, les Etats européens de soutenir les secteurs en stagnation.

Par ailleurs, avec l’adoption de cette politique de distribution monétaire, l’Union européenne pourrait initier un mouvement de relance et de soutien à l’économie des pays fragilisés et en développement.  Comme le soulignait le fondateur de la Grammen Bank, Mohamad Yunus, les aides internationales restent inefficaces car elles sont filtrées par trop d’écrans. Par contre, la proposition de Yoland Bresson de distribuer l'aide aux pays du Tiers Monde directement auprès de chaque citoyen adulte des pays concernés, sous forme d'un revenu d'existence, d'un dividende humanitaire, annule ces niveaux d’intermédiation. Elle pourrait s’appliquer aux aides de l'Union européenne, mais également à celles du FMI et de la Banque mondiale. Ce mode de distribution directe pourrait libérer les économies et énergies locales, fixer les populations, freiner les flux migratoires 8, et établir la démocratie économique à l’intérieur de l’Union européenne comme dans les pays aidés.

Janpier Dutrieux

--------------

1- William Cavanaugh, Ad Solem, 2001, cité par Chrétiens dans la Cité, N°97, 26.09.01 (26, rue Roublot, 94120 Fontenay sous bois)

2- Lors de la guerre du Golfe en 1991, L’Egypte, le Maroc et la Jordanie avaient  été pareillement récompensées pour leur alliance pro-américaine.

3- En fait, de septembre 2000 à septembre  2001, la chute des cours boursiers a atteint les 60 % sur les valeurs technologiques de la nouvelle économie de l’indice du marché américain Nasdaq, 50 % de l’indice japonais Nikkei, près de 35 % pour le Dow Jones et plus de 40 % sur le CAC 40. Sur 18 mois, ces baisses représentent près de 6600 milliards de dollars (7200 Mds. d’euros) de valeur virtuelle.

4- Roger Boyer, Le Monde du 9 octobre 2001.

5- Henri Guaino, Valeur Actuelles du 12 octobre 2001.

6- Jean-Paul Fitoussi, Le Monde du 22/09.01

7- Jean-Marcel Jeanneney, Ecoute la France qui gronde, Arléa 1995, et Fragments Diff. n°30.

8 - Yoland Bresson, Le Monde de l'économie du 13 mars 1999 et Lettre de Fragments Diff. n° 36.

 

 

 

 

  Produit Criminel Brut, Paradis bancaires et fiscaux

 

Etats des lieux 

Depuis les années 1980, époque du Cartel de Cali et Medellin dont les actifs financiers étaient estimés à 10 milliards de dollars, les techniques financières des puissances mafieuses, criminelles et terroristes, ont évolué. Elles utilisent moins le secteur bancaire un peu surveillé que les institutions financières, d’assurances ou d’investissement, et les marchés à options plus risqués mais plus rémunérateurs.

De nombreuses statistiques ont démontré le développement de ces transactions douteuses. Le rapport 2001 de l’Institut des Hautes Etudes de la sécurité intérieure, relatif aux désajustements de la balance des paiements mondiale, révélait que « le monde pris dans son ensemble connaît un déficit substantiel en compte courant. »  Ce déficit est passé de 3 milliards de dollars en 1970 à 64,7 en 1998, avec certaines pointes atteignant 195 milliards de dollars.

Les capitaux terroristes mafieux peuvent provenir de circuits légaux, associatifs, caritatifs, comme illégaux. Ces réseaux utilisent les facilités de la finance internationale offertes aux particuliers et aux entreprises, servis par l’informatisation des transactions bancaires. Ils s’alimentent au grand banditisme, aux revenus de la drogue, à l’impôt révolutionnaire (racket), aux détournements de fonds publics et à la spéculation boursière.

Le chiffre d’affaires de ces activités illicites constitue un nouvel instrument statistique, le Produit Criminel Brut (PCB) de 800 à 900 milliards de dollars (870 à 877 milliards d’euros) à la fin de la décennie 1990, soit l’équivalent du PIB chinois de l’époque.

Selon l’ouvrage de référence « Un monde sans loi » 1 : « En 10 ans, ce sont au bas mot 3000 milliards de dollars (3227 mds. d’euros) qui ont été accumulés par les mafias dans le monde ».

Entre 1977 et 1989, plus de 800 milliards de dollars (873 mds. d’euros) ont disparu des comptabilités nationales. Ils furent 1000 milliards de dollars supplémentaires (1072 mds. d’euros) entre 1989 et 1998.

 

Le financement des mafieux et du terrorisme.

1- L’impôt obligatoire, pour « la cause », volontaire ou non, alimenté également par les diasporas, non volontaire avec racket, rançon, chantage, sabotage.

2- Les réseaux de la criminalité organisée :

- le trafic de la drogue : un marché de 2500 milliards de francs, soit 8 % du Commerce mondial selon le Programme des Nations Unies pour le Contrôle International des drogues (Pnucid) alors que l’automobile  représente 2900 mds. francs.

La Colombie (plantation de cocaïne profitant à la guérilla mexicaine des Forces armées révolutionnaires de Colombie), le Croissant d’Or (Afghanistan, Pakistan, Iran) de champs de pavot alimentent le terrorisme international.

- le trafic des médicaments, chiffré à 80 milliards de francs par l’Organisation Mondiale du Commerce, dont ecstasy, kétamine, drogue de synthèse.

- les contrefaçons commerciales, qui, selon les experts du ministère de l’économie et des finances, couvriraient entre 3 % et 9 % du commerce international, soit 150 à 470 milliards de dollars l’an.

- les fraudes au budget communautaire. Sur 95 milliards d’euros, l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (Olaf) estime que 10 % à 15 % de cette somme sont détournés, soit de 53 à 85 milliards de francs, notamment avec la contrebande de cigarettes et certains fonds structurels qui seraient détournés au profit des organisations terroristes (Corse).

- des trafics divers comme les déchets toxiques, les diamants et le pétrole.

 

Les mafias utilisent les facilités offertes par la globalisation de la flexibilité, de la mobilité des capitaux, du nomadisme, dictés par les rentabilités locales, en intégrant les préceptes du libre échange et de l’Etat minimum. Comme l’indique le juge Eric Halphen : « Il faut cinq minutes pour déposer un million de francs au Pays-Bas, cinq autres minutes pour les transférer sur un compte britannique, cinq de plus pour le transférer à nouveau sur un compte suisse. Il faut alors une journée pour se rendre dans ce pays, solder le compte, traverser la rue et en ouvrir un autre dans un établissement différent. Un juge devra, lui, attendre six mois pour obtenir une commission rogatoire aux Pays Bas, presque un an en Grande Bretagne, près de six mois encore en Suisse, pour s’apercevoir que le compte incriminé a été soldé ! »

 

Pays non coopératifs, centres off-shores, banques correspondantes, et mesures de répression

Le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), organisme intergouvernemental créé en 1989 par le G7 pour définir des stratégies de lutte contre le blanchiment des capitaux estime que le blanchiment des capitaux atteindrait 1000 milliards de dollars (910 mds. d’euros) par an, dont environ 400 milliards de dollars (360 mds. d’euros) du trafic des stupéfiants. Il publia une première liste de 21 pays dits non coopératifs en juin 2000, puis une seconde en juin 200 avec 25 pays. Cet outil est cependant insuffisant pour asphyxier financièrement les réseaux terroristes. Les interventions en aval, au moment du recyclage de l'argent sale, et en amont, quand les fonds d'origine «légale» s'investissent dans des activités terroristes, sont en effet de nature différente. En France, une cellule financière de lutte contre le terrorisme, la FINTER, récemment créée, s’ajoute à ce dispositif en assurant une coopération renforcée entre les différents services compétents en matière de connais-sance des grands trafics, de transparence des comptes, de lutte contre le blanchiment d'argent sale et de liens entre les trafics.

 

§ Les paradis fiscaux, également appelés centres off shore, définis par l’OCDE comme des juridictions qui ne prélèvent pas ou peu d’impôts et servent aux non résidents pour échapper à l’impôt dans leur pays de résidence, sont également de nature à favoriser la mobilité des capitaux mafieux. La réglementation minimale et le respect du secret bancaire facilitent le blanchiment de ces capitaux. Ils constituent un des maillons fragiles du SMI. Cependant, note l’Offshore Group of Banking Supervisors, association qui regroupe une vingtaine de juridictions financières off shore, une agence de grand groupe bancaire international est devenue aussi suspecte qu’une petite  banque des Iles Caïman car les circuits de blanchiment des capitaux sont si complexes qu’aucune structure financière ne peut garantir ne pas avoir géré des capitaux blanchis.

Selon le GAFI, le nombre des paradis fiscaux a augmenté de 1400 % sur 15 ans depuis 1985-86. Jean de Maillard en avait dressé une liste en 1998, elle peut se compléter de celle établie par le Forum de stabilité financière du G7 en 2000 (cf. encadré ci-après).

 

Paradis bancaires et fiscaux

§ Liste de Jean de Maillard établi en 1998 1

Antilles : Bermudes, Bahamas, Turks et Caicos, Républ. Dominicaine, Iles Vierges britanniques, Iles Vierges américaines, St Kitts et Nevis, Anguilla, Antigua et Barbuda, Montserrat, Barbade, St Vincent et Grenadine, Caïman, Jamaïque, Aruba, Antilles néerlandaises, Grenade. Amérique centrale : Belize, El Salvador, Costa-Rica, Panama. Amérique du Sud : Uruguay, Paraguay. Afrique : Gambie, Libéria. Atlantique : Cap-Vert, Ste-Hélène, Madère. Pacifique : Polynésie française, Iles Pitcaim, Iles Cook, Archipel Tonga, Fidji, Vanuatu, Samoa Occidentale, Nauru, Iles Marshall. Asie : Labuan, Philippines, Haïnan, Hong-Kong, Singapour, Afghanistan, Emirats Arabes Unis, Bahrein, Oman. Océan Indien : Maldives, Seychelles, Maurice. Europe : Dublin, Jersey, Guernesey, Alderney, Sark, Ansorre, Gibraltar, Ceuta, Iles de Man, Luxembourg, Suisse, Liechtenstein, Monaco, Vatican, Malte, Chypre, Liban

§ Liste du Forum de stabilité financière du G7 établi en 2000 des centres off-shore qui pourraient faire peser un risque systémique sur le système financier international. Il distingua trois groupes de risque, par ordre croissant :

1- Hong-Kong, Luxembourg, Singapour, Suisse, Dublin, Guernesey, Ile de Man, Jersey.

2- Andorre, Behrein, Barbade, Bermudes, Gibraltar, Labuan, Macao, Malte, Monaco.

3-  Anguilla, Antigua, La Barbade, Aruba, Belize, Iles Vierges Britanniques, Caîmans, Costa Rica, Antilles néerlandaises, Panama, Saint Kitts et Nevis Sainte Lucie, St Vincent, Les Grenadines, Bahamas, Turks et Caicos, Liban, Chypre, Maurice, Seychelles, Iles Marshall, Cook, Vanatu, Samoa, Niue, Liechtenstein.

 

§ Des « banques correspondantes » ayant pour clientes des établissements financiers douteux favorisent également le recyclage des fonds suspects.  La Banque soudanaise Al shamal Islamic Bank fondée par Oussama Ben Laden en 1991, sous haute surveillance, a ainsi pour banques correspondantes et clientes la British Arab Commercial Bank, l'American Express, la Banque Française de l'Orient, la Commerzbank, le Crédit Lyonnais et la Standard Bank qui exécutent ses ordres de paiement.

Al Shamar Islamic Bank n'a pas les moyens d'installer des filiales à l'étranger mais préfère utiliser le concours de banques corres-pondantes prestigieuses, reliques des empires coloniaux. Ce concours est très rémunérateur pour elles grâce aux versements d'importantes commissions et au dépôt de soldes créditeurs permettant d'effectuer les opérations dont la gestion est également source de profit. Ce système, totalement informatisé au coût de fonctionnement réduit, permet à des milliards de dollars de traverser chaque jour la planète sans aucune surveillance.

 

§ Enfin, le récent rapport parlementaire du député Arnaud Montebourg souligna que le Royaume Uni, plus grande place financière du monde, est aussi le plus important centre offshore avec 1500 banques étrangères sur son territoire 2 dont à peine 10 % sont coopératives. 50 % des avoirs bancaires déposés en Grande Bretagne sont gérés par des banques étrangères. Le PIB de la City est estimé à 3% du PIB britannique. Mais en 2000, des négociations diplomatiques évitèrent à la Grande Bretagne d’être citée par le GAFI. La place de Londres apparaît jouer sur les deux tableaux : gestion on shore des résidents et dégrèvements fiscaux extra-territoriaux pour les non résidents. La Grande Bretagne n’a pas cependant l’exclusivité de la tolérance des centres off shore. Jean de Maillard soulignait également qu’il y a dix ans, dans l’affaire de la BCCI, les autorités américaines avaient elles-mêmes entravé l’enquête. La CIA s’était compromise avec cette banque. Le détournement de milliards de dollars du FMI par la banque de Russie via la Banque of New York, s enlisa à son tour 2.

 

Volonté politique et intérêts financiers.

La convocation d’une conférence internationale s’imposerait aux Etats, selon le juge Van Ruymbeke. Celle-ci devrait édicter des règles de transparence de la vie économique, permettre d’identifier les véritables dirigeants des personnes morales et les titulaires des cartes bancaires. Il souhaiterait l’élimination des structures off shore et préconise de rendre publics les registres du commerce, comme cela existe dans de nombreux Etats, et le secret bancaire. La mise en place d’une réelle coopération judiciaire impliquerait cependant un mécanisme de sanction « qui pourrait aller jusqu’à l’exclusion du commerce international en l’absence de reconnaissance des personnes morales de ces Etats. » Mais, continue Van Ruymbeke, « la volonté d’organiser une conférence internationale, de prendre des décisions, relève uniquement et exclusivement d’une volonté politique. Si le juge se déclare « convaincu que, à terme, cette volonté s’imposera nécessairement à tous », il admet que  celle-ci se heurtera inévitablement aux lobbies économiques et financiers qui ne veulent pas la transparence. « Sur le plan international, dès qu’on parle de transparence, on lui oppose immédiatement le secret bancaire, nécessaire au droit des affaires. Or l’opacité, cela veut dire la protection de l’argent sale. » La lutte contre le capitalisme maffieux suppose en définitive deux conditions : le retour du politique, et laé volonté de coopération.

------------------------
1- Un monde sans loi, ouvrage collectif des juges Bertosse, Dejemeppe, de Maillard, Gialanella, Joly, Van Ruymbeke, Vichnievsky, Stock 1998.

2- Jean de Maillard, Libération du 4 octobre 2001.

 

 

  FRAGMENTELLES

 

 

§ Une création monétaire partagée - Délaissant le manichéisme économique qui oppose les partisans et les adversaires de la mondialisation, Paul Boccara * proposait récemment une nouvelle voie de réflexion pour une création monétaire partagée.

Laissant de côté les contraintes de la politique fiscale et des dépenses budgétaires, il estime tout d’abord que la création monétaire et le crédit seraient bien plus aptes à répondre aux exigences d’un développement soutenu de toutes les populations de la planète.

Après avoir rappelé que le principal avantage de la Taxe Tobin est « de permettre une politique d’abaissement des taux d’intérêt », il préconise une politique plus radicale qui ne constituerait pas seulement à « opérer des prélèvements sur des mécanismes financiers inchangés, mais de substituer en bonne partie à la domination du marché financier un mode de financement de l’économie par une nouvelle politique de crédit, à moyen et long terme ». Il ne s’agirait pas là de revenir à une politique de crédit menée dans un cadre étatique national, mais d’une politique de création monétaire partagée au plan international.

Mais surtout, P. Boccara souligne que dans l’Union Européenne (UE), la baisse des taux d’intérêt ne doit pas être le seul objectif. En effet, le problème, écrit-il, « c’est  la possibilité d’utiliser ces baisses de taux principalement pour rendre les placements financiers plus attractifs et non pour favoriser une croissance réelle riche en emplois. » Pour combattre ces fuites de la monnaie vers des circuits financiers, il .propose une « baisse sélective des taux de la BCE pour les refinancements des crédits des banques ordinaires, y compris moyen et long terme », alors que « les taux d’intérêt seraient relevés pour les crédits destinés à encourager les placements financiers ». Une solution serait, selon lui, « d’utiliser des bonifications d’intérêt sur fonds publics nationaux pour permettre cette orientation ».

Par suite, cette création d’euros permettrait une coopération interzonale de l’UE avec les pays méditerranéens et africains, de l’Europe de l’est.. Des prêts sans intérêt, de type plan Marshall, pourraient être accordés à leurs Banques centrales, ce qui leur permettrait d’acheter davantage à l’UE en euros et d’accroître leurs réserves en euros.

---------------

* Paul Boccara, Pour une création monétaire partagée, Le Monde du 2.10.01

 

§ Le Projet de budget de l’Etat 2002 s'inscrit dans une prévision non révisée de croissance de 2,5 % du PIB comme un «Plan de consolidation de la croissance» alors que les conjoncturistes estiment qu'elle n'excédera pas 2 %.

Très keynésien, ce projet parie sur une «consolidation», pour ne pas dire une relance de la croissance de l’activité pour financer a posteriori un déséquilibre budgétaire visible a priori. Cette consolidation se partage entre la demande : 8 milliards de francs pour rallonger la prime pour l’emploi, 1 milliard pour la création de 80.000 Contrats Emploi Solidarité, et l’offre : 1 milliard pour le transport aérien et le tourisme sans oublier la trésorerie des entreprises. Il rembourse par anticipation aux entreprises, avec 5 ans d’avance, la dette née de la suppression du décalage d’un mois dans le remboursement de la TVA (Cette mesure a un coût budgétaire nul puisqu’il s’agit là de la dette publique)

Afin de soutenir le secteur de la téléphonie atteint par l’éclatement de bulles spéculatives,  ce projet de budget divise par 8 le prix d’attribution des licences de téléphonie mobile UMTS (3e génération) qui devaient fournir 16 milliards en 2002 au Fonds de Réserve des retraites (F2R) qui doit engranger d’ici 2020 un capital égal à 1000 Mds. F.  pour être opérationnel.

Cette baisse de rentrées de financement du F2R devrait être compensée par des recettes de privatisations qui se fixèrent, après avoir envisagé EDF, sur les Sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroute (Semca), notamment la Semca du sud, et par les excédents de la branche vieillesse de la Sécurité Sociale et du Fonds Solidarité Vieillesse (FSV). 40 milliards provenant de la vente des parts sociales de la Caisse d’Epargne et de son futur gestionnaire, la Caisse des Dépôts et consignations, ont été affectés en 2001 au Fonds de Réserve des Retraites.

 

§ Le Prix Nobel d'économie 2001 a été attribué à 3 chercheurs, Georges Akerlof, Michael Speace et Joseph Stiglitz, pour leurs travaux sur les asymétries d'informations des marchés.

G. Akerlof montra tout d’abord, dès 1970, que lorsque sur un marché, un agent (en général l'offreur) bénéficie d'une information privilégiée, la transaction peut devenir impossible. Si l'offreur ne divulgue pas toutes ses informations à l'acheteur (ex.: marchés des voitures d'occasion, de l'immobilier…) le transaction se fait à prix moyen. Mais les offreurs de biens de meilleure qualité refusent de vendre à ce prix et se retirent du marché. Le marché peut aller jusqu'à disparaître.

Cet exemple générique peut s'appliquer sur le marché des biens et services, du travail, des contrats d'assurance, des marchés financiers et du crédit (Sur ce dernier marché, il est raisonnable de croire que l'emprunteur sait mieux que le prêteur l'utilisation qu'il compte faire du crédit, de sa rentabilité et de son risque).

M. Spence étudia par la suite en 1974 les possibilités offertes aux agents de conclure des transactions dans des conditions d'asymétrie. Il s'attacha notamment à étudier les possibilités d'application des contrats asymétriques relatifs à l'entreprise, formation, informations financières, valeur de l'entreprise.

J. Stiglitz déplaça enfin le problème sur les contrats d'assurance et le crédit. En 1981, il démontra dans un article sur le rationnement du crédit * que les banques ont intérêt, pour répondre au risque de sélection ou d'incitation adverse, à ne pas servir la totalité de la demande de financement qui leur est adressée. Il s'en suit donc que ce n'est pas en libéralisant les marchés, en les rendant plus fluides et plus flexibles que l'on rétablira l'équilibre général de l'économie.

Stiglitz chercha également à prouver que la libération financière, en déstabilisant les institutions de crédit, pouvait être contre-productive. Il considère ainsi ses travaux comme le point de départ d'une renaissance du courant post keynésien dans lequel des fondements micro économiques viendraient fortifier l'analyse macro économique.

---------------------

* Joseph Stiglitz, Credit rationing in markets with imperfect information, Americn Economic Review, 1981.