Développement durable et indicateurs de richesse.

 

On sait que la consommation dans le monde est essentiellement portée par les pays industrialisés mais, en revanche,  ce sont les pays pauvres, en développement ou peu avancés, qui en supportent davantage les conséquences environnementales des externalités produites par les modes de production, notamment à bas coûts. A l’échelle d’un pays, ces conséquences affectent davantage les populations pauvres qui ne peuvent s’en prémunir que les populations aisées. La croissance de la consommation dont la finalité est de permettre de nourrir l’humanité, et de concourir à son développement humain, dégrade l’environnement et la cohésion par les abus et les exclusions qu’elle provoque. Ces distorsions distributives enrichissent sans doute l’existence de quelques uns mais produisent des externalités négatives qui affectent le bien-être du reste du monde et engendrent des dégradations qui peuvent attaquer l’empreinte écologique. Des catastrophes comme celles de la centrale nucléaire de Tchernobyl dont les explosions de 1986 provoquèrent l’émission d’un nuage radioactif, des marées noires occasionnées par les fuites des navires Torrey Canyon en 1967 ou de Erika en 1999, de la déforestation des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, sont ainsi de même nature que les embouteillages citadins des grandes métropoles des pays industrialisés. Les coûts sociaux de ces dégradations de l’environnement, qui ne sont guère comptabilisés, sont estimés à plus de 4 % du PIB des Etats Européens.

Le développement industriel, agricole peut engendrer des pollutions immédiates ou différées comme les pluies acides, gaz à effet de serre, contribuer à un changement climatique et dégrader la biosphère.

 

Convaincues de l’irréversibilité de certaines dégradations et de leur accélération, les organismes internationaux comme nationaux, sous la pression de nombreuses ONG (Organisations non gouvernementales) élaborèrent de nouveaux outils de développement garantissant une meilleure gestion des ressources communes et une répartition plus équitable des infrastructures et des services publics, comme par exemple le développement durable, le développement humain.

C’est après 1968 qu’une association internationale, le Club de Rome, souligna les liens entre la croissance économique et les environnements. La publication de leur rapport « Halte à la croissance ou les limites de la croissance », en 1972, (ou rapport Meadows du nom de deux de ses membres) inspirera les idées de développement durable et de décroissance.

 

·       La notion de développement durable fut définie en 1987 dans le rapport de Gro Harlem Brundtland, alors premier ministre norvégien, présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement.  Ce rapport le définit comme  « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », et souligne notamment « les besoins des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité » et les « limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ».

Le développement durable également appelé soutenable entend concilier et harmoniser les trois aspects des activités humaines : économique, social et environnemental. Il a fortement influencé les politiques économiques et sociales de nombreux Etats depuis sa création. En France, le préambule de la Constitution de la Ve République  rappelle l’attachement du peuple français à la charte de l’environnement rédigée en 2004.

C’est à l’occasion du deuxième sommet de la terre à Rio de Janeiro, en 1992, que le terme de développement durable sera définitivement adopté. En 2005, le protocole de Kyoto et la politique de réduction des émissions de gaz à effets de serre entraient en application. Très contraignant, ce protocole n’est guère respecté.

 

Le Protocole de Kyoto

Une prise de conscience internationale des risques du changement climatique s’exprima après le sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992. Elle fut suivie par le protocole de Kyoto en 1997, entrée en vigueur le 16 février 2005 par lequel les Etats signataires s’engageaient à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, notamment de gaz carbonique provenant de la combustion des énergies fossiles, sur la période 2008-2012. Un système de quotas et de permis d’émission de gaz à effet de serre fut instauré, transférables et négociables, permettant aux principaux émetteurs de racheter les autorisations des petits émetteurs.

 

·       La décroissance ou a-croissance s’apparente davantage à une idéologie qu’à une technique. Elle apparaît à la suite des travaux de Nicholas Georgescu-Roegen dans les années 1970,  que continue en  France  Serge Latouche[1]. Il s’agit d’une critique du productivisme tant capitaliste que socialiste qui refuse le développement durable au prétexte qu’un effet rebond [2] s’appliquera systématiquement dans l’hypothèse d’un développement. Il convient alors d’initier un effet débond qui suppose l’acceptation d’un modèle décroissant tant individuel que collectif.

L’idée économique de la décroissance postule que l’augmentation de la production entraîne l’accroissement de la consommation d’énergie et de matières premières, diminue la main d’œuvre et la remplace par des machines. Cette thèse fut, rappelons le, dénoncée par de nombreux auteurs (Schumpeter, Fourastié) qui soulignent que la disparition du secteur d’activité économique génère par ailleurs de nouvelles activités économiques, voire de nouveaux secteurs. On évoquera ici l’économie sociale et le Tiers-secteur.

Le concept de décroissance  n’est certes pas strictement formulé, il peut se limiter, dans une version modérée,  à réduire la consommation des ressources naturelles et énergétiques et à relativiser la pertinence des indicateurs économiques, notamment le PIB, mais il peut fonder une nouvelle éthique de vie dans une version plus radicale. C’est à cet égard qu’il est le plus critiqué [3].   Ce n’est donc pas la croissance de la consommation qui est critiquable d’un  point de vue économique et écologique mais sa qualité et sa concentration.

 

Les indicateurs alternatifs.

 

Autour de ces nouvelles approches des relations économiques, de multiples nouveaux indicateurs alternatifs furent crées et vinrent se confronter aux indicateurs économiques de production et de consommation. Citons ici quelques uns de ces nombreux indices synthétiques.

 

·       L’indice du bien-être économique durable. Les indicateurs alternatifs que l’on commença à opposer aux indices de production furent inspirés par les travaux précurseurs de William Nordhaus et James Tobin, en 1972, sur la mesure du bien-être[4], élaborant un indice expérimental du bien-être économique durable (MEW ou Mesure of economic welfare). Le MEW retranche de la production finale, les dépenses de consommation qui ne contribuent pas au bien-être (coût des trajets domicile-travail, frais financiers et juridiques), mais ajoute la valeur estimée du temps libre, du temps d’utilité sociale, et consacré au travail domestique, Il quantifie également les variations de stocks des ressources naturelles ainsi que la santé et l’éducation. Ce calcul controversé a, par ailleurs, souligné, de 1929 à 1965, une augmentation de MEW très inférieure à celle du PNB américain.

                     

A la suite de cet indice, de nombreux autres indicateurs alternatifs furent créés. Ils tendent à répondre aux exigences du XXIe siècle. Ce sont souvent des indices synthétiques,.alternatifs au PIB, qui tiennent compte des conditions sociales et environnementales, et pondérent, voire corrigent la vision exclusivement quantitative des agrégats économiques et du PIB [5]. Toutefois la quantification mesure des grandeurs objectives alors qu’une approche qualitative relève d’une démarche subjective. Ils peuvent, à terme, infléchir le regard porté sur l’économie. On remarquera que ces indicateurs soulignent souvent que la progression du niveau de vie ne s’accompagne pas d’une augmentation parallèle de la qualité de vie. considérée sous l’angle du bien-être social, environnemental, et du développement humain. Pour autant, il serait abusif d’en tirer des conclusions définitives. Nous emprunterons au rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse, rendu par Jean Gadrey et F.J. Catrice pour la DARES en 2003 [6], un relevé non exhaustif de ces indices. .

 

·       L‘indice du développement humain (IDH), précedemment cité, conçu par Amartya Sen, permet de relativiser les analyses de quantification économique du PIB ainsi que du PIB par habitant. D’autres indices, synthétiques, dérivés de l’IDH, se sont développés comme l’indice de pauvreté humaine (IPH), l’indice de participation des femmes à la vie politique et économique (IPF). Ils proposent cependant une même grille de lecture des caractères socio-culturels, qui, d’un pays à l’autre, d’une civilisation à l’autre, d’une époque à l’autre, ne sont pas toujours considérés et donc valorisés d’une égale façon Ainsi, donner la même valeur relative à ces caractères sans tenir compte de la culture qui les soutient pourrait s’interpréter comme du néo-colonialisme et de l’ingérence politique dans les affaires d’autrui.

 

·       L’indice de santé sociale (ISS) fut conçu pour les Etats-Unis par Marc et  Marcque-Luisa Miringoff. Cet indice synthétique, inspiré de l’IDH, pondère 16 indicateurs de santé, de chômage, d’éducation, de pauvreté et d’inégalité, d’accidents et de risques divers. Une valeur comprise entre 0 et 100 est attribuée à chacun de ces indicateurs. Il devint célèbre en 1996 avec la publication par le magasine Challenge d’un graphisme représentant les évolutions respectives de cet indice, et du PIB de 1959 à 1995. L’indice de santé sociale régressait durablement à partir de 1970 environ alors que le PIB continuait à croître. En 1995, l’ISS n’atteignait que la motié de son  niveau de 1959 alors que le PIB triplait le sien : 3 fois plus de production mais 2 dois plus de malheureux.... Sur le même modèle, le BIP 40 fut imaginé en France.

 

Le Bonheur national brut (BNB) du Bhoutan.

Le petit royaume boudhiste du Bhotan a instauré, à la suite des recommandations de son roi en 1972, un indice du Bonheur national brut (BNB). Le BNB repose sur quatre principes fondamentaux du royaume : croissance et développement économique, conservation et promotion de la culture, sauvegarde de l’environnement et utilisation durables des ressources, bonne gouvernance responsable. Le BNB s’en ainsi substitué au PIB pour mesurer ka croissance économique mais également la qualité de vie sociale, culturelle et environnementale des résidents. Il tend ainsi à mettre l’économie au service des valeurs spirituelles boudhistes et culturelles régionales.

 

·       L’indice du bien être économique et social, fut créé en 1998 par les Canadiens Lars Osberg et Andrew Sharpe. Il se compose de 4 indicateurs synthétiques reposant sur les flux de consommation, les stocks de capital, du point de vue économique, humain et environnemental, les inégalités et la pauvreté économique, et l’insécurité économique liée au chômage, à la maladie, à la vieillesse et aux conditions familiales. Cet indice accorde davantage d’importance aux dimensions sociales et économiques qu’aux questions environnementales. Cependant, son mode de construction permet d’en nuancer les pondérations et de l’adapter à de nouvelles situations. Pour des raisons de disponibiltés statistiques, il n’était pas utilisé en France au début des années 2000, mais s’appliquait dans tous ls pays anglo-saxons et scandinaves

 

·       L’indice du bien-être durable (IBED) fut créé à la suite du rapport de Clifford Cobb et John Cobb dans les années 1990. Il incorpore dans le calcul de la valeur de l’activité productive le coût de ses externalités négatives, notamment les nuisances et dégats environnementaux. Il comptabilise avec la consommation marchande des ménages  différents éléments du mode de vie. Pour calculer l’indice du bien-être durable (IBED), on retient la consommation marchande des ménages à laquelle on ajoute la valeur du  service du travail domestique, les dépenses publiques non defensives, et la formation du capital productif, auxquels on retranche les dépenses privées défensives, le coût des dépréciations de l’environnement  et la dépresion du capital naturel. Le solde est ensuite pondéré avec le coefficient de Gini qui mesure  l’évolution des inégalités, et valorisé par le différentiel entre la valeur monétaire des biens durables consommés et celle des services rendus. A la différence du PIB, l’IBED soustrait de son calcul le coût des nuisances provoquées par nos modes de vie comme la pollution, les accidents, les dégâts sociaux et environnementaux. Il donne ainsi une estimation monétaire à la réparation des dégâts et dommages provoqués par la croissance économique et le mode de vie qu’elle exige, du coût des dégradations de l’environnement et de la dépréciation du capital productif regroupé dans les “dépenses privées défensives”. Autrement dit, aà la différence du PIB qui n’enregistre dans son calcul que les valeurs monétisées qui rentrent, l’IBED retient et retranche des valeurs qui sortent ou sont détruites. On compte parmi ses valeurs la qualité de l’air, le nombre des forêts, la qualité de pêche des eaux de rivière, les nuisances sonores, comportementales, de voisinage, la qualité des rapports sociaux, les accidents, dégâts et dommages sociaux ou naturels consécutifs au mode de production utilisé.

 

·       L’indicateur du progrès véritable fut créé en 1994. C’est un indice monétaire qui comptabilise la consommation des valeurs ajoutées et retranche le coût des externalités sociales et environnonnementales négatives. Il comptabilise notamment le coût de la pollution de l’eau, de l’air, des dommages causés par le bruit, le trou de la couche d’ozone, la déforestation, les crimes, les accidents de la route, les familles séparées, le chômage, etc. Par exemple, calculé pour les Etats-Unis en 2000, il s’élevait à 2630 milliards de dollars alors que le PIB américain s’élevait alors à 5163 milliards de dollars.

 

·       L’indice du bonheur mondial fut créé par Pierre Le Roy en 2001 et présenté dans la revue Globeco (ou site Globeco). Cet indice regroupe 40 indicateurs classés en 4 catégories : la paix et la sécurité – la liberté, la démocratie et les droits de l’homme – la qualité de la vie – l’intelligence et la culture. Ces 40 indicateurs sont collectés auprès d’Institutions internationales qui fournissent des statistiques annuelles (PNUD, ONU, Banque mondiale…).

Pour une base indiciaire de 100 en 2000, l’indice moyen du bonheur mondial était, selon ces critères, de 102,48 en 2005. Pierre Le Roy créa également l’indice de la mondialisation autour de 6 éléments indiciaIres et l’indice de la fracture mondiale autour de 9 évaluations des disparités mondiales [7].

 

·       L’indice du bien-être des nations élaboré par Robert Prescott-Allen en 2001 est un indicateur environnemental. Cet indice regroupe 36 indicateurs sociaux et économiques (relatifs à la santé, à l’éducation, à la paix, aux libertés, à la production, aux libertés...) et 51 indicateurs environnementaux (relatifs à la diversité et à la qualité des terres, à la disponibilité en eau, à la pollution atmosphérique, à la diversité des espèces vivantes, à la consommation de l’énergie...) [8]..

 

·       L’indicateur d’épargne véritable est publié par la Banque mondiale. Il se compose des additions et des soustractions des ressources non économiques, notamment environnementales, effectuées à partir de l’épargne économique nette (c’est-à-dire hors amortissement). On retient l’épargne nette à  laquelle on ajoute les dépenses d’éducation auxquelles on retranche les ressources   énergétiques minérales, les forêts utilisées et le coût des dommages liés aux émissions de CO2.  Par exemple, selon cet indicateur, en 1991, l’Arabie Saoudite présentait une désépargne équivalente à près de 42 % de son PIB. Les exportations de ressources naturelles de certains pays du Moyen-Orient, d’Afrique du nord et d’Afrique sub-saharienne expliquent aussi leur niveau élevé de désépargne.

 

Mais ces indicateurs composites qui  associent et pondèrent des données quantitatives et objectives à des éléments qualitatifs et subjectifs ne peuvent prétendre être universellement reconnus. En revanche, l’empreinte écologique et la biocapacité, indicateurs strictement environnementaux, ne prennnent en compte et ne comparent que des quantités d’espaces nécessaires au renouvellement des environnements naturels vitaux. 

 

Empreinte écologique et biocapacité, comptabilité humaine et environnementale.

 

·       L’empreinte écologique est un indicateur environnemental qui traduit la dépendance d’une population à un espace vital en fonction de son mode de vie, c’est-à-dire la quantité des ressources naturelles qu’elle doit utiliser pour le maintenir. Il calcule la surface nécessaire pour produire les ressources consommées et pour absorber les déchets produits : si la surface totale utilisée est supérieure à celle qui peut être fournie, appelée biocapacité (ensemble des surfaces cultivées et des forêts), il y a destruction et les comportements ne sont pas soutenables.

 

L’empreinte écologique calcule ce  que nous prenons à la nature [9].

La biocapacité calcule ce que peut nous rendre la nature.

 

En 2005, l’empreinte écologique moyenne de la population  française était de 5,3 hectares par habitant, et de 3,7 hectares aux Etats-Unis, tandis qu’elle n’excède pas 2 hectares  pour les populations d’Amérique latine, du Moyen-orient et Asie centrale, d’Asie-Pacifique et d’Afrique. En 1960,  l’humanité consommait 0,7 planète de ressources renouvelables par régénération naturelle. Elle en consommait 1,2 planète en 2005. Cinq équivalents planète de ressources naturelles seraient nécessaires si l’humanité adoptait le mode de vie des Américains et 3 si elle adoptait celui des Européens. Il importe donc de réduire dans les modes de production et de consommation futurs l’empreinte écologique de l’humanité et notamment des populations les plus dépendantes.

Le tableau suivant souligne l’évolution de l’empreinte écologique en France de 1961 à 1999. Le déficit total observé résulte de la différence entre la biocapacité totale du territoire français et l’empreinte totale laissée par l’activité économique sur l’année considérée. Il implique en conséquence que des biocapacités extérieures au territoire français sont empruntées au reste du monde excédentaire et dépensées pour maintenir le mode de vie français. Cet emprunt est effectué, par définition, aux régions qui présentent encore des excédents en biocapacité sur leur territoire, pays du sud, en développement ou peu avancés.

 

L’empreinte écologique de la France 1961-1999

Années

1961

1971

1981

1991

1999

Population (en millions)

46,3

51,2

54,1

57,0

58,9

Empreinte totale (en Mhg 1)

209

247

255

302

310

Bio capacité totale (en Mhg)

138

140

138

165

169

Déficit total (en mhg)

- 71

- 107

- 117

- 137

- 140

Empreinte/habitant

4,5

4,8

4,7

5,3

5,3

1: Mhg = mullions d’hectares globaux

Source : WWF- France

 

On constate ici que le déficit total de la France a doublé depuis 1961. En 1961, l’empreinte écologique de la France dépassait de 51 % sa bio capacité. Elle la dépassait de 89 % en 1999. Dans le même temps, l’empreinte écologique par habitant s’est multipliée par 118 %. Plus généralement, on sait que la planète pouvait, avec une population de 6,5 milliards d’individus, recycler 3,2 milliards de tonnes de carbone par an, mais ce chiffre diminue avec la déforestation [10].

 

·       La comptabilité humaine et environnementale.

L’existence d’indicateurs alternatifs permet de pondérer la vision trop quantitative et marchande du PIB et des autres grands agrégats économiques, et d’orienter qualitativement la croissance économique. Ils peuvent ainsi permettre aux Institutions internationales et nationales d’utiliser des instruments de taxes, de quotas, d’échanges de droits pour limiter l’usage, préserver et assurer le renouvellement des biens communs, biens publics nationaux et internationaux, comme la biodiversité ou le respect des droits de l’homme. Cependant, faute de reconnaissance universelle, ces indicateurs alternatifs n’ont qu’un pouvoir consultatif et ne fondent pas un nouvel ordre législatif comptable. C’est l’objectif de la comptabilité humaine et environnementale. Avec elle, il ne s’agirait plus de tempérer, voire corriger, ex post, le PIB et les autres agrégats économiques du SECN, mais d’en modifier, ex ante, le calcul. Ces agrégats de quantification reposent, en effet, sur les données issues de la comptabilité générale des entreprises, avec, par exemple, les déclarations annuelles des données sociales (DADS), également obligatoires pour les administrations et les établissements publics. Ce sont donc les normes comptables de ces Sources d’information qu’il conviendrait de modifier pour apprécier et comparer de façon plus exhaustive les grandeurs et les évolutions économiques.

Il existe, certes, plusieurs conceptions de la comptabilité d’entreprise, mais leur standardisation au sein du système normalisé international ne considère et ne valorise toujours que le capital financier. Ces modèles n’incorporent pas dans leurs résultats la valeur des dégradations naturelles et humaines. Ils sont donc incapables de mesurer les pertes en capital naturel et en capital humain [11].

 

Une réforme environnementale et humaine de la comptabilité d’entreprise changerait assurément notre rapport à l’économie et à la valeur. Elle réintroduirait le concept de valeur d’usage dans la norme comptable.

 

Jean Gadrey notait ainsi que “si les externalités environnementales de la production et de la consommation étaient prises en compte, non pas seulement à leur coût actuel, mais en estimant les risques futurs qu’elles entraînent, qui sont des risques vitaux, le système mondial des transports aériens, maritimes et routiers, s’effondrerait, et il entraînerait dans sa chute bien d’autres secteurs, dont le tourisme mondial et la grande distribution, ainsi que le commerce international des biens [12]

On peut également souligner qu’en reprenant les données de l’empreinte écologique, en 1999, la France, ayant dépassé ce droit de tirage de 140 mhg, en aurait été redevable à d’autres Etats moins dépendants. De même, en retenant comme indicateur l’épargne véritable, en 2000, les Etats-Unis auraient été redevables de 2533 milliards de dollars (5163 milliards de dollars – 2630 milliards de dollars) au reste du monde excédentaire.

La comptabilité environnementale se présente ainsi comme un instrument d’évaluation des coûts relatifs à l’environnement, et des dépenses nécessaires pour maintenir le capital des ressources naturelles.  Elle permet de compléter la comptabilité générale par la prise en compte des flux physiques et des coûts  que les entreprises peuvent occasionner à des tiers dans leur processus écologique. Elle fournit des informations sur l’état et les variations du patrimoine naturel, les dépenses relatives à la prévention des dommages de l’environnement, à sa production et à la réparation des dégâts causés. Préconisée par l’ONU, la Banque mondiale et l’OCDE, elle cherche à corriger les insuffisances de la comptabilité financière en enregistrant les actifs et les passifs environnementaux, au même titre que les autres coûts. C’est également un instrument d’analyse économique et d’information statistique qui permet de créer des budgets publics environnementaux en complément des budgets publics économiques et financiers, de susciter des comptes satellites, et à terme, de modifier le contenu de la croissance économique.

 

Janpier Dutrieux

 

 [1] - The entropy law and the economic process, Nicholas Georgescu-Roegen 1971, Le pari de la décroissance, Serge Latouche, Fayard 2006.

 [2] - Effet rebond : les avantages environnementaux  tirés d’une production générant moins d’effets nuisibles sont annulés par l’augmentation de sa consommation. Par exemple, les automobiles  de 2000 polluent moins que celles de 1970 mais elles sont plus nombreuses. 

 [3] - « Il faut prendre la doctrine de la décroissance pour ce qu’elle est (…). Une lubie de gosse de riches parfaitement égoïstes. Mais cela va généralement ensemble ». Pierre-Antoine Delhommais (Le Monde du 30 juillet 2006).

 [4] - William Nordhaus et James Tobin, Is growth obsolete (La croissance est-elle obsolète), article publié en  1972 (National bureau of economic research general  n°96E, Comumbia University press, 1972.

 [5] - Des démarches analogues appréciant les relations sociales et environnementales des entreprises sur les pratiques témoignent de cette tendance éthique, avec notamment les agences de notation sociale et environnementale qui viennent compléter les avis des agences de notation financières.

 [6] - Jean Gadrey et Florence Jany Catrice : Les indicateurs de richesse et de développement, rapport pour la DARES (Direction de l’animantion, de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du travail), mars 2003. Les nouveaux indicateurs de richesse, La découverte, Repères 2005.

 [7] - Pierre Le Roy, directeur de la revue et du site Globeco. 

 [8] - Cet indice permit d’étudier la qualité de vie et de l’environnement dans 180 pays dans le rapport de Prescott-Allen : Le bien-être des nations (2001).

 [9] - L’empreinte écologique calcule les surfaces nécessitées pour la consommation des ressources de l’agriculture, de la syviculture, de la pêche, pour la construction d’habitations (terrains bâtis) et d’infrastructures, et pour recycler les émissions de C02 produites et éliminer les déchets. Cette empreinte  est exprimée en hectares.

 [10] - Pour équilibrer l’empreinte écologique à la biocapacité, la consommation annuelle en carbone autorisée, c’est-à-dire son droit de tirage annuel, ne devrait pas dépasser 500 kilos par individu : la moitié de la moyenne mondiale, le quart de la moyenne française et le douzième de la moyenne américaine, en 2005.

 [11]  - Thèse défendue par Jacques Richard,  Pour une révolution comptable environnementale, Le Monde, 5 février 2008.

[12] -  Jean Gadrey, Environnement et croissance, Alternatives économiques, décembre 2005.

 

retour à économies alternatives solidaires

 

 

 



[1] - The entropy law and the economic process, Nicholas Georgescu-Roegen 1971, Le pari de la décroissance, Serge Latouche, Fayard 2006.

[2] - Effet rebond : les avantages environnementaux  tirés d’une production générant moins d’effets nuisibles sont annulés par l’augmentation de sa consommation. Par exemple, les automobiles  de 2000 polluent moins que celles de 1970 mais elles sont plus nombreuses. 

[3] - « Il faut prendre la doctrine de la décroissance pour ce qu’elle est (…). Une lubie de gosse de riches parfaitement égoïstes. Mais cela va généralement ensemble ». Pierre-Antoine Delhommais (Le Monde du 30 juillet 2006).

[4] - William Nordhaus et James Tobin, Is growth obsolete (La croissance est-elle obsolète), article publié en  1972 (National bureau of economic research general  n°96E, Comumbia University press, 1972.

[5] - Des démarches analogues appréciant les relations sociales et environnementales des entreprises sur les pratiques témoignent de cette tendance éthique, avec notamment les agences de notation sociale et environnementale qui viennent compléter les avis des agences de notation financières.

[6] - Jean Gadrey et Florence Jany Catrice : Les indicateurs de richesse et de développement, rapport pour la DARES (Direction de l’animantion, de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du travail), mars 2003. Les nouveaux indicateurs de richesse, La découverte, Repères 2005.

[7] - Pierre Le Roy, directeur de la revue et du site Globeco. 

[8] - Cet indice permit d’étudier la qualité de vie et de l’environnement dans 180 pays dans le rapport de Prescott-Allen : Le bien-être des nations (2001).

[9] - L’empreinte écologique calcule les surfaces nécessitées pour la consommation des ressources de l’agriculture, de la syviculture, de la pêche, pour la construction d’habitations (terrains bâtis) et d’infrastructures, et pour recycler les émissions de C02 produites et éliminer les déchets. Cette empreinte  est exprimée en hectares.

[10] - Pour équilibrer l’empreinte écologique à la biocapacité, la consommation annuelle en carbone autorisée, c’est-à-dire son droit de tirage annuel, ne devrait pas dépasser 500 kilos par individu : la moitié de la moyenne mondiale, le quart de la moyenne française et le douzième de la moyenne américaine, en 2005.

[11]  - Thèse défendue par Jacques Richard,  Pour une révolution comptable environnementale, Le Monde, 5 février 2008.

[12] -  Jean Gadrey, Environnement et croissance, Alternatives économiques, décembre 2005.