50 – août 2001

 

Une monnaie enracinée pour une opinion sans rivage.

 

 

 

Nous reprenons dans cette étude les analyses de Michel Aglietta, théoricien de l’école de la régulation, relatives à la fonction monétaire dans l’organisation des sociétés. Notre introduction présentera l’école de la régulation 1, elle sera suivie d’une étude empruntant des réponses de Michel Aglietta, à un entretien mené par Caroline Gerschlager 2.

 

Une analyse des crises : l’école de régulation

D’une façon générale, les régulations sont des mécanismes d’équilibre, naturels ou suscités, qui stabilisent et pérennisent l’homogénéité d’un système. L’école de la régulation s’est attachée à développer une théorie globale du système de régulation permettant, selon son principal animateur, Michel Aglietta, d’appréhender « la façon dont se reproduit la structure déterminante d’une société dans ses lois générales ». En d’autres termes, il s’agit d’étudier la conjonction des mécanismes participant à la reproduction d’ensemble d’un système, compte tenu de l’état de ses structures économiques et de ses forces sociales.

Sans adhérer pleinement aux théories et développements marxistes, l’école de la régulation s’est inscrite dans leur mouvance critique. Ses théoriciens ont développé une analyse spécifique qui distingue des modèles de régulation différents au cours de l’histoire, notamment la régulation concurrentielle, la régulation monopolistique, et les phénomènes d’accumulation extensive, intensive et progressive. Il s’agissait également de démontrer les capacités de renouvellement des structures de la société. A ce titre, Aglietta souligna que le capitalisme a fait preuve de fortes capacités d’adaptation en transformant son mode de régulation. Il interpréta la crise de 1929 comme une crise de la régulation concurrentielle, avec une régulation caractérisée par la flexibilité des prix, des salaires et de l’emploi. Le fordisme installa ensuite une nouvelle forme de régulation qui relança la croissance et permit de sortir de la crise. La crise du fordisme consécutive à l’émergence de nouveaux secteurs économiques (le fordisme s’applique mal aux secteurs tertiaire, quaternaire et à la nouvelle économie) obligerait aujourd’hui le système libéral à recourir à un nouveau mode de régulation.

Selon l’école de la régulation, le retour à la régulation concurrentielle comme le souhaitent les classiques ne résoudra rien. La sortie de la crise passe par la mise en place de systèmes plus flexibles de production, par la transformation de l’organisation du travail, par le développement d’une nouvelle demande et l’adaptation de l’appareil productif à la nouvelle révolution industrielle, biotechnologique, informatique, robotique et des communications.

Avec l’accroissement des écarts sociaux de ces deux dernières décennies, la pertinence de la réflexion de l’école de la régulation sur la répartition des revenus s’intensifie. N’existerait-il pas, en effet, un risque de déséquilibre structurel si la productivité de certains secteurs n’était répartie qu’entre les agents de ces secteurs, en interne, et entre leurs seuls clients, en externe ? Pour des emplois identiques, les salaires du secteur  de la nouvelle économie, par exemple, augmenteraient alors que ceux des autres secteurs stagneraient, ce qui à terme, ne pourrait que réduire la diversité des activités productives et accroître la dépendance économique 1.

Surtout, la Théorie de la régulation développée notamment par Michel Aglietta et André Orléan s’oppose à la Théorie de l’Equilibre général (TEG) des classiques, en ce sens qu’elle ne considère pas la monnaie comme neutre.

 

La monnaie, instrument de cohésion sociale

Plusieurs positions théoriques relatives à la fonction monétaire distinguent Michel Aglietta du point de vue orthodoxe de la Théorie de l’Equilibre Général.

1- Pour les représentants de la Théorie de l’Equilibre Général, notamment J. B. Say, Stuart Mill, la monnaie est une marchandise comme les autres, « qui a été mutuellement considérée par des sujets qui l’ont choisie comme étant la plus capable de réaliser efficacement les échanges résultant des prix d’équilibre ».

2- Inversement, chez Aglietta, la conception fait référence aux enseignements de l’anthropologie.  La monnaie est la résultante de l’évolution des sociétés. Elle fut conçue afin de faciliter les échanges dans les sociétés qui développèrent la division du travail. Ainsi, si la monnaie est commune à des sociétés marchandes ; « ce n’est pas la monnaie qui vient d’un développement des échanges marchands. C’est la forme marchande de la division du travail qui provient de l’arrachement des individus à l’englobement statutaire grâce à la monnaie. »

Dans les sociétés où la division du travail a cloisonné les activités, la monnaie, interprétée comme « une mutuelle reconnaissance des dettes entre les individus et la société », est un instrument de cohérence sociale.

C’est l’existence de cette dette réciproque et permanente qui crée du lien social. En effet, la  création monétaire (ou naissance de la dette), intervient quand l’agent (ou la société)  qui n’a pas encore produit est en état de le faire. La destruction monétaire (ou extinction de la dette) intervient quand l’agent (ou la société) a consommé les biens produits.

On voit ainsi que « la monnaie est un opérateur de cohérence sociale puisque, d’un côté, l’initiative monétaire (création monétaire) passe par une dette qui est une anticipation de la capacité à faire reconnaître le produit de son travail, et d’un autre, l’extinction de la dette résulte de la vente des produits dans la mesure où elle confirme cette anticipation. (…)  C’est une dette de chacun vis à vis de la société dans son ensemble. C’est une dette qui désigne un mode d’appartenance spécifique des individus à la société. Le règlement de la dette grâce aux ventes coupe le lien mais permet la relance de la division du travail grâce à l’engagement dans d’autres activités qui suscite d’autres dettes. »

C’est en éteignant la dette, en revenant à son émetteur que la monnaie va créer de la valeur. C’est en effet l’acte de paiement qui va déterminer la valeur (ou la non valeur), couper le lien en annulant la dette.

Ainsi, la dette doit toujours être analysée dans les deux sens, l’aller et le retour. Le retour peut, en effet, être contrarié, puisque les rapports marchands peuvent ne pas se superposer aux besoins de la société, voire les contredire. La cohésion sociale se manifestera donc ici, a posteriori, par l’extinction des dettes. Dans le cas inverse de mévente, ce sera « un acte de sanction a posteriori, voire d’exclusion. (…) La monnaie est à la fois, par conséquent, une cohérence et une menace pour la société parce qu’elle tend à exclure. »

Dans une théorie alternative de la monnaie, souligne Aglietta, il conviendrait de prendre en compte la double exigence d’inclusion et d’exclusion qui dépend d’une part, des conditions d’accès à la monnaie, et d’autre part, des conditions de règlement des dettes. Ce qui tend à démontrer l’importance qualitative du circuit monétaire.

 

« Comme l’ensemble des dettes en voie de règlement et de renouvellement permanent exprime l’appartenance des individus à la société prise globalement, le pôle social est occupé par une institution centrale chargée d’établir les conditions générales dans lesquelles la monnaie est émise et les dettes sont réglées. »  Cette conceptualisation de la monnaie est très différente de l’approche dominante en économie qui affirme la neutralité de la monnaie. Si la monnaie est une dette réciproque, ce n’est pas seulement un moyen d’échange, c’est un lien social plus ou moins tendu selon que l’endettement envers la société, (la création monétaire) est faible ou élevé.

 

De la fonction des Banques centrales

Il y a donc un risque de rupture du lien social à considérer la monnaie comme une marchandise qui générerait de la valeur par elle-même. « Aristote avait bien vu que la possibilité de l’enrichissement personnel sous la forme monétaire menaçait la cohésion de la cité politique », discipline perverse qu’il dénonçait sous les noms de « chrématistique » et « pécuniative ». Le lien social monétaire était garanti par le prince  qui frappait la monnaie, « parce que, comme on l’a déjà dit, la monnaie a été de par sa nature même instituée et trouvée pour le bien de la communauté. Et puisque le prince est une personne plus publique, et d’une grande autorité, il est commode que ce soit lui qui, pour la communauté, fasse faire la monnaie 3 ». Ce pouvoir fut remis plus tard aux Banques centrales.

Bien que décriées, les Banques centrales sont intimement liées à la notion de souveraineté politique. Cependant, les notions de souveraineté et les missions des Banques centrales ne recouvrent pas pourtant les mêmes concepts dans tous les Etats.

§ Aux Etats-Unis, c’est la souveraineté populaire qui est le principe ultime de l’identité collective. La Banque centrale tire son autorité d’une mission conférée par le Congrès. Le Gouverneur de la Banque centrale doit se présenter devant la commission compétente du Congrès, deux fois par an, c’est une sorte de rituel démocratique. « On a un emboîtement assez intéressant entre la pratique de la banque et le jugement sur l’adéquation à ses missions qui est de créer les conditions monétaires les plus aptes à permettre aux individus de réaliser leurs opportunités, valeur supérieure de la société américaine. »

§  En Allemagne, la Bundesbank n’avait pas à se justifier devant le parlement pour légitimer quoi que ce soit. La légitimation est plus implicite. « Je pense, écrit Aglietta, que c’est lié à la doctrine de l’ordo-libéralisme, à la conception organique de l’appartenance communautaire.

La notion de communauté n’est pas définie de la même façon en Allemagne et aux Etats-Unis. (…) Dans la conception anglo-saxonne, c’est la construction de l’opinion publique. Dans la conception germanique, c’est la croyance que la stabilité de la monnaie est la garantie de la paix sociale.»

Quoiqu’il en soit, la notion d’indépendance des Banques centrales est une notion moderne.

Mais quels sont les fondements qui légitiment l’indépendance des Banques centrales ?

C’est la reconnaissance d’une souveraineté plus grande que celle de l’organisation politique, exprimée par le peuple ou la nation, dans laquelle la Banque centrale s’intègre.

 

Lien social et norme mondiale 

En fait, la monnaie doit répondre, d’une part, à  une mission de lien social dans l’espace de souveraineté de la Banque centrale, et d’autre part, à une normalisation internationale.

La souveraineté nationale même était limitée par cette obligation de ne pas s’écarter de la norme internationale.

« L’étalon or, par exemple, était un ordre mondial qui dépassait le cadre des nations. Qu’est-ce qui faisait que les politiques nationales étaient soumises à la convertibilité. On ne menait pas de politique qui allait menacer la convertibilité. Donc, la souveraineté nationale était limitée par cette règle, cette norme mondiale. Le rôle symbolique de l’or donnait une légitimité forte à cette restriction du pouvoir (…). L’or était une entité au delà des souverainetés nationales. Il occupait donc la position symbolique d’une croyance religieuse. »

L’opinion internationale financière exprimée aujourd’hui par les marchés remplace aujourd’hui le carcan qu’était l’étalon or au XIXe siècle.

Si, par ailleurs le principe du capitalisme tend vers l’universalité et sert la normalité internationale, le principe de la démocratie ne prend son sens que dans la souveraineté populaire qui est inscrite dans le territoire et l’espace politique. « Le marché mondial dépasse la limitation des règles, des normes nationales. Les banques centrales sont au cœur de ces tensions. Elles sont inscrites dans le cadre des nations, mais elles sont exposées à l’opinion de la communauté financière internationale qui exprime l’exigence de l’expansion du capital . »

 « Quand on dit aujourd’hui qu’il faut que la monnaie soit « stable », on ne fait pas référence aux préférences nationales, au fait de garantir aux individus de ne pas être exclus de la communauté », mais à la mondialisation du capital avec laquelle « la monnaie tire aussi sa légitimité de l’opinion financière mondiale. Mais quand la monnaie devient universelle (…), elle ne peut plus s’investir dans le réservoir des croyances nationales (…) parce que l’opinion est sans rivage. »

 

Cependant, si l’étalon or, « universel transcendant faisait le ciment et rendait cohérentes les politiques nationales, la mondialisation  est aujourd’hui incapable « de construire une valeur universelle qui puisse limiter les souverainetés nationales. »  Une solution et un compromis entre ordre mondial et souveraineté territoriale sont alors recherchés dans la constitution d’espaces politiques de grande taille. « En Europe, c’est la quête de quelque chose qui englobe les nations. »

 

L’euro en quête de cohésion sociale

Pour Michel Aglietta, les symboles qui ornent l’euro illustrent d’ailleurs la difficulté de ce compromis. Ainsi, « faute de pouvoir renvoyer à des figures de cohésion nationale et de trouver « dans le passé culturel en Europe des figures de cohésion suffisamment incontestables pour agréer tous les gouvernements concernés », on est allé vers une forte abstraction.. « Sur la gamme de billets, il y aura des figures géométriques, des ponts et des portes. On voit le danger, c’est postuler que la légitimation de la monnaie pourrait se faire sur une base qui tend à l’universel  mais qui n’active pas un sentiment d’appartenance fort. Et donc qui peut être une représentation fragile. »

Pourtant, continue M. Aglietta, « l’usage d’une même monnaie devrait donner aux européens la perception qu’ils appartiennent à un espace commun. »

Mais l’euro la BCE restent inspirés « par la conception allemande de la légitimité monétaire qui ignore la responsabilité des instances élues. »

 

Il conviendrait, souligne-t-il alors de « rehausser le rôle du parlement européen pour développer une souveraineté partagée et apporter une reconnaissance à la BCE. Or, ce lien entre BCE et Parlement n’est pas inscrit dans le traité de Maastricht.

Janpier Dutrieux

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1-  Ce corps de texte est extrait d’un précédent article paru dans Eléments n°98, mai 2000.

2- L’Euro, avec ou sans confiance ? Comment créer une nouvelle valeur ? Entreprien avec M. Aglietta, Caroline Gerschlager, in Esprit de juillet 2001.

3- Nicolas Oresme, Traité des monnaies, 1355.

F Michel Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, 1982, Odile Jacob 1997

 

 

LES FUSIONS NE SONT PLUS CE QU’ELLES ETAIENT !

 

De 1992 à 1998, le marché des fusions acquisitions a progressé de 500 % pour atteindre son record historique de 2500 milliards de dollars. Ces fusions se réalisent principalement par des offres publiques d’échange d’actions (OPE).

L’explication courante de ces fusions est que les entreprises cherchent à atteindre une taille optimale capable de leur faire bénéficier d’économie d’échelle en correspondance avec les exigences de la concurrence dans l’espace mondialisé.

Pourtant, alors que les fusions acquisitions étaient présentées comme des instruments de création de valeur pour les grands groupes, elles se sont davantage révélées destructives de valeur pour les plus nombreuses. Ainsi, selon une étude réalisée sur 12 grandes fusions par « Le Monde » (21/08/01), la valeur boursière globale fut détruite à hauteur de 800 milliards d’euros.

En principe, une opération de fusion-acquisition, indépendamment des conséquences de destructions salariales, a pour objectif d’accroître d’une plus value boursière la capitalisation du nouvel ensemble. Ce schéma est exact pour certaines fusions : TotalFina / Elf, Chase Manhattan / JP Morgan, mais apparemment inverses pour d’autres : Daimler / Chrysler, Deutsche Telekom / Voicestram, France Télécom / Orange. (cf. tableau ci-dessous)

Les fusions, dans le secteur des télécommunications, peuvent s’avérer particulièrement désastreuses car leurs valeurs ont, « à l’image de France Télécom, 1 franc de fonds propres pour 1,20 franc de dettes. »

Conséquence de ces dépréciations boursières des fusions, les firmes privilégient dorénavant de nouvelles présentations comptables au public, avec l’ « ebitda », résultat brut d’exploitation qui ne prend en compte ni frais financiers, ni provisions, ni amortissements, ni impôts, qui selon elles, est le plus à même de traduire la capacité à gagner de l’argent.

Dans ce contexte de dépréciation des actifs, si les groupes excluent l’idée de passer des provisions, ils sont nombreux aux Etats-Unis à annoncer des pertes exceptionnelles, notamment dans les télécommunications.

Cette dégradation gagnerait tous les secteurs de l’Europe. Elle contraindra à réviser à la baisse la valeur des possessions, ce qui pourrait conduire « à passer des centaines de milliards de dollars dans les comptes des firmes américaines, pour solder les excès du passé. »

 

 

Création de valeur et captation de valeur

 

§ Après que Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel, ait annoncé son intention de créer « une entreprise sans usines », Jean Marie Harribey (Attac, Univ. Bordeaux IV) revient de nouveau dénoncer les utopies de la création de valeur.

J.M. Harribey imagine un scénario dans lequel les firmes feraient sous traiter, externaliseraient, toutes les opérations de production et ne conserveraient que des activités financières. Ces firmes ne produiraient aucune valeur ajoutée mais pourraient être cependant créatrices de valeur pour l’actionnaire. « Cette création de valeur captée par les entreprises ne représente (en fait) que la valeur captée par les entreprises à caractère financier sur le reste de l’économie. »

Cette captation de valeur peut prendre 2 formes souligne J.M. Harribey : l’une modifiant la répartition de la valeur ajoutée entre travailleurs et capitalistes, notamment en accroissant la productivité du travail ; l’autre modifiant cette répartition entre les capitalistes eux-mêmes, « les secteurs très capitalistiques, jouissant souvent d’une position dominante, captent au détriment des secteurs moins capitalistiques, souvent en position de dominé, une part de la valeur produite ailleurs. »

« Que l’on ne nous dise plus que le travail ne crée plus la valeur ou qu’il n’est pas le seul facteur à la créer, ou encore que c’est le marché qui en est le lieu de création », continue-t-il. Considération qui permet à P.J. Bernard (anc. Prés. dép. Humanités, Polyt.), dans un  autre article, de déplorer que J.M. Harribey « ignore que le travail est le fondement du coût, mais non de la valeur (car) on ne doute plus aujourd’hui que celle-ci résulte de la confrontation des offres et des demandes, d’où les variations erratiques que l’on connaît . »

Remarque, certes, pertinente, mais qui ne justifie pas la valeur obtenue par cette confrontation où le désir individuel se mesure au besoin collectif (cf. Fragments Diff. N°49), et qui aboutit à bâtir, comme le rappelle Harribey, « toute la « science économique » néo classique sur la négation d’une grande partie de l’économie politique. »

§ Président de l’Association Internationale pour l’économie humaine, Jacques Généreux (IEP Paris) écrit dans le même esprit, dans son « Manifeste pour l’économie humaine » (Esprit juillet 2001) : « L’incapacité des économistes à affirmer collectivement et massivement la possibilité de penser d’autres modèles contribue à fourvoyer plus avant certains de nos concitoyens et nombre de nos élus dans une opposition stérile entre le politique et l’économique. Or, nous savons, nous, que l’économie est politique et qu’il s’agit de réintégrer, et non d’opposer, l’économie et la démocratie. »

Sommes-nous en train d’assister, progressivement, à travers les démarches convergentes d’intellectuels et de chercheurs  (D. Méda, J. Généreux, M. Aglietta, R. Passet, etc) à un réveil de l’économie politique ?

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Pour prendre connaissance ou soutenir le manifeste de Jacques Généreux, écrire à : IEP de Paris, 27 rue St. Guillaume, 75007 Paris ou fmeti@wanadoo.fr

 

 

Acquéreur

Cible

Valeur acquéreur

Valeur

Cible

Valeur du Nouvel ensemble

+ ou - value

capitalisée

AOL

Time Warner

182

183,1

194,5

- 170,6

TotalFina

ELF

57,7

53,5

117,7

+    6,7

France Télécom

Orange

179,2

51,1

47,3

- 183

Vivendi

Seagram Canal +

71,5

44,5

66,2

-   49 ,8

BNP

Paribas

16,3

41,9

44,7

-   13,5

Chase Manhattan

JPMorgan

27,8

35,6

91,5

+  28,1

    en milliards d’euros                                                                             source : Le Monde/Bloomberg

 

 

 

 Ecarts de productions et revenus régionaux.

 

Malgré les réformes de décentralisation et d’aménagement territorial, les écarts économiques, en termes de PIB régional, entre l’Ile de France et les autres régions de France s’accroissent depuis 1982. Mais ces écarts, en termes de revenus diminuent, ce qui démontre que les redistributions fiscale et sociale atténuent la force des concentrations économiques.

 

 

 

A : PIB Régional

      par habitant

B : Revenu Disponible        

      brut par habitant

Rapport

B/A

Régions

1996

(en frs)

Rapport Région/IDF

1996

(en frs.)

Rapport Région/IDF

1996

1982

1996

1982

1996

Ile de France

207278

1

1

110841

1

1

53,47

Haute Normandie

137351

0,66

0,73

89859

0,81

0,74

65,42

Alsace

136312

0,65

0,68

97108

0,87

0,83

71,23

Rhône Alpes

130178

0,62

0,67

90961

0,82

0,76

69,67

PACA

119211

0,57

0,65

93779

0,84

0,77

78,66

Bretagne

111964

0,54

0,56

92749

0,83

0,74

82,83

Nord PDC

110783

0,53

0,57

81264

0,73

0,71

73,35

Auvergne

108501

0,52

0,54

92046

0,83

0,73

84,83

Corse

106350

0,51

0,54

88092

0,79

0,68

82,83

Languedoc Roussil.

101553

0,48

0,54

87573

0,79

0,73

86,23

                                                                              Source : Insee,  Le Monde  15/06//01

 

§ En termes d’écart de production, le PIB de la région la plus riche (Haute Normandie) représentait encore 72 % du PIB francilien en 1982 mais n’en couvrait plus que 66 % en 1996. Et encore, cette relative richesse ne serait qu’apparente car « la valeur ajoutée produite en Haute Normandie est consommée ailleurs », souligne le vice Président de son Conseil Régional qui déplore que les régions ne soient pas maîtres de leur destin.

Les régions les plus pauvres (Limousin, Languedoc-Roussillon) passent sous la barre des 50 % de la production francilienne.

La prééminence de la région Ile de France, en termes de PIB,  s’explique par le fait qu’une entreprise a besoin d’un marché du travail pour s’implanter, notamment pour ses fonctions stratégiques. «Le discours sur les start-up qui s’installent dans l’Ardèche est faux. Pour les entreprises qui ont besoin de main-d’œuvre qualifiée, il est plus avantageux de s’installer en Province » (J.P. Grouthier, Insee).

§ Relativement aux revenus disponibles bruts par habitant, par contre,  ces écarts s’estompent, ce qui montre que la redistribution des richesses au niveau national, par le biais des prestations sociales, joue un rôle d’atténuateur des inégalités régionales.

En 1982, l’Alsacien,  habitant de la région la pus riche après l’Ile de France, disposait de 83 % du revenu des Franciliens, tandis que le Corse, habitant la région la plus pauvre, de  68 %.   L’Alsacien disposait en 1996 de  87 %  du revenu des franciliens, et l’habitant du Nord Pas de Calais, région la plus pauvre, de 73 %

 

 

FRAGMENTELLES

 

§ Inquiétude du FMI – Le FMI a estimé que le montant actuel du déficit de la balance américaine des paiements courants n’est pas tenable à long terme et pourrait engendrer une forte dépréciation du dollar.

Dans un rapport rendu public le 14 août, le FMI dénonce le plan de 1350 milliards de dollars décidé par l’administration Bush.

Réactions des opérateurs sur les marchés des changes : le dollar a reculé, l’euro passant au dessus de la barre de 0,90 dollar le 16 août et le yen se raffermissant.

 

§ Assouplissement budgétaire et syabilisateurs économiques – Les recettes budgétaires des 12 pays  de la zone euro seront moindres que prévus consécutivement au ralentissement de la croissance. Dans ce contexte, Hans Eichel, ministre allemand des finances, propose de rechercher des objectifs de dépenses publiques plutôt que de réduction des déficits, puisque les dépenses sont « programmables » alors que les déficits ne peuvent l’être.

M. Eichel a cependant démenti vouloir réviser le pacte de stabilité et de croissance de Maastricht auprès de Pedro Solbes, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires. Mais, le débat sur l’assouplissement de la rigueur monétaire en Europe risque de perdurer. En effet, bien que les autorités rassurent les marchés financiers sur la rigueur budgétaire afin de ne pas faire plonger l’euro,  les déficits publics devraient s’accroître dans les pays de la zone euro.

Pedro Solbes a cependant affirmé, d’une part, que : - « des arguments en faveur d’un objectif de dépenses plutôt que d’un objectif de déficit ne mettent pas en cause le pacte de croissance et de stabilité », et d’autre part, - que « les Etats-membres avec un budget équilibré et viable peuvent pleinement utiliser les stabilisateurs automatiques », c’est-à-dire utiliser le déficit public pour maintenir une demande publique lorsque la demande privée fléchit.

 

§ La Taxe Tobin, toujours d’actualité.

Oui, mais laquelle ?  Le 28 août, le Premier ministre Lionel Jospin rappelait sur TF1 qu’il s’était référé à la taxe Tobin dans sa campagne électorale de 1995 bien avant que le mouvement Attac n’existe Il se déclara « favorable à ce que la France propose que l’Union Européenne prenne une initiative au plan international sur le sujet.

C’est pourtant la Belgique qui a pris l’initiative de mettre la taxe Tobin à l’ordre du jour du conseil Ecofin des 22/23 septembre prochain à Liège, bien que l’Allemagne y soit hostile. Les partisans de la taxe Tobin ont cependant des approches bien éloignées.

§ Président d’Attac France, Bernard Cassen précisait (Le Monde, 24/8/01) que cette taxe ne porte que sur un seul compartiment de l’activité spéculative, les transactions sur les marchés des devises, et non pas sur l’ensemble des mouvements de capitaux.

Après avoir souligné qu’elle n’aurait aucune incidence sur les taux d’intérêt, mais priverait d’un peu d’argent les spéculateurs sur les monnaies, B. Cassen note : « C’est ce qu’a parfaitement compris Georges Soros, favorable à la taxe, il préfère pouvoir exercer son activité prédatrice de manière un peu moins rémunératrice, mais plus longtemps. Il craint que, par leur excès, ses congénères ne « tuent la bête », le système financier international, qui les nourrit grassement . »

La taxe Tobin se présente ainsi, non comme un instrument de rupture avec le système financier international, mais comme un instrument de régulation et de pérennité. Enfin B. Cassen relève les deux principales qualités de la taxe Tobin à ses yeux : 1-  elle dégage des capitaux pour les besoin du monde, 2- elle permet à la politique de reprendre la main sur la finance.

§ William Abitbol, vice président de la commission économique et monétaire au Parlement européen, trouve à son tour la taxe Tobin de bon sens, d’autant « qu’elle est souverainiste en diable », ce qui explique qu’elle soit « soutenue, à droite comme à gauche, par tous ceux qui ne considèrent pas l’idée nationale obsolète . » Selon W. Abitbol, « pour percevoir une telle taxe, il faut des Etats souverains, étant entendu que la taxe Tobin serait définitivement une chimère si elle entendait obliger les Etats, déjà réticents sur le fond, à renoncer de surcroît, à son prélèvement. »

W. Abitbol souligne qu’en 2000, les échanges internationaux couvraient 6000 Mds. de dollars, 15 fois plus qu’en 1970, et que  volume des mouvements financiers était estimé à 150.000 mds. de dollars, soit 200 fois plus qu’en 1970. « Ainsi, alors que le rapport entre l’économie réelle et la finance n’était il y a 30 ans que de 1 à 2, il est maintenant de 1 à 25. La finance est sortie du lit de l’économie, et loin d’irriguer là où il faudrait, elle déborde, inonde et souvent noie. ». Avec la taxe Tobin, poursuit-il, « il ne s’agirait pas « d’un prélèvement sur les mouvements de capitaux, aussi spéculatifs soient-ils », puisqu’ils ne seraient pas concernés à l’intérieur d’un même pays ou d’une même zone monétaire, alors que « le péage ne s’appliquerait qu’à l’occasion du passage d’une monnaie à une autre. (…) Les touristes européens qui changent de l’argent en Europe payent des frais jusqu’à 20 fois supérieur ! Mais si vous êtes un de ces spéculateurs « instantanés » capables de faire circuler l’argent en permanence, alors c’est autant de fois 0,1 % à l’aller comme au retour qu’il faudra acquitter . »

§ Enfin, Guy Hascoêt, secrétaire d’Etat à l’économie solidaire, proposera dans un prochain projet de loi cadre sur l’économie solidaire de taxer les flux spéculatifs extra-communautaires de 0,05 % pour un montant estimé de 10 milliards de francs annuel.

 

 § Une et Indivisible  - Les Berbères forment 20 à 25 % de la population algérienne.

Pour Salem Chaker 1, « on ne leur propose qu’une seule chose : se placer dans le giron de l’Etat-nation, copie conforme d’un Etat-nation à la Française, renforcé par l’influence du nationalisme arabe (…) avec en plus, 30 ans de parti unique. La France, dont la République se veut une et indivisible, est une exception nationale en la matière. La bataille sur « l’autonomie » corse laisse rêveur ! A l’inverse, voyez l’Angleterre avec l’Ecosse, l’Espagne avec la Catalogue, l’Italie avec la Sardaigne ».

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1- Vice Président de l’Institut national des langues et civilisations orientales à Paris, La Croix 31/05/01.

 

 

§ Libéralisme anglo-saxon, syndicalisme et  vieil hexagone.

Le tableau ci-dessous offre un comparatif des rémunérations des principaux capitaines d’entreprises françaises  à capitaux multinationaux en 1999, selon une étude réalisée par le cabinet Proxinvest, avec les chiffres contenus dans les rapports annuels sur la rémunération moyenne des dirigeants des sociétés cotées au CAC 40 de la Bourse de Paris.

 

PDG

Société

Salaire

Stock option

Michel Bon

Fr. Télécom

1,2

0

Pierre Bellon

Sodexho

2,9

0

Pierre Bilger

Alstom

6,3

8,9

Alain Joly

Air Liquide

10,6

7,1

Bertrand Colomb

Lafarge

9,4

27,7

Serge Weinberg

PPR

9

40,4

Henri de Castries

AXO

10,4

52,7

J. Marie Messier

Vivendi

20

60

en millions de francs

 

Aux Etats-Unis, John Sweeney, président de l’AFL-CIO, organisme qui regroupe 66 syndicats américains de l’industrie et détient de nombreux postes d’administrateurs aux conseils des Fonds de pension dénonce depuis longtemps les outrances impudiques de certains actionnaires qui pour s’assurer des meilleurs dividendes possibles offrent des points d’or à certains dirigeants.

Ce syndicaliste déclarait que « le système américain a de réels mérites, notamment dans le domaine de la transparence. Mais il a aussi ses faiblesses : il a mené à des niveaux obscènes et socialement destructifs les rémunérations des dirigeants, comme le salaire payé à Jack Welch pour General Electric, équivalent à celui de 15000 ouvriers mexicains du groupe ! ».

Heureusement, nous  n’en sommes pas encore là en France, quoique nous ayons près de 10 % de la population sous le seuil de pauvreté ( en dessous de 50 % du revenu médian des habitants) dont de  nombreux travailleurs à temps partiel contraint, précaires et autres CDD. …… Quoique dans 20 millions de francs, il y a quand même à peu près l’équivalence de 2000 SMIC, charges sociales et patronales inclus. …Bref, constater cette dictature de l’actionnariat, est-ce faire de la démagogie ? ou de la pédagogie ?

« Par ailleurs, si on se réfère au revenu moyen, l’évolution fait apparaître un autre phénomène : le revenu moyen s’accroît beaucoup plus rapidement à partir de 1979 que le revenu médian ». Ceci signifie « qu’il y a eu depuis cette date, ouverture de l’éventail des revenus vers le haut, c’est-à-dire une augmentation plus rapide des hauts revenus. Le revenu moyen est en effet sensible à la structure des revenus du haut de la distribution alors que le revenu médian ne l’est pas ». De nombreuses études confirment le constat d’un accroissement relatif des inégalités, bien qu’elle se limite aux ménages salariés.

Ces ménages connurent de 70 à 80 une forte croissance de leurs revenus avant redistribution, qui fut plus forte dans les revenus les plus bas, notamment avec la revalorisation du SMIC qui favorisa la laisse des inégalités des revenus de 70 à 80.

 

§ Prélèvements Obligatoires – Les prélèvements obligatoires (dépenses de l’Etat, des collectivités locales et des régimes de protection sociale) représentaient 45,5 % du PIB 2000, soit une diminution de 0,2 % par rapport à 1999, toutefois moindre que prévu en raison d’une croissance moins forte qu’annoncée.

Parallèlement, le déficit budgétaire a été ramené à 1,3 % du PIB, contre 1,6 % en 1999, avec 120,3 milliards, et entraîné une réduction du poids de la dette publique à 58 % du PIB contre 58,7 % en 1999, qui s’est cependant alourdie en valeur absolue (5307 milliards). Néanmoins, le déficit 2000 ne se réduit que de 21 Mds. de francs contre 86 Mds. en 1999. La faiblesse de cette diminution s’explique par l’accroissement des dépenses de fonction-nement avec la prise en charge des emplois jeunes et l’augmentation des taux d’intérêt dont la charge augmente de 2,1 %  pour 302 Mds. de francs.

 

§ Le coût du stockage – La « crise » de la vache folle a entraîné une baisse de la consommation de viande bovine atteignant 60 % dans certains pays de l’Union Européenne. Cette sous consommation a engendré une sur production générant des stocks.

L’union Européenne pouvait racheter la viande aux producteurs et la revendre ultérieurement ou la détruire. Les ministres de l’agriculture et le Commissaire à l’agriculture européens avaient choisi, « tant dans l’intérêt des consommateurs que des contribuables » cette dernière solution.

Explication : Le coût de la destruction pour 100.000 tonnes de viande de bœuf s’élève à 260 millions d’euros (140 à la charge de l’UE, le reste à celle des Etats membres) tandis que celui du stockage est de 300 millions à la charge de l’UE. 1 kg de bœuf abattu pour être détruit vaut 15 F. 1 kg de bœuf abattu pour être stocké vaut également 15 F auxquels vient s’ajouter le coût du stockage de 12 à 18 mois de 4 à 5 F le Kg. Sa revente serait de 7 à 8 F par Kg à destination de la Russie ou du Tiers Monde. L’opération ne fut donc pas considérée comme rentable et l’UE estima qu’il était préférable de détruire ces stocks.

De nombreux groupes de pression, notamment allemands, permirent cependant à plusieurs Etats (Allemagne, Pays Bas, Grande Bretagne) de surseoir à ces plans de destruction.

L’épizootie atteignant la viande ovine vient cependant semer le doute. En effet, la destruction sanitaire d’animaux, bien qu’ovins, permet d’atteindre le même résultat

 

§ Risques bancaires et concentration – Les banques françaises ont affiché des profits records en 2000 qui s’expliqueraient par une demande soutenue de crédit des ménages, un afflux de dépôt, une bonne reprise de l’immobilier, l’absence de crise financière internationale, et surtout l’amélioration de leurs méthodes de gestion des risques.

Toutefois, l’incertitude sur les débouchés du téléphone mobile 3e génération, l’endettement des opérateurs pour payer les licences UMTS font peser un risque « télécoms » sur les banques françaises un peu comparable au risque « immobilier » de la décennie précédente.

Selon Christian de Boissieu (Paris I), l’arrivée de l’euro va intensifier la concurrence et inciter aux fusions. Mais elle n’est pas la seule cause. Ce mouvement est mondial. En effet, « les concentrations répondent aux excès d’offre par rapport à la demande sur les métiers bancaires classiques, comme la collecte des impôts et l’ouverture des crédits. Il y a encore trop de réseaux bancaires en France et dans le monde ».

 

§ Cadre de gestion selon le FMI – La standardisation d’un système mondial économique et institutionnel est-elle en train d’apparaître ?

Le nouveau président du FMI Horst Kohler a annoncé en mars la création d’un nouveau département de l’organisation, chargée de la surveillance des marchés financiers, qui devrait devenir systématique.

Ce département utiliserait des programmes du secteur financier  lancés en 1999 avec la Banque mondiale, déjà testés par une douzaine de pays pilotes industrialisés comme moins avancés.

Ces programmes passent au crible tous les aspects économiques et financiers d’un Etat. Fondés sur une batterie d’indicateurs construits pour un cadre idéal avec des codes et standards universels. Ces analyses doivent permettre de relever les anomalies d’un système et d’en permettre la correction.

Cette approche fut déjà critiquée par plusieurs pays, notamment la Chine, qui souligne que ces codes ne sont pas adaptés au stade de développement de chaque pays, ni au type d’institutions qu’il possède.

Le FMI reconnaît cependant qu’il est illusoire de supprimer les crises, mais qu’ »un bon système de prévention peut atténuer leur fréquence et leur gravité.

 

§ Vieillissement et immigration – Malgré le recours à l’immigration qui présente un impact immédiat sur la population active, le vieillissement des populations en Europe restera très sensible car le comportement démographique et économique des migrants s’aligne à terme sur celui des nationaux.

Par ailleurs, depuis le milieu de la décennie 1990, une reprise progressive des flux migratoires s’observe dans les pays de l’OCDE, notamment afin de « favoriser l’entrée de travailleurs qualifiés et hautement qualifiés, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies ». L’OCDE observe également que dans presque tous les pays européens, le taux de chômage des étrangers est supérieur au taux de chômage des nationaux (en France 22 % contre 9,6 %, en Allemagne 17,3 % contre 8,5 % en 1998).

 

§ Le Vatican adopte l’euro – Le Vatican a signé une convention monétaire avec l’Italie pour le compte de l’Union Européenne afin que l’Etat de la Cité du Vatican puisse utiliser l’euro comme monnaie officielle. Depuis les accords de Latran (1929), le Vatican utilisait la lire italienne comme monnaie. Comme les autres Etats européens utilisant l’euro, le Vatican pourra choisir une face spécifique à ses pièces en euro, utilisables dans tous les pays de l’Union Européenne. Selon « La Croix » (5.1.2001), « certains pays européens, dont la France, auraient exprimé des réserves à l’idée de voir des euros porter le profil de papes ou de saints » souligne « Chrétiens dans la Cité » n° 84 (26 rue Roublot, 94120 Fontenay sous Bois) .  

 

§ Les Cartels. L’OPEP, cartel des producteurs de pétrole a fêté ses 40 ans le 24 septembre 2000.

Le Conseil de la concurrence a sanctionné un “ cartel ” de banques françaises bloquant des renégociations de prêts immobiliers d’une amende de 1,14 Mds. F en mi septembre.

“ Les cartels sont les cancers de l’économie de marché ”, a déclaré Mario Monti (11.09.2000). En détruisant la concurrence, les cartels pénalisent sévèrement nos économies et nos consommateurs. A long terme, les cartels affaiblissent la compétitivité des industries concernées parce qu’ils éliminent la pression concurrentielle qui pousse les entreprises à innover et à être plus efficaces en matières de coûts.

Dans les années 30, l’Allemagne et la France favorisent les cartels jugés bénéfiques pour l’économie car ils permettaient aux industries nationales de mieux se défendre face à la concurrence internationale. En 1945, sous l’influence des Etats-Unis, les cartels furent prohibés.

Les cartels peuvent conduire à des optima économiques et constituer des substituts aux concentrations. On a souvent assimilé fascisme et cartellisation. Aux Etats-Unis, l’appel à la délation est récompensé sur ce sujet.

La CE et l’OCDE ne distinguent pas entre un cartel et une entente, pourtant historiquement, l’entente est secrète.

On distingue les cartels horizontaux (entente entre concurrents) et verticaux (entente entre producteurs et distributeurs, fournisseurs et franchisés).

Avant 1946, la France et l’Allemagne utilisaient le cartel pour affronter la concurrence internationale, notamment américain. Depuis la Federal Trade Commission (FTC) aux Etats-Unis, la Commission de la Concurrence dans l’Union européenne, s’opposent aux ententes au prétexte qu’elles empêchent, restreignent et faussent le jeu de la concurrence sur un marché.

Pourtant, l’article 81 du Traité de Rome dans son paragraphe 3 admet un certain nombre d’exemptions applicables aux ententes contribuant à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte.

Peines encourues : aux Etats-Unis, jugement au pénal, en Europe, amendes. Aux Etats-Unis, la participation a un cartel est considéré comme une infraction pénale, alors qu’en France les sanctions sont administratives.

Le 16 octobre 1973, 10 jours après la guerre du Kippour, l’OPEP décida de fixer par lui-même le prix officiel du brut (le prix du baril passe de 3 $ à 5,12 $ puis à 11,6 $ en décembre. Il n’avait pas augmenté depuis les années 30 en termes réels.

Au fur et à mesure que la mondialisation et la dérégulation se développent, la pression concurrentielle augmente, donc la tentation pour les entreprises de s’entendre, ce qui nécessite une intensification de la lutte contre les cartels.

Des études réalisées dans les années 1980 suggèrent que les atteintes à la concurrence coûtent 5 à 7 % du PNB, les cartels peuvent en fait faire doubler les prix.

 

 

 

 

 

49 – mai 2001

De la valeur d’usage à la valeur marchande

 

 

 

 

 

La mondialisation économique et financière dérive de l’accroissement de l’espace marchand au détriment de l’espace social. Cette hypertrophie du marché résulte du triomphe sans partage de la valeur d’échange que détermine la loi de l’offre et de la demande.

 

La valeur d’usage, l’utilité sociale.

Les théories de la valeur contemporaines sont, pour les plus nombreuses et connues d’entre elles, issues de la théorie de la valeur d’échange, elle même issue de celle de la valeur d’usage.

La valeur d’usage d’un bien se distingua d’abord de la valeur de sa possession.  C’est après la distinction que fit Aristote de la possession et de l’usage d’un bien que la théorie de la valeur d’usage trouve son origine. Il souhaitait, comme le rappela Thomas d’Aquin, « que les possessions soient distinc-tes mais que l’usage en soient partiellement commun  et partiellement distribué par la volonté des propriétaires » (Somme Théologique 1.2.Question 105.2). Il s’agissait ici d’estimer la valeur d’un bien relativement à son usage indépendamment de sa possession.

Mais dans son Ethique à Nicomaque, Aristote constata toutefois que la valeur de l’usage d’un bien peut être déterminée de façon parcellaire, relativement à l’un de ses attributs ou l’une de ses qualités, ou de façon commune, relativement à l’équité, à la justice. L’ambivalence de la notion de juste prix trouvera là son origine.

En ce sens, la valeur d’usage peut se définir comme la quantité d’un bien fondé sur son utilité objective ; elle devient valeur d’utilité sociale. La valeur d’usage variait cependant selon le degré de subjectivité qu’elle contenait, le niveau ou la nature du corps social dans laquelle elle s’inscrivait.

 

La valeur d’échange, l’utilité subjective

Les philosophes, puis les économistes distinguèrent ensuite la valeur d’usage ou valeur d’utilité sociale et la valeur d’échange.

La valeur d’échange, fondée sur la rencontre de deux volontés, apparaît au XVIe siècle alors que les idéaux médiévaux disparaissent au profit des conceptions mercantilistes et rationalistes de la Renaissance. Cette nouvelle approche de la valeur résulta d’une remise en cause des fondements philosophiques médiévaux. Ceux-ci disposaient, notamment avec Thomas d’Aquin et les scolastiques, que deux sortes de justice, distributive et commutative, prévalaient selon qu’il s’agît de répartir un bien d’usage public, d’utilité sociale ou d’utilité privée et individuelle,.

 

Justice commutative et justice distributive : « Entre le tout et les parties on envisage un autre ordre, auquel ressemble l’ordre de ce qui est commun aux individus. Cet ordre est celui que dirige la justice distributive, appelée à répartir proportionnellement le bien commun de la société. Il y a donc bien deux espèces de justice, l’une distributive, l’autre commutative.

Solutions : 1- (…) dans la distribution des biens communs, il faut observer une certaine modération que détermine la justice distributive.

2- La partie et le tout sont, d’un certain point de vue, identiques en ce que tout ce qui appartient au tout appartient d’une certaine façon à la partie ; et c’est ainsi que lorsqu’on partage entre les membres de la communauté un bien commun, chacun reçoit en quelque sorte ce qui est à lui (…)

La justice distributive et la justice commutative ne se distinguent pas seulement de leur objet un et multiple, mais par la nature même de la dette qui les concerne : devoir à quelqu’un un bien commun est autre chose que lui devoir un bien qui lui est propre. »

St. Thomas d’Aquin, Somme théologique Q.61)

 

Dans le modèle thomiste, c’était le prince qui était chargé d’arbitrer les conflits d’opportunité et d’identifier les sphères d’appartenance à la justice commutative ou  échange de gré à gré,  et à la justice distributive orienté vers le bien commun. Mais avec les nouvelles orientations du nominaliste Guillaume d’Ockham (vers 1285-1347) la supériorité de la justice commutative commença à l’emporter sur les autres modèles de répartition.

Plus tard, les Jésuites de l’Université de Salamanque, au XVIIe siècle, affirmeront que le prix d’un bien dépend pour partie de la « valeur d’attachement » fut-il affectif, fondée sur sa possibilité de remplacement, c’est-à-dire sur sa relative rareté ou abondance, et pour l’autre, de son coût de production, essentiellement alors, le coût d’entretien du travailleur. Ces éléments de valorisation influençaient la valeur du bien échangé lors de la rencontre entre le « désir » de l’acheteur et la « créativité » du vendeur, que nous pouvons reconnaître comme l’offre et la demande 1.

Adam Smith et David Ricardo développèrent cette idée à la fin du XVIIIe siècle. Ricardo estimait que « les choses, une fois qu’elles sont reconnues utiles pour elles-mêmes, tirent leur valeur échangeable de deux sources, de leur rareté, et de la quantité de travail nécessaire pour les acquérir. » Il considéra toutefois avec Smith que le travail  couvrait davantage le fondement de la valeur d’échange, ce qui fut repris et développé par Karl Marx dans la théorie de la valeur travail, alors que les auteurs néoclassiques préférèrent en dégager la théorie de la valeur rareté.

Il reste donc surprenant que Karl Marx et ses épigones aient défendu la conception de la « valeur travail » qui n’est qu’une simple expression de la valeur d’échange, et ne peut, en conséquence, n’être légitimée et reconnue que par la confrontation de l’offre et de la demande. Il est certes naturel que des auteurs libéraux, favorables à la loi du marché, s’y référent. Mais en  fondant ses analyses sur la valeur travail, issue de la valeur d’échange, le marxisme ne pu prétendre rompre avec l’économie de marché, mais n’aspira  à s’ins-crire que dans son prolongement  historique.

Les théories néoclassiques de la valeur vont cependant privilégier la conception de la valeur rareté. Ainsi, Léon Walras écrivait  : « Il y a dans la science trois solutions principales au problème de la valeur. La première (…) met l’origine de la valeur dans le travail. Cette solution est trop étroite et elle refuse de la valeur à des choses qui en ont réellement. La seconde (…) met l’origine de la valeur dans l’utilité. Celle-ci est trop large et elle attribue de la valeur à des choses qui, en réalité, n’en ont pas. Enfin, la troisième, qui est la bonne (…) met l’origine de la valeur dans la rareté 2 . »

La valeur d’échange se définit comme le rapport d’un bien offert à un autre demandé, fondé sur leur relative rareté ou abondance. C’est donc le rapport de l’offre à la demande ou loi du marché, qui permet d’identifier une valeur d’échange. Sa valorisation ne peut alors  provenir que d’une utilité assurément subjective et individuelle où le désir légitime le besoin. Selon J. Baptiste Say, l’utilité consistera « à satisfaire les besoins, les désirs de l’homme tel qu’il est. Or, sa vanité et ses passions font quelquefois naître en lui des besoins aussi impétueux que la faim. Lui seul est juge de l’importance que les choses ont pour lui et du besoins qu’il en a (…). Il doit donc nous suffire de leur donner de l’utilité à ses yeux pour leur donner de la valeur 3 ».

Auguste Walras, père de Léon, conduira encore plus loin cette réflexion en remarquant : « Il y a donc cette différence entre la morale et l’économie politique que la première n’appelle utiles que les objets qui satisfont à des besoins avoués de la raison, tandis que la seconde accorde ce nom à tous les objets que l’homme peut désirer. 4 »

Ainsi le désir justifie l’utilité subjective   qui produit l’échange, légitime la valeur marchande du bien, qu’il soit vice ou vertu.

 

Conséquences de la prépondérance de la valeur d’échange

La valeur d’échange n’a cessé depuis la Renaissance d’occulter la valeur d’usage. Elle favorisa la disparition de l’économie politique (1), occulta le calcul des valeurs patrimoniales collectives, la valeur du travail domestique, des services publics et sociaux (2), annule l’idée d’un bien commun (3).

1- L’hégémonie de la valeur d’échange a favorisé l’émergence des sciences écono-miques en rupture avec la vieille économie politique. J. Joseph Goux souligne que « C’est l’émancipation d’avec toute la philosophie morale qui est en jeu. Avec une notion radicale de l’utilité, l’économie rompt le lien obscur et fâcheux qu’elle pourrait avoir avec la réflexion morale, elle opère un divorce qui est en même temps son acte de naissance. Si l’économie ne veut plus, à un moment donné, relever de la philosophie, mais se donner pour une science autonome et spécifique, c’est par la redéfinition de l’utilité qu’elle l’accomplit (…) Elle abandonnera bientôt, sans trop de scrupules, son titre d’économie politique pour devenir économie pure 5. »

2- Par ailleurs, soumis au monopole de la valeur d’échange,  l’économie ne s’intéresse plus qu’à ce qui est susceptible d’appropriation et de transaction. Les indicateurs comptables comme le PIB (Production Intérieure Brut) apprécient les valeurs ajoutées exclusivement pour les conséquences marchandes dont les ventes constituent un enrichissement à court terme, mais indépendamment de leurs causes ou des effets induits. Le PIB s’accroît ainsi du coût des accidents des hospitalisation, recons-truction, et réparation, mais il ignore les dégradations du patrimoine collectif, qu’il soit physique, culturel, écologique ou social.

Le PIB apprécie certes, depuis 1976, la valeur des services non marchands mais celle-ci est conventionnellement égale à leur coût, et néglige par conséquent les externalités qu’ils induisent, notamment à long terme (création d’une route, éducation, service de police). D’autre part, le PIB ignore toujours la valeur de la production domestique 6, c’est-à-dire du travail effectué sans contrepartie monétaire au sein de la famille et d’autres espaces sociaux.

3- Enfin,  la valeur d’échange individualise l’acte économique. « En substituant le désir individuel subjectif au besoin – qui peut, lui, être objectif et collectif, et dont on peut discuter – l’économie a en même temps rendu impossible la construction d’un bien commun. (…) La société n’existe pas : il n’y a ni bien collectif, bon pour tous même s’il paraissait mauvais du point de vue de chaque individu, ni menace générale, ni intérêt commun, il n’y a pas non plus de patrimoine possédant une valeur intrinsèque qu’il nous reviendrait de conserver, ni de richesses en soi, dont la valeur serait indépendante d’une quelconque extériorisation (ou présentation sur un marché) 7. »

 

Mondialisation et  valeurs d’usage

Les excès de cette pensée suscitent néanmoins  diverses réactions. De nouvelles notions comme le développement durable, l’échange équitable ou l’éthique d’entreprise, cherchent à donner une dimension collective à la valeur marchande créée en moralisant l’acte économique. Ces démarches peuvent, hélas, être facilement détournées de leur finalité et s’avérer dérisoires en face des besoins objectivement appréciés.

 

Instruments de moralisation des marchés

Le développement durable, ou croissance non destructrice d’environnement et de cohésion sociale, est défini par le rapport Bruntlandt (ONU, 1987) comme répondant « aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Le capital humain  est défini comme le niveau des connaissances et des qualifications. Il est devenu l’un des facteurs de création de richesse pour les firmes et les nations. Pour l’OCDE, il est bénéfique à la collectivité comme à l’individu. Elle souligne dans un récent rapport (Du bien-être des nations, le rôle du capital humain et social, Tom Healy et Sylvain Coté, mai 2001)  qu’« une année supplémentaire d’études à plein temps est associée à un accroissement de la production par habitant d’environ 6% (…), et se traduit par une rémunération en moyenne de 5 à 15 % (…) .»

A ce titre, elle recommande une hausse des investissements publics dans l’éducation et la formation, préconise d’encourager l’engagement associatif, d’augmenter le financement public d’associations de bénévoles, et d’associer les citoyens aux décisions administratives.

Les placements éthiques, et les échanges équitables peuvent devenir des marchés dont certains font déjà l’objet d’une forte exploitation marketing. Le rapport des entreprises à l’éthique n’est pas désintéressé. Grâce à leurs « codes d’éthiques », elles se prémunissent contre les campagnes de dénonciations associatives et médiatiques.

Après avoir dépensé des parts non négligeables de leur budget – pouvant atteindre plusieurs milliards de francs- en publicité, ces firmes ne peuvent se permettre de voir leur image de marque suspectée et entachée. Nike, Auchan, Carrefour, vérifient dorénavant la viabilité de leurs fournisseurs, respectent la liberté syndicale de leurs salariés, etc.

Cependant, il n’est guère possible eu égard aux multiples filiales, sous-traitants et intermédiaires, d’assurer intégralement la pureté éthique à la production. Des organismes extérieurs sont ainsi chargés de contrôler les entreprises et de leur délivrer des certificats éthiques.

 

Les considérations récentes sur les patrimoines collectifs, écologique, historique, culturel et humain, peuvent également favoriser l’émergence d’une nouvelle approche de la valeur d’usage.

Si l’on excepte la parenthèse keynésienne des trente glorieuses, sur une période multi-séculaire, la valeur d’échange, véhicule du désir individuel et subjectif, a balayé la valeur d’usage, expression du besoin collectif et objectif. Mais les craintes de ne pouvoir transmettre, et léguer aux générations futures, les biens naturels et culturels, rendent à la valeur d’usage une prééminence existentielle sur la valeur d’échange. La valeur d’usage  est reconsidérée, de façon indirecte, par le biais de la durabilité communautaire et de la transmissibilité du bien, de sa protection contre les abus individuels qui le corrompent, autrement dit de son amortissement collectif.

De nouveaux indicateurs comme celui du développement humain (IDH) d’Amartya Sen, utilisé par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) 8 encouragent l’appréciation de certains biens (santé, enseignement) à leur valeur d’usage.

 

Cependant, le processus de décloisonnement et d’uniformisation des marchés, c’est-à-dire la mondialisation, ne peut accepter que des biens soient offerts à leur valeur d’usage, puisque ceux-ci nécessiteront l’émergence de nouveaux protectionnismes. Il admet toutefois que des instances internationales imposent sur certains biens des valeurs d’usage tant que celles-ci ne cloisonnent pas les marchés.

En effet, la valeur d’usage d’un bien s’apprécie relativement à l’utilité ou la nocivité collectives qu’il contient, occasionne, ou entraîne, dans une espace social déterminé.  

Elle s’applique sur le bien en incorporant dans son prix marchand une compensation, positive ou négative, relative aux dégradations qu’il occasionne ou aux améliorations qu’il apporte à l’ensemble de la collectivité considérée..

Une taxe pourra s’appliquer sur ce bien, s’il s’agit de compenser une nuisance collective, ou une subvention financera un escompte de son prix, s’il s’agit de compenser une valorisation collective. Rappelons que l’escompte d’un bien  peut couvrir l’intégralité de son coût et en assurer la gratuité comme c’est le cas pour de nombreux services publics.

Il s’agit par conséquent d’un modèle d’économie administrée dans lequel le corps social détermine les biens dotés d’une valeur d’usage de ceux dotés d’une valeur d’échange, c’est-à-dire arbitre entre justice distributive et justice commutative pour ce qui est de la destination universelle des biens.

Cet arbitrage influence évidemment l’offre et la demande des biens appréciés à leur valeur d’usage et implique que des droits de douane soient établis sur les biens importés dont la valeur est appréciée relativement à leur usage. Ces protections créent de graves distorsions commerciales en influençant l’offre ou la demande des biens et constituent des entraves au libre échange.

Par contre, les compensations que les organismes internationaux (ONU, OIT) et les ONG (Organismes Non Gouvernementaux) tendent à appliquer sur certains produits (les écotaxes sur les biens dégradant l’environnement, la taxe Tobin sur les mouvements de capitaux  économiquement déstabilisants) semblent tolérés.

Elles préfigurent peut-être les seules valeurs d’usage internationales que la mondialisation puisse accepter au détriment des besoins de proximité, des utilités et des cultures locales.

Le marché refuse l’enracinement.

 

Janpier Dutrieux

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1- « C’est en s’inspirant des travaux de cette Université » souligne Patrick Simon, « notamment de Francisco de Vitoria, Domingo de Soto, Tomas de Mercado et Luis Molina qu’Hayek a pu écrire, contre Max Weber : « L’on pourrait sans difficulté soutenir que la religion qui a favorisé l’esprit du capitalisme a été celle des Jésuites, et non celle de Calvinistes » (P. Simon, Peut-on être catholique et libéral, F.X. de Guilbert, 1999).

2 -Léon Walras, Eléments d’économie pure, cf.46)

3 - J-B. Say, Catéchisme d’économie politique, 1815 in Cours d’économie politique et autres essais, (Flammarion, 1996), cité par Dominique Méda, Qu’est-ce que la richesse ? (Flammarion 2001).

4  - A. Walras, De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur, Alcan 1832, cité par D. Méda 2001, opus cité.

5 - J .J.Goux, L’utilité, équivoque et démoralisation, revue du MAUSS, Mouvement Anti Utilitariste dans les Sciences Sociales 1996, cité par Méda 2001.

6- Sur les services publics et sociaux, cf. Fragments Diffusion lette n° 38 et l’article ci-après ; sur  le travail domestique cf. cahier n° 5.          .

7- Dominique Méda, Opus cité.

8- cf. Fragments diffusion cahier n°15.

 

 

 Valeur d’usage et  légitimité de la dépense publique

 

L’une des critiques libérales les plus fréquentes concerne le niveau trop élevé des prélèvements obligatoires qui assurent le fonctionnement des administrations publiques et la redistribution sociale. Selon celle-ci, les prélèvements étouffent le dynamisme économique, réduisent la demande de consom-mation et d’investissement, détournent des ressources qui seraient mieux utilisées par des agents privés.

Mais, inversement, ces prélèvements ne sont que la contrepartie des services publics et de la protection sociale. Il n’est démontré nulle part que le secteur privé satisferait dans les mêmes termes qualitatifs et égalitaires de péréquation et d’équité répartitif aux besoins et à la demande des biens et services d’intérêt collectif. Il n’est pas démontré davantage que les agents travaillent plus pour payer ces prélèvements, ou travaillent moins pour ne pas les payer.

Pour analyser la dépense publique, Jean Marie Harribey (Bordeaux IV) propose une interprétation néo keynesienne de l’interven-tion publique :

Nous savons qu’il y a deux catégories d’agents producteurs, privés et publics.

1- Les agents privés décident d’investir quand ils anticipent des débouchés. Ils investissent, paient des salaires. La vente valide l’anticipation, la mévente la sanctionne.

2- Les agents publics anticipent l’existence de besoins collectifs. Ils investissent et paient des salaires. Mais la validation est effectuée ex ante par la décision collective et se confond avec l’anticipation.

Dans les deux cas, l’injection de monnaie (salaires, investissements publics et privés) autorise le déclenchement du processus productif. Les salaires autorisent l’achat de biens privés, l’impôt, la  consommation de biens publics. L’anticipation des services publics et leur production par les administrations publiques précèdent donc logiquement leur « paiement » de type collectif par les usagers.

J. M. Harribey souligne alors que « les services publics ne sont pas fournis à partir d’un prélèvement sur quelque chose de préexistant. Autrement dit, les impôts de N paient les dépenses publiques de N – 1 (ou pour le moins la décision de produire), et ainsi de suite.

Il est donc faux de dire que l’investissement public évince l’investissement privé.

Dire que les salaires des fonctionnaires sont payés grâce à une ponction tirée des revenus de l’activité privée n’a donc pas plus de sens que de dire que les salaires privés sont payés grâce à une ponction sur les consommateurs.

L’économie capitaliste peut être considérée comme un circuit  entre les actes issus d’une décision privée et d’une décision publique. Mais la demande de biens publics n’est qu’implicite, son refus est nourri par les inégalités devant l’impôt.

Pourtant, selon les libéraux, seule la production par le marché est légitime, car elle seule produit de la valeur. Mais quelle valeur ? « Il s’agit de valeur contenant un profit pouvant être approprié par des personnes ou groupes privés ».Or, l’activité publique ne produit pas de valeur marchande mais seulement de la valeur d’usage dont des « externalités positives pour la valeur d’échange «  (par exemple le RER au Parc Disney). La marchandisation du monde est en bonne voie

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 FRAGMENTELLES

 

 

§ Mobilité n’est pas propriété - Les actionnaires étrangers (non résidents) pèsent 45,57 % du capital des firmes du CAC 40 (hors France Télécom) dont 20,29 % pour les investisseurs anglo-saxons (étude Gergeson Shareholder/Le Monde 15/06/01). Le rapport est sensiblement le même pour le capital des firmes de la zone euro qui appartient pour 44,97 % à des non résidents et à 22,95 % à des institutionnels anglo-saxons.

Selon le PDG de Schneider, H. Lachmann, « les fonds de pension anglo-saxons ont contribué au financement du développement des entreprises françaises ; [bien qu’il importe qu’elles ne subissent pas.] la dictature du court terme qui prévaut, trop souvent, sur les marchés financiers [mais] il est important que l’on enracine, par le capital, les entreprises françaises en France. Le développement des fonds de pension faciliterait cet enracinement ».

Mais pour J.C. Le Duigou (CGT), le régime de croissance de la Bourse est tout sauf durable : « Le niveau de rentabilité exigé dépasse de loin les possibilités de croissance de la plupart des firmes. Il implique qu’on « mange du capital humain et matériel » pour satisfaire les actionnaires (…). Ces actionnaires institution-nels ne sont pas de vrais propriétaires mais plutôt des prêteurs qui peuvent se retirer du capital aussi vite qu’ils y sont entrés. »

 

§ Revalorisation des Smic  - La hausse légale du SMIC au 1er juillet est de 4,05 %, dont 2,2 % au titre de l’inflation (effet prix), 1,55 % au titre de la moitié de la progression du pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier) et de 0,24 % de « coup de pouce ».

Avec le système de « garantie mensuelle » assurant un complément salarial pour les salariés passés aux 35H :semaine, plusieurs niveaux de SMIC coexisteront jusqu’en juillet 05 (cf. lettre n°44). Plus le passage aux 35 H. est tardif, plus le nouveau système est favorable aux salariés. Par exemple, les entrants du 01.07.01 bénéficieront de la revalorisation de 4 % alors que les autres ne bénéficieront que d’une garantie mensuelle limitée à 2,85 %.

 

Smic

01/07/99

01/07/00

01/07/01

Horaire

40,72 F

42,02 F

43,70 F

 

§ Emplois décents  - Lors de la 89e session de la Conférence  de l’Organisation Internationale du Travail - OIT- (Genève le 5 juin), le Bureau International du Travail -BIT- a dénoncé l’insuffisance d’emplois décents et lancé un appel « aux gouvernements et à tous les partenaires intéressés pour définir des solutions équilibrés et « ancrer » les valeurs du travail décent dans le monde afin de réduire ce déficit. Selon son directeur Juan Somavia, 22 travailleurs sur 100 dans le monde « ne gagnent pas assez pour maintenir leur famille au dessus du seuil de pauvreté, soit un dollar par personne et par jour. »

Le BIT estime à 160 millions le nombre des chômeurs déclarés dans le monde et à un milliard le nombre de travailleurs sous employés.

L’OIT souligne que malgré les innovations et une meilleure productivité, les inégalités sont croissantes alors que la mondialisation fait la part belle au profit. « Dans un monde où la déréglementation, les privatisations et le désengagement de l’Etat ont transféré le pouvoir de décision de la sphère publique à la sphère privée, le monde des affaires en général et des entreprises en particulier se retrouvent sur le devant de la scène dans tous les débats touchant au travail ».

 

§ Réforme budgétaire -  L’Ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux Finances publiques qui fixe depuis 40 ans le cadre et la procédure budgétaires a été réformée le 7 juin 2001. Cette réforme sera applicable au 31 décembre 2004.

L’Ordonnance du 2 janvier 1959 énonçait les grands principes du droit budgétaire (règles de l’unité, de l’universalité ou de l’annualité du budget).

Avec le principe de l’annualité, les parlementaires ne peuvent voter, à chaque session, qu’une infime part du budget, ce qui déresponsabilise l’Assemblée. La nouvelle loi remplacera les 848 chapitres par 150 programmes ministériels qui pourront être pluriannuels et dont les crédits pourront être fongibles, c’est-à-dire répartis librement entre les différents postes de dépenses selon les besoins. Toutefois, cette fongibilité ne s’exercera pas sur la masse salariale « qui ne pourra pas être augmentée ». Elle permettra d’instaurer une vraie comptabilité analytique et autorisera la constitution de provisions pour amortissement. L’article 29 de la nouvelle loi souligne que « les principes généraux de la comptabilité et du plan comptable de l’Etat ne se distinguent des règles applicables aux entreprises qu’à raison des spécificités de l’action de l’Etat » (art.29). Elle rapproche ainsi la comptabilité publique de la comptabilité patrimoniale.

Par ailleurs, la nouvelle loi autorise un contrôle effectif et une participation des parlementaires à la réalisation du budget. en contournant  l’article 40 de la Constitution qui n’autorise pas les Parlementaires d’augmenter une dépense ou de réduire une recette de l’Etat. Le législatif reprendra ainsi  un peu du pouvoir laissé aux fonctionnaires du ministère des finances….

Du point de vue européen, elle permettra surtout la surveillance multilatérale et la comparaison du choix de chaque gouvernement signataire du pacte de stabilité et de croissance.

D’autre part, la globalisation des dépenses de personnel prévue par cette réforme pourrait également permettre, avec le principe de pluriannualité, de dégrossir progressivement les effectifs de fonctionnaires dont 45 % doivent partir à la retraite d’ici 2012.

Ce texte peut donc être perçu comme un préalable fondamental à toute future réforme de l’administration et de l’Etat.

Il convient de noter cependant que la volonté décentralisatrice n’a pas encore soufflée sur le cadre budgétaire puisque, comme précédemment, selon l’article 26 de cette loi, « les collectivités locales et les établissements publics soient tenus de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l’Etat. »

 

§ Centralisme économique  - Le budget des régions représente en France 3 % du budget de l’Etat contre 15 % en Italie, 25 % en Espagne, 30 % en Belgique et 50 % en Allemagne.

La concentration géographique française des revenus est la plus importante d’Europe.

L’écart du PIB par habitant entre la capitale et les régions est de 27,9 contre 15,3 en Espagne et 7,6 en Grève.

Le dernier recensement a montré que 23 % de la croissance démographique s’effectue à proximité de Paris sur 9,14 % du territoire national.

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Notes extraites de « La Bretagne au cœur du monde nouveau de J. Martray et J. Ollivro (Les Portes du large éd., 9 rue Duclos 35000 Rennes) cité par Chroniques économique, syndicale et sociale 25 rue du Poteau, 75018 n°97-98. août 2001)

 

§ BCE et FED – Sur le ton de la boutade, le patron de Vivendi, Jean Marie Messier, a suggéré que la FED prête son Président, Alan Greenspan, pour diriger la BCE pendant 6 mois ou un an. Il s’agissait de dénoncer l’inertie de la BCE, son manque de réactivité et d’anticipation, et sa frilosité en matière de baisse des taux d’intérêt, La BCE n’a pas, en effet, comme la             FED, pour mission spécifiquement signalée, de veiller à la croissance et à l’emploi.

Ainsi, le 10 mai 2001, la BCE a diminué ses taux d’intérêt de 0,25 %. Cette intervention de la Banque centrale fut jugée trop faible et trop tardive.

Explications : La BCE a pour mission principale précisée de maintenir le pouvoir d’achat. Elle adapte ses interventions afin de maintenir de façon optimale le niveau des prix dans les pays membres de la zone euro.

Or, en termes d’inflation, les Etats membres ont retrouvé des écarts semblables à ceux qui, en 1996, prévalaient avant l’introduction de la monnaie unique le 4 janvier 1999. Si la moyenne européenne d’inflation est de 2,3 %, l’Irlande enregistre 5,3 % de hausse des prix et l’Espagne 3,5 %.

Ces pays, économiquement en retard, rappelle Marc Touati (Natexis) ont rejoint l’euro pour bénéficier de taux d’intérêt plus bas, favorables à leur croissance (10,7 % pour l’Irlande en 2000). Selon lui, il s’agit d’un processus de rattrapage économique de certains pays qui, aujourd’hui en surchauffe, génèrent une inflation nationale. Ces mouvements d’inflation locaux limitent l’ampleur d’une baisse des taux d’intérêt de la BCE.

Il reste que cette faible baisse pénalise les économies franco allemande, voire italienne, qui pour les deux premières, représentent la moitié du PIB européen, notamment l’Allemagne dont le commerce extérieur  avec les Etats-Unis, particulièrement développé, est en diminution, compte tenu du ralentissement économique de ce pays.

 

§ Pays pauvres et commerce  - Au terme de la 3e Conférence sur les 49 PMA (Pays les Moins Avancés), les pays de l’OCDE ont annoncé leur accord de principe pour un déliement de l’aide publique au dévelop-pement. Les pays les plus pauvres qui reçoivent une aide ne seront plus contraints en contrepartie d’acheter des équipements ou des services aux pays qui leur ont accordé ce soutien. Par ailleurs, les pays de l’Union Européenne ont décidé de supprimer progressivement les droits d’entrée et les quotas imposés aux produits des PMA sur les pays, à l’exception des armes.

 

§ Thésaurisation  - 150 milliards de francs (22,87 Mds. E) seraient thésaurisés sur un total de 300 Mds. F (45,73 Mds. E) de pièces et billets mis en circulation (cf. Fragments n°47).

Il s’avère que trois quarts des billets des 500 F et un quart de billets de 200 F ne circulent jamais, mais des mouvements de dé-thésaurisation sont observés ces derniers mois avec l’afflux croissant de billets de 500 F. Ces 150 Mds ne représentent cependant qu’à peine 3% de M2 (ou disponibilités à court terme).

Comme la Banque de France connaît la vitesse de rotation de chaque type de billets, elle peut évaluer les montants stockés.

Ainsi, l’AFB a calculé, d’après ces statistiques BDF, que 10,5 Mds.F en billets étaient revenus dans le circuit des transactions au 1er trimestre 2001, tout comme aux Pays Bas et en Allemagne.

Ces montants équivalent en moyenne à 6000 F par ménage mais la Banque de France en ignore la concentration. Plusieurs hypothèses à ces thésaurisations sont avancées, du désuet bas de laine, pour allergie au dépôt bancaire, à la fraude fiscale en passant par les nostalgiques du franc, pièce et billet.

Selon Robert Rochefort, Directeur du CREDOC, les effets sur la croissance de cette monnaie dé-thésaurisée ne seront pas spectaculaire. La consommation représente un flux de 400 Mds/mois, ces dizaines de milliards étalés sur près d’un an, même dépensés par moitié, ne pèsent pas très lourd . Soulignons encore que les Français détiennent également le record de possession privée d’or sous forme de lingots et de Napoléons, malgré la stérilité du placement. (…)  A la conception moderne anglo-saxonne et protestante de faire fructifier les richesses s’oppose chez nous, même estompée, la vision plus traditionnelle, précapitaliste, d’un argent caché qui ne rapporte guère. »

 

en millions de francs

 

Aux Etats-Unis, John Sweeney, président de l’AFL-CIO, organisme qui regroupe 66 syndicats américains de l’industrie et détient de nombreux postes d’administrateurs aux conseils des Fonds de pension dénonce depuis longtemps les outrances impudiques de certains actionnaires qui pour s’assurer des meilleurs dividendes possibles offrent des points d’or à certains dirigeants.

Ce syndicaliste déclarait que « le système américain a de réels mérites, notamment dans le domaine de la transparence. Mais il a aussi ses faiblesses : il a mené à des niveaux obscènes et socialement destructifs les rémunérations des dirigeants, comme le salaire payé à Jack Welch pour General Electric, équivalent à celui de 15000 ouvriers mexicains du groupe ! ».

Heureusement, nous  n’en sommes pas encore là en France, quoique nous ayons près de 10 % de la population sous le seuil de pauvreté ( en dessous de 50 % du revenu médian des habitants) dont de  nombreux travailleurs à temps partiel contraint, précaires et autres CDD. …… Quoique dans 20 millions de francs, il y a quand même à peu près l’équivalence de 2000 SMIC, charges sociales et patronales inclus. …Bref, constater cette dictature de l’actionnariat, est-ce faire de la démagogie ? ou de la pédagogie ?